BGE 110 IV 74
 
23. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 24 septembre 1984 dans la cause A. contre Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)
 
Regeste
Art. 122 Ziff. 2 StGB: Schwere Körperverletzung mit Todesfolge.
 
Sachverhalt
A.- A. a été condamné à une peine de 4 ans de réclusion pour lésions corporelles graves ayant entraîné la mort (art. 122 ch. 2, 11 et 66 CP). Les faits retenus à sa charge sont les suivants.
Le 15 février 1983, A., sa maîtresse, P. et L. ont passé un début de soirée dans une atmosphère relativement sympathique au domicile de cette dernière, à la rue Beau-Séjour, à Lausanne. Vers 23 h, chacun est allé se coucher dans un état d'ébriété plus ou moins avancé. A 1 h 30 environ, A. a tiré L. de son sommeil et l'a mis à la porte. Il a voulu agir de même avec P. et une altercation s'ensuivit au cours de laquelle A eut l'arcade sourcilière fendue et resta même "groggy" sur le sol; ayant quelque peu récupéré, il renversa P., qui se trouvait à la cuisine assis sur un tabouret, le saisit par les cheveux et lui martela la tête contre le carrelage alors que P. était sur le dos; il a agi avec une telle énergie qu'il arracha quelques touffes de cheveux. A. a finalement lâché sa victime, qui s'est relevée péniblement puis s'est rendue chez une connaissance, à Ouchy, où elle a pu être hébergée vers 3 h du matin. Vers 5 h, P. parlait ou râlait encore faiblement; entre 9 h et 10 h, on a constaté son décès.
Selon le rapport d'autopsie, la mort de P. est la conséquence directe d'un hématome sous-dural d'origine traumatique qui peut être dû au fait qu'on lui a tapé la tête contre le carrelage. Au moment du décès, P. présentait un taux d'alcoolémie de 2,37 à 2,65 g/%o.
L'expertise psychiatrique à laquelle A. a été soumis révèle qu'il était certainement sous l'influence de l'alcool au moment d'agir, ce qui contribuait à diminuer sa faculté de se déterminer en fonction de l'appréciation du caractère illicite de son acte; des traits caractériels qui se manifestent par une difficulté à contrôler ses impulsions agressives ont aussi amené les experts à conclure à une responsabilité restreinte au sens de l'art. 11 CP.
Le Tribunal correctionnel a tenu pour constant que les coups portés par A. à P. étaient en relation directe avec la mort de ce dernier et a acquis la conviction que, même pris de boisson, A. avait eu conscience de mettre la vie de sa victime en danger.
B.- Sur recours de A., la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé le jugement de première instance.
C.- A. se pourvoit en nullité contre l'arrêt cantonal. Avec suite de frais et dépens, il conclut à l'annulation de la décision attaquée et au renvoi de la cause aux instances cantonales pour qu'il soit condamné, en application de l'art. 122 al. 1 CP seulement, à une peine compatible avec l'octroi du sursis.
Le pourvoi a été rejeté dans la mesure où il était recevable.
 
Extrait des considérants:
b) L'art. 122 ch. 2 CP prévoit une peine aggravée si la victime est morte des suites de la lésion et si le délinquant avait pu le prévoir. D'après la jurisprudence, il s'agit d'un acte intentionnel principal - la lésion corporelle - compliqué d'une négligence (ATF 108 IV 12 et jurisprudence citée). Or on distingue la négligence inconsciente de la négligence consciente (art. 18 al. 3 CP). Appliquée à la prévisibilité du décès dans le cadre de l'art. 122 ch. 2 CP, cette distinction conduit à admettre l'existence de cet élément dans les deux hypothèses suivantes:
- lorsqu'il a provoqué la lésion, l'auteur a envisagé l'éventualité d'une issue fatale; il a donc agi, sur le plan de la cause du décès, par négligence consciente; savoir si le délinquant a effectivement envisagé l'éventualité de la mort est une question de fait;
- la deuxième hypothèse suppose que l'auteur n'a pas envisagé l'éventualité du décès, mais qu'il aurait dû savoir, en usant des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle, que la mort pourrait résulter de ses actes; c'est là une question de droit. Même en l'absence de constatations concrètes au sujet de la prévisibilité de la mort, la négligence inconsciente peut être retenue eu égard au décès de la victime (ATF 108 IV 12 /13); dans un tel cas, si l'on admet que l'auteur aurait dû savoir que ses actes pouvaient conduire à la mort de la victime, il est puni pour son imprévoyance coupable au sens de l'art. 18 al. 3 CP.
c) En l'espèce, l'arrêt attaqué constate que A. "avait conscience de mettre la vie de P. en danger alors qu'il frappait la tête de ce dernier à même le carrelage". Il s'agit d'une constatation de fait - on l'a vu - qui lie la cour de céans saisie d'un pourvoi en nullité (art. 273 al. 1 lettre b et 277bis PPF; ATF 106 IV 114, ATF 105 IV 247 consid. 2c). Ce fait est constitutif d'une négligence consciente; dès lors que les autres éléments de l'infraction prévue à l'art. 122 ch. 2 CP sont réunis, l'autorité cantonale n'a pas violé le droit fédéral en condamnant de ce chef le recourant.