BGE 132 IV 57
 
8. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause X. contre Y. ainsi que Cour de justice du canton de Genève (recours de droit public et pourvoi en nullité)
 
6P.126/2005 / 6S.401/2005 du 22 décembre 2005
 
Regeste
Art. 251 StGB; Fälschung.
 
Sachverhalt


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Au début de l'année 2003, Y. a fait la connaissance et s'est liée d'amitié avec X., qui se faisait appeler Z. et qui l'a touchée en lui décrivant une vie difficile, avec un fils à charge qu'elle avait dû élever seule. Elle a aussi rencontré en sa compagnie un homme de race noire nommé A., dont elle ignorait qu'il était son mari et qui conduisait parfois sa voiture, une Opel de couleur blanche.
X. lui a montré une carte d'identité française au nom de Z., portant sa photo ainsi que l'indication d'un domicile à B., en France, et lui en a remis une copie. Elle lui a également donné une carte de visite portant ces mêmes nom et adresse et lui a dit gagner un salaire mensuel de 6'000 francs en travaillant auprès de la fiduciaire C., à Genève.
Y., d'origine serbe, avait à cette époque peu de connaissances en Suisse, où elle vivait depuis juin 1999, et ne parlait ni ne comprenait très bien le français.
En décembre 2003, X. a dit à son amie avoir un besoin impératif d'argent pour entreprendre des travaux dans sa maison. Y. a alors

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accepté de lui prêter la somme nécessaire, soit 12'500 francs le 10 décembre 2003 et 2'000 francs le 16 décembre 2003, contre la promesse d'un remboursement rapide à une date indéterminée.
Chacune des parties a signé deux attestations datées du 10 décembre 2003, l'une portant sur la somme de 25'000 francs et l'autre sur un montant réduit à 20'000 francs. Selon ce second document, X. s'engageait à rembourser 20'000 francs à Y. en nature, soit par le biais de travaux. Cette dernière a expliqué n'avoir pas du tout compris le sens de cette attestation, confondant avec les travaux sur sa propre maison dont lui a parlé son amie, et persuadée qu'elle serait remboursée en espèces, comme convenu.
Par la suite, sans nouvelles de X., Y., avec son cousin, D., a cherché à la retrouver grâce à la copie de la carte d'identité en sa possession. Ils ont alors découvert, avec l'aide des autorités françaises, que le nom et l'adresse donnés étaient faux.
Finalement, ils ont retrouvé X. au Café E., attablée en compagnie de son mari et d'un autre homme. Lorsque Y. lui a parlé du prêt, son amie lui a répondu qu'elle ne la connaissait pas et a voulu quitter les lieux, raison pour laquelle la première a appelé la police. Dans l'intervalle, les deux compagnons de X. se sont éclipsés en emportant les documents se trouvant sur leur table, non sans que Y. parvînt à leur subtiliser la copie d'une autre carte d'identité française portant la photo de X., cette fois sous le nom de F.
Le 31 janvier 2004, Y. a déposé une plainte pénale contre X.
Par ordonnance du 15 novembre 2004, le Juge d'instruction du canton de Genève a condamné X., pour escroquerie et faux dans les titres, à quatre mois d'emprisonnement, sous déduction de la détention préventive.
Statuant sur opposition et par jugement du 11 avril 2005, le Tribunal de police genevois a acquitté X. des chefs d'escroquerie et de faux dans les titres. Il a retenu pour l'essentiel qu'il n'était pas établi que les parties se connaissaient et que les conclusions de l'expertise graphologique n'étaient pas suffisamment convaincantes pour admettre sans doute possible que X. était bien la signataire, sous le faux nom de Z., des attestations émises au moment du prêt litigieux.
Par arrêt du 19 septembre 2005, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise a annulé le jugement susmentionné, condamné

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X., pour faux dans les titres et escroquerie, à six mois d'emprisonnement, sous déduction de la détention préventive, et ordonné la révocation du sursis accordé le 28 novembre 2001 par le Tribunal de police de Genève à la peine de quinze mois d'emprisonnement, sous déduction de la détention préventive. Elle l'a également condamnée à rembourser à Y. la somme de 14'500 francs avec intérêts à 5 % dès le 16 décembre 2003.
X. dépose un recours de droit public, pour arbitraire et violation du principe in dubio pro reo, ainsi qu'un pourvoi en nullité, pour violation des art. 110 ch. 5, 146 et 251 CP. Dans ses deux mémoires, elle conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal, requiert l'assistance judiciaire et l'effet suspensif.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public et le pourvoi en nullité.
 
