BGer 1B_371/2018
 
BGer 1B_371/2018 vom 29.10.2018
 
1B_371/2018
 
Arrêt du 29 octobre 2018
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Chaix et Kneubühler.
Greffier : M. Parmelin.
Participants à la procédure
recourant,
contre
Ministère public de l'arrondissement de Lausanne, p.a. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
Objet
Procédure pénale; levée de scellés; secret professionnel de l'avocat,
recours contre l'ordonnance du Tribunal des mesures
de contrainte du canton de Vaud du 16 juillet 2018 (PE18.005991-PHK).
 
Faits :
A. Le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne instruit une procédure pénale contre A.________ pour actes d'ordre sexuel avec des enfants et pornographie.
Lors d'une perquisition opérée le 30 mai 2018 au domicile du prévenu, deux téléphones portables iPhone et un ordinateur MacBook appartenant au prévenu ont été saisis et mis sous scellés.
La police judiciaire a procédé à l'extraction et à la reproduction sur une clé USB et sur un disque dur compact des données des deux téléphones portables, de l'ordinateur et de la messagerie en lien avec l'adresse A.________@hotmail.ch.
Statuant sur une demande de levée des scellés du Ministère public, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud a rendu le 16 juillet 2018 une ordonnance dont le dispositif est le suivant:
I.  constate que la correspondance échangée par A.________ avec son défenseur et dont les supports informatiques saisis à son domicile, à savoir deux iPhones et un "surtout" MacBook, font état, est protégée par le secret professionnel de l'avocat;
II.  dit que ladite correspondance échappe à la consultation du Ministère public;
III.  constate que les documents concernés ne peuvent cependant pas être retirés desdits supports informatiques sans faire perdre aux pièces pertinentes pour l'enquête leur valeur probante;
IV.  ordonne par conséquent la levée des scellés sur les deux téléphones portables iPhone ainsi que sur le MacBook saisis au domicile de A.________ lors de la perquisition de son domicile effectuée le 30 mai 2018;
V.  remet au Ministère public les deux supports informatiques sous scellés joints à sa demande, à savoir une clé USB, s'agissant de la téléphonie mobile, et un disque dur compact, s'agissant de l'ordinateur MacBook, sur lesquels la police a reproduit les données informatiques contenues dans les appareils susmentionnés;
VI.  dit que les frais de la présente décision par CHF 450.- (quatre cents cinquante francs) suivent le sort de la cause.
B. Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer cette décision en ce sens que les scellés sont maintenus sur la correspondance échangée avec son avocat et dont font état les supports saisis à son domicile, à savoir deux téléphones iPhone et un ordinateur MacBook. Il conclut subsidiairement à l'annulation de l'ordonnance attaquée et au renvoi de la cause au Tribunal des mesures de contrainte pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il sollicite l'octroi de l'assistance judiciaire.
Le Tribunal des mesures de contrainte propose de rejeter le recours. Le Ministère public conclut à ce qu'il soit ordonné au Tribunal des mesures de contrainte de procéder ou faire procéder au tri des données, de lui remettre les données triées et de maintenir les scellés sur les supports originaux des données, respectivement une copie non altérée de ceux-ci.
Le recourant s'est déterminé sur les observations du Tribunal des mesures de contrainte.
 
