BGE 90 IV 180
 
38. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 12 octobre 1964 dans la cause Zahnd contre Ministère public du Canton de Genève.
 
Regeste
1. Auslegung des Strafgesetzes.
2. Veruntreuung; nicht vollendete Straftat, begangen durch den Verkauf einer nicht vertretbaren Sache, die unter einem, im vorgesehenen Register nicht eingetragenen Eigentumsvorbehalt erworben wurde (Erw. 1-6); untauglicher Versuch (Erw. 7)?
- Abs. 1 des Art. 140 Ziff. 1 StGB bezieht sich auf die Aneignung einer vertretbaren oder nicht vertretbaren Sache, deren Eigentümer ein Anderer ist.
- Abs. 2 des Art. 140 Ziff. 1 StGB betrifft die Verwendung einer vertretbaren Sache, deren Eigentümer der Täter selber ist.
 
Sachverhalt
A.- Le 30 décembre 1960, Zahnd a vendu comme "libre de tout engagement" un appareil qu'il avait acquis, le 15 décembre précédent, sous réserve de la propriété du vendeur. Celui-ci n'a fait inscrire la réserve dans le registre prévu par l'art. 715 CC que le 9 février 1961, alors qu'il avait déjà connaissance de la vente conclue par Zahnd.
B.- Le 30 janvier 1964, la Cour correctionnelle du canton de Genève a condamné Zahnd à dix mois d'emprisonnement pour abus de confiance en raison des faits mentionnés ci-dessus et en outre pour des escroqueries. Saisie d'un recours par Zahnd, qui concluait à sa libération totale, la Cour de cassation du canton de Genève a rejeté ces conclusions, touchant l'abus de confiance. Sur ce point, elle a considéré, en bref, que les motifs qui ont déterminé le législateur à s'écarter de la notion de propriété civile pour l'abus de confiance portant sur des choses fongibles (art. 140 ch. 1 al. 2 CP) commandent de ne pas considérer non plus la propriété civile comme déterminante, nonobstant la lettre de l'art.140 ch. 1 al. 1 CP, lorsque l'acheteur d'un meuble acquis sous réserve de propriété vend la chose avant l'inscription de la réserve dans le registre public; qu'en effet, dans un cas comme dans l'autre, l'auteur étant propriétaire de la chose dont il a disposé, les actes d'usurpation sont identiques et que le sens, ainsi que l'esprit véritables de la loi doivent conduire à la même solution.
C.- Zahnd s'est pourvu en nullité. Il conclut à libération.
D.- Le Procureur général du canton de Genève conclut au rejet du pourvoi.
 
Considérant en droit:
Le recourant estime que cette disposition ne lui est pas applicable, parce que s'il a vendu le meuble qu'il avait précédemment acquis avec pacte de réserve de propriété, il a disposé non pas de la chose d'autrui, mais de sa propre chose.
Effectivement, le pacte de réserve de propriété n'est valable que s'il a été inscrit dans le registre public créé à cet effet (art. 715 CC). Or, en l'espèce, le pacte conclu le 15 décembre 1960 n'a été inscrit que le 9 février 1961, alors que, le 30 décembre 1960, Zahnd avait déjà revendu la chose, dont il était devenu propriétaire sous condition résolutoire par la livraison (art. 714 al. 1 CC). Il est donc clair que, le 30 décembre, la condition résolutoire (l'inscription du pacte) n'étant pas encore réalisée, Zahnd ne s'est pas approprié "une chose appartenant à autrui", mais a disposé de sa propre chose, selon le droit civil tout au moins.
Sans doute, même sans inscription, le pacte de réserve de propriété sortit néanmoins, selon la doctrine, des effets non pas réels, mais tout au moins personnels, contrairement à ce que croit le recourant; il oblige en particulier l'acheteur à se prêter à l'inscription, à ne pas vendre la chose sans le consentement du vendeur; en cas de demeure de l'acheteur pour le paiement du prix, il permet au vendeur d'exiger que la chose lui soit rendue, mais par une action purement personnelle (HAAB/SIMONIUS/SCHERRER, com. ad art. 715-716 CC, p. 743, n. 73). Cependant de tels effets sont sans conséquence, du point de vue de l'application de l'art. 140 CP, si l'on s'en tient à la doctrine du droit civil pour déterminer le caractère de "chose appartenant à autrui" selon l'art. 140 ch. 1 al. 1 CP.
