BGE 101 Ia 46
 
10. Extrait de l'arrêt du 22 janvier 1975 en la cause X contre Chambre d'accusation du canton de Genève
 
Regeste
Art. 4 BV; persönliche Freiheit und strenge Einzelhaft (mise au secret); Art. 152 Genfer StPO vom 7. Dezember 1940; Europäische Menschenrechtskonvention.
2. Die sich aus einer Zwangsmassnahme wie der Untersuchungshaft ergebenden Beschränkungen dürfen nicht weiter gehen, als ihr Zweck es verlangt; Verhältnismässigkeitsprinzip (E. 4).
3. Die Versetzung in strenge Einzelhaft als Druckmittel auf den Angeschuldigten (E. 5).
4. Die Versetzung in strenge Einzelhaft stellt einen schweren Eingriff in die von Bund und Kanton Genf gewährleistete persönliche Freiheit dar (E. 6).
Prüfungsbefugnis des Bundesgerichts. Die in Art. 152 StPO genannten Voraussetzungen der Versetzung in strenge Einzelhaft sind kumulativ (E. 7).
5. Eine Behörde, die ihre Kognition - obschon diese ihr voll zusteht - auf Willkür beschränkt, verletzt Art. 4 BV (E. 8).
6. Konvention zum Schutze der Menschenrechte und Grundfreiheiten; von ihr erfasste Tatbestände.
 
Sachverhalt
A.- X. a été appréhendé par la police le 28 mai 1974 à Genève à la suite de l'arrestation d'un nommé Y., qui a déclaré avoir effectué avec lui un certain nombre de cambriolages et de tentatives de cambriolages. X., qui a été inculpé de vols et de tentatives de vol au sens de l'art. 137 CP, et contre lequel le juge d'instruction a décerné un mandat d'arrêt, a contesté avoir commis les infractions qui lui sont reprochées; il a maintenu ses dénégations après avoir été confronté le 31 mai avec Y. et un témoin. A la suite d'une nouvelle audition de X., qui a eu lieu le 4 juin, le juge d'instruction a ordonné sa mise immédiate au secret.
B.- La Chambre d'accusation, siégeant en Chambre du conseil, a rejeté le recours formé par X. contre la décision du juge d'instruction. Après avoir entendu séparément le conseil de X., celui-ci, puis le représentant du Ministère public, elle a rendu le 5 juin 1974 une ordonnance non motivée ainsi conçue:
    "La Chambre:
    Déboute l'inculpé de ses conclusions tendant à la levée du secret."
C.- Au cours de la même audience, la Chambre d'accusation a décerné contre l'inculpé un mandat de dépôt et a ordonné sa mise en liberté provisoire sous caution de 5'000 fr.
Le 7 juin, le juge d'instruction a entendu l'amie de X., ainsi que Y. X. a encore été interrogé le 10 juin; il a nié une fois de plus avoir participé aux infractions qui ont motivé son inculpation. Le lendemain, la mise au secret a été levée par le juge d'instruction. Le 10 juillet 1974, X. a été mis en liberté provisoire.
D.- Le 5 juin 1974, X. a formé un recours de droit public contre l'ordonnance du même jour rendue par la Chambre d'accusation. Il affirme que la décision entreprise est entachée d'arbitraire et que les procédés utilisés à son endroit sont "contraires à la garantie de la liberté personnelle et à l'esprit, voire à la lettre de la Convention européenne des droits de l'homme".
Le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé la décision entreprise.
 
Considérant en droit:
3. Le recourant soutient que l'autorité cantonale qui prend une décision comportant une restriction importante de la liberté personnelle d'un détenu sans la motiver tombe dans l'arbitraire. Il ne soutient toutefois pas que l'ordonnance entreprise constitue un jugement au sens de l'art. 103 de la loi genevoise d'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941 (OJG), qui prescrit que "tous les jugements sont motivés"; le Tribunal fédéral n'a donc pas à examiner si cette disposition légale a été violée. Certes, dans son mémoire complétif, le recourant déclare "se demander" si l'obligation de motiver ne résulte pas du droit cantonal et notamment de l'art. 103 OJG, mais il ne l'affirme pas; il s'agit au surplus d'un grief qu'il aurait pu faire valoir dans son acte de recours, et qui est donc irrecevable lorsqu'il n'est formé que dans un mémoire complétif (RO 98 Ia 494 consid. 1b).