Considérant en droit :
1. Conformément à l'art. 393 al. 1 let. c CPP, le recours au sens du CPP n'est ouvert contre les décisions du Tribunal des mesures de contrainte que dans les cas prévus par ledit code. Aux termes de l'art. 248 al. 3 let. a CPP, cette autorité statue définitivement sur la demande de levée des scellés au stade de la procédure préliminaire. Le recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF est donc en principe ouvert (art. 80 al. 2 in fine LTF; ATF 143 IV 462 consid. 1 p. 465).
Ne mettant pas un terme à l'enquête pénale ouverte contre le recourant, la décision attaquée est de nature incidente. Elle est néanmoins susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF dès lors que la communication au Ministère public des données contenues dans l'ordinateur et les téléphones portables du recourant pourrait porter atteinte au secret professionnel de l'avocat dont il se prévaut. Le recourant, en tant que prévenu et détenteur des données saisies à son domicile, dispose d'un intérêt juridique à l'annulation ou à la réforme de la décision attaquée qui lève les scellés sur les éléments protégés par le secret professionnel de l'avocat (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF; ATF 143 IV 462 consid. 1 p. 465; arrêt 1B_210/2017 du 23 octobre 2017 consid. 1.5). Le recours a au surplus été déposé en temps utile et les conclusions qui y sont prises sont recevables (art. 107 al. 2 LTF) de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2. Selon l'art. 246 CPP, les documents écrits, les enregistrements audio, vidéos et d'autre nature, les supports informatiques ainsi que les installations destinées au traitement et à l'enregistrement d'informations peuvent être soumis à perquisition lorsqu'il y a lieu de présumer qu'ils contiennent des informations susceptibles d'être séquestrées.
En vertu de l'art. 248 al. 1 CPP, les documents, enregistrements et autres objets qui ne peuvent pas être séquestrés, à l'instar des documents concernant des contacts entre le prévenu et son défenseur (cf. art. 264 al. 1 let. a CPP), sont mis sous scellés et ne peuvent être ni examinés, ni exploités par les autorités pénales.
Saisi d'une demande de levée de scellés, le Tribunal des mesures de contrainte examine s'il existe des soupçons suffisants de l'existence d'une infraction et si les documents présentent apparemment une pertinence pour l'instruction en cours (cf. art. 197 al. 1 let. b et d CPP). En présence d'un secret professionnel avéré, notamment celui de l'avocat au sens de l'art. 171 al. 1 CPP, il élimine les pièces couvertes par ce secret (ATF 143 IV 462 consid. 2.1 p. 466; 141 IV 77 consid. 4.2 p. 81). Par ailleurs, dans le cadre d'une procédure de levée des scellés, il n'appartient pas à l'autorité pénale de statuer sur une possible levée du secret professionnel - ce qui entre dans les compétences du mandant ou de l'autorité cantonale de surveillance sur requête de l'avocat en cause (art. 13 et 14 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats) -, mais uniquement de déterminer si les documents mis sous scellés sont susceptibles d'être couverts par le secret invoqué (arrêt 1B_486/2017 du 10 avril 2018 consid. 3.3 et les références citées).
3. Dans le cas particulier, il n'est pas contesté que l'ordinateur MacBook saisi au domicile du recourant renferme des données couvertes par le secret professionnel de l'avocat qui ne peuvent être séquestrées en vertu de l'art. 264 al. 1 let. a CPP et qui devraient pour cette raison être soustraites à la connaissance du Ministère public. La contestation porte essentiellement sur le point de savoir si le Tribunal des mesures de contrainte était malgré cela en droit de lever les scellés sur les téléphones portables et l'ordinateur MacBook du recourant et de remettre au Ministère public la clé USB et le disque dur compact sur lesquels la police a reproduit les données contenues dans ces appareils au motif que les données protégées par le secret professionnel de l'avocat ne pouvaient pas être extraites des supports informatiques sans altérer celles utiles à l'enquête pénale.
La Cour de céans s'est déjà penchée sur une problématique analogue dans un arrêt rendu le 3 juillet 2018 dans la cause 1B_85/2018. Dans cette affaire, le Tribunal des mesures de contrainte avait constaté que certaines données protégées par le secret professionnel de l'avocat contenues dans des fichiers de stockage de type.pst ne pouvaient pas être éradiquées ou définitivement altérées préalablement au transfert de ces pièces au Ministère public de la Confédération. Il avait par conséquent décidé de les transmettre à l'autorité d'instruction pour qu'elle mandate un informaticien de la Police judiciaire fédérale afin qu'il masque ces éléments sans les consulter. La Cour de céans a jugé que seul un recours à un expert indépendant pour procéder selon la méthode préconisée permettait de garantir la protection du secret professionnel. Elle a en outre relevé que dans la mesure où l'expert devait confirmer l'impossibilité pratique d'extraire des fichiers litigieux les données protégées par le secret professionnel et/ou si aucune autre procédure de consultation des autorités ne pourrait être envisagée afin de préserver ce secret, il n'en résulterait pas pour autant la transmission de l'ensemble des données correspondantes au Ministère public car un problème purement technique ne saurait permettre de contourner les garanties offertes par la procédure de levée des scellés, en particulier lorsque le motif invoqué est le secret professionnel de l'avocat, et, le cas échéant, il appartiendra aux autorités de supporter l'échec de la procédure de tri (arrêt précité consid. 2.3).
