BGE 81 I 139
 
25. Arrêt du 6 avril 1955 dans la cause D. contre S. et Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois.
 
Regeste
Art. 84 A bs. 1 lit. c O G.
- Überprüfungsbefugnis des Bundesgerichts, insbesondere hinsichtlich neuer tatsächlicher und rechtlicher Vorbringen.
Art. 15 und 17 Abs. 1 des schweizerisch-französischen Gerichtsstandsvertrages vom 15. Juni 1869.
Urteil des Strafrichters über adhäsionsweise geltend gemachte Zivilansprüche.
- Verweigerung der Vollstreckung eines solchen Urteils, das in Frankreich gefällt wurde gegenüber einem in der Schweiz bevormundeten Schweizerbürger, der vor Gericht weder gesetzlich vertreten noch ermächtigt war, sich selber zu verteidigen gegenüber den gegen ihn erhobenen Zivilansprüchen.
- Begriff der schweizerischen öffentlichen Ordnung.
 
Sachverhalt


BGE 81 I 139 (140):

A.- D., ressortissant suisse a fait l'objet d'une mesure d'interdiction. Son tuteur a été désigné en la personne de M. Le 8 juillet 1953, le Tribunal de première instance du département de la Seine, à Paris, l'a condamné, pour émission de chèques sans provision, à six mois d'emprisonnement et à 100 000 fr. fr. d'amende. Statuant sur les conclusions de l'une des parties civiles, la même cour l'a en outre condamné à verser à S. 619 427 fr. fr. à titre de restitution et 5000 fr. fr. à titre de dommages-intérêts. Se fondant sur ce jugement, S. a poursuivi D. en Suisse et, le débiteur ayant fait opposition au commandement de payer, a requis la mainlevée devant le président du Tribunal du district de Lausanne. Le 30 juillet 1954, ce magistrat a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition. Le 21 octobre 1954, la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois a rejeté un recours formé par D. contre le prononcé présidentiel du 30 juillet, en bref par les motifs suivants:


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Bien que la convention franco-suisse du 15 juin 1869 sur la compétence judiciaire et l'exécution des jugements en matière civile (en abrégé: la Convention de 1869) accorde en principe au défendeur la garantie de son juge naturel, le for, en l'espèce, était au lieu de la commission du délit, c'est-à-dire à Paris, parce que l'action civile de S. était en étroite dépendance avec le délit pénal, lequel constituait l'élément essentiel de la condamnation (RO 56 II 120). Le recourant ne saurait exciper du fait que son tuteur n'a pas été cité devant le Tribunal de la Seine (art. 17 al. 1 ch. 2 de la Convention de 1869). Cette citation ne pouvait être exigée par le motif premièrement que, selon la loi française, le plaignant peut se porter partie civile jusqu'à la fin des débats, secondement, que la jurisprudence dominante en France admet l'incapable à résister lui-même à l'action civile portée par sa victime devant le juge de répression et troisièmement que, de son propre aveu, le tuteur M. a connu la date de l'audience de jugement, du 8 juillet 1953, mais ne s'est néanmoins pas présenté. Enfin, l'ordre public suisse ne s'oppose pas à ce que l'interdit, délinquant de droit commun, soit condamné, même sans le consentement de son tuteur (art. 19 al. 3 CC), à réparer civilement le dommage qu'il a causé à autrui par des actes délictueux.
B.- M., agissant pour son pupille D., a formé un recours de droit public. Il conclut à l'annulation de l'arrêt du 21 octobre 1954, l'opposition à la poursuite requise par S. contre D. étant maintenue. Il invoque la violation de la Convention de 1869.
C.- La Cour des poursuites et des faillites du Tribunal cantonal vaudois se réfère aux considérants de l'arrêt entrepris.
D.- S. conclut au rejet du recours.
E.- Une commission d'instruction du Tribunal fédéral a entendu M., tuteur de D., le 24 mars 1955. La production du dossier de l'autorité tutélaire a été ordonnée.
 