Le recourant invoque ainsi l'obligation de motiver les jugements en tant qu'elle découle directement de l'art. 4 Cst. D'une façon générale, les lois cantonales exigent que les jugements rendus en matière civile et pénale soient motivés; le Tribunal fédéral a dès lors rarement eu à se prononcer sur l'obligation de motiver les jugements en ces matières, fondée sur l'art. 4 Cst. Il a néanmoins admis que les tribunaux doivent mentionner, au moins brièvement, les motifs qui les ont guidés et sur lesquels leur sentence se base: "C'est là une garantie dont le défaut absolu de motifs frustre les citoyens, en ouvrant la porte à l'arbitraire" et crée un déni de justice (RO 19 p. 470). En matière administrative, où les règles de droit cantonal ne sont pas toujours aussi formelles, la jurisprudence a admis que si la Constitution fédérale n'impose pas aux autorités l'obligation de motiver par écrit leurs décisions, il n'en demeure pas moins que les motifs de ces dernières doivent être, d'une manière quelconque, portés à la connaissance des justiciables. Si les parties ne connaissent pas les faits déterminants et les règles juridiques qui ont été appliquées pour la solution du litige, elles ne peuvent pas attaquer la décision à bon escient; son bien-fondé est alors soustrait à leur contrôle et à celui de l'autorité de recours (RO 98 Ia 464 consid. 5a).
La Chambre d'accusation explique en l'espèce l'absence de motivation par la nécessité de respecter la disposition légale selon laquelle le détenu mis au secret ne peut communiquer avec personne. Il importait de ne pas révéler, même indirectement, le contenu de la procédure et les intentions du juge d'instruction au recourant et à son avocat.
On peut comprendre que le juge d'instruction ordonne le cas échéant la mise au secret de l'inculpé sans être obligé de la motiver sur-le-champ. En revanche, on ne saurait admettre qu'un recours étant formé devant la Chambre d'accusation et la cause ayant été plaidée devant cette autorité, celle-ci puisse prendre une décision de rejet sans fournir aucune motivation. Certes, la Chambre d'accusation n'a pas besoin de dévoiler les intentions du juge d'instruction quant à la suite de la procédure, mais il sied, lorsqu'elle écarte le recours, qu'elle justifie la mise au secret tout au moins au regard de l'existence des conditions légales qui permettent de l'ordonner. Le grief du recourant est ainsi fondé, et le recours doit être admis sur ce point.
4. Le recourant se plaint d'une violation de sa liberté personnelle, droit constitutionnel fédéral non écrit (RO 100 Ia 193 consid. 39, 99 Ia 266 consid. II et les arrêts cités). Dans la mesure où elles offrent à l'individu une protection plus large que la garantie de droit fédéral - fût-ce par des règles purement formelles - les dispositions de la constitution cantonale s'appliquent concurremment avec elle (RO 98 Ia 100 consid. 2). La Constitution fédérale garantit notamment à l'individu le droit d'aller et venir, le droit à ce que soit respectée son intégrité corporelle, tout comme celui de choisir son mode de vie, d'organiser ses loisirs et d'avoir des contacts avec autrui. Les personnes détenues, qui peuvent également invoquer la garantie de la liberté personnelle, ne sauraient toutefois prétendre jouir de toutes les formes de ce droit constitutionnel. La mesure d'incarcération qui les frappe doit certes reposer sur une base légale, être prise dans l'intérêt public et être conforme au principe de la proportionnalité. Mais une fois incarcérés, les intéressés sont soumis aux restrictions qui découlent de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport spécial qui les lie à l'Etat (RO 99 Ia 266). Si toutes ces restrictions ne doivent pas nécessairement résulter de dispositions spéciales et précises de la loi, il n'en. demeure pas moins qu'elles n'ont pas à aller au-delà de ce qu'exige le but de l'incarcération; elles doivent respecter le principe de la proportionnalité.
Les principes qui viennent d'être rappelés s'appliquent tout particulièrement à la détention préventive, qui est imposée à un individu prévenu d'une infraction et dont l'incarcération est destinée à assurer le déroulement normal de l'instruction d'une affaire pénale. La loi fédérale sur la procédure pénale dispose dans ce sens que l'inculpé ne doit pas être entravé dans sa liberté plus que ne l'exigent le but de la détention et le maintien de l'ordre dans la prison (art. 48 al. 1 PPF). D'autre part, lorsque le législateur a prévu certaines garanties en faveur des détenus, les restrictions à la liberté individuelle de ceux-ci trouvent leurs limites dans les principes posés par la loi.
