BGE 93 I 566
 
70. Arrêt de la Ie Cour civile du 14 novembre 1967 dans la cause dame Bergholz-Jeanrenaud contre Vaud, Cour administrative du Tribunal cantonal.
 
Regeste
Art. 102 OG
Art. 953 Abs. 2 OR.
Wer ein bestehendes Geschäft übernimmt und die frühere Firma beibehält unter Beifügung eines Hinweises darauf, dass er der Nachfolger ist, kann diese Firma in das Handelsregister eintragen lassen, selbst wenn die frühere Firma nicht eingetragen war (Erw. 1-3).
 
Sachverhalt


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A.- Dame Flory Bergholz-Jeanrenaud est la seule héritière de son père Alexandre Jeanrenaud, décédé le 27 avril 1965, qui exploitait de son vivant une entreprise individuelle de gravure et de vente de timbres en caoutchouc, dans un atelier sis à Lausanne, rue de Bourg 21. Le 30 novembre 1966, elle a requis le préposé au registre du commerce de Lausanne d'inscrire la raison "A. Jeanrenaud, F. Bergholz-Jeanrenaud, successeur" pour l'entreprise du défunt, dont elle continuait l'exploitation. Le préposé au registre du commerce a rejeté cette réquisition.
Il a motivé sa décision en considérant que la raison proposée ne serait admissible que si la raison "A. Jeanrenaud" avait été elle-même inscrite; or tel n'était pas le cas.
Le 3 mars 1967, la Cour administrative du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours interjeté par dame Bergholz-Jeanrenaud. Elle a fait sien le motif du préposé et relevé en outre que

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la désignation "F. Bergholz-Jeanrenaud" n'était pas conforme à l'art. 945 al. 2 CO, aux termes duquel la femme mariée doit ajouter à son nom de famille la mention "Madame" ou au moins un prénom en toutes lettres.
B.- Dame Bergholz-Jeanrenaud a formé un recours de droit administratif. Elle conclut à l'annulation de la décision attaquée dans la mesure où elle est fondée sur l'art. 953 al. 2 CO et à ce que le préposé au registre du commerce du district de Lausanne admette l'inscription de la raison de commerce "A. Jeanrenaud, Madame F. Bergholz-Jeanrenaud, successeur".
La Cour administrative du Tribunal cantonal n'a pas formulé d'observations et s'est référée aux considérants de sa décision.
Le Département fédéral de justice et police propose de rejeter le recours.
 
Considérant en droit:
1. Selon l'art. 953 al. 2 CO, celui qui reprend une maison existante peut, avec l'autorisation expresse ou tacite de ses prédécesseurs ou de leurs héritiers, maintenir l'ancienne raison de commerce, s'il y apporte une adjonction exprimant qu'il en est le successeur. Le même droit appartient à l'héritier d'une entreprise (HIS, n. 13 ad art. 953 CO). Contrairement à l'avis du préposé et de l'autorité cantonale, il n'est pas nécessaire que la raison ait déjà été inscrite au registre du commerce par le prédécesseur. La lettre de l'art. 953 CO ne l'exige nullement. Et le propriétaire d'une entreprise peut exploiter son affaire sous une raison de commerce sans être inscrit au registre; il le peut même s'il n'a pas l'obligation de s'inscrire; l'art. 934 al. 2 CO lui confère en pareil cas la faculté de requérir l'inscription.
Assurément, le titre trente et unième du Code des obligations (art. 944 ss. CO) ne traite que des raisons de commerce inscrites au registre. De même, la protection que l'art. 956 CO accorde aux raisons de commerce est limitée à celles qui sont inscrites. Mais il n'en résulte pas qu'une raison de commerce dont l'inscription est requise par celui qui reprend une affaire ne puisse être formée selon l'art. 953 CO que si le prédécesseur était lui-même inscrit au registre du commerce. Le but visé par cette disposition légale est de permettre au nouvel exploitant de marquer la continuité entre l'ancienne et la nouvelle raison

