BGE 107 III 20
 
6. Arrêt de la Chambre des poursuites et des faillites du 8 janvier 1981 dans la cause Perret (recours LP)
 
Regeste
Freihändiger Verkauf (Art. 130 Ziff. 1 SchKG).
 
Sachverhalt


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A.- Monique Avramidis et Robert Perret avaient acheté en commun le fonds de commerce d'un café-restaurant exploité à l'enseigne de la Taverne grecque, dans des locaux appartenant à la Société immobilière Escaliers du Marché 5 S.A. Le 26 janvier 1979, Monique Avramidis reconnut, dans un acte intitulé transaction, que Perret était seul propriétaire de tout le fonds de commerce.
La société Escaliers du Marché 5 S.A. fit ouvrir contre Monique Avramidis, qui n'avait plus de domicile connu et était représentée par son curateur Philippe Jordan, une poursuite en paiement de 5'552 fr. 40 correspondant aux loyers dus pour la période du 1er avril au 30 juin 1979. Le 19 juin 1979, sur requête de la créancière, l'Office des poursuites de Lausanne-Est dressa inventaire de divers biens, estimés à l'865.- fr., qui se trouvaient dans les locaux de la Taverne grecque. Perret revendiqua les objets inventoriés. La créancière persista à se prévaloir de son droit de rétention. Le 26 juillet 1979, elle requit la vente des

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objets en cause. Le 3 août, l'Office impartit à Perret un délai de dix jours pour intenter à la créancière une action tendant à faire écarter son droit de rétention. Perret n'ouvrit pas action.
Entre-temps, le 5 juillet 1979, la société immobilière créancière avait remis le café-restaurant de la Taverne grecque à Tina Hernandez pour le prix de 95'000.- fr., la vente comprenant notamment le mobilier et le matériel d'exploitation. Elle s'était engagée envers l'acheteuse à lui remplacer tous les objets qui pourraient être enlevés ensuite de revendications exercées par des tiers.
Le 10 janvier 1980, Perret proposa à l'Office des poursuites de lui acheter de gré à gré les objets inventoriés; il offrit 2'500.- fr. La créancière s'y opposa. L'Office décida d'organiser une vente aux enchères et précisa à Perret qu'il lui en communiquerait la date. Les enchères qui avaient été fixées au 17 mars furent renvoyées sur requête de la créancière. Le 27 mars, la créancière s'entendit avec le curateur de la débitrice pour acquérir les biens inventoriés au prix de 6'200.- fr. Le 1er avril, l'Office des poursuites, qui se fondait sur l'art. 130 ch. 1 LP, vendit ces biens de gré à gré à la créancière pour 6'200.- fr. Perret n'eut connaissance de la vente qu'après sa conclusion.
B.- Le 12 mai 1980, Robert Perret a porté plainte contre l'Office des poursuites de Lausanne-Est et demandé l'annulation de la vente de gré à gré du 1er avril 1980.
Le Président du Tribunal du district de Lausanne a déclaré la plainte irrecevable parce que tardive.
Statuant sur recours le 14 octobre 1980, la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud a réformé la décision de l'autorité inférieure de surveillance en ce sens qu'elle a déclaré la plainte recevable et l'a rejetée.
C.- Robert Perret a interjeté un recours au Tribunal fédéral. Il reprend les conclusions qu'il a formulées en procédure cantonale et demande l'allocation de dépens.
La Société immobilière Escaliers du Marché 5 S.A. et le curateur de Monique Avramidis proposent le rejet du recours.
 
Considérant en droit:
a) La loi reconnaît au tiers propriétaire la position d'une véritable partie dans la procédure ordinaire en réalisation du gage (ATF 73 III 98, ATF 42 III 315 ss). Elle prescrit notamment qu'un exemplaire du commandement de payer lui soit notifié et elle lui donne la faculté de former opposition à la poursuite (art. 153 al. 2 et 4 LP). La jurisprudence a étendu l'application de ces normes au tiers propriétaire d'une chose grevée d'un droit de rétention selon les art. 895 ss CC (ATF 73 III 97 ss). Elle n'a en revanche pas accepté de le faire pour le tiers propriétaire des objets soumis au droit de rétention du bailleur, et elle revoie ce tiers à faire valoir tous ses moyens dans la procédure de revendication (ATF 104 III 27 consid. 2; ATF 96 III 69 s.; ATF 70 II 226 ss; ATF 44 III 107 ss); elle s'est, sur ce point, heurtée aux critiques de la doctrine (BRAND, FJS no 1093 p. 12 s.; FRITZSCHE, Schuldbetreibung und Konkurs, 2e éd., t. 2 p. 254 s.; C. SCHELLENBERG, Die Rechtsstellung des Dritteigentümers in der Betreibung auf Pfandverwertung, p. 158 ss). La Chambre de céans n'a pas en l'espèce à réexaminer le bien-fondé de sa jurisprudence. Car même si l'on refuse la position de partie au tiers propriétaire des objets frappés d'un droit de rétention selon les art. 272 ss CO, on ne peut contester qu'il est, d'une manière générale, intéressé à la poursuite, en particulier à la procédure de la réalisation. Le tiers propriétaire a notamment un intérêt spécial et légitime à pouvoir participer à une vente aux enchères publiques, soit pour se porter acquéreur de biens qu'il entend conserver, soit pour éviter qu'ils ne soient bradés. Cette faculté ne saurait lui être ôtée sans son accord. On doit dès lors, en conformité de l'art. 130 ch. 1 LP, tenir son