5. La mise au secret est une mesure, reprise du droit français, qui est prévue par la plupart des codes romands d'instruction pénale et par laquelle l'inculpé qui en est l'objet est isolé du monde extérieur et privé de toute communication avec qui que ce soit. D'après la pratique anciennement applicable à Genève, cet inculpé n'avait non seulement plus le droit de recevoir des visites, d'écrire ou recevoir des lettres, de recevoir des paquets, de communiquer avec son défenseur, mais il n'avait pas non plus le droit de lire, de fumer, de se promener dans la cour de la prison, de se faire livrer de l'extérieur des aliments (HANS WALDER, Die Vernehmung des Beschuldigten, Hambourg 1965, p. 155, note 36). Selon de nombreux auteurs, la mise au secret a pour but d'exercer une pression sur l'inculpé pour l'amener à avouer l'infraction qui lui est reprochée; elle serait même un "succédané de la torture" (CLERC, La détention préventive, in Revue pénale suisse, 1968, p. 166). Le recours à cette mesure, notamment dans la procédure pénale genevoise, a fait l'objet de vives critiques dans la doctrine (WALDER, loc.cit.; WAIBLINGER, La protection de la liberté individuelle durant l'instruction, in Revue internationale de droit pénal 1953, p. 250/251; MARKUS MEYER, Der Schutz der persönlichen Freiheit im rechtsstaatlichen Strafprozess, thèse Zurich 1962, p. 145; SCHULTZ, La sauvegarde des droits des détenus, in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, supplément juillet-septembre 1967, p. 101; PFENNINGER, Probleme des schweizerischen Strafprozessrechtes, p. 119; SCHUBARTH, Die Rechte des Beschuldigten im Untersuchungsverfahren, p. 182). La critique porte essentiellement sur le fait que la mise au secret est en réalité utilisée lorsque l'inculpé n'avoue pas et que le juge d'instruction entend exercer sur lui une pression, la mesure étant levée dès l'aveu (PFENNINGER, loc.cit.; CLERC, Le procès pénal en Suisse romande, p. 86; PONCET, L'instruction contradictoire, p. 143).
En fait, depuis plusieurs années, la mise au secret ne revêt plus, à Genève, le caractère qu'elle avait auparavant et qui est décrit par Walder (cf. PONCET, op.cit., p. 148). Elle ne se traduit plus que par l'interdiction de "communiquer avec personne" (art. 153 CPPG; art. 10 du règlement sur le régime intérieur de la prison, du 14 avril 1951), ce qui entraîne l'application du régime cellulaire, l'interdiction de communiquer avec le défenseur, de recevoir des visites, de communiquer avec les codétenus, de correspondre, et ce qui rend aussi la procédure secrète pour l'inculpé et son défenseur (art. 63 al. 2 et 70 CPPG). On a observé cependant qu'en Suisse des lois qui ne connaissent pas la mise au secret comme telle permettent au juge d'interdire toute communication avec le prévenu (CLERC, Réflexions sur la détention préventive, in Etudes pénologiques dédiées à la mémoire de Sir Lionel Fox, p. 56; La détention préventive, loc.cit.; La détention avant jugement, in Recueil de travaux suisses présentés au VIIIe Congrès international de droit comparé, Pescara 1970, p. 404; PONCET, Le droit à l'assistance de l'avocat dans la procédure, ibid., p. 421; KRÜMPELMANN, Die Untersuchungshaft im deutschen, ausländischen und internationalen Recht, Bonn 1971, p. 656/657). Sur le plan fédéral, l'art. 117 PPF permet au juge d'instruction, exceptionnellement, de limiter ou de faire cesser pour un temps déterminé les communications de l'inculpé détenu avec son défenseur, "lorsque l'intérêt de l'instruction l'exige". Des réserves analogues sont inscrites dans les art. 116 et 118 PPF en ce qui concerne le droit pour le défenseur de consulter le dossier et d'être présent à l'interrogatoire de l'inculpé et à l'administration des preuves. Le juge peut d'autre part donner des instructions sur les conditions de la détention. Des règles semblables existent dans d'autres cantons; elles peuvent aller même plus loin, par exemple à Berne, où la libre communication avec le défenseur est l'exception, la limitation de ce droit la règle (art. 97 du Code bernois de procédure pénale, du 20 mai 1928; cf. KRÜMPELMANN, op.cit., p. 656).
