BGer 6B_1012/2017
 
BGer 6B_1012/2017 vom 23.03.2018
 
6B_1012/2017
 
Arrêt du 23 mars 2018
 
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et Rüedi.
Greffière : Mme Thalmann.
Participants à la procédure
X.________,
représenté par Me Robert Assaël, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
intimé.
Objet
Abus d'autorité, faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques; arbitraire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 26 juillet 2017 (AARP/256/2017 P/13844/2015).
 
Faits :
A. Par jugement du 24 janvier 2017, le Tribunal de police du canton de Genève a reconnu X.________ coupable d'abus d'autorité (art. 312 CP) et de faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques (art. 317 ch. 1 al. 2 CP) et l'a condamné à une peine de 360 heures de travail d'intérêt général, assortie du sursis durant trois ans, ainsi qu'à une amende de 2'900 francs.
B. Par arrêt du 26 juillet 2017, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l'appel formé par X.________ contre ce jugement.
En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants:
B.a. Le 21 avril 2015, vers 17h30, A.________, né en 1953, circulait sur la rue B.________ au volant de sa voiture, avec son épouse, lorsque deux policiers se sont arrêtés à sa hauteur. L'un d'eux l'avait pointé du doigt et invité à stationner sa voiture un peu plus loin, lui reprochant d'avoir brûlé un feu rouge. Le même gendarme, X.________, né en 1980, lui a demandé de présenter son permis de conduire " s'il en avait un ", puis a rédigé un procès-verbal de contravention, indiquant à A.________ qu'il devait payer une amende de 200 fr. pour avoir brûlé le feu rouge, ce que l'intéressé a contesté. Dès le départ, A.________ a adopté une attitude moqueuse et hautaine envers les gendarmes, en leur demandant s'ils n'avaient " rien d'autre à faire " vu " les dealers et les casses de banques à Genève ". Ensuite, constatant l'amusement des policiers, l'intéressé a demandé aux gendarmes ce qui les faisait rire. Le collègue de X.________, C.________, a répondu " les gens comme vous me font rire ". A.________, énervé, a vociféré qu'il n'en resterait pas là et qu'ils auraient affaire à lui. A ce moment-là X.________ a placé A.________ devant le véhicule, en le tenant par le col, lui a fait écarter les jambes et poser ses mains sur le capot de la voiture, puis l'a soumis à une fouille de sécurité. Aucun objet illicite n'a été trouvé sur lui. L'épouse d'A.________, qui avait assisté à la scène, est sortie de la voiture au moment de la fouille et a déclaré avoir vu l'agent maintenir la nuque de son époux et tenir un pistolet dans l'autre main. Le gendarme X.________ a ensuite avisé A.________ qu'il ne pouvait pas prendre le volant, vu son état de " surmenage ". Son épouse a finalement repris le volant pour rentrer à la maison.
B.b. Le journal de la police a comporté une description de l'événement, dans lequel X.________ a expliqué que, compte tenu de la colère [d'A.________] et de son " attitude menaçante et intimidante ", celui-ci avait été avisé de ne pas reprendre le volant et que son épouse l'avait finalement repris. Dans le rapport de renseignements du 28 avril 2015, établi par X.________, celui-ci mentionne, dans la rubrique " Faits reprochés ", qu'A.________ " ne s'est pas abstenu de conduire suite à un surmenage ".
Par ordonnance pénale du 16 juin 2015, le Service des contraventions du canton de Genève a infligé à A.________ une amende de 300 fr., ainsi qu'un émolument de 150 fr., pour " ne pas s'être abstenu de conduire suite à un surmenage ". Par courriers des 18 et 22 juin 2015, A.________ a exposé qu'il n'avait en aucun cas repris le volant ce jour-là après le contrôle routier et, qu'en plus, aucun surmenage n'avait été constaté. La procédure a finalement été classée par ordonnance du 27 août 2015.
C. X.________ i nterjette un recours en matière pénale contre l'arrêt du 26 juillet 2017. Il conclut, principalement, à son acquittement. Subsidiairement, il demande l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision.
 