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consentement pour indispensable à une vente de gré à gré. Et il y a d'autant plus de raison de le faire en l'espèce que le recourant a manifesté par des actes son désir d'acheter les biens à réaliser, et que l'Office lui a promis de l'aviser de la date choisie pour la vente aux enchères.
b) L'Office a imparti au recourant un délai de dix jours pour intenter à la créancière bailleresse une action tendant à faire écarter son droit de rétention. Le recourant n'a pas agi dans le délai fixé. On ne peut toutefois, comme l'a fait l'autorité cantonale, considérer qu'il a perdu par là la qualité de personne intéressée à la réalisation, au sens de l'art. 130 ch. 1 LP. Le droit de rétention peut en effet frapper des choses qui appartiennent à des tiers, quand le bailleur a ignoré et ne pouvait savoir qu'elles n'étaient pas la propriété du preneur (art. 273 al. 1 CO). Le tiers revendiquant qui n'ouvre pas action contre le bailleur reconnaît l'existence du droit de rétention invoqué et renonce à contester la bonne foi de son bénéficiaire. On ne peut en revanche en déduire que ce tiers cesse de se tenir pour propriétaire et accepte de ne plus être traité comme tel. Il reste donc intéressé à la réalisation, selon l'art. 130 ch. 1 LP, à moins que le débiteur ne conteste victorieusement la revendication de propriété sur les objets inventoriés.
Lorsque les biens revendiqués sont en possession du débiteur, ce qui est généralement le cas d'objets inventoriés, l'office ne doit pas seulement inviter le bailleur à déclarer s'il maintient sa prétention à un droit de rétention. Il est tenu d'assigner également au débiteur un délai de dix jours pour se déterminer sur la revendication (art. 106 al. 2, art. 155 al. 1 et art. 37 al. 2 LP). Si le débiteur la conteste, l'office doit, en conformité de l'art. 107 al. 1 LP, inviter le tiers à faire valoir ses droits en justice dans les dix jours (ATF 96 III 70 consid. 1b). Le tiers revendiquant qui omet alors d'ouvrir action contre le débiteur est réputé renoncer à sa prétention et perd la qualité d'intéressé au sens de l'art. 130 ch. 1 LP. Il la conserve en revanche tant que l'office n'a pas introduit la procédure de revendication ou que le litige n'est pas définitivement réglé. La solution contraire pourrait causer un dommage irréparable au tiers en le privant définitivement de la faculté, reconnue au propriétaire du gage, de participer à la vente aux enchères.
En l'espèce, la débitrice Monique Avramidis avait, dans un acte intitulé transaction, reconnu la propriété du recourant sur

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tout le fonds de commerce de la Taverne grecque. L'arrêt attaqué ne précise pas si l'Office des poursuites l'a invitée, elle ou son curateur, à se déterminer sur les prétentions du recourant. L'omission d'introduire la procédure de revendication ne saurait toutefois porter préjudice au recourant, qui a régulièrement annoncé ses droits. Il ne ressort ni des faits retenus par l'autorité cantonale ni des pièces du dossier qu'un délai ait été imparti au recourant, en application de l'art. 107 LP, pour faire reconnaître ses droits contre la débitrice. Une déchéance ne se présume pas. Le recourant a donc conservé la qualité d'intéressé, au sens de l'art. 130 ch. 1 LP, et les objets inventoriés ne pouvaient être vendus sans son consentement.
La vente aux enchères et la vente de gré à gré ne peuvent plus être attaquées par la voie de la plainte lorsque l'adjudicataire ou l'acheteur ont entre-temps revendu les biens à un tiers de bonne foi, dont le titre de propriété apparaît incontestable (ATF 73 III 141). L'annulation de l'acte de réalisation serait en effet privée de toute portée pratique. Si par contre des doutes peuvent raisonnablement subsister sur la validité de l'acquisition faite par le tiers, la vente aux enchères ou de gré à gré doit être annulée; avant de réaliser de nouveau les biens litigieux, l'office est alors tenu d'introduire une procédure de revendication dans laquelle le tiers acquéreur pourra faire valoir ses droits. Or ni les faits retenus dans l'arrêt attaqué ni les pièces du dossier ne permettent en l'espèce de statuer avec certitude sur la validité et les effets de la revente des biens inventoriés.
Par ces motifs, la Chambre des poursuites et des faillites:
1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué dans la mesure où il rejette la plainte déposée par Robert Perret le 12 mai 1980.
2. Annule la vente de gré à gré attaquée par la voie de la plainte susmentionnée.