En France, la mise au secret, autorisée sous le régime du Code d'instruction criminelle de 1808, a été très atténuée par la loi du 8 décembre 1897. Depuis lors, elle ne peut plus affecter les communications de l'inculpé avec son défenseur; cette règle figure actuellement dans le Code français de procédure pénale du 31 décembre 1957 (art. 116 al. 2 et 3 et D 56; cf. BOUZAT et PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, tome II, 2e éd., Paris 1970, No 1283, p. 1225; STEFANI et LEVASSEUR, Procédure pénale, 7e éd., Paris 1973, No 504, p. 449). En Allemagne, les libres communications avec le défenseur sont assurées à l'inculpé détenu en vertu du § 148 du Code de procédure pénale (cf. KLEINKNECHT, Strafprozessordnung, 31e éd., Munich 1974, ad § 148, p. 399).
L'art. 24 Cst. cant. prévoit que "lorsque l'instruction d'une procédure l'exige, le juge d'instruction a le droit de tenir un prévenu au secret, pendant huit jours au plus". En pareil cas, le droit, garanti à toute personne arrêtée en vertu d'un mandat, de choisir un défenseur et de conférer avec lui n'existe plus (art. 26 lit. a Cst. cant.).
Le recourant, qui invoque la garantie de la liberté personnelle, ne se réfère pas expressément aux dispositions de la constitution genevoise; il se fonde essentiellement sur les dispositions du Code genevois de procédure pénale, et soutient notamment que les conditions de l'application de l'art. 152 CPPG, disposition d'exécution de l'art. 24 Cst., ne sont pas remplies.
Il ne prétend en revanche pas que l'institution même de la mise au secret soit contraire à la garantie de la liberté personnelle; le Tribunal fédéral n'a donc pas à examiner ce problème. Le recourant n'invoque pas non plus, expressément en tout cas, la violation du principe de l'art. 24 Cst. cant. comme tel. Toutefois, l'une des conditions exigées par l'art. 152 CPPG, soit le fait que le secret n'est autorisé que "pour les besoins de l'enquête", apparaît bien identique à celle qui figure à l'art. 24 Cst. cant., lorsque celui-ci prévoit que le secret ne peut être prononcé que "lorsque l'instruction d'une procédure l'exige".
a) Les dispositions principales qui intéressent la mise au secret sont, dans le Code genevois de procédure pénale, les suivantes:
    "Art. 70. - 1. Lorsque l'importance d'une procédure l'exige, le juge d'instruction a le droit de suspendre l'information contradictoire.
    2. peut même tenir un inculpé au secret, pendant huit jours au plus.
    3. La mesure du secret ne peut être prolongée au-delà de ce terme qu'avec l'autorisation de la Chambre d'accusation (art. 24 et 25 de la constitution genevoise).
    Art. 152. - Le secret ne doit être autorisé que dans les cas d'une gravité exceptionnelle et pour les besoins de l'enquête.
    Art. 153. - Le détenu mis au secret ne peut communiquer avec personne."
b) Selon un auteur, l'art. 152 CPPG ne devrait s'appliquer que dans les cas où le secret est prolongé au-delà de huit jours avec l'autorisation de la Chambre d'accusation; pour la première période de huit jours, il suffirait que soit remplie la condition à laquelle l'art. 70 al. 1 CPPG subordonne la suspension de l'information contradictoire (cf. SCHUBARTH, op.cit., p. 177 in fine). Cette opinion a sans doute son origine dans le fait que l'art. 152 CPPG figure dans un chapitre (chapitre II: "Du secret") du titre III de la première partie de la loi, ce titre étant intitulé: "Chambre d'accusation", alors que l'art. 70 CPPG appartient au titre II ("Information") de la loi. Mais l'interprétation proposée par cet auteur n'est soutenue par aucune des parties à la présente instance, et la doctrine admet en général que les deux conditions prévues à l'art. 152 CPPG doivent être réalisées pour toute mise au secret (cf. JEAN GRAVEN, La protection des droits de l'accusé dans le procès pénal en Suisse, in Revue internationale de droit pénal, 1966, p. 263; PONCET, L'instruction contradictoire, p. 141; WALDER, op.cit., p. 155, note 36; PFENNINGER, op.cit., p. 118, note 16).
La disposition de l'art. 152 CPPG se rapportait bien, dans le Code genevois d'instruction pénale de 1884, à la prolongation du secret; elle figurait à la suite de la disposition autorisant la Chambre d'accusation à prolonger le secret et était libellée comme suit: "Cette mesure ne doit être autorisée que dans les cas d'une gravité exceptionnelle". Lors de la revision du Code et sa transformation en "Code de procédure pénale", en 1940, le Grand Conseil, tout en maintenant la disposition en cause dans le même titre de la loi, l'a inscrite en tète des différentes dispositions relatives au secret, qui sont groupées dans le chapitre II du titre III, 1re partie CPPG, et lui a donné une teneur très générale. Cette disposition qui, en bonne logique, n'aurait évidemment pas dû figurer dans les dispositions relatives à la Chambre d'accusation, s'applique cependant à la mise au secret en général, quelle que soit l'autorité qui l'ait ordonnée; il en va de même de l'art. 153 CPPG.
c) Il convient donc d'examiner si l'ordonnance entreprise respecte la première condition prévue à l'art. 152 CPPG et selon laquelle le secret ne peut être ordonné que s'il s'agit d'un cas d'une "gravité exceptionnelle". Selon la Chambre d'accusation, la gravité du cas résulterait de ce que X. est poursuivi pour vols et tentatives de vol, infraction qualifiée de crime par le Code pénal; le caractère de gravité exceptionnelle tiendrait au fait que le recourant avait déjà été inculpé antérieurement pour des délits et une tentative de crime (soit de vol) au cours de la période de quatre mois précédents et qu'il avait été relaxé, "ce qui laissait supposer qu'il avait abusé de la clémence du juge d'instruction".
On peut se demander si la notion de délit grave, telle qu'elle a été définie par le Tribunal fédéral aux fins de l'application de l'art. 45 Cst. (RO 98 Ia 304 et les arrêts cités), ne devrait pas également valoir dans l'hypothèse de l'art. 152 CPPG. Ce ne semble pas être le cas, car il s'agit ici d'apprécier la gravité plus ou moins grande d'infractions reprochées à un individu placé en détention préventive et qui a été l'objet d'un mandat d'arrêt, étant prévenu d'un crime ou d'un délit (art. 17 Cst. cant., art. 98 CPPG) et non d'une simple contravention. L'art. 152 CPPG n'aurait ainsi guère de sens s'il fallait l'interpréter de la même manière que l'art. 45 Cst. Mais il n'est pas nécessaire de résoudre la question de savoir si les infractions reprochées à X. peuvent être qualifiées de graves. Il est évident en effet qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas "d'une gravité exceptionnelle". L'infraction de vol, qualifiée de crime par le Code pénal, est considérée en matière de procédure pénale genevoise comme un "délit correctionnel" passible de la Cour correctionnelle et non de la Cour d'assises, compétente en principe pour juger les crimes au sens du Code genevois de procédure. X. pouvait ainsi, en tout état de cause, obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution (art. 27 Cst. cant., art. 156 et 160 CPPG). Si, à défaut de pouvoir verser lui-même une caution, il avait pu obtenir d'un tiers l'avance du montant de 5'000 fr. fixé par la Chambre d'accusation à l'audience du 5 juin 1974, il aurait pu quitter immédiatement la prison et échapper ainsi au secret ordonné. Il y a donc une certaine contradiction entre le fait de qualifier l'infraction d'exceptionnellement grave et de maintenir son auteur supposé au secret, alors qu'en versant la caution requise, celui-ci pouvait obtenir non seulement la levée du secret, mais encore sa mise en liberté jusqu'à l'audience de jugement.