Considérant en droit :
1. Le recourant invoque l'arbitraire dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves conduisant à une violation de l'art. 312 CP.
1.1. L'art. 312 CP réprime le fait pour un membre d'une autorité ou un fonctionnaire d'abuser des pouvoirs de sa charge dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou de nuire à autrui. L'infraction suppose que l'auteur agisse dans l'accomplissement ou sous le couvert de sa tâche officielle, et qu'il abuse des pouvoirs inhérents à cette tâche. L'abus est réalisé lorsque l'auteur, en vertu de sa charge officielle, décide ou use de contrainte dans un cas où il ne lui est pas permis de le faire (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa p. 211); l'abus est également réalisé lorsque l'auteur poursuit un but légitime mais recourt, pour l'atteindre, à des moyens disproportionnés (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa et b p. 211 ss; 113 IV 29 consid. 1 p. 30; 104 IV 22 consid. 2 p. 23). Du point de vue subjectif, l'infraction suppose un comportement intentionnel, au moins sous la forme du dol éventuel, ainsi qu'un dessein spécial, qui peut se présenter sous deux formes alternatives, soit le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, soit le dessein de nuire à autrui (arrêts 6B_138/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.2 et 6B_923/2015 du 24 mai 2016 consid. 2.2). Il faut admettre que l'auteur nuit à autrui dès qu'il utilise des moyens excessifs, même s'il poursuit un but légitime. Le motif pour lequel l'auteur agit est ainsi sans pertinence sur l'intention, mais a trait à l'examen de la culpabilité (arrêt 6B_923/2015 du 24 mai 2016 consid. 2.2 et les références citées).
1.2. Le Tribunal fédéral est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins que celles-ci n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable, et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat (ATF 142 II 369 consid. 4.3 p. 380; 141 IV 305 consid. 1.2 p. 308 s.). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références citées; arrêt 6B_884/2017 du 22 février 2018 consid. 2.1). Le Tribunal fédéral n'entre ainsi pas en matière sur les critiques de nature appellatoire (ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368).
1.3. En l'espèce, la cour cantonale a jugé que la fouille de sécurité constituait un moyen de contrainte disproportionné et non justifié par les circonstances, de sorte que le recourant avait abusé des pouvoirs qui lui étaient dévolus. Les éléments constitutifs de l'art. 312 CP étaient dès lors réalisés.
1.4. Le recourant soutient que la cour cantonale est tombée dans l'arbitraire en estimant qu'il n'avait pas été confronté à une menace de la part de l'automobiliste. La menace serait fondée sur le fait qu'A.________ aurait pointé le doigt aux gendarmes, qu'il leur a dit " vous aurez affaire à moi, je ne vais pas en rester là ", qu'il était agressif, provocateur et intimidant et qu'il a lui-même admis qu'il était très énervé. Cette menace aurait dès lors justifié la fouille, en application de l'art. 20 de l'ancienne loi cantonale sur la police du 27 octobre 1957, en vigueur au moment des faits, qui prévoit que " les fonctionnaires de police peuvent procéder à la fouille de personnes dans l'exercice de leurs fonctions lorsque des raisons de sécurité le justifient ". Selon l'al. 2 de cette disposition, " lorsqu'elle s'avère nécessaire, la fouille doit être aussi adaptée aux circonstances et aussi prévenante et décente que possible ".
1.5. Il ressort de l'arrêt attaqué qu'A.________ a contesté avoir pointé le recourant du doigt et qu'aucun autre témoin, en particulier son collègue C.________, n'a déclaré que l'intéressé l'aurait pointé du doigt. La cour cantonale a estimé que même si A.________ avait adopté une attitude moqueuse et hautaine envers les gendarmes et tenu des propos provocateurs et qu'il avait affirmé qu'il n'en resterait pas là, il n'en demeure pas moins que le recourant n'a pas été confronté à une menace directe de l'automobiliste. Même à supposer que celui-ci l'ait pointé du doigt et ait dit qu'il n'en resterait pas là, le comportement de ce conducteur, âgé d'une soixantaine d'années, accompagné de son épouse et qui s'apprêtait à quitter les lieux, ne dénotait aucunement une volonté de s'en prendre physiquement au recourant. Le contrôle routier étant terminé, rien ne justifiait le recours à une fouille, effectuée au demeurant de manière musclée. Le raisonnement de la cour cantonale est convaincant et le recourant ne démontre pas en quoi celui-ci serait arbitraire. Le fait que son collègue C.________ a déclaré qu'il aurait réagi de la même façon que le recourant n'y change rien.
