BGE 99 V 81
 
28. Arrêt du 26 septembre 1973 dans la cause L. contre Caisse interprofessionnelle romande d'AVS des syndicats patronaux et Commission cantonale genevoise de recours en matière d'AVS
 
Regeste
Beim Geschäftsverkauf realisierter "Goodwill" gehört zu dem für die Beitragspflicht des Verkäufers massgebenden Einkommen (Art. 9 AHVG), gilt aber nicht als im Betrieb investiertes Eigenkapital (Art. 18 AHVV) des Käufers.
 
Sachverhalt
A.- François L. a acquis d'Albert F., le 1er janvier 1969, une entreprise... La vente est intervenue aux conditions suivantes: prix demandé par le vendeur, payable en espèces: valeur des marchandises: Fr. 1 123 000.--
mobilier et agencement: Fr. 977 000.--
Fr. 2 100 000.--
A la date considérée, le matériel figurait par 79 946 fr. dans les comptes. Le vendeur paya l'impôt relatif au bénéfice en capital sur 897 054 fr. Le contrôleur du fisc considéra que la somme de 977 000 fr. représentait pour moitié le matériel et pour moitié le "goodwill" (soit 488 500 fr. pour chacune de ces rubriques).
B.- Se fondant sur une communication de l'autorité fiscale relative à la 16e période de l'impôt pour la défense nationale, la Caisse de compensation CIAM-AVS fixa le 15 juillet 1972 à 4609 fr. 60, frais d'administration compris, les cotisations personnelles dues par François L. pour 1972. Le revenu annuel déterminant avait été calculé sur la base du revenu moyen des années 1969/1970 de 80 703 fr., aucun capital propre n'étant investi dans l'exploitation.
C.- Gustave L., expert-comptable, recourut au nom du prénommé. Il ne contestait pas le revenu moyen des années 1969/1970 mais soutenait qu'il y avait lieu de tenir compte de l'intérêt d'un capital propre investi dans l'entreprise, en raison du "goodwill" acquis à titre onéreux qui figurait à l'actif par 488 500 fr.
Par jugement du 19 janvier 1973, la Commission cantonale genevoise de recours en matière d'AVS rejeta le recours, en se fondant sur la jurisprudence.
D.- Agissant toujours pour le compte de François L., Gustave L. interjette recours de droit administratif. Il reprend ses conclusions de première instance. Relevant "l'analogie économique étroite existant entre le "goodwill" et les autres valeurs immatérielles telles que les brevets, marques de fabrique, procédés de fabrication, etc." qui, lorsqu'elles sont acquises à titre onéreux, "font partie de la fortune commerciale imposable, et partant du capital investi dans l'exploitation", le recourant s'insurge contre le fait que le "goodwill", "qui remplit la même fonction économique", ne soit pas traité de la même manière. Il fait remarquer que l'administration fédérale des contributions, en matière de droit de timbre et d'impôt anticipé, de même que les fiscs cantonaux et communaux, ne feraient pas de différence entre le "goodwill" et les autres éléments de l'actifimposable des entreprises, tels que matériel, brevets, marchandises, caisse, banque, etc. Il trouve anormal, par exemple, que le "goodwill" constitue un actif imposable pour le vendeur seulement, et non pour l'acheteur - qui a pourtant payé ce même "goodwill" en espèces et qui est en droit de l'amortir. Il expose les raisons pour lesquelles l'administration de l'impôt pour la défense nationale ne considère pas le "goodwill" comme un élément de la fortune imposable des personnes physiques.
La commission de recours s'en rapporte à justice. La caisse intimée en fait de même. Elle relève toutefois qu'en "toute logique, le "goodwill" acquis à titre onéreux devrait être compris dans la fortune commerciale", un tel traitement ne devant pas "être regardé comme une inégalité à l'égard d'un exploitant ayant acquis une valeur immatérielle par son travail".
Dans son préavis, l'Office fédéral des assurances sociales propose de confirmer la jurisprudence et de rejeter le recours.
 