Par ailleurs, l'inculpation antérieure du recourant en raison d'infractions de même nature ne saurait donner à son cas un caractère de gravité exceptionnelle; celui-ci doit de toute évidence se rapporter à l'infraction en raison de laquelle l'inculpé est détenu, et non à d'autres infractions qui ne revêtent apparemment pas un caractère particulier de gravité, puisque le recourant avait alors été relaxé par le juge d'instruction.
d) Selon la seconde condition prévue à l'art. 152 CPPG, la mise au secret n'est autorisée que si elle est effectuée "pour les besoins de l'enquête". Cette condition paraît équivaloir à celle qui résulte de l'art. 24 Cst. cant. C'est donc non seulement la loi, mais aussi la Constitution qui limite dans cette mesure le pouvoir des autorités judiciaires genevoises. Pour que cette condition soit réalisée, il faut sans doute que la mesure soit justifiée par la crainte d'une collusion possible entre l'inculpé et des tiers, dans une affaire exceptionnellement grave. En revanche, il n'est pas conforme à cette disposition constitutionnelle ni à la disposition légale qui est destinée à en assurer l'exécution que la mesure vise à exercer une pression sur l'inculpé pour l'obliger à l'aveu. D'après la doctrine quasiment unanime, la mise au secret ne constitue pas seulement une pression, mais une "sanction psycho-physique exercée afin d'obtenir un aveu" et qui, dans le cas où elle est précisément ordonnée à cet effet, constitue une contrainte inadmissible (PFENNINGER, op.cit., p. 120; cf. aussi GÖLCÜKLÜ, L'interrogatoire en matière pénale, thèse Neuchâtel 1952, p. 80; WAIBLINGER, loc.cit., p. 234, 250 et 257; WALDER, loc.cit., et les autres auteurs cités plus haut). Le Tribunal fédéral n'a pas à se prononcer en l'espèce sur la justification de la mise au secret comme telle, puisque le recourant ne la critique pas. Il convient uniquement d'examiner si cette mesure a bien été ordonnée pour les besoins de l'enquête. Selon la Chambre d'accusation, la mise au secret se justifiait jusqu'à l'audition de l'amie de X., et ce pour éviter toute collusion avec celle-ci. Mais il ne semble pas que tel ait été en réalité le but de la mesure ordonnée, puisque, après l'audition de l'intéressée et une nouvelle audition du coïnculpé Y., le 7 juin, le secret a été maintenu jusqu'au 11 juin, date de l'expiration du délai légal. Le juge pouvait d'ailleurs, au lieu de mettre l'inculpé au secret, ordonner simplement la suspension de l'information contradictoire (art. 70 al. 1 CPPG) et entendre séparément l'inculpé et son amie. Il a aussi le contrôle de la correspondance et des visites que reçoit le détenu (art. 53 et 56 du règlement de la prison) et peut ordonner la détention cellulaire (art. 32 dudit règlement), de sorte que la mise au secret a surtout comme effet direct, au point de vue du déroulement de la procédure, l'interruption des communications entre le détenu et son avocat. Il apparaît donc pour le moins plausible que la mesure incriminée en l'espèce n'a pas été nécessitée par les besoins de l'enquête. Mais la question peut rester ouverte, puisque cette mesure ne pouvait être ordonnée en raison de l'absence d'un caractère de gravité exceptionnelle du cas.
La Chambre d'accusation n'indique pas sur quelles dispositions légales ou sur quel principe juridique elle s'est fondée pour restreindre sa compétence à un examen sous l'angle de l'arbitraire. L'art. 174 CPPG ouvre à l'inculpé un recours auprès de cette autorité contre les décisions du juge d'instruction; rien ne permet de dire que le pouvoir d'examen de la Chambre soit limité dans l'examen de tels recours (voir à ce sujet l'arrêt Munoz, du 18 juin 1973, consid. 2a, SJ 1973, 627). Si telle avait été l'intention du législateur, il l'aurait dit expressément. La seule disposition spéciale touchant les recours concernant la mise ou le maintien de l'inculpé au secret est celle de l'art. 174 al. 3 CPPG, aux termes de laquelle la Chambre d'accusation statue alors "en Chambre du conseil"; cette particularité n'a évidemment pas pour effet de modifier son pouvoir d'examen. Si la Chambre a limité son pouvoir d'examen comme elle l'indique, elle a de ce seul fait violé l'art. 4 Cst. L'autorité qui, ayant un plein pouvoir d'examen, restreint sa cognition à l'arbitraire viole en effet cette disposition constitutionnelle (RO 99 Ia 502 consid. 5c). La Chambre n'avait pas de raisons valables de restreindre de la sorte son pouvoir d'examen (RO 84 I 228). Etant en possession du dossier de la cause, il ne lui était pas difficile de savoir si on se trouvait ou non en présence d'un cas d'une gravité exceptionnelle. Le législateur a évidemment voulu que la Chambre d'accusation exerce un plein contrôle sur l'activité du juge d'instruction, et la restriction du pouvoir d'examen que la Chambre s'est imposée n'a donc aucun fondement juridique.
