BGE 101 Ia 77
 
15. Arrêt du 28 mai 1975 en la cause X. contre Tribunal administratif du canton de Genève.
 
Regeste
Art. 4 BV; Zinsabzug auf dem Baukredit.
 
Sachverhalt
Au cours des années 1970/1971, X. a construit une villa à T. Il y habite, avec sa famille, depuis le 1er novembre 1971. Un crédit de construction lui a été accordé par la Caisse hypothécaire du canton de Genève contre nantissement d'une cédule hypothécaire au porteur du même montant. L'intérêt fut fixé à 5 3/4%, puis à 6 et 6 1/2% par an. Ce crédit a été consolidé le 10 mars 1972.
Dans sa déclaration relative à l'impôt cantonal 1972, X. a porté en déduction de ses revenus bruts acquis en 1971 les intérêts sur le crédit de construction, portés au débit de ce compte. Le Département des finances du canton de Genève a toutefois refusé la déduction des intérêts dus pour la période s'étendant du 1er janvier au 30 octobre 1971. Il considéra en effet qu'ils faisaient partie du coût de construction de la villa. Seuls les intérêts dus à partir du moment où le bien immobilier devenait productif d'un rendement pouvaient être défalqués. Cette décision a été confirmée par la Commission cantonale de recours en matière d'impôts le 11 octobre 1973, puis par le Tribunal administratif du canton de Genève, par arrêt du 6 novembre 1974.
Agissant par la voie du recours de droit public, X. requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu par le Tribunal administratif le 6 novembre 1974. Il soutient que cette décision viole l'art. 4 Cst.
 