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Considérant en droit:
1. L'art. 84 al. 1 litt. c. OJ ouvre la voie du recours de droit public contre les décisions ou les arrêtés cantonaux pour violation des traités internationaux, sauf s'il s'agit d'une violation de leurs dispositions de droit civil ou de droit pénal. Dans la présente espèce, le recourant allègue la violation de l'art. 17 de la Convention de 1869. Il s'agit là d'une disposition relative à l'exécution forcée des jugements et qui, par conséquent, ne relève ni du droit civil, ni du droit pénal (RO 75 I 148, consid. 1 et les arrêts cités). La Cour de céans est dès lors compétente pour revoir l'application de cette règle conventionnelle. La violation d'un traité international étant alléguée, elle examine librement aussi bien les questions de fait que les questions de droit et n'est pas limitée au point de vue étroit de l'arbitraire (RO 77 I 47, consid. 4; 78 I 357, consid. 1). De plus, s'agissant d'une matière où la loi n'exige pas l'épuisement préalable des voies de droit cantonales (cf. art. 86 OJ, énumération limitative), elle connaît des faits et moyens qui lui sont soumis, alors même qu'ils ne l'auraient pas été au juge cantonal.
L'art. 17 al. 1 ch. 1 permet cependant de refuser l'exécution dans le cas où la décision émane d'une juridiction incompétente. Dans la présente espèce, il s'agissait d'une prétention élevée, devant le juge pénal français, contre un citoyen suisse incapable et soumis à une tutelle instituée en Suisse. Le recourant soutient qu'étant domicilié en Suisse au siège de l'autorité tutélaire, c'est là qu'il aurait dû être actionné, que le juge français était donc incompétent

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et que le jugement prononcé, le 8 juillet 1953, par le Tribunal de première instance du département de la Seine n'est dès lors pas exécutoire en Suisse. Cette question, cependant, peut rester ouverte, car le recours doit être admis par un autre motif déjà.
De par l'art. 10 de la Convention de 1869, la tutelle de D., ressortissant suisse, demeurait soumise à la loi suisse, alors même qu'il résidait en France (art. 29 LRDC). Selon l'art. 17 CC, l'interdit n'a pas l'exercice des droits civils. Même capable de discernement, il ne peut contracter une obligation ou renoncer à un droit que si le tuteur consent expressément ou tacitement à l'acte ou le ratifie (art. 19 al. 1 et 410 CC). Son incapacité l'empêche d'ester en justice dans un litige civil (RO 42 II 555). Il répond, certes, du dommage que causent ses actes illicites (art. 19 al. 3 CC) ou les engagements qu'il a pris en se donnant faussement pour capable (art. 411 al. 2 CC). Mais autre chose est de répondre d'un dommage, et autre chose d'ester en justice.
En droit suisse, par conséquent, l'interdit ne peut résister à une action civile que par l'intermédiaire ou avec le consentement de son tuteur. Il n'y a pas lieu de faire de différence, à cet égard, selon que l'action est portée devant le juge civil ou devant le juge pénal par voie de jonction à l'action publique. Les mêmes raisons qui imposent l'assistance ou le consentement du tuteur devant le juge civil l'imposent aussi lorsque le juge pénal est appelé à connaître, conjointement avec l'action publique, d'une prétention civile élevée contre le pupille. Les