9. Le recourant fait enfin grief à la décision entreprise d'être contraire "à l'esprit, voire à la lettre de la Convention européenne des droits de l'homme". Au moment où la Chambre d'accusation a rendu sa décision, comme au moment où le recours a été déposé, la Suisse n'était pas liée par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui a été approuvée par arrêté fédéral du 14 octobre 1974 et dont l'instrument de ratification a été déposé par la Suisse le 28 novembre 1974 (ROLF 1974, p. 2151). Cette ratification n'a pas pour effet de modifier l'angle sous lequel doit être apprécié le recours. Selon l'art. 66 al. 3 de la Convention, celle-ci entre en vigueur, pour tout signataire qui l'a ratifiée après son entrée en vigueur initiale, dès le dépôt de l'instrument de ratification. Or, selon la jurisprudence constante de la Commission européenne des droits de l'homme, la Convention ne régit pour chaque partie contractante que les faits postérieurs à son entrée en vigueur à l'égard de cette partie (cf. Conseil de l'Europe, Convention européenne des droits de l'homme, Manuel, 1963, p. 102/103; Rec. de décisions No 8, p. 66; No 12, p. 113; WIEBRINGHAUS, Die Rom-Konvention für Menschenrechte; Saarbrücken 1959, ad art. 19, p. 101; GURADZE, Die Europäische Menschenrechtskonvention, Kommentar, p. 8 § 3.1).
Le recourant n'indique d'ailleurs pas à quelles dispositions de la Convention il entend se référer. La décision de mise au secret pourrait, le cas échéant, être considérée comme mettant en cause l'interprétation de deux dispositions de cet instrument, soit de l'art. 3 et de l'art. 6 § 3, lettre b. Selon l'art. 3, "nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants"; cette disposition est interprétée en ce sens que l'autorité n'a pas le droit, dans le procès pénal, de faire usage de méthodes d'interrogatoire ayant pour effet de porter atteinte à la liberté de décision du prévenu (GURADZE, cit., p. 53/54, ad art. 3, Nos 9 et 11). Selon l'art. 6 § 3 lettre b, "tout accusé a droit notamment à: ...disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense", ce qui signifie qu'il doit pouvoir librement communiquer avec son défenseur (GURADZE, ibid., p. 107, ad art. 6, No 31); dans son rapport du 9 décembre 1968, relatif à la Convention, le Conseil fédéral a relevé à ce sujet que "le droit de la défense entraîne normalement celui de communiquer librement avec son défenseur". Il a ajouté, se référant tout spécialement à la législation genevoise, que "les cantons qui autorisent le juge d'instruction à ordonner, dans des cas exceptionnels et pour les besoins de l'enquête, la mise au secret de l'inculpé pourraient dès lors rencontrer certaines difficultés suivant l'usage que leurs autorités feront de cette faculté" (FF 1968 II 1120, note 6). Certes, sans même que la présente cause doive impliquer l'application directe de la Convention européenne, la Suisse n'étant liée par elle que dès le 28 novembre 1974, il eût été opportun, si le Tribunal fédéral n'était pas parvenu à la conclusion que l'ordonnance entreprise viole la législation genevoise applicable, d'examiner, notamment dans le cadre de l'examen de la proportionnalité de l'atteinte portée à la liberté personnelle, la cause à la lumière des dispositions de la Convention, comme des autres textes internationaux visant la matière, tel l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, approuvé par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 19 janvier 1973, et où il est dit notamment qu'un prévenu doit, dès son incarcération, être autorisé à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense; "il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles, et en recevoir. Sur sa demande, toute facilité doit lui être accordée à cette fin" (principe No 93). La jurisprudence a en effet admis qu'en cette matière, il faut prendre en considération des données relevant du droit comparé et le cas échéant les principes établis par les organisations internationales (RO 97 I 50).
Mais l'ordonnance entreprise ayant été rendue en violation des dispositions légales applicables, il y a lieu d'admettre le recours sans qu'il soit besoin d'examiner, à la lumière des textes qui viennent d'être rappelés, si elle viole le principe de la proportionnalité.