BGE 95 II 630
 
85. Arrêt de la Ire Cour civile du 2 décembre 1969 dans la cause Dame Brupbacher contre Assicuratrice italiana.
 
Regeste
Haftpflicht des Motorfahrzeughalters. Befreiung wegen schweren Drittverschuldens? Art. 58 und 59 Abs. 1 SVG.
2. Die solidarische Haftung von Schadenersatzpflichtigen gemäss Art. 60 Abs. 1 SVG gilt für den Halter eines Motorfahrzeuges, das an einem Unfall beteiligt ist, nur dann, wenn er nach den für ihn geltenden Regeln und unter Vorbehalt der vom Gesetz vorgesehenen Befreiungsgründe haftet (Bestätigung der Rechtsprechung; Erw. 2 und 3).
3. Ein auf der Autobahn verkehrender Motorfahrzeughalter, der beim Überholen wegen einer von einem Lastwagen fallenden Korbflasche einen Unfall erleidet, wird von seiner Haftpflicht gegenüber einem verletzten Mitfahrer nicht befreit, wenn den für die Ladung verantwortlichen Lastwagenführer nach den besonderen Umständen kein schweres Verschulden trifft (Erw. 4-6).
 
Sachverhalt
A.- Le 16 août 1964, Hermann Kumbier, qui résidait à Genève, était parti de Suisse au volant de sa voiture DKW Junior, munie de plaques GE 9612, pour passer ses vacances en Italie avec Karl Köster et son amie dame Erika Brupbacher, domiciliée à Zurich. Les trois voyageurs devaient partager les frais d'essence et d'huile. Ils avaient loué en commun une tente. Chacun supportait ses propres frais d'entretien.
Le 17 août, vers 13 heures, Kumbier circulait sur l'autoroute du Soleil, au-delà de Florence, à la vitesse de 100 à 120 km/h. Au km 313'200, près du village de Figline Valdarno, sur le territoire de la commune de Rignano, il entreprit le dépassement d'un camion Fiat, muni de plaques PG 51 504, appartenant à la maison Olivi, à Pérouse, dont il estima la vitesse à 70 ou 80 km/h. Le camion était conduit par un chauffeur professionnel, Luciano Moschini. Il était chargé de dames-jeannes vides que le chauffeur avait chargées lui-même dans une verrerie d'Empoli.
Alors que l'automobile se trouvait à côté du camion, une bonbonne vide en verre nu, d'une contenance de 50 litres environ, tomba de l'avant du véhicule sur la route, devant la voiture, légèrement sur la droite de celle-ci. Surpris, Kumbier donna un coup de volant à gauche et freina. La voiture fit une embardée sur la droite et sortit de la chaussée en faisant un tonneau. Elle laissa des traces de freinage et de dérapage sur plus de 100 m.
A l'endroit où s'est produit l'accident, l'autoroute est rectiligne et plane. Le trafic était plutôt restreint. Le temps était beau.
Kumbier et le passager du siège avant Köster ne subirent que des blessures superficielles. Dame Brupbacher, qui avait pris place sur le siège arrière, subit en revanche une fracture de la colonne vertébrale qui entraîna la paralysie des membres inférieurs. Incapable de travailler à 100% depuis l'accident, elle est affectée d'une invalidité permanente qui l'empêche définitivement d'exercer son métier de serveuse. Même en faisant l'apprentissage d'une profession assise, elle ne pourra plus travailler à plein temps.
B.- Par demande du 15 septembre 1966, dame Brupbacher a intenté une action partielle à l'Assicuratrice Italiana, qui assurait Kumbier contre les conséquences de la responsabilité civile dérivant de l'emploi de son automobile. Elle a pris des conclusions en paiement de 27 958 fr. 55 avec intérêt à 5% dès le 1er juillet 1965 à titre de réparation du dommage matériel, remboursement des frais de traitement et dommages-mtérêts pour incapacité de travail temporaire du jour de l'accident à celui de l'ouverture du procès. Elle a porté en déduction de la somme réclamée pour perte de gain le montant de 4000 fr. qu'elle a reçu de la défenderesse en vertu d'une assurance accidents en faveur des occupants de la voiture de Kumbier. La demanderesse a conclu en outre au paiement de 18 031 fr. 60, valeur échue, somme correspondant au coût d'une voiture spéciale, aux frais de l'écolage pour la conduite de ce véhicule et aux frais d'un séjour dans un centre de réadaptation. Elle a reçu de la défenderesse, en vertu de l'assurance en faveur des occupants, outre les 4000 fr. déjà mentionnés, une somme de 15 000 fr. pour invalidité permanente.
L'Assicuratrice Italiana a conclu au rejet de la demande.