Au regard de ces considérations récentes sur lesquelles il n'y a pas lieu de revenir, le Tribunal des mesures de contrainte ne pouvait pas, sauf à violer le droit fédéral, lever les scellés apposés sur les téléphones portables et l'ordinateur du recourant et transmettre les données contenues dans ces supports protégées par le secret professionnel de l'avocat au motif que leur extraction était susceptible d'altérer les données utiles à l'enquête. L'ordonnance attaquée doit dès lors être annulée pour ce motif. Cela ne signifie pas encore que les données utiles à l'enquête ne puissent pas être communiquées au Ministère public.
Selon le Ministère public, il doit être possible à un expert informatique, compte tenu notamment de la quantité relativement limitée des données couvertes par le secret professionnel de l'avocat, d'extraire celles-ci de sorte que seules les autres données soient transmises à l'autorité de poursuite pénale. La décision entreprise ne semble d'ailleurs pas l'exclure puisqu'elle n'évoque pas d'impossibilité à cet égard, mais uniquement un risque d'altération des données. Le recourant met également en doute l'affirmation du Tribunal des mesures de contrainte selon laquelle les moyens techniques actuels ne permettraient pas de faire le tri de documents qui figurent sur un support informatique sans altérer la source même de la preuve. Dans la mesure où la police a pu extraire la correspondance échangée entre le prévenu et son avocat, il doit être possible d'en faire de même pour les autres données qui figurent sur le support informatique et, en particulier, pour les données utiles à l'instruction.
La constatation du Tribunal des mesures de contrainte selon laquelle les données du disque dur de l'ordinateur MacBook couvertes par le secret professionnel de l'avocat ne peuvent pas être éliminées sans altérer les autres données utiles à l'enquête repose sur l'avis de la Division chargée de la coordination d'appui opérationnel de la police cantonale vaudoise (DAO) à laquelle il a confié l'extraction technique des données en vue de leur tri. Cet avis n'est pas documenté et ne fait l'objet d'aucun rapport écrit qui permettrait d'en vérifier la teneur et l'exactitude selon le dossier remis au Tribunal fédéral. Comme cela résulte de la jurisprudence précitée, une impossibilité technique et pratique d'extraire les pièces protégées par le secret professionnel de l'avocat de certains fichiers contenus dans un support informatique pourrait conduire à ce que l'ensemble des données et, en particulier également celles utiles à l'enquête pénale, puissent ne pas être communiquées au Ministère public. Dans cette mesure, il convient de se montrer particulièrement exigeant quant à la preuve d'une telle impossibilité. A tout le moins on peut attendre de l'autorité de scellés qu'elle se fonde sur un rapport technique circonstancié, voire qu'elle recueille, le cas échéant, un second avis d'un expert informatique indépendant comme l'autorise l'art. 248 al. 4 CPP. Les parties à la procédure de levée de scellés et, singulièrement, le Ministère public en charge de la procédure pénale doivent avoir la possibilité de se déterminer à ce sujet et de proposer, le cas échéant, des mesures alternatives qui permettraient de garantir une consultation limitée aux seules données utiles à l'enquête pénale. On ne saurait ainsi se contenter d'une information orale émanant d'une division technique interne à la police cantonale.
La cause doit dès lors être renvoyée au Tribunal des mesures de contrainte pour qu'il se prononce à nouveau sur la demande de levée de scellés en tenant compte des indications qui précèdent. Si l'impossibilité technique d'extraire les données protégées sans altérer les autres données utiles à l'enquête devait être confirmée, la possibilité devra être donnée aux parties de prendre position et de proposer un autre expert ou d'autres solutions permettant de prendre en compte les intérêts de la protection du secret professionnel de l'avocat et les besoins de l'enquête.
4. Le recours doit par conséquent être admis. L'ordonnance entreprise est annulée et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle procède dans le sens du considérant qui précède. Dans l'intervalle, les scellés sont maintenus sur les deux téléphones portables et le MacBook saisis au domicile de A.________ lors de la perquisition de son domicile effectuée le 30 mai 2018.
Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Vu l'issue du recours, la demande d'assistance judiciaire est sans objet. Le canton de Vaud versera une indemnité à titre de dépens au mandataire du recourant (art. 68 al. 1 et 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis. L'ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud du 16 juillet 2018 est annulée et la cause est renvoyée à cette autorité pour qu'elle procède au sens des considérants. La mesure de mise sous scellés est maintenue dans l'intervalle.
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Le canton de Vaud versera une indemnité de 2'000 fr. au mandataire du recourant à titre de dépens.
4. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public central du canton de Vaud et au Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud.
Lausanne, le 29 octobre 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
Le Greffier : Parmelin