BGer 1C_29/2007
 
BGer 1C_29/2007 vom 27.08.2007
Tribunale federale
{T 0/2}
1C_29/2007 /fzc
Arrêt du 27 août 2007
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Aeschlimann, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Rittener.
Parties
Office fédéral des routes, 3003 Berne,
recourant,
contre
X.________,
intimé, représenté par Me Alain Maunoir, avocat,
Service des automobiles et de la navigation, avenue du Grey 110, 1014 Lausanne,
Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.
Objet
retrait de permis de conduire, admonestation,
recours en matière de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud du 7 février 2007.
Faits :
A.
X.________, est chauffeur professionnel et titulaire d'un permis de conduire pour poids lourd depuis 1981. Le 12 février 2005 à 00h10, il circulait au volant de son semi-remorque sur l'autoroute A1, de Bern/Brünnen en direction de Mühleberg, lorsque son camion a dérapé sur la chaussée mouillée et heurté la berme centrale à proximité de la jonction de Bern/Brünnen. Le rapport de police a conclu que X.________ s'était brièvement endormi peu après être entré sur l'autoroute, si bien que son camion avait dévié sur la gauche avant de heurter la glissière de sécurité. Les auteurs du rapport de police fondaient cette conclusion sur les déclarations de l'intéressé, sur l'impression de fatigue qu'il leur avait donnée et sur l'absence de traces de dérapage sur la chaussée.
Par décision du 26 avril 2005, le juge d'instruction III de Bern-Mittelland (ci-après: le juge d'instruction) a condamné X.________ à une amende de 1'000 fr. pour perte de maîtrise (art. 31 al. 1 de la loi fédérale sur la circulation routière [LCR; RS 741.01]), conduite automobile en état d'incapacité (art. 31 al. 2, LCR) et transgression des prescriptions de l'ordonnance sur la durée du travail et du repos des conducteurs professionnels de véhicules automobiles (OTR 1; RS 822.221). L'intéressé n'a pas été entendu ni invité à se déterminer dans le cadre de cette procédure. Il n'a pas contesté cette décision.
B.
Par courrier du 19 août 2005 - dont aucune copie ne figure au dossier - le Service des automobiles et de la navigation du canton de Vaud (ci-après: le SAN) aurait informé X.________ qu'un retrait de permis était envisagé au motif que celui-ci avait perdu la maîtrise de son véhicule en raison d'un assoupissement. X.________ a répondu par lettre du 25 août 2005; il contestait s'être assoupi et alléguait que l'accident était dû à un problème technique de son camion. Par décision du 23 février 2006, le SAN a ordonné le retrait du permis de conduire de X.________ pour une durée de trois mois. Il relevait que celui-ci avait été condamné pour « perte de maîtrise en raison d'un état de fatigue avancé » et il qualifiait la faute de grave au sens de l'art. 16c LCR.
X.________ a recouru contre cette décision devant le Tribunal administratif du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal administratif), qui l'a entendu lors d'une audience du 25 janvier 2007. Il s'est exprimé sur le déroulement de l'accident, en expliquant qu'il avait senti un blocage des roues arrières du véhicule tracteur et que son camion était soudainement parti en dérapage. Il affirmait en outre qu'il ne se sentait pas fatigué au moment de l'accident. De plus, il venait de décharger de la marchandise dans une centrale à moins de cinq minutes de l'entrée de l'autoroute, de sorte qu'il lui semblait impossible de s'endormir sur une si courte distance. Par arrêt du 7 février 2007, le Tribunal administratif a partiellement admis le recours et a réformé la décision du SAN en ce sens que la durée du retrait de permis était ramenée à un mois. En substance, le tribunal a considéré que le dossier ne contenait pas suffisamment d'éléments pour retenir que X.________ s'était assoupi au volant et que l'on ne pouvait lui reprocher qu'une infraction de moyenne gravité au sens de l'art. 16b al. 1 let. a LCR.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'Office fédéral des routes demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de prononcer un retrait de permis pour une durée de trois mois. Il se plaint d'un établissement inexact des faits et invoque une violation du droit fédéral. Le Tribunal administratif se réfère à l'arrêt attaqué et conclut au rejet du recours. Le SAN déclare se rallier aux conclusions du recourant. X.________ s'est déterminé; il conclut au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La décision attaquée ayant été rendue après le 1er janvier 2007, la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110) est applicable à la présente procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).
2.
La voie du recours en matière de droit public, au sens des art. 82 ss LTF, est en principe ouverte contre les décisions prises en dernière instance cantonale au sujet de mesures administratives de retrait du permis de conduire. L'Office fédéral des routes a la qualité pour recourir (art. 89 al. 2 let. a LTF en relation avec l'art. 10 al. 4 de l'ordonnance du 6 décembre 1999 sur l'organisation du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication [RS 172.217.1]). L'office recourant reproche au Tribunal administratif de s'être écarté de manière inadmissible des faits constatés par le juge pénal, en contradiction avec la jurisprudence selon laquelle l'autorité administrative statuant sur un retrait de permis en application des art. 16 ss LCR est en principe liée par les faits retenus dans le jugement pénal. Il se plaint donc d'une violation du droit fédéral au sens de l'art. 95 let. a LTF. Les autres conditions de recevabilité du recours étant réunies, il y a lieu d'entrer en matière.
