BGE 70 II 142 - Erben Chable
 
22. Arrêt de la IIe Section civile
du 13 juillet 1944 dans la cause dame Jaquillard contre dame Chable.
 
Regeste
Herabsetzungsklage; Pflichtteilsverletzung; Verjährung (Art. 522 ff. ZGB).
1. Ist eine Herabsetzungsklage nach Bundesrecht unzulässig, verjährt oder unbegründet, so ist sie auch nicht als Feststellungsklage nach kantonalem Prozessrecht zulässig.
2. Ist einem Pflichtteilserben als Ersatz für den Anteil zu Eigentum eine Nutzniessung oder Rente vermacht worden, so kann er mit der Herabsetzungsklage die Herstellung des Pflichtteils verlangen,
-- selbst wenn die ihm zugewendete Nutzniessung oder Rente nach seiner Lebenserwartung für ihn vorteilhafter erschiene. Dementsprechend kann das Recht des überlebenden Ehegatten, zwischen Eigentum und Nutzniessung zu wählen, nicht durch Vermächtnis der letztern aufgehoben werden.
3. Die Herabsetzungsklage gegenüber einem Nutzniessungs- oder Rentenvermächtnis verjährt in einem Jahre seit Kenntnisnahme davon.
 
Sachverhalt
 
A.
Henri-Edouard Chable est décédé à Colombier le 27 avril 1940. Veuf en premier mariage de Jeanne Barrelet et en second mariage de Madeleine Perrin, il était l'époux da la demanderesse Marthe, née Quinche. De son premier mariage, il avait trois enfants: Madeleine, défenderesse au présent procès, Frédéric et David.
Par testament du 14 décembre 1937, il avait institué ses enfants héritiers chacun pour un tiers et légué à son épouse "l'usufruit sur la moitié des biens composant la succession, avances soumises à rapport comprises; c'est la part qu'elle peut choisir aux termes de la loi et que je la prie de conserver".
Par codicille du 20 mai 1939, Henri Chable a réduit à sa réserve légale sa fille Madeleine et, pour le disponible résultant de cette réduction, institué héritiers les descendants de cette fille.
Le défunt a fait un certain nombre de legs, dont l'un de 2000 fr. doit être prélevé sur l'ensemble de la succession, tandis que les autres, représentant une somme de 3435 fr., doivent être prélevés sur la partie de la fortune soumise à l'usufruit de son épouse.
Me Chable, notaire à Couvet, a été nommé exécuteur testamentaire.
En mai 1941, la succession a vendu certains immeubles à Madeleine Jaquillard. Dame Chable a consenti à cette vente et a déclaré renoncer à son usufruit sur lesdits immeubles.
Le 1er août 1941, l'exécuteur testamentaire a établi un "acte de partage des successions Jeanne Chable-Barrelet, union des biens Chable-Quinche et succession Henri-Edouard-Chable". Selon ce projet, l'actif net de la succession s'élève à 129.390 fr. 88; le capital grevé d'usufruit en faveur de la veuve est de 64.695 fr. 44 ou, déduction faite des legs de 3435 fr. à payer sur cette moitié, de 61.260 fr. 44. A ce sujet, l'acte énonce sous chiffre VII la réserve suivante:
"Du fait que le montant des legs doit être prélevé sur la partie de la succession soumise à l'usufruit de dame Marthe Chable, les droits successoraux de cette dernière sont entamés, et la question d'une atteinte à sa réserve légale pourrait se poser. L'intéressée a renoncé à faire valoir -- le cas échéant -- son droit à sa réserve pour autant que les autres dispositions du présent acte soient acceptées par les héritiers."
Le 10 octobre 1941, le projet a été soumis à dame Chable, qui a ainsi été mise au courant pour la première fois de sa situation exacte dans la succession de son mari. Dame Chable a donné sa signature. Les autres héritiers ont également accepté le projet, à l'exception de dame Jaquillard qui a prétendu que ses droits étaient lésés: Tandis que le projet lui assignait, à titre de part réservataire, les 3/4 du tiers de la succession, soit 3/12, elle prétendait avoir droit au tiers du montant total des réserves (13/16), soit à 13/48 au lieu de 3/12 (12/48).
Le 26 septembre 1942, dame Chable a informé l'exécuteur testamentaire qu'elle annulait sa signature au pied de l'acte du 1er août 1941 et qu'elle exigeait sa réserve légale sous forme du quart en propriété de la succession de son mari, en lieu et place de l'usufruit de la moitié. Frédéric et David Chable paraissent s'être soumis à cette prétention. Madeleine Jaquillard née Chable s'y est opposée.
 
