BGer 1C_339/2017
 
BGer 1C_339/2017 vom 06.03.2018
 
1C_339/2017
 
Arrêt du 6 mars 2018
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Fonjallaz et Kneubühler.
Greffier : M. Alvarez.
Participants à la procédure
Commune d'Epalinges,
agissant par la Municipalité d'Epalinges, route de la Croix-Blanche 25, case postale 187, 1066 Epalinges, elle-même représentée par
Me Amédée Kasser, avocat,
recourante,
contre
1. A.________,
2. B.________,
tous les deux représentés par Me Benoît Bovay, avocat,
intimés,
Objet
Permis de construire,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 18 mai 2017 (AC.2017.0101).
 
Faits :
A. La société C.________ SA est propriétaire de la parcelle n o 136 de la Commune d'Epalinges. D'une surface totale de 1'482 m 2, ce bien-fonds est situé à cheval sur la zone de bâtiments locatifs I, à hauteur de 875 m 2, et sur la zone de villas I, à raison de 607 m 2, selon le Règlement communal du plan général d'affectation (ci-après: RPGA), approuvé le 16 novembre 2005 par le département cantonal compétent. Cette parcelle supporte actuellement le bâtiment n o ECA 469.
Le 29 octobre 2016, C.________ SA a déposé une demande d'autorisation portant sur la démolition du bâtiment existant et l'édification d'un immeuble de sept logements avec parking souterrain. Celui-ci serait implanté à cheval sur les deux zones, à raison d'environ trois quart de sa surface (175 m 2) dans la zone de bâtiments locatifs I et le solde (75,5 m 2) en zone de villas I. Le coefficient d'occupation du sol (ci-après: COS) de l'ensemble du projet est de 0,169.
En cours d'enquête, A.________ et B.________, propriétaires de la parcelle voisine n o 137, se sont opposés à ce projet. Le 22 février 2017, la Municipalité d'Epalinges a levé leur opposition et délivré le permis de construire requis. Les autorisations spéciales et les conditions particulières ont été réunies dans une synthèse CAMAC du 24 mars 2016.
Le 22 mars 2017, A.________ et B.________ ont recouru contre la décision municipale à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal de canton de Vaud. Par arrêt du 18 mai 2017, la cour cantonale a admis le recours et annulé le permis de construire. Le Tribunal cantonal a estimé que le projet, à cheval sur deux zones d'affectation distinctes, devait satisfaire aux exigences des règles relatives à chacune d'entre elles. Cette condition n'était en l'espèce toutefois pas réalisée, le projet présentant un COS et un nombre de logements trop élevés au regard de la réglementation relative à la zone de villas I.
B. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Commune d'Epalinges demande principalement au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt attaqué en ce sens que sa décision du 22 février 2017 est confirmée, les oppositions levées et le projet litigieux autorisé; subsidiairement, elle requiert l'annulation de l'arrêt cantonal.
Le Tribunal cantonal se réfère à son arrêt et conclut au rejet du recours. Il en est de même de A.________ et B.________, dans la mesure où le recours est recevable. La société constructrice s'est exprimée tardivement. La recourante a répliqué, persistant dans ses conclusions.
 
