BGE 108 II 1
 
1. Arrêt de la IIe Cour civile du 18 mars 1982 dans la cause Perrenoud contre Conseil d'Etat du canton de Genève (recours en réforme)
 
Regeste
Art. 30 Abs. 1, 267 Abs. 1 ZGB. Namensänderung bei einem adoptierten Erwachsenen.
2. Die Bewilligung der Namensänderung kann aus moralischen, geistigen oder seelischen Gründen gerechtfertigt sein (Bestätigung der Rechtsprechung) (Erw. 5a).
3. Anwendung dieser Grundsätze im Falle eines adoptierten Israeliten namens Lévy. Erteilung der Bewilligung, diesen Namen wieder anzunehmen (Erw. 5b).
 
Sachverhalt
A.- a) Le 3 juin 1950, les époux Joseph Haïm Lévy et Messody, née Ruimy, tous deux de confession israélite, ont eu un fils, Ralph Léon. Joseph Haïm Lévy est décédé le 20 novembre 1951. Le 28 mars 1963, Messody Lévy s'est remariée avec Roger Albert Perrenoud. Aucun enfant n'est issu de cette union.
Ralph Léon Lévy a vécu dans le ménage de sa mère et de son beau-père jusqu'à son mariage, le 26 janvier 1973.
Messody Perrenoud est décédée à Genève le 16 mai 1980. Elle a été enterrée au cimetière israélite de Veyrier.
b) Le 9 septembre 1980, Roger Albert Perrenoud a demandé à pouvoir adopter Ralph Léon Lévy. Celui-ci et son épouse ont donné leur consentement. La Cour de justice du canton de Genève a prononcé l'adoption le 17 septembre 1980. De ce fait, Ralph Léon Lévy, sa femme et ses deux enfants mineurs ont perdu le nom de Lévy et acquis celui de Perrenoud (art. 267 al. 1 CC).
B.- Le 25 novembre 1980, Ralph Léon Perrenoud a demandé au Conseil d'Etat du canton de Genève l'autorisation de changer de nom pour reprendre celui de Lévy. Le Conseil d'Etat a rejeté la requête le 2 décembre 1981.
C.- Ralph Léon Lévy a recouru en réforme au Tribunal fédéral. Il demandait que la décision attaquée fût annulée et qu'il fût autorisé à porter le nom de Lévy. Le recours a été admis.
 
Considérant en droit:
2. Aux termes de l'art. 30 al. 1 CC, le gouvernement du canton de domicile peut, s'il existe de justes motifs, autoriser une personne à changer de nom. Savoir si cette condition est réalisée est une question d'appréciation, que l'autorité cantonale doit trancher selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral examine en principe librement s'il existe de justes motifs de changement de nom. Toutefois, comme dans toutes les questions laissées au pouvoir d'appréciation des autorités cantonales, il observe une certaine retenue et n'intervient que si la décision a été prise sur la base de circonstances qui ne jouent aucun rôle selon l'esprit de la loi ou si des aspects essentiels ont été ignorés: connaissant les données locales et personnelles, les conceptions et les coutumes, ainsi que l'environnement dans lequel vit le requérant, les autorités du canton de domicile de ce dernier sont généralement mieux à même d'apprécier la situation que le Tribunal fédéral (ATF 105 II 66 /67 consid. 2 et les références; cf. ATF 105 II 243 consid. I 1, 248/249 consid. 2).
Compte tenu de cette réglementation claire, le Tribunal fédéral a dit que les inconvénients normalement liés à un changement de nom opéré à la suite d'une adoption ne constituent pas un juste motif de conserver le nom porté jusqu'alors: celui qui accepte d'être adopté doit assumer les conséquences légales de l'adoption (ATF 105 II 67 /68 consid. 3). Cette jurisprudence a été critiquée par les professeurs GUINAND et LIVER, mais il n'y a pas lieu de s'en écarter. Dans la mesure où on lui reproche d'être "d'une sévérité excessive", le changement de nom pouvant avoir de graves inconvénients en matière d'adoption de majeurs (GUINAND, Revue de l'état civil 48/1980, p. 354), cette critique est dirigée contre la loi elle-même, édictée en pleine connaissance de cause par le législateur, parfaitement au courant des problèmes causés par l'adoption d'adultes (ATF 105 II 67 consid. 3 et les références): le Tribunal fédéral n'a fait qu'en tirer les déductions logiques. Quant à LIVER (RJB 117/1981 p. 69/70), il estime que la solution aurait pu être différente dans le cas jugé: plutôt que les principes, c'est leur application qu'il critique, compte tenu des données spécifiques de l'affaire.
Il n'en reste pas moins que l'adopté peut reprendre son nom antérieur aux conditions ordinaires du changement de nom telles qu'elles ont été prévues à l'art. 30 al. 1 CC (HEGNAUER, Berner Kommentar, n. 37 ad art. 267 CC; HEGNAUER/SCHNEIDER, Droit suisse de la filiation, Berne 1978, p. 80; GROSSEN, Fiche juridique suisse 1357, p. 3 ch. III). Le principe de l'adoption plénière énoncé à l'art. 267 al. 1 CC n'a pas pour effet intangible que l'adopté doit conserver le nom de l'adoptant. On ne saurait se voir contraint à renoncer à l'adoption par cette seule raison: si l'adopté a un motif sérieux de reprendre son nom, il est fondé à s'en prévaloir après l'adoption, sur la base de l'art. 30 al. 1 CC, sans qu'on puisse lui reprocher de chercher à éluder les conséquences de l'art. 267 al. 1 CC pour s'arroger une faculté de choix non prévue par la loi.
4. Dans la mesure où le recourant relève qu'il est dans sa trente-deuxième année, qu'il a toujours vécu à Genève et qu'il y est connu sous le nom de Lévy, son argumentation est dénuée de pertinence: les inconvénients qu'il énumère sont inhérents à tout changement de nom et ne constituent donc pas de justes motifs au sens de l'art. 30 al. 1 CC (ATF 105 II 67 consid. 3).
a) Dans la décision attaquée, le Conseil d'Etat se borne à dire que "si le droit suisse n'admet pas que l'exercice des droits civils soit restreint par des motifs de nature ecclésiastique ou religieuse, on ne saurait admettre, a contrario, que de tels motifs puissent en étendre l'exercice".
Mais il ne s'agit pas de cela en l'espèce. Le recourant ne demande pas un traitement privilégié, soit une extension de l'exercice des droits civils pour des raisons de nature ecclésiastique ou religieuse. Il sollicite l'autorisation de reprendre le nom qu'il portait avant d'être adopté, en application de l'art. 30 al. 1 CC. Rien n'empêche que les motifs invoqués soient en rapport étroit avec la confession du requérant, son appartenance à une communauté religieuse et son attachement à sa foi: selon la jurisprudence antérieure à l'introduction du recours en réforme contre le refus de changement de nom, mais dont les principes demeurent valables (ATF 105 II 243 consid. I 2), l'autorisation de changer de nom peut être justifiée par des intérêts d'ordre moral, spirituel ou affectif (ATF 98 Ia 452 consid. 2). Ce qui est décisif, c'est donc de savoir si les motifs invoqués sont suffisamment importants pour justifier l'autorisation d'un changement de nom.
b) L'autorité cantonale le nie dans ses observations sur le recours. Selon elle, le fait de porter un nom révélateur d'une ascendance religieuse ne constitue pas le support de l'attachement à la religion, non plus qu'il n'en est le seul signe extérieur: la pratique de sa religion dans la vie quotidienne permet à un fidèle d'affirmer ses sentiments religieux aux yeux de ses coreligionnaires et d'autrui.
Cette manière de voir est trop sommaire.
Le nom de Lévy est étroitement lié à la tradition juive. D'après une attestation du rabbin David Banon, du 16 décembre 1980, ce nom "apparaît pour la première fois dans la Bible... en Genèse 29,-34, verset où l'on relate la naissance des enfants de Jacob, matrice du peuple juif; plus tard, dans la Bible, c'est ce même nom qui servira à nommer la tribu des serviteurs de Dieu au Temple de Jérusalem"; de plus, la liturgie juive "ne connaît que trois types de personnes qui composent dans l'ordre" le peuple juif: "les cohanim (pluriel de cohen: prêtre), les léviim (pluriel de lévi, employé du culte du Temple) et Israël (le reste du peuple avec différents noms tels que Perleman, Gabbaï, Misrahi, Klein, etc.)". Aux yeux d'un juif pratiquant, le nom de Lévy apparaît donc comme "noble nom", selon l'expression du rabbin Banon: ceux qui le portent ont été voués par Dieu au service du Temple (cf. notamment Nombres 3, 5 ss).
On comprend donc que, pour celui qui s'appelle Lévy et qui est attaché à ses racines spirituelles, l'acquisition, par suite d'adoption, d'un autre patronyme sans signification à cet égard, comme Perrenoud, représente une atteinte profonde à son identité personnelle.
La condition de juif n'a pas seulement un contenu religieux; elle est l'appartenance à une communauté typique, une mais aussi diverse, possédant, liées à sa foi, une culture et des traditions. On peut vouloir rester juif et s'affirmer tel même si l'on est agnostique. Or, il est incontestable que le fait de s'appeler Perrenoud a pour conséquence que la qualité d'israélite du recourant n'est plus manifestée. Seuls ses parents, ses proches, ses amis et ses connaissances au courant de son adoption, soit un cercle étroit, savent qu'il est d'ascendance, de religion, de culture et de tradition juives. Certes, le recourant peut faire apparaître cette condition par la pratique religieuse; mais, on l'a vu, il peut vouloir s'affirmer juif sans nécessairement suivre le culte israélite de manière régulière. Sous le nom de Perrenoud, il devrait, pour se faire connaître comme juif aux personnes avec lesquelles il est en relation, expliquer qu'il est israélite, qu'il s'appelait auparavant Lévy, qu'il a été adopté par son beau-père et que, par là, il a acquis le nom de celui-ci. En revanche, s'il porte le nom de Lévy, sa condition de juif est d'emblée manifeste.
De surcroît, le changement de nom de Lévy et son remplacement par le patronyme Perrenoud pourraient être interprétés, par les personnes qui ignorent l'adoption du recourant, comme un moyen pour lui de cacher son ascendance israélite, voire comme un abandon de la communauté juive. La situation du recourant est très différente de celle de la personne qui change un nom ordinaire et courant contre un autre nom de même nature ne comportant aucun signe d'appartenance à une collectivité fortement individualisée par sa religion, son histoire, sa culture et ses traditions.