3.
L'office recourant reproche au Tribunal administratif de s'être écarté de manière inadmissible des faits retenus par le juge d'instruction dans sa décision du 26 avril 2005. Sur la base de cette décision et du rapport de police, il aurait dû retenir que l'intimé s'était endormi au volant.
3.1 Selon la jurisprudence, les autorités administratives appelées à prononcer un retrait du permis de conduire ne peuvent en principe pas s'écarter des constatations de fait d'un jugement pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d'éviter que l'indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits (ATF 109 Ib 203 consid. 1 p. 204; 96 I 766 consid. 4 p. 774). L'autorité administrative ne peut s'écarter du jugement pénal que si elle est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de fait inconnues du juge pénal ou qui n'ont pas été prises en considération par celui-ci, s'il existe des preuves nouvelles dont l'appréciation conduit à un autre résultat, si l'appréciation à laquelle s'est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés, ou si le juge pénal n'a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104; 119 Ib 158 consid. 3c/aa p. 164; 105 Ib 18 consid. 1a p. 19; 101 Ib 270 consid. 1b p. 273 s.; 96 I 766 consid. 5 p. 774 s.).
Le champ d'application de ce principe a progressivement été étendu, la jurisprudence ayant considéré qu'il pouvait s'appliquer non seulement lorsque le jugement pénal a été rendu au terme d'une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés, mais également, à certaines conditions, lorsque la décision a été rendue à l'issue d'une procédure sommaire (Strafbefehlsverfahren), même si la décision pénale se fonde uniquement sur le rapport de police. Il en va notamment ainsi lorsque la personne impliquée savait ou aurait dû prévoir, en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, qu'il y aurait également une procédure de retrait de permis. Dans cette situation, la personne impliquée est tenue, en vertu des règles de la bonne foi, de faire valoir ses moyens dans le cadre de la procédure pénale (sommaire), le cas échéant en épuisant les voies de recours à sa disposition. Elle ne peut pas attendre la procédure administrative pour exposer ses arguments (ATF 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104; 121 II 214 consid. 3a p. 217 s.).
3.2 En l'occurrence, la décision du juge d'instruction du 26 avril 2005 a été rendue à la suite d'une procédure sommaire, sans audition de l'intimé, et elle repose exclusivement sur le rapport de la police cantonale bernoise du 16 février 2005. Cette décision est exempte de constatation de faits et se borne à mentionner les trois infractions retenues, à savoir la conduite en état d'incapacité (« Fahren in fahrunfähigem Zustand »), la perte de maîtrise (« Nichtbeherrschen des Fahrzeugs ») et la transgression des prescriptions de l'OTR 1.
Il est vrai que l'intimé n'a pas contesté cette décision, mais il convient de relever qu'il ne parle pas l'allemand et qu'il n'était pas assisté d'un avocat. Dans la mesure où il n'a pas d'antécédents, il pouvait donc croire de bonne foi que l'amende de 1'000 fr. était la sanction appropriée pour la faute qu'il reconnaît avoir commise en perdant la maîtrise de son véhicule. De plus, comme le reproche d'un assoupissement au volant ne ressort pas de la décision litigieuse, on ne pouvait exiger de l'intimé qu'il fasse valoir ses moyens dans la procédure pénale en contestant cette décision. Ce n'est en effet que dans la cadre de la procédure administrative qu'il a appris qu'un retrait de permis était envisagé en raison d'un assoupissement.
Dans ces circonstances, le Tribunal administratif pouvait considérer que le dossier ne contenait pas suffisamment d'éléments pour retenir un assoupissement et on ne saurait lui reprocher d'avoir donné à l'intéressé l'occasion de s'exprimer sur cette question. Or, les explications données par celui-ci lors de l'audience du 25 janvier 2007 constituent des éléments nouveaux, qui peuvent permettre au juge administratif de s'écarter des constatations de fait du juge pénal. L'office recourant ne saurait être suivi lorsqu'il affirme que les déclarations de l'intimé faites immédiatement après l'accident ont plus de poids. Ces déclarations sont en effet sommaires et l'intimé était encore vraisemblablement sous le choc de l'accident lorsqu'il a répondu aux agents de police, ces derniers ayant en outre retranscrit ses paroles en les traduisant en allemand. On ne voit dès lors pas pour quels motifs cet élément devrait primer sur les explications que l'intimé a données directement au Tribunal administratif.
Par conséquent, les règles jurisprudentielles exposées ci-dessus ne s'opposaient pas à ce que le juge administratif fasse usage de son indépendance à l'égard du juge pénal dans le cas d'espèce et le Tribunal administratif n'a pas violé le droit fédéral en appréciant lui-même les faits sur la base des nouveaux éléments recueillis.
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Il n'y a pas lieu de percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). L'intimé, assisté d'un avocat, a droit à des dépens, à la charge de l'Office fédéral des routes (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de 2000 fr. est allouée à l'intimé à titre de dépens, à la charge de la Confédération (Office fédéral des routes).
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Service des automobiles et de la navigation et au Tribunal administratif du canton de Vaud.
Lausanne, le 27 août 2007
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: