BGE 113 IV 4
 
2. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 27 février 1987 dans la cause X. c. Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)
 
Regeste
Aussergesetzliche Rechtfertigungsgründe (siehe Art. 32 StGB).
 
Sachverhalt
A.- Le dimanche 21 avril 1985, X., accompagnateur officiel d'une course cycliste, circulait au guidon de sa motocyclette à l'avenue Muret, à Morges, en direction du centre de cette ville. Alors qu'il roulait à une vitesse de 70 à 80 km/h sur la partie gauche de la chaussée mais à proximité de la ligne médiane, une voiture débouchant du chemin du Cottage a heurté l'avant de la motocyclette.
B.- Statuant le 21 juillet 1986, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par X. contre le jugement du Tribunal de police du district de Morges (rendu le 18 mars 1986) le déclarant coupable d'infractions aux art. 34 al. 1 LCR et 4a al. 1 lettre a OCR mais l'exemptant de toute peine en application de l'art. 100 ch. 1 al. 2 LCR.
C.- X. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Il demande que l'arrêt du 21 juillet 1986 soit annulé et qu'aucune infraction aux dispositions de la LCR et de l'OCR ne soit retenue à sa charge.
Le Tribunal fédéral admet le pourvoi en nullité pour
 
les motifs suivants:
1. La cour cantonale a constaté souverainement que le recourant a circulé, à l'intérieur d'une localité, à une vitesse de 70 à 80 km/h à gauche de la ligne médiane. En agissant de la sorte, il ne s'est conformé ni à l'art. 4a al. 1 lettre a OCR (limitant à 50 km/h la vitesse maximale des véhicules automobiles dans les localités), ni à l'art. 34 al. 1 LCR prévoyant l'obligation de circuler sur la moitié droite de la route, si elle est large. Comme il n'était pas en train de dépasser ni d'éviter un obstacle, les règles de la circulation routière ne lui permettaient en tout cas pas de rouler à gauche, contrairement à ce qu'il soutient. De ce point de vue, est sans pertinence la question de savoir s'il avait conservé son droit de priorité, face à l'automobile qui l'a heurté. Il est manifeste que le recourant n'ignorait pas les règles de la circulation ainsi transgressées, si bien qu'il a agi intentionnellement, ce qu'il ne conteste d'ailleurs pas.
2. Avec raison, la cour cantonale a considéré que l'art. 100 ch. 4 LCR était inapplicable ici. Le recourant n'était certainement pas assimilable au conducteur d'un véhicule de la police malgré sa fonction d'accompagnateur officiel (voir ATF 106 IV 2 consid. 1 et 2; BUSSY & RUSCONI, Code de la circulation routière, 2e éd., Lausanne 1984, n. 5.2a p. 482 ad art. 100 LCR). La cour cantonale ne constate pas que la motocyclette accidentée ait porté l'inscription "police" et le mémoire de recours ne mentionne nullement que le recourant aurait soutenu, devant la seconde instance cantonale déjà, qu'il s'agissait d'un véhicule de police; dans la mesure où son argumentation implique un tel fait, elle est irrecevable car il s'agit d'un moyen nouveau (ATF 107 II 224 consid. 3). L'art. 67 OSR prévoit uniquement l'obligation pour les usagers de se conformer aux signes et aux instructions données par les personnes dont la liste est précisée; or le recourant n'appartient manifestement à aucune des catégories énumérées, si bien que sa référence à cette disposition de l'OSR tombe à faux. De plus, cet article ne confère aucun privilège aux agents de la police.
3. En substance, le recourant fait valoir que sa mission d'accompagnateur officiel d'une course cycliste implique nécessairement l'inobservation de certaines règles de la circulation, sans quoi son rôle deviendrait impossible; ainsi, être accompagnateur autorisé constituerait un fait justificatif. L'autorité cantonale compétente en matière de circulation routière n'a pas prévu, dans son autorisation d'organiser la course, de dérogations aux règles de la circulation (au sens de l'art. 52 al. 4 LCR); elle a au contraire précisé que les véhicules accompagnants étaient tenus de se conformer aux règles de la circulation; le recourant ne peut donc se fonder sur la LCR pour se justifier. L'existence d'un devoir de fonction n'entre pas non plus en considération car le recourant n'est pas un agent de la police. L'exercice d'une profession