Selon les textes français et italien, l'auteur n'aura pas consommé d'abus de confiance lorsque, comme en l'espèce, il a disposé d'une chose non fongible dont il était propriétaire. C'est la solution qu'adoptent certains auteurs (THORMANN et VON OVERBECK, com. ad art. 140 CP, n. 12; PFENNINGER, RSJ 1950, p. 32; STOFER, Ueber die Veruntreuung bei Abzahlungsgeschäften, RPS, 1963, p. 309). D'autres, en revanche, donnent le pas au texte allemand et admettent que l'auteur tombe sous le coup de l'art. 140 ch. 1 al. 2 CP lorsqu'il dispose de sa propre chose, même non fongible, pourvu que, du point de vue économique, cette chose rentre dans le patrimoine d'autrui (HAFTER, Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil, Ire partie, p. 240; LOGOZ, com. ad art. 140 CP, n. 4 a, qui se réfère à la solution adoptée par Hafter; CLERC, Fiches juridiques suisses, no 953, p. 7; SCHWANDER, Das schweizerische Strafgesetzbuch, 2e éd., p. 345, no 558). Cette interprétation permettrait d'appliquer l'art. 140 ch. 1 al. 2 CP au recourant si la chose vendue sous réserve de propriété demeurait, du point de vue économique, dans le patrimoine du vendeur, alors même que le pacte n'aurait pas été inscrit. D'après l'opinion des derniers auteurs cités, le recourant pourrait donc être punissable, bien que le pacte de réserve de propriété n'eût pas été inscrit, pour avoir vendu la chose acquise sous réserve de ce pacte et avoir gardé par devers lui le produit de la vente.
Toutefois, cette opinion n'est pas motivée dans l'arrêt précité et l'argumentation de la Cour de cassation genevoise appelle un nouvel examen du problème. En effet, selon cette cour, on doit, pour respecter la volonté du législateur, ainsi que l'esprit et le but de la loi, appliquer le premier alinéa de l'art. 140 ch. 1, nonobstant sa lettre ("chose mobilière appartenant à autrui", "fremde bewegliche Sache", "cosa mobile altrui"), à celui qui, comme en l'espèce, aliène une chose non fongible dont il est luimême propriétaire lorsqu'elle lui a été confiée en ce sens qu'il s'était engagé à lui donner une autre destination économique.
4. Selon la cour genevoise, cette interprétation correspondrait tout ensemble à la volonté du législateur et au sens véritable de la loi. Mais elle ne semble tenir aucun compte du texte allemand de l'art. 140 ch. 1 al. 2 CP, qui désigne par le seul terme "anvertrautes Gut" l'objet de l'abus de confiance et permettrait, sans recourir à l'interprétation extensive du premier alinéa, de punir celui qui dispose de sa propre chose, fongible ou non, contrairement à la destination économique qu'il était convenu de lui assigner. C'est la voie qu'ont suivie la seconde catégorie des auteurs cités plus haut, en particulier HAFTER. Elle serait en tout cas préférable à celle de l'arrêt attaqué. Ainsi le premier alinéa de l'art. 140 ch. 1 CP s'appliquerait toujours en cas d'abus de confiance portant sur la chose d'autrui, fongible ou non (cf. RO 81 IV 232, consid. 2 où il s'agissait d'une somme d'argent). En revanche, seul le deuxième alinéa entrerait en ligne de compte lorsque l'objet du délit appartiendrait à l'auteur (par exemple: tableau acheté par une personne en son propre nom, mais pour le compte d'un tiers, lequel en a avancé le prix: v. SCHWANDER, loc.cit.).
Déjà l'art. 71 de l'avant-projet de 1894 visait, comme objet de l'infraction, "la chose d'autrui". Sans doute le texte allemand employait-il le seul mot "Sache" - et ne parlait-il pas de "fremde Sache". Mais la première commission d'experts (procès-verbaux, p. 382) a décidé d'introduire cette dernière expression, qui figure aujourd'hui encore dans le texte allemand comme dans les textes français et italien. La seule extension prévue à des choses dont l'auteur était propriétaire portait sur "la somme encaissée pour autrui" (texte allemand: ... "eine Geldsumme, die er (i.e. l'auteur) für einen andern eingenommen hat").