1.6. Comme le relève la cour cantonale, en recourant à un moyen de contrainte disproportionné et non adapté aux circonstances, afin de donner une leçon à un automobiliste désagréable, le recourant a agi dans un dessein de nuire et a abusé de ses pouvoirs. La cour cantonale n'a dès lors pas violé le droit fédéral en reconnaissant le recourant coupable d'abus d'autorité au sens de l'art. 312 CP. Le grief du recourant est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2. Le recourant se plaint également de l'arbitraire dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves, en relation avec l'art. 13 CP.
2.1. Aux termes de l'art. 13 CP, quiconque agit sous l'influence d'une appréciation erronée des faits est jugé d'après cette appréciation si elle lui est favorable. Agit sous l'emprise d'une erreur sur les faits celui qui n'a pas connaissance ou qui se base sur une appréciation erronée d'un élément constitutif d'une infraction pénale. L'intention délictueuse fait défaut. L'auteur doit être jugé selon son appréciation erronée si celle-ci lui est favorable (ATF 129 IV 238 consid. 3.1 p. 240; arrêt 6B_996/2017 du 7 mars 2018 consid. 4.2).
2.2. Le recourant estime qu'il pouvait, de manière crédible, ressentir qu'A.________ était menaçant et que la fouille s'imposait pour des raisons de sécurité. Ce faisant, le recourant oppose sa propre version à celle de la cour cantonale, sans démontrer en quoi cette dernière serait arbitraire. En effet, c'est de manière convaincante que la cour cantonale a retenu que l'erreur sur les faits, alléguée par le recourant, ne reposait sur aucun élément crédible, dans la mesure où celui-ci était un gendarme expérimenté, accompagné d'un coéquipier, confronté à un banal contrôle routier, en plein jour, d'un couple qui ne présentait pas de danger objectif. Le fait que le recourant a relaté dans le journal de la police qu'il avait été menacé et qu'il l'a redit dans son rapport du 28 avril 2015 ainsi que dans une note de service du 8 juin 2015 n'y change rien. Il en va du même du fait que le recourant a un passé professionnel " sans tache ". Son grief doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
3. Le recourant invoque enfin l'arbitraire dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves conduisant à une violation de l'art. 317 CP. Il soutient que la cour cantonale est tombée dans l'arbitraire en estimant que le rapport du 28 avril 2015 était un faux.
3.1. Aux termes de l'art. 317 CP, les fonctionnaires et les officiers publics qui auront intentionnellement créé un titre faux, falsifié un titre, ou abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, les fonctionnaires et les officiers publics qui auront intentionnellement constaté faussement dans un titre un fait ayant une portée juridique, seront punis d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité (ATF 126 IV 65 consid. 2a p. 67; arrêt 6B_659/2014 du 22 décembre 2017 consid. 18.1.1).
3.2. Il n'est pas contesté que le rapport du 28 avril 2015, rédigé par le recourant, constitue un titre au sens de l'art. 317 CP, dans la mesure où il n'était pas uniquement destiné à une utilisation interne, mais devait servir pour dénoncer un comportement jugé inapproprié. Ce rapport a d'ailleurs été transmis au Service des contraventions qui a d'abord infligé à A.________ une amende de 300 fr., avant de classer la procédure à la suite des explications fournies par l'intéressé. La cour cantonale a jugé que le contenu du rapport, sous la rubrique intitulée " Faits reprochés ", était mensonger, étant donné qu'il mentionnait, de manière erronée, que le conducteur ne s'était pas abstenu de conduire à la suite d'un surmenage. Contrairement à ce que soutient le recourant, le fait que, sous la rubrique du rapport intitulée " Faits constatés /actes d'enquête effectués", il a écrit qu'il " a été indiqué [au conducteur] qu'il ne pouvait reprendre le volant, sur le principe qu'il était surmené (art. 2 OCR) " ne permet pas de rétablir la vérité, soit que l'intéressé n'a effectivement pas repris le volant. De même, l'on ne saurait reprocher à la cour cantonale d'avoir fait preuve d'arbitraire en considérant que l'indication faite par le recourant à la fin du rapport, sous la rubrique " Destination du véhicule " que celui-ci était " resté en main d'une personne apte à conduire " ne suffisait pas pour rétablir la vérité ". On relèvera - avec la cour cantonale - que ce rapport a d'ailleurs précisément induit le Service des contraventions en erreur, vu qu'ils ont infligé une amende à A.________ sur sa base.
En outre, contrairement à ce que soutient le recourant, la cour cantonale n'a pas non plus fait preuve d'arbitraire en retenant que le recourant savait que ce rapport, qui ne reflétait pas la réalité, pouvait être transmis à d'autres services et l'a accepté, de sorte qu'il a agi à tout le moins par dol éventuel.
Le grief du recourant est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
4. Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 65 et 66 al. 1 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.
Lausanne, le 23 mars 2018
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
La Greffière : Thalmann