BGE 105 Ib 114
 
17. Extrait de l'arrêt de la IIe cour de droit public du 15 juin 1979 en la cause Jaquet contre Tribunal administratif du canton de Genève (recours de droit administratif)
 
Regeste
Führerausweisentzug wegen Überschreitung der Höchstgeschwindigkeit. Beweislastverteilung.
 
Sachverhalt
Le 1er mars 1978, à 17 h. 35, le véhicule appartenant à Yves Jaquet a fait l'objet d'un contrôle radar automatique sur l'autoroute des Jeunes alors qu'il roulait à 131 km/h. (marge de sécurité déduite) à un endroit où la vitesse est limitée à 80 km/h.
Le 7 mars 1978, le Service du contrôle automatique du trafic a adressé à Yves Jaquet une demande d'identification du conducteur. Jaquet a répondu à une date qui ne ressort pas du dossier. Il indiquait, comme conducteur au moment de l'infraction, un dénommé Favre, au sujet duquel il ne donnait cependant aucun autre renseignement. Il ajoutait: "Suite à mon annonce (vente de ma voiture) M. Favre me contacta afin d'essayer celle-ci. Ce qu'il fit le 1.3.78 au volant de ma voiture et qui me causa le préjudice dont je suis l'objet." Il déclarait enfin rester "à votre entière disposition pour de plus amples renseignements". En date du 23 mars 1978, ledit Service écrivit à Jaquet qu'il ne pouvait se "satisfaire de votre réponse très insuffisante". Il invitait à lui communiquer dans le plus bref délai l'identité complète et l'adresse exacte de ce conducteur. "A défaut des renseignements demandés, poursuivait-il, la poursuite sera dirigée contre vous exclusivement." Par lettres du 5 avril et du 1er mai 1978, Jaquet confirma qu'il ne disposait d'aucun autre renseignement sur le dénommé Favre. Il expliquait que celui-ci aurait dû, en fait, reprendre contact avec lui, ce qu'il n'avait pas fait.
Le 11 avril 1978, le Département de justice et police a notifié à Jaquet un rapport de contravention. Jaquet ayant fait opposition, la cause a été renvoyée au Tribunal de police.
Par arrêté du 22 mai 1978, le Département de justice et police a retiré son permis de conduire à Jaquet pour une durée d'un mois. Jaquet a recouru contre cette décision au Tribunal administratif qui, par arrêt du 8 novembre 1978, a rejeté le recours. En procédure cantonale de recours, Jaquet a précisé qu'après avoir vainement tenté de faire reprendre sa voiture par son garagiste, il avait placé diverses annonces, d'abord dans des magasins Coop et Migros, puis dans les journaux. A la suite des annonces dans les magasins, plusieurs intéressés s'étaient fait connaître, dont Sieur Favre, qui demanda à pouvoir faire un essai. Jaquet devant se rendre le 1er mars 1978 chez l'un de ses fournisseurs carougeois et Sieur Favre travaillant lui-même à Carouge, Jaquet lui fixa un rendez-vous ce même jour vers 17 h., juste à côté de l'arcade de son fournisseur. Sieur Favre prit alors le volant et s'engagea sur l'autoroute des Jeunes, où il effectua de sa propre initiative une pointe de vitesse, qui fut enregistrée par le radar, sans toutefois que les occupants du véhicule s'en rendissent compte. Entendu en comparution personnelle par le Tribunal, Jaquet a encore précisé que Sieur Favre lui avait donné son nom, son prénom et son numéro de téléphone, qu'il s'était toutefois abstenu de le relancer et que, environ deux mois plus tard, lorsqu'il avait reçu la décision du Département, il avait égaré ces quelques renseignements. Le Tribunal n'a procédé à aucune mesure d'instruction sur ces diverses allégations. Il a retenu que la photographie prise par l'appareil de contrôle "révèle bien la présence de deux hommes dans la voiture" que, cependant, en l'absence d'autre élément susceptible d'identifier plus spécialement comme conducteur l'autre personne qui se trouvait dans sa voiture, le recourant n'avait pas renversé la présomption que posait la présence de son véhicule au lieu de la contravention.
Par jugement du 25 octobre 1978, le Tribunal de police a libéré Jaquet des fins de la poursuite et retourné la procédure au procureur général pour qu'il fasse faire les recherches permettant d'identifier le conducteur.
Jaquet a formé contre l'arrêt du Tribunal administratif le présent recours de droit administratif. Il demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt dont est recours, d'annuler la décision de première instance et de dire que les conditions d'une mesure administrative contre lui ne sont pas remplies en l'espèce.
 
Considérant en droit:
1. a) Le conducteur d'un véhicule automobile ne saurait se voir infliger un avertissement ou un retrait de permis d'admonestation pour violation des règles de la circulation que s'il est établi à satisfaction de droit qu'il est bien l'auteur de cette infraction. Autrement dit, l'autorité ne peut prononcer ou confirmer sur recours une telle mesure que si elle a acquis la conviction que c'est bien l'intéressé lui-même qui a enfreint les règles de la circulation. Lorsqu'une infraction a été dûment constatée, sans cependant que son auteur puisse être identifié, l'autorité ne saurait se borner à présumer que le véhicule était piloté par son détenteur, sauf à ce dernier à rapporter la preuve qu'il l'était en réalité par un tiers. Appliqué par la jurisprudence en matière de responsabilité pénale (ATF 102 IV 258), ce principe doit valoir aussi bien en matière de mesures administratives prises contre un automobiliste. Sans doute, lorsque l'auteur d'une infraction constatée ne peut être identifié sur-le-champ, l'autorité peut-elle, dans un premier temps, partir de l'idée que le détenteur du véhicule en question en était aussi le conducteur au moment critique. Mais dès lors que cette version est contestée par l'intéressé, il appartient à l'autorité compétente pour prononcer (ou pour confirmer) une éventuelle mesure administrative d'intervenir immédiatement pour provoquer les explications de celui-ci, qui est alors tenu de les fournir dans toute la mesure où l'on peut raisonnablement les attendre de lui, et de prendre, le cas échéant, de sa propre initiative, en vertu de la maxime officielle qui régit ce type de procédures administratives, toute mesure d'instruction propre à élucider cette question. Si l'intéressé se soustrait sans motif valable à ce devoir de collaboration ou si la version des faits qu'il soutient apparaît d'emblée dénuée de toute vraisemblance, il appartiendra à l'autorité d'apprécier sur la base de l'ensemble des circonstances du cas si l'on peut néanmoins considérer comme suffisamment établi qu'il est l'auteur de l'infraction incriminée (arrêt du 9 juillet 1971, en la cause Kramer, partiellement publié aux ATF 97 I 479, consid. 2 non publié, résumé au JdT 1972 I 399). Si, en revanche, la version des faits donnée par le détenteur ne paraît pas absolument invraisemblable et qu'il ne soit pas possible par ailleurs de rapporter la preuve que celui-ci conduisait son véhicule au moment critique, l'autorité devra renoncer à toute mesure contre lui. C'est à cette dernière, en effet, qu'incombe le fardeau de la preuve, s'agissant d'une mesure restreignant la liberté de l'intéressé, et c'est donc elle qui doit supporter les conséquences d'un éventuel échec de la preuve.
b) Comme le relève le Tribunal administratif, dont les constatations de fait lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 2 OJ), deux personnes se trouvaient à bord du véhicule au moment critique et le recourant ne conteste pas avoir été l'une d'elles. Il nie en revanche avoir piloté le véhicule à ce moment. Le Tribunal administratif n'affirme pas être parvenu à une conclusion contraire après avoir procédé à une appréciation de l'ensemble des circonstances de la cause. Il se borne au contraire à déclarer que le recourant n'est pas parvenu à renverser la présomption que posait la présence de son véhicule à l'endroit et au moment critiques. Il y a donc sur ce point non pas constatation de fait qui lierait le Tribunal fédéral, mais application d'une présomption qui, comme on l'a vu, ne saurait suffire à fonder une mesure administrative.
L'arrêt déféré ne peut donc être maintenu. Le recours doit être admis et l'affaire renvoyée au Tribunal administratif, pour nouvelle décision.