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de commerce, afin que le changement survenu à la tête de l'entreprise n'entraîne pas une perte de la clientèle. Cet intérêt peut exister, même si l'ancienne raison n'était pas inscrite. Ni le principe de la véracité des raisons de commerce, ni l'intérêt public (art. 944 CO) ne s'opposent à l'indication, en pareil cas, du rapport de succession. Personne n'en déduira que le titulaire antérieur de la raison était déjà inscrit. Du reste, tous ceux qui s'intéressent à la question pourront vérifier la chose en consultant le registre et la Feuille officielle suisse du commerce.
2. L'autorité cantonale estime que, si la raison reprise n'était pas inscrite au registre du commerce, il serait pratiquement impossible au préposé de vérifier si elle a été formée régulièrement et si la nouvelle teneur est identique à l'ancienne. L'objection n'est pas décisive. Le préposé au registre du commerce est souvent appelé à élucider des faits qui ne ressortent pas des inscriptions déjà opérées. Par exemple, il doit statuer sur l'obligation de requérir, modifier ou radier une inscription, ou encore examiner si la raison dont l'inscription est requise pouvait induire en erreur (art. 940, 941 CO, 63 ORC). Au demeurant, l'art. 953 CO n'oblige pas le préposé à administrer des preuves d'office. S'il a des doutes sur l'usage antérieur de la raison dont le requérant a repris l'affaire, il peut inviter ce requérant à en apporter la preuve.
3. Dans l'arrêt Meyer-Graber c. Turlin (RO 39 II 38 ss.), le Tribunal fédéral a certes jugé que l'existence réelle d'une entreprise était une condition nécessaire pour que la raison de commerce soit protégée; une maison purement fictive ne possède aucun droit sur la raison sous laquelle elle s'est fait inscrire et ne saurait dès lors transférer à un tiers un droit qu'elle n'a pas. Mais cet arrêt ne subordonne pas le transfert d'une raison à son inscription préalable au registre du commerce. Il est vrai que selon HIS (n. 7 ad 953 CO), la reprise d'une raison en vertu de l'art. 953 al. 2 CO suppose que le prédécesseur du requérant l'ait déjà fait inscrire. Mais cet auteur ne donne aucun motif à l'appui de son affirmation. F. DE STEIGER ne s'explique pas non plus sur ce point; il se borne à écrire que la raison dont le requérant désire le maintien doit avoir été régulièrement formée et être inscrite au registre du commerce; il tient en effet pour exclue la reprise d'une raison que son titulaire a utilisée jusqu'alors au mépris des

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prescriptions légales (F. DE STEIGER/FAVEY, Les raisons de commerce en droit suisse, p. 51). Sa remarque ne vise peut-être que les raisons qui n'étaient pas conformes aux prescriptions de la loi ou n'étaient pas inscrites au mépris de l'obligation légale. Elle ne concerne pas nécessairement le chef d'une maison qui n'était pas tenu de s'inscrire. Quoi qu'il en soit, l'opinion exprimée par cet auteur n'est pas motivée non plus.
On ne saurait dès lors interdire à celui qui reprend une maison existante et maintient l'ancienne raison, en y apportant l'adjonction prévue à l'art. 953 al. 2 CO, de faire inscrire cette raison au registre du commerce, même si elle ne l'était pas auparavant.
4. Aux termes de l'art. 945 al. 1 CO, celui qui est seul à la tête d'une maison de commerce doit prendre comme élément essentiel de la raison son nom de famille avec ou sans prénoms. La femme mariée est en outre tenue d'ajouter à son nom de famille la mention "Madame" ou au moins un prénom en toutes lettres (art. 945 al. 2 CO). La recourante admet expressément que la raison "F. Bergholz-Jeanrenaud" n'est pas conforme à cette exigence légale. Elle précise que si le Tribunal fédéral lui donne raison quant à l'application de l'art. 953 al. 2 CO, elle présentera une nouvelle réquisition conforme à l'art. 945 al. 2 CO. Désirant faire trancher la première question, dame Bergholz-Jeanrenaud a pris dans son recours de droit administratif des conclusions tendant à faire inscrire la raison nouvelle "A. Jeanrenaud, Madame F. Bergholz-Jeanrenaud, successeur".
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les conclusions nouvelles présentées dans un recours de droit administratif sont irrecevables (RO 69 I 100 s., 81 I 380, 86 I 121, 134). Or la recourante a abandonné expressément sa réquisition initiale pour lui substituer une conclusion qui renferme un élément nouveau, à savoir la mention "Madame". Dès lors, quand bien même le recours apparaît fondé au regard de l'art. 953 al. 2 CO, il est irrecevable.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Déclare le recours irrecevable.