BGE 91 II 86
 
13. Arrêt de la IIe Cour civile du 8 avril 1965 dans la cause Schmid contre dame Nussbaumer.
 
Regeste
Ehescheidung. Güterrechtliche Auseinandersetzung. Art. 154 ZGB.
2. Eingebrachtes Gut des Ehemannes; Begriff (Erw. 2).
3. Gegenstand eines unentgeltlichen Erwerbes infolge von Erbgang. Wie verhält es sich mit einem Grundstück, das einem der Erben bei der Teilung ganz zugewiesen wurde gegen Übernahme der grundpfändlich gesicherten Schulden und Zahlung eines Ausgleichsbetrages an seinen Miterben? (Erw. 3 bis 5).
 
Sachverhalt


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A.- Kaspar Schmid et Lotte Nussbaumer se sont mariés le 4 octobre 1945 à Lucerne. Aucun enfant n'est issu de leur union.
Les jeunes époux continuèrent d'exploiter avec la mère et la soeur du mari le restaurant "Bethléem", à Lucerne, comme ils le faisaient depuis un an déjà. Dame Schmid-Peter mère, propriétaire de l'immeuble, décéda le 14 janvier 1946. Elle laissait comme héritiers son fils et sa fille Marie Küng-Schmid. Par contrat du 21 décembre 1946, intitulé "Auskaufsvertrag", Kaspar Schmid acquit la part de succession de sa soeur, moyennant paiement de 31 000 fr. Il lui céda en outre gratuitement un mobilier estimé à 1247 fr. Il devint ainsi seul propriétaire de tous les biens compris dans la succession, hormis le mobilier. Il se chargea de toutes les dettes successorales.
Le 11 novembre 1950, les époux, qui vivaient sous le régime ordinaire de l'union des biens, passèrent un contrat de mariage instituant entre eux le régime de la communauté des biens prévu aux art. 215 ss. CC. L'acte comprenait en outre un pacte successoral. Il disposait, à son art. 4: "En cas de dissolution de l'avoir matrimonial d'une autre façon que par la mort, les biens apportés en mariage écherront à chacun des époux, alors que le bénéfice éventuel sera partagé par moitié entre eux". La convention fut approuvée par l'autorité tutélaire, conformément à l'art. 181 al. 2 CC.
En 1953, le restaurant de Lucerne fut fermé sur ordre de l'autorité compétente. Le mari conserva néanmoins l'immeuble. Les époux s'établirent en 1955 à Territet, où ils exploitèrent un tea-room.
B.- En 1961, Kaspar Schmid introduisit une.action en divorce devant le Tribunal du district de Vevey.
Dame Schmid-Nussbaumer conclut au rejet de l'action et forma une demande reconventionnelle en divorce.
En cours d'instance, le tribunal confla au notaire André Bornand, à Montreux, une expertise comptable sur la liquidation du régime matrimonial. L'expert déposa un premier rapport

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le 29 août 1962 et un rapport complémentaire le 8 février 1963. Il établit notamment que l'immeuble du mari avait augmenté de valeur en cours de mariage. Sur le vu des conclusions de l'expert, les parties signèrent le 8 juillet 1963 une convention reconnaissant à l'épouse, à titre de restitution d'apports et de participation au bénéfice de l'union conjugale, la propriété des biens mobiliers en sa possession, les droits attachés à une police d'assurance sur la vie et une créance de 20 000 fr., respectivement 85 000 fr., si l'immeuble de Lucerne était considéré comme un apport du mari dans son entier ou pour une demie seulement. L'époux conservait la propriété des autres actifs et reprenait les dettes de l'union conjugale.
Statuant le 18 juin 1964, le Tribunal du district de Vevey prononça le divorce en application de l'art. 137 CC. Il interdit aux deux parties, coupables d'adultère, de se remarier dans le délai d'un an. Il ratifia la convention du 8 juillet 1963 et fixa la créance de l'épouse à 85 000 fr. Il considéra qu'après cession en lieu de partage, le mari était devenu seul propriétaire de l'immeuble de sa mère, moyennant paiement à sa soeur d'une soulte de 31 000 fr. La part de succession qui lui était échue à titre gratuit constituait un apport au sens de l'art. 195 CC, applicable par analogie. Quant à la part que sa soeur lui avait cédée contre paiement d'une soulte, elle ne représentait pas une succession, mais un patrimoine acquis à titre onéreux. Elle apparaissait dès lors comme un acquêt du mari, compris dans la masse des biens matrimoniaux à partager.
C.- Par arrêt du 30 novembre 1964, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois rejeta le recours de Kaspar Schmid, qui demandait la réduction à 20 000 fr. de la créance reconnue à son épouse. Sa décision est motivée en substance comme il suit:
La part du recourant sur l'immeuble dépendant de la succession de sa mère n'était que d'une demie. Postérieurement à la dévolution de la succession, il a acquis l'autre moitié moyennant reprise de la totalité des hypothèques grevant l'immeuble et paiement de 31 000 fr. à l'unique cohéritière. Il est sans importance que cette somme ait représenté une soulte successorale ou le prix d'une vente, et que le transfert de propriété ait eu lieu par accroissement de la part successorale du recourant à la suite d'une cession en lieu de partage ou par acquisition distincte d'une part indivise: en effet, s'agissant de calculer le

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bénéfice de l'union conjugale - ce qui est une opération comptable - le mode d'acquisition du droit de propriété n'est pas déterminant. Comme le recourant a repris la totalité des hypothèques grevant l'immeuble et payé ou remboursé la somme de 31 000 fr. au moyen des deniers conjugaux, il faut considérer que l'immeuble a été acquis pour moitié à titre onéreux en commun par les époux. Partant, dans le calcul du bénéfice de l'union conjugale, la part de l'immeuble que le recourant a acquis de sa soeur doit être comptée comme un bien commun et non comme un apport du mari. Il n'y a pas d'inconvénients pratiques à considérer un immeuble en partie comme un apport et en partie comme un bien commun: le rapport entre la part échue à titre gratuit et celle acquise à titre onéreux étant connu, il est aisé de répartir la plus-value intervenue en cours de mariage entre apports et biens communs.
D.- Contre cet arrêt, Kaspar Schmid recourt en réforme au Tribunal fédéral. Il persiste à demander que la créance de l'épouse dans la liquidation du régime matrimonial soit arrêtée à 20 000 fr. Il soutient, en bref, que l'immeuble litigieux constituait son lot dans la succession de sa mère et représente dès lors un apport du mari dans sa totalité. A son avis, l'actif successoral net s'élevait à 64 400 fr., conformément au rapport complémentaire de l'expert. Sa soeur aurait reçu les meubles estimés à 1200 fr. et la soulte de 31 000 fr., au total 32 200 fr. Il aurait reçu lui-même l'immeuble, grevé des dettes successorales et de la soulte, reprenant ainsi un actif net estimé à 32 200 fr. La soulte ayant été payée au moyen d'emprunts garantis par l'immeuble et amortis à concurrence de 30 000 fr. pendant le mariage, le recourant admet avec l'expert qu'il doit une récompense de ce montant à la masse commune.
Dame Schmid-Nussbaumer, intimée, conclut au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
1. En cas de divorce, chaque époux reprend son patrimoine personnel, c'est-à-dire ses biens propres (Eigengut), quel qu'ait été le régime matrimonial (art. 154 al. 1 CC). Dans le régime de la communauté des biens, que les parties ont adopté par contrat de mariage, chacun des conjoints reprend ses apports, qui étaient fondus dans la masse des biens communs et dont l'existence juridique n'était que latente (cf. LEMP,