Extrait des considérants:
II. Pourvoi en nullité
Pour la recourante, ces documents ne constituent pas des titres au sens de l'art. 110 ch. 5 CP et sa condamnation pour violation de l'art. 251 CP viole le droit fédéral.
5.1 Les infractions du droit pénal relatif aux titres protègent la confiance qui, dans les relations juridiques, est placée dans un titre comme moyen de preuve. C'est pourquoi parmi les titres on ne trouve notamment que les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique (art. 110 ch. 5 al. 1 CP). Le caractère de titre d'un écrit est relatif. Par certains aspects, il peut avoir ce caractère, par d'autres non. Un écrit constitue un titre en vertu de cette disposition s'il se rapporte à un fait ayant une portée juridique et s'il est destiné et propre à prouver le fait qui est faux. La destination à prouver peut résulter directement de la loi, mais aussi du sens ou de la nature du document; quant à l'aptitude à prouver, elle peut être déduite de la loi ou des usages commerciaux (cf. ATF 126 IV 65 consid. 2a p. 67 et les références citées).
Selon l'art. 251 ch. 1 CP sera puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l'emprisonnement celui qui, dans le dessein de porter

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atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre.
Cette disposition vise aussi bien un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), qu'un titre mensonger (faux intellectuel).
5.1.1 Il y a faux matériel lorsque une personne fabrique un titre dont l'auteur réel ne coïncide pas avec l'auteur apparent. Le faussaire crée un titre qui trompe sur l'identité de celui dont il émane en réalité (ATF 128 IV 265 consid. 1.1.1 p. 268 et les références citées). En principe, il importe peu que le nom utilisé soit connu, appartienne à un tiers, soit fictif, que le faussaire se soit déjà fait connaître, avant la signature du titre, sous son faux nom auprès de la partie adverse ou qu'il le signe en présence de cette dernière (G. GRIBBOHM, StGB, Leipziger Kommentar, Grosskommentar, 11e éd., § 267 n. 163 et 165; P. CRAMER, in A. Schönke/H. Schröder, Strafgesetzbuch, Kommentar, 26e éd., § 267 n. 49). Il est également sans importance de savoir si le contenu d'un tel titre est mensonger ou non (ATF 123 IV 17 consid. 2 p. 21).
Ainsi, il n'y a en principe pas de création d'un titre faux si l'auteur signe du nom d'autrui avec l'accord de cette personne, et cela même en cas de représentation dite cachée, l'auteur apparent du titre coïncidant alors avec l'auteur réel, soit le représenté, qui veut le titre quant à son existence et à son contenu; restent cependant réservés les cas des titres qui doivent être établis personnellement (ATF 128 IV 265 consid. 1.1.2 et 1.1.3 p. 268 s. et les références citées).
Il n'y a pas non plus de création d'un titre faux si l'auteur signe de son nom d'artiste, de son pseudonyme ou de son nom d'emprunt, qu'il est connu ou se fait connaître sous ce nom et qu'il ne résulte aucune tromperie sur l'identité du signataire (M. BOOG, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, n. 11 ad art. 251 CP; G. STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, BT II, § 36 n. 10; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, n. 62 ad. art. 251 CP; A. DONATSCH/ W. WOHLERS, Strafrecht IV, Delikte gegen die Allgemeinheit, 3e éd., p. 146; G. GRIBBOHM, op. cit., § 267 n. 172).