Considérant en droit:
Le droit d'être entendu implique normalement que la décision de l'autorité cantonale soit motivée, cette exigence pouvant être fondée sur la législation cantonale ou, le cas échéant, déduite directement de l'art. 4 Cst. (cf. RO 98 Ia 464 consid. 5a). La loi genevoise de 1968 instituant un code de procédure administrative prévoit à son art. 35 al. 1 que "toute décision est motivée en fait et en droit". L'arrêt contesté n'est pas contraire à cette disposition. Le Tribunal administratif s'est en effet déterminé nettement sur la question litigieuse. Il a considéré que lorsque, comme en l'espèce, l'établissement bancaire ne réclame pas le paiement des intérêts du crédit de construction, mais les comptabilise au débit du compte de ce crédit, ces intérêts sont intégrés dans le prêt hypothécaire consolidé et font partie du coût de la construction. De ce fait, le constructeur, à l'achèvement de la construction, ne se serait pas appauvri des intérêts débités au compte du crédit de construction et ceux-ci ne seraient ainsi pas déductibles du revenu brut, au sens de l'art. 21 lit. e de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887 (LCP). Le Tribunal administratif ajoute enfin que si les intérêts en question avaient été payés effectivement par le débiteur, ce qui aurait amoindri d'autant son revenu disponible, leur déduction aurait pu être admise. Cette motivation paraît suffisante et explicite de manière satisfaisante l'opinion de l'autorité cantonale sur le problème en litige. Selon le recourant, elle serait en contradiction avec le principe établi par les arrêts du 29 mai 1974, notamment par l'arrêt B. de ce même Tribunal administratif, dans lesquels la déduction des intérêts des dettes avait été admise. Mais il s'agit là d'un grief que le recourant soulève à nouveau avec le fond, lorsqu'il se plaint d'inégalité de traitement. Il sera donc examiné avec ce dernier moyen.
2. L'art. 21 lit. e LCP cite, parmi les déductions admises sur les revenus bruts, "les intérêts des dettes pour autant que celles-ci peuvent être déduites en application de l'art. 39". Ce dernier précise, à son al. 2, que seules peuvent être défalquées les dettes effectivement dues par le contribuable (dettes chirographaires et dettes hypothécaires). Le Tribunal administratif a admis en l'espèce que les intérêts du crédit de construction rentraient dans les frais de construction et faisaient partie du coût de l'immeuble. Ces dépenses seraient de nature à donner à l'immeuble en cause une plus-value durable; elles ne peuvent donc être imputées sur les revenus bruts du contribuable en vertu de l'art. 23 lit. a LCP. Cette disposition exclut en effet la déduction des "dépenses faites pour l'augmentation ou l'amélioration des biens du contribuable". En revanche, ces intérêts seront pris en considération lors du calcul de l'impôt spécial sur certains bénéfices immobiliers (art. 80 ss LCP).
a) Le Tribunal fédéral, dans un arrêt du 11 février 1959 (Archives 28,354 ss) concernant l'impôt zurichois sur les gains immobiliers, a relevé que, dans les milieux de l'économie, les intérêts d'un crédit de construction étaient généralement indiqués comme frais de construction (Baukosten) ou étaient calculés avec ceux-ci; on pouvait donc soutenir que ces dépenses étaient des "Aufwendungen für Bauten und Umbauten", au sens du § 166 lit. a de la loi fiscale zurichoise. Ce point de vue, défendu par la recourante, était certainement compatible avec la teneur de la loi et pouvait se concilier avec son sens et son but. Mais le Tribunal fédéral ajouta que cette interprétation n'était pas la seule possible et que l'opinion contraire que défendait l'autorité cantonale n'était pas insoutenable. Celle-ci ne considérait pas les intérêts sur crédit de construction comme des dépenses propres à augmenter la valeur de l'immeuble, mais comme des intérêts hypothécaires ordinaires. Ce point de vue avait été déjà retenu dans l'arrêt non publié du 29 novembre 1943 Stäger c. Zürich. Le Tribunal fédéral a également admis dans l'arrêt Hug, du 14 février 1968 (Archives 37,398 ss), en se référant précisément à l'arrêt zurichois précité, qu'il n'est pas arbitraire, lorsque la loi autorise la déduction des seules dépenses qui donnent une plus-value à l'immeuble, de refuser l'imputation, sur le prix de vente, des intérêts versés sur le compte de construction.
Enfin, dans une affaire bâloise relative à l'impôt sur les gains immobiliers, le Tribunal fédéral a jugé que l'autorité cantonale ne violait pas l'art. 4 Cst. en ne qualifiant pas de dépenses donnant une plus-value à l'immeuble les intérêts dus par l'aliénateur sur les fonds empruntés en vue de l'acquisition du terrain, alors même qu'elle admettait à ce titre la déduction des intérêts sur crédit de construction. Il n'y avait là nulle contradiction. En effet, la construction d'un bâtiment accroît en règle générale la valeur de l'immeuble; les dépenses faites dans ce but sont donc en principe des dépenses donnant une plus-value à l'immeuble. Les intérêts sur crédit de construction constituent des charges financières directement liées à la construction. Pour cette raison, il est usuel de les inclure dans les frais de construction. Il n'est donc pas insoutenable de les considérer, au contraire des autres intérêts passifs, comme des dépenses augmentant la valeur de l'immeuble. Cette distinction n'est certes pas à l'abri de toute critique (cf. Archives 37,399). Mais elle est également admise par les autorités d'autres cantons, qui incluent dans les frais de construction les intérêts sur crédit de construction dus pour le temps précédant l'achèvement des travaux (Archives 41,330/331).
b) Ces arrêts font ressortir d'emblée la diversité des jurisprudences cantonales, en matière de déduction des intérêts sur crédit de construction. Le Tribunal fédéral reconnaît, dans cette situation, qu'il n'est en tout cas pas insoutenable de considérer ces frais comme des dépenses qui contribuent à l'augmentation de la valeur de l'immeuble. Il n'est ainsi pas arbitraire de considérer que ces intérêts constituent un des éléments de formation de la valeur de la construction, ce qui justifie qu'ils puissent avoir, au sens du droit fiscal, une portée autre que celle des autres intérêts de dettes (Schuldzinsen).
En l'espèce, le Tribunal administratif genevois n'a pas violé l'art. 4 Cst. en retenant que les intérêts d'un crédit de construction font partie du coût de la construction et qu'ils sont englobés dans la valeur de l'ouvrage achevé. Il n'a pas arbitrairement méconnu le sens de l'art. 21 lit. e LCP. Cette disposition toute générale prévoit seulement que les intérêts des dettes sont déduits des revenus bruts, mais elle ne donne aucune autre précision, de telle sorte qu'on ne peut pas affirmer qu'elle exclurait toute distinction entre intérêts sur crédit de construction et autres intérêts de dettes, distinction que la jurisprudence du Tribunal fédéral ne considère pas comme inadmissible sur le plan du droit fiscal. Si les intérêts sur crédit de construction peuvent être qualifiés sans arbitraire de dépenses donnant une plus-value à l'immeuble, il faut alors admettre qu'ils constituent des "dépenses faites pour l'augmentation et l'amélioration des biens du contribuable"; celles-ci ne peuvent être déduites des revenus bruts de ce dernier en vertu de l'art. 23 al. 1 lit. a LCP.
Le recourant voit également une inégalité de traitement dans le fait que le Tribunal administratif, dans un arrêt B. du 29 mai 1974 (RDAF 1974, 280), a admis la déduction des intérêts passifs de dettes que le contribuable avait contractées auprès de sociétés anonymes dont il était l'actionnaire unique. Mais il ne s'agissait pas des intérêts d'un crédit de construction. La situation du recourant n'est donc pas la même que celle retenue par l'arrêt B. du 29 mai 1974; dans ces circonstances, on ne peut parler d'inégalité de traitement.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours.