BGE 104 II 317
 
56. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 12 décembre 1978 dans la cause X. et Y. contre A. et B.
 
Regeste
Widerruf des Auftrages.
 
Sachverhalt


BGE 104 II 317 (318):

En février 1969, les architectes A. et B. ont proposé à X. et Y. un terrain en vue de la construction d'un immeuble locatif, projet qui nécessitait la création d'un chemin d'accès. Après l'acquisition du terrain par X. et Y., A. et B. ont été chargés des travaux d'architecture selon contrat du 23 janvier 1970, qui se référait au règlement de la Société suisse des ingénieurs et architectes (SIA) No 102, concernant les travaux et honoraires des architectes. L'ouverture du chantier a eu lieu en mai 1970.
Des difficultés ayant surgi au sujet notamment du chemin d'accès, X. et Y. ont résilié le 9 juillet 1970 le mandat des architectes en ce qui concerne la construction de ce chemin. Le 13 octobre 1970, ils ont mis fin pour le surplus à ce mandat, avec effet immédiat.
Le 25 novembre 1970, les architectes A. et B. ont adressé à X. et Y. leur note d'honoraires et frais qui s'élevait à 81'028 fr. 70, y compris les majorations prévues aux art. 8 1 (indemnité de résiliation) et 5.5 (droit d'auteur) du règlement SIA 102, éd. 1969; après déduction des acomptes versés, le solde dû se montait à 28'428 fr. 70. X. et Y. ont contesté la note et fait des réserves sur les conséquences d'erreurs professionnelles graves des architectes.
Après une expertise hors procès, X. et Y. ont ouvert action contre les architectes A. et B. en paiement de 100'000 fr. à titre de dommages-intérêts.


BGE 104 II 317 (319):

Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande et, reconventionnellement, au paiement de 25'000 fr. avec intérêt.
Par jugement du 6 septembre 1977, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a condamné les défendeurs, solidairement, à payer aux demandeurs 1'363 fr. 40 avec intérêt à 5% dès le 14 juin 1973 et rejeté toutes autres conclusions. Elle considère notamment que les défendeurs n'ont pas commis de faute grave et que leur responsabilité n'est dès lors pas engagée selon l'art. 6 du règlement SIA 102, éd. 1969, à l'exception de frais dont ils ont admis de répondre.
Les deux parties ayant recouru en réforme, le Tribunal fédéral a rejeté le recours des défendeurs et admis partiellement celui des demandeurs. Il a réformé le jugement attaqué en ce sens que les défendeurs doivent payer solidairement aux demandeurs la somme de 11'957 fr. 60 avec intérêt à 5% dès le 14 juin 1973.
 
Extrait des considérants:
5. Le règlement SIA 102 concernant les travaux et honoraires des architectes, édition de 1969, prévoit sous la rubrique "droits d'auteur" que lorsque, sans accord préalable avec l'auteur d'un projet, le maître en confie l'exécution à un autre architecte, à un tiers ou qu'il s'en charge lui-même, les honoraires de l'auteur, relatifs aux prestations accomplies, seront majorés de 20% (art. 5 5). Il dispose en outre, sous le titre "révocation du mandat par le maître", que si le maître révoque le mandat sans que l'architecte ait commis une faute, celui-ci a droit aux honoraires correspondant aux prestations accomplies, calculés selon le règlement et majorés de 15%, ou plus si le dommage que peut prouver l'architecte dépasse ce supplément (art. 8 1); si la suite de l'exécution est confiée à un autre architecte ou à un tiers, ou si le maître s'en charge lui-même, la majoration prévue par l'art. 5 5 vient s'ajouter à celle que prévoit l'al. 1
Le Tribunal cantonal considère que le droit d'auteur des défendeurs n'a en aucune façon été atteint du fait de l'utilisation des plans postérieurs à la rupture du mandat par les demandeurs, et que la majoration de 20% prévue par l'art. 5 du règlement SIA 102 ne peut dès lors être justifiée par une violation de la protection de l'oeuvre intellectuelle de l'architecte;

BGE 104 II 317 (320):

cette majoration représente plutôt une sorte d'indemnité pour rupture de mandat ne différant guère quant à sa nature de celle prévue par l'art. 8 dudit règlement. Les premiers juges considèrent toutefois comme prohibitif et incompatible avec l'art. 404 CO le supplément de 35% des honoraires correspondant aux prestations accomplies, qui résulterait du cumul des causes de majoration prévues par les art. 5.5 et 8.1; appliquant par analogie l'art. 163 CO, ils ramènent ce supplément à 20%, ce qui représente un montant de 10'594 fr. 20.
Les demandeurs concluent à la suppression de toute majoration. Ils font valoir d'une part que "l'indemnisation automatique porte en soi la négation de la règle fondamentale de la libre révocabilité du mandat et viole un principe impératif du droit fédéral", d'autre part, que les défendeurs ne sont nullement exempts de faute et ne peuvent dès lors prétendre au supplément réclamé.
a) Le Tribunal cantonal considère avec raison que, par le contrat d'architecte conclu entre les parties, les défendeurs ont transféré aux demandeurs le droit d'exploiter leur oeuvre, au moins en vue d'un seul usage conforme au projet, et que ce droit n'a ainsi en aucune façon été lésé, cela d'autant moins que l'idée créatrice s'est concrétisée dans des plans, projets, études de détail et dessins d'exécution pour lesquels leurs honoraires conventionnels ont été admis. Les défendeurs se rallient d'ailleurs expressément au jugement déféré dans la mesure où il a considéré l'indemnité prévue par l'art. 5.5 du règlement SIA 102 comme "une sorte d'indemnité de rupture de mandat" et en a apprécié le sort avec celui de la majoration de 15% pour révocation du mandat visée par l'art. 8.1 dudit règlement.
b) Selon cet art. 8.1, l'architecte n'a droit à la majoration d'honoraires prévue en cas de révocation par le maître que s'il n'a pas commis de faute. De même, l'indemnité accordée par l'art. 404 al. 2 CO à la partie victime d'une révocation en temps inopportun suppose que celle-ci n'a pas enfreint ses obligations contractuelles, ni fourni au révoquant un motif justifiant la résiliation (" sachlich vertretbarer Grund ") (OSER/SCHÖNENBERGER, n. 8 ad art. 404; BECKER, n. 6 ad art. 404; GAUTSCHI, n. 17 c ad art. 404; GUHL/MERZ/KUMMER, p. 436 s.). Interprété selon le principe de la confiance, l'art. 8.1 du règlement SIA vise n'importe quelle faute, y compris celles qui ne sont pas génératrices de dommages-intérêts selon l'art. 6, applicable à la

BGE 104 II 317 (321):

responsabilité de l'architecte. L'exonération du mandataire pour les conséquences pécuniaires d'une certaine catégorie de fautes n'implique pas la renonciation du mandant à s'en prévaloir sur un autre plan. Quelques négligences, même légères, sont de nature à ruiner la confiance du mandant, surtout si elles ont entraîné pour lui des pertes d'argent. Or le Tribunal cantonal a retenu à la charge des défendeurs les fautes suivantes:
- erreurs affectant certaines cotations, d'où un préjudice de
1'940 fr. environ;
- retards ayant entraîné des frais supplémentaires, s'élevant
à 7'218 fr. 60;
- dépassement du devis à concurrence de 63'464 fr., soit
3,4%;
- choix erroné de l'emplacement de la citerne, à l'origine
d'un dommage de 14'363 fr.
Vu ces fautes imputables aux défendeurs dans l'exécution de leurs obligations contractuelles, le droit à une indemnité pour cause de révocation du mandat ne peut leur être reconnu ni selon l'art. 404 al. 2 CO, ni selon l'art. 8.1 du règlement SIA 102, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'argument tiré par les demandeurs de l'incompatibilité de cette dernière disposition avec le principe de la libre révocabilité du mandat. Le jugement déféré doit dès lors être réformé en tant qu'il alloue aux défendeurs la somme de 10'594 fr. 20 représentant le 20% de leurs honoraires, en raison de la révocation du mandat.