Considérant en droit:
1. Pour évaluer une entreprise, il ne suffit pas d'additionner la valeur des biens matériels (marchandises, machines, espèces, créances, etc.) qui lui appartiennent. Il faut aussi, très souvent, tenir compte de biens immatériels, tels que raison de commerce, réputation, clientèle, relations d'affaires, fournisseurs, méthodes de travail. Il faut peut-être aussi prendre en considération le fait même d'exister, d'être organisé et de fonctionner depuis un certain temps. Ces biens immatériels, qu'on désigne communément du terme anglais de "goodwill", résultent de l'activité lucrative du chef d'entreprise, à l'instar de l'accroissement de la valeur des biens matériels. Ils sont réalisables lors de la vente de l'entreprise; il s'agit alors de savoir s'ils constituent un revenu sur lequel sont dues les cotisations AVS/AI/APG, c'est-à-dire s'ils font partie du revenu provenant de l'exercice d'une activité dépendante ou indépendante (art. 4 LAVS), et si, s'agissant de l'acquéreur, ils représentent des éléments du capital propre engagé dans l'exploitation dont l'intérêt peut être déduit du revenu de l'activité indépendante (art. 9 al. 2 lit. e LAVS). Le Tribunal fédéral des assurances a estimé que le prix d'un "goodwill" payable par acomptes après remise d'un commerce est soumis à cotisations personnelles, lesquelles sont exigibles en une fois sur la valeur totale du "goodwill", sans aucune déduction (RO 96 V 58). En revanche, il a constaté il y a longtemps déjà que, le capital propre investi dans l'entreprise devant être évalué d'après les normes de la législation en matière d'impôt pour la défense nationale (art. 18 al. 2 RAVS), le "goodwill" ne constitue pas un élément de ce capital: en matière d'impôt pour la défense nationale en effet, le "goodwill" n'est pas compté dans la fortune (ATFA 1951 p. 246; jurisprudence confirmée dans les arrêts non publiés Salzmann du 30 avril 1963 et Simonetti du 25 février 1966), à la différence d'autres biens immatériels tels que les brevets d'invention par exemple (RCC 1959 p. 300).
2. La question qui se pose est dès lors de savoir s'il faut continuer à considérer que le "goodwill" représente un élément du revenu soumis à cotisations, s'agissant du vendeur d'une entreprise, mais que le prix payé par l'acquéreur ne peut être retenu pour déterminer le capital propre investi dans l'exploitation, d'une part, et, d'autre part, s'il faut toujours traiter différemment, du point de vue des cotisations AVS/AI/APG, certains biens immatériels composant l'actif d'une entreprise acquise à titre onéreux.
Les solutions rappelées ci-dessus ne sont certes pas très satisfaisantes, sur le plan de la logique, à première vue du moins. La Courde céans ne voit cependant aucun motif de s'en écarter, s'agissant en tout cas de celle qui concerne le capital propre investi dans l'entreprise. Car cette dernière découle de règles légales claires qu'il n'appartient pas au juge de corriger. La norme de l'art. 18 al. 2 RAVS prescrivant l'évaluation du capital propre engagé dans l'exploitation suivant les dispositions de la législation fédérale sur l'impôt pour la défense nationale n'est guère criticable, au regard de l'art. 9 al. 2 lit. e LAVS: le Conseil fédéral n'a certes pas outrepassé les limites de sa compétence en édictant l'art. 18 al. 2 RAVS dans sa teneur actuelle (cf. RCC 1958 p. 350 consid. 4). Force est dès lors de s'en tenir, pour l'évaluation du capital propre investi dans l'entreprise, aux règles valables en matière d'impôt pour la défense nationale, avec les avantages et les inconvénients qu'elles présentent.
Au demeurant, la jurisprudence rappelée ci-dessus a le mérite d'éviter une inégalité de traitement entre le commerçant qui constitue un "goodwill" originaire dans sa propre affaire ("goodwill" latent), lequel n'est pas un actif devant figurer au bilan, selon la doctrine actuelle du droit fiscal (KÄNZIG, "Die Eidgenössische Wehrsteuer", 1962, 4e vol., p. 354 No 75; MASSHARDT, "Kommentar zur eidgenössischen Wehrsteuer 1971-1982", p. 141 No. 22, p. 161 No 4), d'une part, et, d'autre part, le commerçant qui, reprenant une affaire, acquiert le "goodwill" à titre onéreux. Elle consacre une solution plus simple et plus juste que celle consistant à prendre en considération le "goodwill" dans tous les cas, qu'il ait été payé ou qu'il soit latent: s'agissant de l'estimation du "goodwill" originaire, on se heurterait à des difficultés d'application telles qu'on en arriverait sans doute à des évaluations souvent arbitraires.
L'estimation de la fortune commerciale suivant les normes valables en matière d'impôt pour la défense nationale est en outre apte à garantir une uniformité dans la communication, par les différentes autorités fiscales cantonales, du capital propre engagé dans l'entreprise. Comme le relève l'Office fédéral des assurances sociales dans son préavis, ce serait du reste pour ce motifque l'art. 18 al. 2 RAVS n'a pas été modifié, même après la suppression de l'impôt fédéral complémentaire sur la fortune.
Enfin, la possibilité d'amortir le "goodwill" acquis à titre onéreux, admis par la pratique fiscale (cf. aussi RCC 1952 p. 359), constitue bien un certain correctif au système consacré par la loi et la jurisprudence. Que l'assuré n'ait jusqu'ici peutêtre pas encore procédé à un tel amortissement ne change rien à l'affaire, cette possibilité lui restant réservée pour l'avenir.
Dans ces conditions, force est de constater aussi que la différence de traitement du "goodwill", d'une part, et d'autres biens immatériels, d'autre part, a une justification.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce: Le recours est rejeté.