Par jugement du 2 juillet 1969, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a débouté la demanderesse de ses conclusions. Ses motifs sont, en bref, les suivants:
En principe, vu les art. 58 et 60 LCR, le détenteur du véhicule dont un passager a été blessé dans une collision répond du dommage solidairement avec le détenteur de l'autre véhicule impliqué dans l'accident. Il peut toutefois se libérer s'il apporte les preuves requises par l'art. 59 al. 1 LCR. En l'espèce, Kumbier n'a pas commis de faute. On ne saurait en effet lui faire grief d'avoir, en présence d'un obstacle imprévisible, freiné énergiquement et donné un coup de volant à gauche pour tenter d'éviter la masse qui tombait devant lui. Il n'est pas établi qu'une défectuosité du véhicule, dont il n'existe d'ailleurs pas le moindre indice, ait contribué à l'accident. Le chauffeur du camion a commis une faute grave en n'arrimant pas convenablement les dames-jeannes qui dépassaient les ridelles du camion et la hauteur maximale réglementaire.
C.- Dame Brupbacher recourt en réforme et reprend les conclusions de sa demande.
Elle plaide au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, selon décision du 15 septembre 1969.
D.- L'intimée conclut au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
La société d'assurances intimée ayant sa direction pour la Suisse à Lausanne, les tribunaux vaudois sont compétents pour connaître de l'action directe que lui intente le lésé (art. 65 et 85 al. 1 LCR).
2. En vertu de l'art. 60 al. 1 LCR, lorsque plusieurs personnes répondent d'un dommage subi par un tiers dans un accident où est en cause un véhicule automobile, ces personnes sont solidairement responsables. Mais l'art. 60 al. 1 LCR n'institue pas un régime spécial, fondé sans exonération possible sur la causalité naturelle, dérogeant au droit commun. Il suppose au contraire que la responsabilité respective de chacune des personnes recherchées soit établie selon les règles qui lui sont propres et compte tenu des exculpations prévues par la loi. Ainsi, la responsabilité solidaire de deux détenteurs de véhicules automobiles impliqués dans un accident suppose que la responsabilité individuelle de chacun d'eux soit engagée, sur la base de l'art. 58 LCR, qui en fixe le principe, et compte tenu de l'art. 59 al. 1 LCR, qui régit les conditions d'exculpation (RO 95 II 333, 344). Un détenteur ne pourra donc pas être recherché par le tiers lésé s'il est au bénéfice d'une preuve libératoire prévue par la loi.
3. La recourante observe avec raison que tout conducteur doit compter avec un obstacle imprévisible, tel qu'un animal qui bondit devant lui, une pierre qui tombe, un cadavre ou un blessé qui gît sur la chaussée, un animal blessé ou tué, voire une chaise ou un autre objet tombé d'un autre véhicule, qui n'a pas encore été enlevé. L'accident provoqué par le heurt d'un pareil obstacle ou la manoeuvre d'évitement que tente l'automobiliste est en effet un risque inhérent à la conduite du véhicule. Mais à la différence de l'arrêt Meier (RO 93 IV 115), cité dans le recours, il n'y a pas lieu de rechercher en l'espèce si le conducteur Kumbier a commis une faute qui justifierait une sanction pénale. Il suffit de constater que les lésions subies par dame Brupbacher sont en relation de causalité adéquate avec l'emploi de la voiture de Kumbier, dont elle était la passagère. Dès lors, la responsabilité civile du détenteur prénommé est engagée selon l'art. 58 al. 1 LCR, et celle de son assureur conformément à l'art. 63 LCR. Le sort du recours dépend du point de savoir si le détenteur - et partant son assureur - peuvent se prévaloir de l'art. 59 al. 1 LCR pour se libérer de leur responsabilité.
4. L'art. 59 al. 1 LCR libère de la responsabilité civile fondée sur l'art. 58 al. 1 le détenteur qui prouve que l'accident a été causé par la force majeure ou par une faute grave du lésé ou d'un tiers sans que lui-même ou les personnes dont il est responsable aient commis de faute et sans qu'une défectuosité du véhicule ait contribué à l'accident. Cette disposition légale ne fait qu'appliquer le principe de la causalité adéquate. Elle suppose une circonstance, non imputable au détenteur, dont le rôle causal apparaît à tel point prépondérant que la relation de causalité entre l'emploi du véhicule et le dommage n'est plus adéquate (RO 95 II 351, consid. 6).
a) La chute d'un objet qui avait été chargé sur un véhicule automobile en marche n'est pas un cas de force majeure ni même, comme le prétend la recourante, un cas fortuit. En effet, la perte d'une partie du chargement qui se disloque n'est pas un fait de la nature, indépendant de tout comportement de l'homme, comme la chute d'une pierre qui se détache d'une paroi de rocher et tombe sur un véhicule en marche (cf. Tribunal du district de Zurich, 20 octobre 1955, Landert c. Helvetia, Arrêts de tribunaux civils suisses dans des contestations de droit privé en matière d'assurance, XI, no 67, p. 391). C'est un risque spécifique engendré par l'utilisation d'un véhicule automobile, plus précisément par sa vitesse et les trépidations qu'elle provoque. Le détenteur du véhicule qui perd une pièce mécanique ou une partie de son chargement sur la route est en principe responsable envers les tiers qui heurtent cet obstacle et subissent de ce fait un dommage, du moins lorsque l'accident se produit peu après la perte (RO 81 II 554).
Mais cette responsabilité causale du détenteur du véhicule qui a perdu l'objet n'exclut pas nécessairement celle du détenteur du véhicule qui heurte l'obstacle ou qui cherche à l'éviter par une manoeuvre qui provoque un accident (cf. sur ces questions R. GREC, La situation juridique du détenteur de véhicule automobile en cas de collision de responsabilités, thèse Lausanne 1969, p. 34 et 46 s.).
b) En l'espèce, la chute de la dame-jeanne ne provient pas uniquement du fonctionnement des organes mécaniques du camion. Sans doute s'explique-t-elle probablement par les trépidations dues à la vitesse élevée de ce véhicule de transport sur l'autoroute. Mais elle peut aussi être en relation de causalité avec la manière dont le camion avait été chargé par son conducteur Moschini. L'arrêt attaqué constate que les bonbonnes étaient entassées en plusieurs couches superposées. La dernière couche dépassait en hauteur les ridelles du véhicule. Malgré cela, les bonbonnes de la couche supérieure n'étaient ni attachées, ni recouvertes d'une bâche ou d'un filet. La hauteur du chargement était supérieure à la limite maximale autorisée. Il n'est toutefois pas établi que la bonbonne qui est tombée ait été posée par-dessus les autres sans être retenue par les ridelles du véhicule. Un témoin l'avait déclaré. Mais la cour cantonale n'a pas retenu cette circonstance. Sa décision relève de l'appréciation des preuves et lie le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ). Il faut examiner, sur le vu de ces constatations, si la chute de la dame-jeanne est en relation de causalité adéquate avec la faute d'un tiers.
c) Se référant à l'opinion du professeur YUNG (La responsabilité civile d'après la loi sur la circulation routière, Mémoires de la Faculté de droit de Genève, no 15, 1962, p. 21 s.), lequel rapproche l'art. 37 al. 6 LA de l'art. 58 al. 4 LCR, la recourante se demande si le chauffeur du camion Moschini est bien un tiers. La réponse n'est pas douteuse.
Sans doute le chauffeur n'est-il pas un tiers, mais un "auxiliaire au service du véhicule", dans ses rapports avec le détenteur du camion, lequel répond de la faute du conducteur comme de sa propre faute à l'égard des tiers, en vertu de l'art. 58 al. 4 LCR. Mais lorsque plusieurs détenteurs sont impliqués dans un accident et que le lésé s'en prend à l'un d'entre eux, les autres sont des tiers au sens de l'art. 59 al. 1 LCR (OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 2e éd., tome II/2, p. 568 in fine et p. 673; BUSSY, Responsabilité civile automobile, FJS 915, no 34, p. 15; Message du Conseil fédéral, du 24 juin 1955, FF 1955 II 47 s.). Aussi le Tribunal fédéral a-t-il jugé que, contrairement à la jurisprudence rendue sous l'empire des art. 37 et 38 LA (RO 86 II 189), la faute grave et exclusive de l'un des détenteurs exonère de toute responsabilité le détenteur non fautif (RO 95 II 344).
De même, le conducteur de l'un des véhicules impliqués dans l'accident est un tiers, dans les rapports entre le lésé et le détenteur d'un autre véhicule dont l'emploi est en rapport de causalité avec le dommage. En l'espèce, le chauffeur du camion Moschini est sans conteste un tiers, au sens de l'art. 59 al. 1 LCR, dans les rapports entre dame Brupbacher, passagère blessée, et Kumbier, détenteur et conducteur de la voiture où elle avait pris place, respectivement l'intimée qui assure le prénommé contre les conséquences de sa responsabilité civile.