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particularités de la procédure pénale les rendent même plus impérieuses. Il n'y a du reste aucune contradiction dans le fait que, sans l'assistance ou le consentement de son représentant légal, l'incapable peut être condamné pénalement mais non pas civilement. Cela est conforme à l'institution de la tutelle.
On ne saurait objecter que, selon une jurisprudence française, l'action civile portée devant la juridiction de répression contre un incapable poursuivi à la requête du ministère public est recevable, bien qu'elle ne soit dirigée que contre l'incapable lui-même, sans assistance de son tuteur (DONNEDIEU DE VABRE, Traité de droit criminel et de législation pénale comparée, 3e éd., Paris 1947, p. 640 et n. 7). Car, on l'a dit plus haut, ce sont les règles du droit suisse qui doivent prévaloir en matière de tutelle.
4. Dans la présente espèce, la grosse du jugement du Tribunal de la Seine, du 8 juillet 1953, produite au dossier, ne constate pas que M., tuteur de D., ait été régulièrement cité, ni même qu'il ait comparu à l'audience. Il est vrai que les notes prises par le greffier à l'audience mentionnent que l'inculpé et défendeur était "assisté" de M. Cependant, il n'est pas certain que ce terme indique la présence personnelle du tuteur. Au surplus, même si les notes du greffier, selon le droit français, avaient force de preuve légale, cette force ne pourrait leur être attribuée en l'espèce. Car, sur le point dont il s'agit, elles devraient servir de complément au jugement dont l'exécution est requise. Or, elles ne sont pas munies des légalisations que l'art. 16 al. 1 ch. 1 de la Convention de 1869 exige pour ce jugement. Enfin, entendu par le Tribunal fédéral sous la menace des peines de droit (art. 40 OJ et 64 PCF), M. a affirmé qu'il n'avait pas été cité à l'audience du Tribunal de première instance de la Seine, du 8 juillet 1953, et n'avait pas lui-même donné mandat à l'avocat qui a défendu son pupille, que cet avocat, enfin, n'avait pas reçu de l'autorité tutélaire pouvoir de conclure des

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actes juridiques quelconques au nom de D. Cette déposition doit être retenue; elle n'est pas infirmée par les pièces produites, notamment par celles qui figurent au dossier de l'autorité tutélaire. M. n'a donc pas été cité et n'a pas non plus comparu à l'audience. Quant à D., il n'a pas été autorisé à agir personnellement et son avocat n'a pas reçu pouvoir de le représenter.
En effet, l'art. 17 al. 1 ch. 3 de la Convention de 1869 prévoit que l'exécution d'un jugement peut être refusée si les intérêts de l'ordre public du pays où elle est requise s'y opposent. En matière d'exécution de jugements étrangers, la notion d'incompatibilité avec l'ordre public suisse doit recevoir une interprétation plus étroite que lorsqu'il s'agit de l'application directe de la loi étrangère par le juge suisse (RO 78 II 251). L'ordre public suisse s'oppose à l'exécution d'un jugement étranger lorsque ce jugement va, d'une manière intolérable, à l'encontre du sentiment du droit, tel qu'il existe généralement en Suisse, et viole les règles fondamentales de l'ordre juridique suisse (RO 64 II 97 ss; 76 I 129).
De ce point de vue, toutes les règles qui tendent à protéger l'incapable en justice intéressent l'ordre public au premier chef. Même lorsqu'il répond effectivement d'un dommage causé par ses actes illicites, voire délictueux,

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et qu'il est attaqué civilement par la voie de jonction à l'action publique, il doit être mis à même de se défendre, de discuter, par exemple, le montant du dommage, d'invoquer la compensation, la prescription, etc. L'interdit, qui n'a pas l'exercice des droits civils, ne peut le faire utilement. C'est pourquoi, on l'a vu plus haut, la loi suisse ne lui permet d'ester en justice, en matière civile, que par l'intermédiaire ou avec l'assentiment de son tuteur, lequel, sauf ce dernier cas, qui n'est pas donné en l'espèce, doit être formellement cité. Porter atteinte à cette règle serait rendre vaine et illusoire toute l'institution de la tutelle des incapables. Cela serait inadmissible du point de vue de l'ordre public suisse.
En l'espèce, la lésée, qui voulait obtenir en France, contre D., un jugement exécutoire en Suisse, aurait donc dû, si elle connaissait l'incapacité du défendeur, faire citer le tuteur à l'audience. Supposé qu'elle n'ait pas connu l'interdiction, elle se serait trouvée dans la même situation que n'importe quel demandeur agissant, en matière civile, contre une personne qui se révèle après coup incapable; elle doit recommencer la procédure.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.