L'art. 85 du projet soumis à la 2e commission d'experts (procès-verbaux t. II, p. 308) distinguait, dans ses alinéas premier et troisième, d'une part l'appropriation de la chose d'autrui, d'autre part l'emploi illicite d'"une somme d'argent" ou de "tout autre fongible". En lieu et place de ce dernier terme, le mot "Gut" était apparu dans le texte allemand, où il a subsisté depuis lors. Ainsi, l'objet de l'abus de confiance était en principe la chose d'autrui, par quoi il faut manifestement entendre la chose dont autrui est propriétaire selon le droit civil. La seule exception, qui était primitivement prévue pour les sommes d'argent, portait désormais, selon le texte français, sur toutes les choses fongibles, dont la plus typique est la somme d'argent et, selon le texte allemand, sur une catégorie de choses désignée par le mot "Gut", lequel semble désigner, d'une façon générale, le bien qui possède une valeur économique, une valeur en argent, mais a une portée très vaste (cf. pour l'emploi de ce terme dans le Code civil: MARTI, Wortregister zum schweizerischen Zivilgesetzbuch, Berne 1922).
Il est vrai que, comme le relève la cour cantonale, Gautier et Gabuzzi ont proposé de réunir en un seul texte, en raison de leur similitude, les deux infractions visées par les alinéas premier et troisième (procès-verbaux, p. 310, 312 et 316). Mais leurs propositions n'ont pas été suivies. Elles ne portaient du reste pas sur le fond. Quant aux allusions à l'abus de confiance commis sur une chose acquise sous réserve de propriété (interventions Lachenal, Calame et Gabuzzi, procès-verbaux, p. 318, 320 et 321), elles ont trait au cas où l'inscription du pacte dans le registre public a eu lieu avant l'acte punissable et où, par conséquent, l'objet de cet acte est bien la chose d'autrui; on ne voit pas que les travaux préparatoires mentionnent quelque part l'hypothèse où l'inscription du pacte ferait défaut.
Dans le projet du 23 juillet 1918, soumis aux Chambres fédérales, l'abus de confiance est traité à l'art. 122. Les textes français et allemand du deuxième alinéa ont été mis en accord en ce sens que, dans le premier, le terme "chose fongible" a été remplacé par le mot "valeur", qui devait manifestement correspondre à l'allemand "Gut". Mais le rapporteur de langue française de la commission du Conseil national, sans faire aucune mention des travaux préparatoires, ni du texte allemand, a proposé d'écrire "chose fongible" au lieu de "valeur" en expliquant: "Le mot un peu imprécis de ,valeur' a paru pouvoir être remplacé par ,chose fongible'" (Bull. stén. éd. spéc., CN 7 mars 1929, p. 349). Le conseil l'a suivi sans aucune discussion et le Conseil des Etats a fait de même (Bull. stén., éd. spéc., CE, 22 septembre 1931, p. 165 et 166). Les Chambres fédérales se sont donc expressément prononcées sur la précision qu'apporte le texte français. Selon leur volonté, le texte actuel de l'art. 140 ch. 1 al. 2 vise par conséquent les choses fongibles, ce que le texte allemand exprime par le terme moins net de "Gut".
6. Cependant, on admet aujourd'hui que, dans l'interprétation de la loi pénale aussi, la volonté du législateur, telle que la révèle la genèse du texte, n'est pas nécessairement décisive (RO 85 IV 27; 87 IV 117). Le juge peut, sans violer le principe nulla poena sine lege (art. 1er CP), donner du texte légal une interprétation même extensive, afin d'en dégager le sens véritable, celui qui est, seul, conforme à la logique interne et au but de la disposition considérée (v. RO 87 IV 118; 88 IV 93, ainsi que la jurisprudence et les auteurs cités). Mais il faut que la solution ainsi trouvée s'impose d'une manière pressante, c'est-à-dire que l'interprétation conforme au texte ne puisse raisonnablement correspondre au sens véritable de la loi (RO 87 IV 119 i.f.; GERMANN, com. ad art. 1er CP, n. 125 i.f., p. 64; RPS 1941 p. 134 ss., 1963 p. 83 ss.).