déterminée ne suffit pas pour supprimer le caractère illicite d'un acte car celui qui l'exerce ne jouit pas pour autant de droits plus étendus que les autres citoyens; encore faut-il pour rendre l'acte licite que le devoir de profession invoqué découle d'une norme juridique écrite ou non écrite (A. HAEFLIGER, Rechtmässigkeit der durch Gesetz oder Berufspflicht gebotenen Tat, in RPS 80 (1964) p. 37; G. STRATENWERTH, Schweiz. Strafrecht allgemeiner Teil I, Bern 1982, p. 224 n. 110; P. NOLL/S. TRECHSEL, Schweizerisches Strafrecht allg. Teil I, 2e éd. Zurich 1986 p. 119). En l'espèce, qu'il en aille ainsi pour le devoir d'accompagnateur incombant au recourant n'est ni établi ni évident. Les conditions de la légitime défense et de l'état de nécessité font manifestement défaut faute notamment d'attaque ou de danger imminent. Toutefois, d'après la jurisprudence, on peut admettre l'existence de faits justificatifs non prévus par la loi lorsque pour sauvegarder des intérêts légitimes l'auteur a usé de moyens nécessaires et adaptés au but visé, que l'acte (ordinairement illicite) constitue la seule voie possible et qu'il apparaisse manifestement moins important que les intérêts dont l'auteur a voulu assurer la sauvegarde (ATF 94 IV 70 consid. 2 et doctrine citée, 82 IV 18 consid. 3; H. SCHULTZ, in RJB 105 P. 388; O.A. GERMANN, Das Verbrechen im neuen Strafrecht, Zurich 1942, p. 214; H. SCHULTZ, Einführung in den allg. Teil des Strafrechts, vol. I, 4e éd. Berne 1982, p. 171/172; P. NOLL, Die Rechtfertigungsgründe im Gesetz und in der Rechtsprechung in RPS 80 (1964) p. 185).
En l'espèce, ces conditions sont réunies. D'une part, l'autorisation donnée par le Service vaudois des automobiles contient des conditions générales prévoyant que les véhicules accompagnants sont tenus de se conformer aux règles de la circulation; d'autre part, les organisateurs de la course, uniques responsables de son bon déroulement, étaient invités à prendre toutes les mesures de sécurité nécéssaires. Ce sont là deux injonctions inconciliables. La course cycliste sur route, telle que prévue et telle qu'elle s'est déroulée, nécessitait la présence de véhicules accompagnants pour assurer la sécurité des coureurs et des autres usagers; les accompagnateurs ne pouvaient remplir leur mission qu'en précédant les différents groupes de coureurs, à une certaine distance et en adoptant une vitesse au moins égale à la leur; ainsi, ils pouvaient être amenés, par les coureurs, à dépasser la vitesse maximale autorisée fixée à 50 km/h dans les localités, ce que firent d'ailleurs aussi les deux motocyclistes de la police escortant les concurrents; l'expérience générale de la vie montre que les coureurs cyclistes ont l'habitude, suivant les circonstances, d'occuper toute la largeur de la route; en conséquence la mission des accompagnateurs qui les précèdent impose à ceux-là de circuler au milieu de la chaussée, ou même un peu sur la partie gauche de celle-ci; en effet, ce comportement permet de faire comprendre rapidement et sans ambiguïté aux usagers circulant en sens inverse l'approche du danger inhérent aux coureurs. La sécurité de ceux-ci et celle des autres usagers de la route, qui constituait la seule cause de la façon de conduire du recourant (laquelle correspond d'ailleurs à celle des agents de police placés dans la même situation), apparaissent sans aucun doute comme prépondérantes face aux inobservations des règles de la circulation routière qui lui sont reprochées. Ce comportement, ordinairement illicite, est dès lors justifié, ce qui doit conduire à la libération du recourant, faute d'infraction (voir art. 32 CP). Il en irait de même si l'on examinait les faits sous l'angle du conflit de plusieurs devoirs (Pflichtenkollision), proche de l'état de nécessité et qui constitue aussi un fait justificatif (voir P. NOLL/S. TRECHSEL, op.cit., p. 120; en droit de la République fédérale d'Allemagne, SCHÖNKE/SCHRÖDER, Strafgesetzbuchkommentar, 22e éd. n. 70 f ad § 32 ss.; MAURACH, Strafrecht allg. Teil vol. 1 6e éd. n. 52 ad § 27; en droit français, voir R. MERLE/A. VITU, Traité de droit criminel, 2e éd. Paris 1973, p. 418 ss. n. 365; voir J. DARBELLAY, Théorie générale de l'illicéité, Fribourg 1955 p. 6).