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Certains auteurs nient encore qu'il puisse y avoir un faux dans les titres lorsqu'une des parties n'est pas intéressée par le nom donné par son cocontractant, mais veut uniquement conclure avec son vis-à-vis, comme par exemple l'hôtelier avec ses hôtes; dans ces cas, le nom est sans importance pour l'identité de l'auteur (G. STRATENWERTH, op. cit., § 36 n. 10; cf. G. GRIBBOHM, op. cit., § 267 n. 163 et K. KÜHL, in K. Lackner/K. Kühl, Strafgesetzbuch mit Erläuterungen, 24e éd., § 267 n. 18). D'autres admettent en revanche que ces cas constituent également des faux dans les titres (M. BOOG, op. cit., n. 12 ad art. 251 CP; cf. P. CRAMER, in A. Schönke/H. Schröder, Strafgesetzbuch, Kommentar, 26e éd., § 267 n. 48).
5.1.3 Dans un arrêt non publié, le Tribunal fédéral a jugé que la signature apposée à un contrat ou à un titre semblable devait permettre de retrouver sans difficulté les parties en cause au cas où le document en question devait être administré comme moyen de preuve dans le cadre, par exemple, d'une poursuite pour dettes ou d'un procès civil. Il a par conséquent admis qu'il y a faux dès qu'il y a tromperie sur le nom et que l'ignorance de l'identité véritable de l'auteur du titre empêche le cocontractant de faire valoir ses droits (arrêt du Tribunal fédéral 6S.193/1988 du 16 juin 1988 cité et approuvé par: M. BOOG, op. cit., n. 12 ad art. 251 CP; cf. P. CRAMER, in A. Schönke/H. Schröder, op. cit., § 267 n. 48). En revanche, il est vrai que les cas où l'identité de l'auteur du titre n'a absolument aucune importance pour les parties ne sauraient tomber sous le coup de la loi pénale.
Dans un ATF 106 IV 372, le Tribunal fédéral a admis que l'inculpé qui se présentait et signait un procès-verbal d'audition du nom d'un tiers ne commettait pas un faux dans les titres, relevant qu'un tel document n'émanait pas de la personne interrogée mais du fonctionnaire qui tenait le procès-verbal et que le prévenu n'avait pas trompé, ni voulu tromper autrui sur la réalité de son interrogatoire. Comme l'a précisé l'autorité de céans dans son arrêt du 16 juin 1988 (cf. ci-dessus), ce cas se distingue cependant de la signature de titres où la véritable identité de leur auteur a une portée plus large, en particulier pour les intérêts des autres parties en cause.
5.2 Selon les constatations cantonales, la recourante a signé d'un faux nom deux "attestations" dans lesquelles elle reconnaissait devoir effectuer des travaux pour des montants précis chez l'intimée. Ce faisant, elle a trompé cette dernière sur l'identité de la personne

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qui s'obligeait, l'empêchant pratiquement de faire valoir ses droits dans d'éventuelles poursuites ou procédures civiles. Le fait qu'elle se soit toujours présentée sous le même nom fictif auprès de la partie adverse et ce durant environ une année est sans importance. Du reste, la situation est comparable à celle décrite dans l'arrêt du 16 juin 1988 et il n'existe aucun motif de s'en écarter (cf. supra, consid. 5.1.3). En effet, dans ce dernier cas, le Tribunal fédéral avait admis que l'auteur avait créé de faux matériels en apposant un faux nom sur des chèques, un ordre de virement bancaire et des quittances. Partant, la recourante a bien créé de faux documents, l'auteur réel ne coïncidant pas avec l'auteur apparent.
Ces "attestations" ont été établies sous forme d'écrits. Comme il s'agit de la création de faux documents, la conception restrictive de la jurisprudence en matière de faux intellectuel ne s'applique pas et il convient uniquement d'examiner si ces lettres sont destinées et propres à prouver un fait ayant une portée juridique. Les documents litigieux, établis sur papier à l'en-tête de Z., mentionnent que celle-ci s'engage à effectuer des travaux pour le compte de l'intimée pour un montant de 25'000 francs, puis de 20'000 francs. Il s'agit bien de titres, ces attestations étant destinées et propres à prouver l'existence d'un engagement de la part de Z. envers l'intimée.
D'un point de vue subjectif, il ressort des circonstances et des faits décrits que la recourante a agi intentionnellement et dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires de l'intimée.