5. La faute d'un tiers ne libère le détenteur, en vertu de l'art. 59 al. 1 LCR, que si elle est grave. Selon la jurisprudence concernant cette disposition légale et l'art. 37 LA qui l'a précédée, un usager de la route commet une faute grave s'il viole des règles de prudence élémentaires dont l'observation s'imposait à l'évidence à tout homme raisonnable se trouvant dans la même situation (RO 95 II 578, consid. 2 a; 92 II 253, consid. 2; 64 II 241; cf. aussi RO 87 II 189 et 88 II 435). Si l'on ne doit pas admettre à la légère que le risque inhérent à l'emploi d'un véhicule, dont répond le détenteur, n'est pas en relation de causalité adéquate avec le dommage, lorsqu'une faute dont répond une autre personne a également joué un rôle causal, on ne saurait partager l'opinion d'OFTINGER (op. cit., tome I, p. 276, tome II/1, p. 342 s., tome II/2, p. 649 et 653) pour qui cette conclusion devrait être exceptionnelle et serait même à peine concevable. Au contraire, il est fréquent que des usagers de la route violent gravement les règles élémentaires de la prudence et l'on peut fort bien concevoir que la relation de cause à effet entre leur faute lourde et l'accident soit si prépondérante qu'elle relègue tout à fait à l'arrière-plan le risque inhérent dont répond une autre personne, à tel point que ce danger-là ne constitue plus une cause adéquate du dommage (RO 87 II 307, 93 II 130, 95 II 351 s.).
Le Tribunal cantonal vaudois a qualifié de grave la faute commise par Moschini, chauffeur professionnel, qui a violé des règles élémentaires de prudence en n'arrimant pas convenablement les bonbonnes - lesquelles dépassaient les ridelles du véhicule - et en transportant un chargement qui excédait la hauteur maximale autorisée, bien qu'il empruntât avec son camion une autoroute où il circulait à une vitesse élevée.
Certes, en droit italien (art. 32 al. 1 du code de la route; cf. CIGOLINI, La responsabilità dalla circolazione stradale, Milan 1963, p. 323 s.) comme en droit suisse (art. 30 al. 2 LCR, 66 et 73 OCR), la hauteur maximale du chargement est fixée à 4 m. Mais le fait qu'en l'espèce, le chargement du camion excédait la limite prescrite n'est pas une cause adéquate du dommage. En effet, si les ridelles avaient dépassé en hauteur les couches de bonbonnes, l'accident ne se serait pas produit, selon le cours ordinaire des choses. Au contraire, un chargement semblable, mais n'excédant pas la hauteur prescrite, n'eût pas empêché l'accident de se produire.
La cause adéquate du dommage réside dans le fait que les dames-jeannes dépassaient la hauteur des ridelles, sans être arrimées. Sur le vu des photographies versées au dossier pénal constitué en Italie, auquel se réfère le jugement attaqué, la couche supérieure est complète. La cour cantonale a jugé non établi que la bonbonne qui est tombée fût simplement posée pardessus les autres. La seule explication plausible de l'accident est dès lors que la dame-jeanne en question avait été coincée quelque part dans le chargement, peut-être entre les couches inférieures; puis, sous l'effet des trépidations continues que provoquait le mouvement du camion, chaque bonbonne aura repris peu à peu sa place naturelle; le tassement progressif du chargement aura fait émerger de la couche supérieure un récipient qui a finalement été éjecté du véhicule.
La faute de Moschini consiste ainsi dans la violation de la règle générale de prudence, exprimée en droit suisse à l'art. 30 al. 2 LCR, en droit italien à l'art. 119 al. 1 du code de la route, selon laquelle le chargement doit être disposé de telle manière qu'il ne puisse pas tomber. Même à l'égard d'un chauffeur professionnel, une pareille faute ne saurait être qualifiée de grave, dans les circonstances particulières de l'espèce, telles qu'elles résultent des constatations du jugement attaqué.
La faute du chauffeur qui a chargé le camion devrait être appréciée différemment si la cour cantonale avait constaté en fait qu'une bonbonne avait été simplement posée par-dessus la dernière couche, sans être arrimée. Mais les juges vaudois n'ont précisément pas retenu cette hypothèse.
A l'égard de la recourante, l'intimée répond solidairement du dommage en vertu de l'art. 60 al. 1 LCR, sous réserve de son droit de recours au sens de l'art. 60 al. 2 LCR. Il en résulte que la demande doit être accueillie en principe et le jugement attaqué réformé dans ce sens.
La cour cantonale a constaté en fait les éléments du dommage. Mais elle ne s'est pas prononcée sur certains articles. La recourante lui en fait grief. Il appartiendra à la juridiction vaudoise de statuer sur ce point, en complétant l'état de fait s'il s'avérait qu'il s'agit là d'une inadvertance de sa part, et de fixer l'indem nité.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours, annule le jugement rendu le 2 juillet 1969 par la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des motifs.