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n. 25 ad art. 215 CC). Le contrat de mariage passé en l'espèce confirme la réglementation légale, à laquelle il ne pourrait du reste déroger sur ce point. Quant au bénéfice de l'union conjugale, il est réparti entre les époux conformément aux règles de leur régime (art. 164 al. 2 CC).
2. La loi définit seulement les apports de la femme dans le régime de l'union des biens (art. 195 CC). Mais la jurisprudence admet que la définition légale vaut aussi pour les apports du mari (RO 50 II 433, 75 II 276). Aux termes de l'art. 195 CC, les apports d'un conjoint sont les biens matrimoniaux qui lui appartenaient "lors de la conclusion du mariage ou qui lui échoient pendant le mariage par succession ou à quelque autre titre gratuit". Comme le précise la doctrine, il faut lire "au début du régime matrimonial" à la place de "lors de la conclusion du mariage" et "pendant le régime" au lieu de "pendant le mariage" (LEMP, n. 15 et 23 ad art. 195 CC; KNAPP, Le régime matrimonial de l'union des biens, no 5 p. 3 et no 26 p. 8; DESCHENAUX, Revision du régime matrimonial, RDS 1957 p. 509 a; FJS, 1237, Union des biens I, ch. III/2 litt. a p. 2 et litt. b p. 3). La précision que nécessite le texte légal n'exerce toutefois aucune influence en l'espèce. Acquis en 1946 par le mari sous le régime de l'union des biens, l'immeuble a été apporté par lui en 1950 dans la communauté, pour autant qu'il constituait déjà un apport dans le régime précédent. Dans la mesure où il était alors un acquêt, il a continué de figurer parmi les biens matrimoniaux à considérer dans le calcul du bénéfice de l'union conjugale.
Pour qu'un bien échu au mari ou à la femme pendant le régime soit un apport, il faut qu'il ait été acquis à titre gratuit, que ce soit par succession ou d'une autre manière; la succession acquise à titre onéreux - par pacte successoral - ne constituerait pas un apport (KNAPP, op.cit., nos 34 ss. p. 9 ss.; LEMP, no 22 ss. ad art. 195 CC; EGGER, no 3 ad art. 195 CC; GMÜR, no 20 ad art. 195 CC; DESCHENAUx, RDS 1957 p. 509 a, texte et n. 219; FJS 1237, ch. III/2, litt. b et IV/1, p. 3).
3. Lorsque l'acquisition à titre gratuit se fait par succession, elle a juridiquement pour objet la part successorale indivise de l'héritier (cf. art. 560, 602 et 604 CC) ou la créance du légataire en délivrance du legs (art. 562 CC). L'apport qu'elle représente pour l'époux appelé à succéder se forme déjà à l'ouverture de

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la succession, non lors du partage ou de la délivrance du legs (LEMP, n. 8 et 26 ad art. 195 CC). Pratiquement, l'apport consistera dans le droit à une part de liquidation de la communauté héréditaire.
Les biens attribués dans le partage à l'époux héritier prennent la place de la part successorale acquise de plein droit à l'ouverture de la succession. S'ils ont la même valeur que cette part, ils constituent un apport dans leur totalité (abstraction faite des biens réservés visés par l'art. 190 CC, qui ne nous intéressent pas ici). S'ils valent moins que la part héréditaire de l'acquéreur et que celui-ci reçoive une soulte pour compenser la différence, tant les biens que la soulte sont acquis à titre gratuit et constituent un apport. En revanche, si la valeur des biens est supérieure à la part successorale, et que l'intéressé doive payer une soulte à ses cohéritiers pour compenser la différence, l'acquisition n'est gratuite que pour la valeur correspondant à la part héréditaire; elle se fait à titre onéreux pour le surplus. Suivant que les deniers servant à payer la soulte proviennent des apports de l'époux héritier, de ses biens réservés, des acquêts, des apports ou des biens réservés de l'autre époux, les biens acquis à titre onéreux lors du partage de la succession peuvent entrer dans les apports ou les biens réservés de l'époux héritier, pourvu que les conditions de la subrogation réelle soient réunies, ou dans les acquêts, sous réserve de récompenses éventuelles.
La distinction entre la part des biens acquise à titre gratuit et la part acquise à titre onéreux dans le partage de la succession est possible même si l'époux héritier ne reçoit pas des choses divisibles en nature. La jurisprudence admet en effet qu'une chose déterminée, par exemple un immeuble, constitue en partie un apport, dans la mesure où elle est acquise à titre gratuit, en partie un acquêt, dans la mesure où elle est acquise à titre onéreux (cf. RO 50 II 433 ss., concernant un immeuble agricole vendu par un père à son fils marié pour un prix de faveur, inférieur à sa valeur réelle, que le fils a revendu ensuite par parcelles en réalisant un bénéfice; RO 74 II 148, concernant un immeuble que la femme mariée aurait acquis, suivant les faits à élucider, par donation mixte; arrêt Waltisperger du 29 novembre 1951, non publié au RO mais paru dans la ZBGR 1954 p. 319 ss., traitant à la p. 324 d'un immeuble acheté par la femme mariée sous le régime de l'union des biens, qui serait compris nécessairement dans les apports ou les biens réservés

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de l'épouse propriétaire, mais dont l'augmentation de valeur entrerait néanmoins, pour une partie, dans le calcul du bénéfice de l'union conjugale). Rien n'empêche donc qu'un immeuble figurant dans les biens matrimoniaux soit soumis à deux régimes juridiques différents, chacun s'appliquant à une partie seulement de sa valeur.
4. Le recourant s'efforce vainement de démontrer par des hypothèses théoriques qu'une pareille distinction aboutirait à des conséquences inadmissibles. Cependant, les exemples qu'il cite ne sont pas pertinents. En particulier, lorsqu'une succession à partager également entre cinq ou dix héritiers comprend essentiellement une entreprise ou une exploitation agricole attribuée en bloc à l'un d'eux, les autres recevront une soulte. L'héritier qui reprend le bien principal fait une acquisition à titre onéreux dans la mesure où il doit payer des soultes. S'il est marié, il ne reçoit un apport que pour la fraction de la valeur de l'entreprise ou de l'exploitation agricole correspondant à sa part successorale. Supposé qu'il paie les soultes au moyen de deniers provenant des acquêts ou des biens propres de son épouse, celle-ci participera, dans la liquidation du régime matrimonial, au bénéfice résultant de l'augmentation de valeur conjoncturelle du bien acquis grâce à son concours financier. Le résultat auquel conduit l'application du système légal n'est donc pas contraire à l'équité.
On ne saurait suivre le recourant dans les autres hypothèses qu'il envisage. Elles ne font que démontrer qu'à des situations de fait différentes correspondent des solutions juridiques différentes. Cette conséquence logique n'infirme pas les conclusions tirées plus haut des règles légales.
Usant de la liberté que l'art. 607 al. 2 CC reconnaît aux hoirs

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quant au mode de partage, le recourant et sa soeur ont conclu le contrat ("Auskaufsvertrag") du 21 décembre 1946. D'après ses termes, la convention apparaît comme une cession de droits successifs (art. 635 al. 1 CC); la soeur aurait quitté la communauté héréditaire et reçu en contre-partie de la renonciation à ses droits le mobilier et une somme d'argent ("Auskaufssumme"); le frère serait devenu propriétaire exclusif de l'immeuble par accroissement et resté seul tenu des dettes. Toutefois, le juge n'est pas lié par les termes employés par les parties. Or le contrat du 21 décembre 1946, considéré selon son but et ses effets, équivaut pratiquement à un acte de partage (art. 634 CC): la soeur a reçu un lot composé du mobilier et une soulte, tandis que le frère obtenait un lot formé de la valeur nette de l'immeuble et payait la soulte; il reprenait toutes les dettes de la succession, à la décharge de sa cohéritière. La qualification du contrat peut cependant demeurer indécise. Le résultat économique, qui seul importe pour déterminer les apports du mari et le bénéfice de l'union conjugale, reste en effet le même dans les deux cas.
L'actif net de la succession s'élevant à 64 400 fr. et le mobilier étant estimé à 1200 fr., la valeur nette de l'immeuble au moment du partage était de 63 200 fr. Le recourant a acquis le bien-fonds à titre gratuit dans la mesure où la valeur nette correspondait à sa part successorale, c'est-à-dire pour 32 200 fr.; il l'a acquis à titre onéreux dans la mesure où la valeur nette dépassait sa part successorale, c'est-à-dire à concurrence de la soulte de 31 000 fr. payée à sa cohéritière.
Selon l'arrêt attaqué, la soulte a été payée au moyen des deniers conjugaux, non des biens propres du recourant. Cette constatation de l'autorité cantonale exclut une subrogation réelle en faveur du mari. Il en résulte que, dans la mesure où l'immeuble a été acquis à titre onéreux, il ne constitue pas un apport. La soulte de 31 000 fr. n'est que très légèrement inférieure à la valeur de la part successorale du recourant, 32 000 fr. On peut faire abstraction de cette différence minime et considérer, comme l'expert et, à sa suite, les parties dans leur convention du 8 juillet 1963, que l'immeuble - plus exactement, sa valeur nette - a été acquis pratiquement pour moitié à titre gratuit (constitution d'apport) et pour moitié à titre onéreux. Du reste, le calcul établi par l'expert n'est plus litigieux. La juridiction cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral en fixant

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à 85 000 fr. la créance de l'épouse dans la liquidation du régime matrimonial.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours et confirme l'arrêt rendu le 30 novembre 1964 par la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.