B.
Par acte du 6 octobre 1942, dame Chable l'a assignée en justice, en concluant à ce qu'il plaise au tribunal:
"1. Prononcer que, dans la succession de Henri Edouard Chable, la veuve à droit, en lieu et place de l'usufruit de moitié réduit par des legs que lui assigne le testament, au quart en propriété;
2. Prononcer que cette part est franche de tout legs;
3. Réduire, en conséquence, la part de Madeleine Jaquillard à la succession de Henri Edouard Chable à 3/16, soit 18/96 en propriété, en lieu et place de 13/96 en nue propriété et 13/96 en pleine propriété."
La défenderesse a conclu au rejet de la demande. Elle prétend que dame Chable a opté pour l'usufruit et ne saurait revenir sur sa décision; qu'ayant signé l'acte de partage, la demanderesse ne peut plus plaider en réduction, alors même que la défenderesse, elle, n'a pas accepté le projet; qu'au surplus, réduite à sa réserve légale, dame Jaquillard ne saurait supporter une réduction du minimum qui lui a été attribué par le testament; qu'enfin elle est de toute manière à tard pour agir.
Le Tribunal cantonal a considéré que la demande était irrecevable en tant qu'action en réduction, dame Jaquillard n'ayant pas qualité pour y défendre, mais il l'a admise en tant qu'action en constatation de droit.
 
C.
La défenderesse recourt en réforme contre cet arrêt en reprenant ses conclusions libératoires.
La demanderesse a formé un recours joint tendant à ce que son action soit admise également comme action en réduction.
 
Considérant en droit:
1. L'action se présente comme une action en réduction (art. 522 ss CC). Dame Chable demande que la part de dame Jaquillard soit réduite du montant dont cette part porterait atteinte à sa réserve du quart en propriété. Les conclusions de la demanderesse, tendant à la constatation de son droit de réclamer la quotité légale libre de toute charge en lieu et place de l'usufruit légué, apparaissent comme de simples motifs à l'appui des conclusions en réduction. Cela ressort d'ailleurs des termes de ces dernières: "réduire, en conséquence, la part de Madeleine Jaquillard...". Il s'ensuit que les différents chefs de conclusions ne sauraient être dissociés. Si la demande doit, en tant qu'action en réduction, être écartée comme irrecevable, prescrite ou mal fondée, elle ne peut être admise en tant qu'action en constatation de droit au sens de la procédure cantonale. En effet, ou bien la demanderesse, par ses conclusions sous chiffres 1 et 2, "ne formule aucune prétention civile", comme s'exprime l'arrêt attaqué, -- et alors l'admission de cette action n'aurait aucun sens; ou bien, elle veut faire constater son droit à la réserve du quart, "à titre préparatoire et en vue du partage", c'est-à-dire évidemment pour qu'il en soit tenu compte à ce moment et que les parts de ses cohéritiers soient modifiées en conséquence, -- et alors elle pourrait obtenir par cette voie ce que précisément, par hypothèse, le juge de l'action en réduction ne peut lui accorder. Ce serait permettre, par le détour d'une institution de droit cantonal, d'éluder les conditions de forme et de fond d'une action régie par le droit fédéral.
En conséquence l'action ne peut qu'être admise ou rejetée dans toutes ses conclusions.
 