Il est clair, tout d'abord, que l'art. 140 ch. 1 al. 2 CP vise l'abus de confiance qui a pour objet une chose dont l'auteur est propriétaire. Il s'appliquera notamment lorsque celui qui a reçu une somme d'argent (c'est le cas principal qu'avait en vue le législateur selon la genèse du texte, rappelée ci-dessus) en est devenu propriétaire par la simple réunion (Vermengung) avec ses propres espèces (RO 47 II 270, consid. 2). D'après la doctrine (WIELAND, com. ad art. 727 CC, nos 1 b, 5 et 6), les choses fongibles en général peuvent passer, suivant les cas, soit par un mélange, soit par une réunion, dans la propriété ou tout au moins dans la copropriété du tiers auquel elles ont été soit remises à un titre spécial, soit même, dans la mesure où cela est praticable, vendues sous réserve de propriété inscrite (HAAB, SIMONIUS et SCHERRER, com. ad art. 715 CC, n. 26 al. 2). Le propriétaire dessaisi ne peut faire obstacle à ce transfert, opéré par un acte unilatéral du détenteur de fait. Cette particularité juridique, qui distingue des autres les choses fongibles, justifie que l'on punisse par une règle exceptionnelle celui qui en a disposé sans droit par un tel acte tout au moins (la question, en cas de vente avec pacte de réserve de propriété non inscrit demeurant ouverte). Ainsi le deuxième alinéa de l'art. 140 ch. 1 apporterait une exception au premier en ce sens qu'il admettrait, comme objet de l'abus de confiance, une certaine catégorie seulement de choses mobilières appartenant à l'auteur: les choses fongibles selon les textes français et italien.
Si, au contraire, on donnait la prééminence au texte allemand ("anvertrautes Gut") en ce sens que toutes les choses mobilières, propriété de l'auteur, peuvent être l'objet d'un abus de confiance sous la seule condition que, du point de vue économique, elles soient demeurées dans le patrimoine de la victime, on ferait une exception tout à fait générale au principe posé par le premier alinéa. Il serait alors au moins douteux que celui-ci conserve une utilité quelconque; effectivement, le terme "anvertrautes Gut" s'entend de la chose d'autrui aussi bien que de la chose appartenant à l'auteur. De plus, même si cette solution permettait de saisir, outre les actes tels que ceux dont il s'agit en l'espèce, un certain nombre de cas où une sanction pénale paraît désirable (v., à ce sujet: SCHWANDER, op.cit., p. 345 ch. 1, lit. b), elle susciterait un nombre imprévisible de problèmes douteux; en effet le rattachement économique d'une chose à un patrimoine est une notion imprécise et susceptible d'interprétations diverses (cf. RO 80 III 26; du point de vue du droit de poursuite, on admet que la chose vendue sous réserve de propriété, même lorsque le pacte est inscrit, rentre, du point de vue économique, dans le patrimoine de l'acheteur).
Selon la jurisprudence rappelée plus haut, la seconde des interprétations ainsi proposées n'est donc pas seule conforme à la logique interne et au but de la disposition considérée; elle ne s'impose pas non plus d'une manière pressante. Elle ne saurait par conséquent prévaloir sur l'autre, qui, non seulement correspond au texte clair en langue française et italienne, mais encore se justifie en doctrine, comme on l'a montré.
7. L'objet de l'infraction retenue en l'espèce n'étant ni une chose appartenant à autrui, ni une chose fongible, le recourant n'a pas consommé le délit d'abus de confiance. Mais il ne s'ensuit pas nécessairement que l'impunité lui soit assurée. Si Zahnd avait cru que le pacte de réserve de propriété sortissait des effets réels, c'est-à-dire que l'appareil appartenait à autrui lorsqu'il l'a vendu et a disposé du prix sans avoir payé son propre vendeur, il aurait commis un délit impossible, punissable selon l'art. 23 CP. D'une part, l'intention délictueuse serait alors incontestable. D'autre part, la consommation du délit aurait été rendue absolument impossible par la nature même de l'objet visé. En effet, s'agissant d'une chose non fongible, l'abus de confiance ne pouvait avoir pour objet, on l'a montré, que la chose d'autrui, alors que le recourant a, en réalité, disposé d'une chose dont il était propriétaire. Ainsi toutes les conditions posées par l'art. 23 CP seraient réalisées.
Cette hypothèse n'est nullement invraisemblable. Dans ses interrogatoires du 19 juillet 1961, le recourant a reconnu que, lorsqu'il a vendu l'appareil, il savait "que ledit appareil était sous réserve de propriété". Il a en outre affirmé que son vendeur lui avait recommandé de dire au tenancier du bar où il voulait le placer que l'appareil lui appartenait. Il semble donc avoir cru que son vendeur était propriétaire.
Quoi qu'il en soit, du reste, il appartient à l'autorité cantonale de constater souverainement les faits sur ce point. C'est seulement si Zahnd avait su qu'il disposait de sa propre chose que l'impunité lui serait assurée. Car il aurait alors commis tout au plus un délit putatif dans le cas où il aurait cru que son acte était néanmoins punissable.
Par ces motifs, la Cour de cassation pénale:
Admet le pourvoi en ce sens qu'elle annule la décision attaquée et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour que celle-ci se prononce à nouveau dans le sens des considérants.