Erwägung 2
L'action en réduction se prescrit par un an à compter du jour où les héritiers connaissent la lésion de leur réserve (art. 533 CC). En l'espèce, le Tribunal cantonal ne tient pas l'action pour prescrite, car dame Chable n'a eu connaissance de l'inventaire et de la part à laquelle elle avait droit que le 10 octobre 1941, par la communication du projet de partage; ce n'est qu'alors qu'elle a connu l'état de la succession et qu'elle a pu se livrer à des calculs pour savoir si sa réserve légale était lésée, compte tenu notamment des legs grevant la moitié qui lui était assignée. Cette circonstance n'est toutefois pas décisive.
Elle le serait si le conjoint survivant devait en principe se contenter de l'usufruit qui lui est légué à la place de son quart en propriété; dans ce cas, la prescription ne courrait en effet pour lui qu'à partir du moment où il aurait su que la valeur capitalisée de ses droits n'atteint pas le montant de sa légitime. Mais le disposant ne peut assigner d'autorité à son conjoint l'usufruit de ses biens et le priver ainsi de son option légale. La réserve de l'époux survivant porte sur "son droit de succession en propriete" (art. 471 ch. 4 CC). Il est vrai que, d'après l'art. 522, I'action en réduction n'appartient qu'aux héritiers qui ne reçoivent pas le montant, soit l'équivalent de leur réserve ("die nicht dem Werte nach ihren Pflichtteil erhalten"). C'est dire que, tout en conservant leur qualité d'héritiers (RO 56 II 17), ils doivent se laisser imputer les avances reçues entre vifs, de même que les legs et autres avantages particuliers à cause de mort. Mais cette disposition, qui affaiblit la portée du droit à la réserve et apporte une exception au principe de la saisine inscrit a l'art. 560 CC, doit s'interpréter restrictivement. Il faut que l'objet des libéralités à imputer sur la réserve représente véritablement l'équivalent d'une part "en propriété". Cela suppose qu'elles consistent en biens aisément négociables: somme d'argent, titres ou valeurs, immeubles, etc. Le legs d'un usufruit ou d'une rente ne satisfait pas à cette condition. La valeur capitalisée des prestations périodiques dérivant d'un droit de ce genre dépend da la vie du bénéficiaire. S'agissant de savoir si oui ou non le réservataire est rempli de sa réserve, on ne peut s'en tenir aux probabilités de vie établies pour un grand nombre de cas. Pour l'intéressé lui-même, la valeur de l'usufruit ou de la rente demeure purement conjecturale. S'il vient à mourir avant d'être parvenu à l'âge où, selon les prévisions, les fruits ou les annuités auraient atteint le montant de sa part en propriété, il se trouvera n'avoir pas touché sa réserve; ses héritiers ne pourront prendre sa place et continuer à precevoir les revenus jusqu'à due concurrence. D'autre part, l'usufruitier ou le crédirentier n'est pas en mesure de négocier son droit au prix corpondant à ses chances de vie. Il n'existe pas de marché des usufruits ou des rentes viagères constituées sur la tête du créancier. L'usufruit comme tel, ni le droit à la rente, ne sont cessibles; seul l'exercice, c'est-à-dire le droit aux diverses prestations périodiques, peut en être transféré (art. 758 CC; 519 CO et RO 61 III 193). En conséquence, l'héritier réservataire qui se voit assigner un usufruit ou une rente en lieu et place de son droit en propriété est, de ce seul fait, lésé dans sa réserve, même si, d'après ses chances de vie, cette libéralité apparaît plus avantageusement pour lui. Il peut donc la répudier et réclamer sa réserve par l'action en réduction (en ce sens, contrairement à la doctrine jusqu'ici dominante: Vital, Die Verfügungsfreiheit des Erblassers, p. 81 s.; cf. les doutes émis par Tuor, Commentaire, note 18 à l'art. 522 CC).
Tel est le sens de l'action intentée par dame Chable. La demanderesse réclame pro parte à dame Jaquillard la déIivrance du quart de la succession, dont elle a été frustrée par l'attribution de l'usufruit da la moitié. Or elle savait dès l'ouverture du testament, soit bien avant le 6 octobre 1941, que son mari la privait de son droit d'opter pour la propriété du quart et portait ainsi atteinte à sa réserve. Certes pouvait-elle, le cas échéant, voir son avantage à conserver l'usufruit Iégué. Il lui était loisible de délibérer à ce sujet et de se livrer aux calculs nécessaires. Mais peu importe le moment où elle a été en mesure de prendre une décision dans un sens ou dans l'autre. Sitôt connues les dernières volontés du défunt à son égard, elle possédait tous les éléments indispensables au succès de son action. La demande est dès lors prescrite.
 
Erwägung 3
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Le recours principal est admis et le recours par voie de jonction est rejeté. En conséquence, l'arrêt attaqué est réformé et la demande rejetée.