Considérant en droit :
1. Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale rendue dans le domaine du droit public des constructions, le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.
Selon l'art. 89 al. 2 let. c LTF, les communes et autres collectivités publiques ont qualité pour recourir en invoquant la violation de garanties qui leur sont reconnues par les Constitutions cantonale ou fédérale. La Commune d'Epalinges, qui invoque l'autonomie dont elle bénéficie en matière d'aménagement local du territoire, a ainsi qualité pour agir. La question de savoir si elle est réellement autonome dans ce domaine relève du fond (ATF 135 I 43 consid. 1.2 p. 45 et les arrêts cités).
Les autres conditions de recevabilité sont au surplus réunies, si bien qu'il convient d'entrer en matière.
2. La recourante se plaint d'un établissement inexact des faits. Elle avance que la cour cantonale aurait omis certains éléments déterminants et demande, pour ce motif, au Tribunal fédéral de compléter l'état de fait.
2.1. Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 LTF, il ne peut s'en écarter que si les constatations de ladite autorité ont été établies en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de façon manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313 s.).
2.2. La recourante fait grief à l'instance précédente de s'être bornée à constater que la parcelle n
Ces éléments liés aux circonstances locales sont, quoi qu'en dise la recourante, sans influence sur le sort de la cause; il s'agit en effet, dans le cas particulier, comme cela sera développé plus en détail ci-après, de déterminer si la commune pouvait, en vertu de l'autonomie que lui confère la constitution cantonale en matière d'aménagement local, autoriser l'implantation partielle d'un bâtiment locatif en zone de villas I, au mépris des règles applicables à cette zone et de la jurisprudence cantonale constante en matière de construction à cheval sur deux zones. Pour le même motif, il ne sera pas non plus donné suite à la réquisition d'inspection locale formulée céans par la recourante.
Mal fondé, le grief est rejeté.
3. La recourante reproche au Tribunal cantonal d'avoir interdit le projet litigieux, dont l'implantation est prévue à cheval entre la zone de bâtiments locatifs I et la zone de villas I, au motif que les règles applicables à cette dernière, en particulier les art. 23 et 28 RPGA, ne seraient pas respectées. La cour cantonale aurait, ce faisant, appliqué de manière arbitraire le règlement communal. Elle y voit également une violation de son autonomie.
 
Erwägung 3.1
3.1.1. Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; le Tribunal fédéral ne s'écarte ainsi de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle est insoutenable ou en contradiction manifeste avec la situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; arrêt 1C_429/2016 du 16 août 2017 consid. 3.1).
3.1.2. L'arrêt attaqué rappelle que, selon une jurisprudence cantonale constante, et en l'absence, comme en l'espèce, de dispositions communales particulières, un projet de bâtiment à réaliser sur une parcelle s'étendant sur deux zones différentes doit satisfaire aux exigences des règles relatives à chacune de ces deux zones, en particulier à celles régissant la destination de la zone et le rapport entre la surface de la parcelle et la surface bâtie (COS). Toutefois, s'agissant des dispositions fixant les distances minimales aux limites à respecter entre un ouvrage et la limite de propriété, les règles régissant chacune des zones considérées s'appliquent à l'exclusion de toutes autres à la partie du bâtiment qui s'y implante. Sauf disposition contraire, la limite entre deux zones n'est pas assimilable à la limite entre deux parcelles. Dès lors, un bâtiment n'a pas à respecter par rapport à la limite de la zone la distance minimale par rapport à la limite de propriété.
La jurisprudence cantonale précise encore que la règle fixant la surface minimale d'une parcelle constructible a pour but d'éviter le morcellement outrancier du sol. Conjuguée au principe de l'ordre non contigu et complétée par les règles sur les distances à respecter entre bâtiments et limites de propriété ou entre bâtiments situés sur une même parcelle, cette prescription permet également d'assurer le dégagement, l'hygiène et l'ensoleillement des habitations. Mais surtout, en l'absence de normes fixant le coefficient d'occupation ou d'utilisation du sol, elle constitue le moyen de limiter le développement quantitatif d'une zone à bâtir en fonction des objectifs d'aménagement du territoire fixés au moment de la planification.
3.1.3. La zone de bâtiments locatifs I est régie par les art. 16 à 21 RPGA. Le COS ne peut y excéder 0,20 (art. 18 al. 1 RPGA). La distance entre les constructions et la limite de la propriété est de 8 mètres au minimum (art. 19 RPGA). S'agissant du nombre de niveaux, il est limité à trois, y compris le rez-de-chaussée et les combles (art. 21 RPGA). Quant à la zone de villas I, elle est régie par les art. 22 à 28 RPGA. L'art. 23 RPGA prévoit que la surface des parcelles à bâtir (situées en zone de villas I) est au minimum de 1000 m
3.2. Le Tribunal cantonal a tout d'abord considéré que le projet de construction litigieux était contraire à l'art. 23 RPGA puisque la portion du terrain colloquée en zone villas I présentait une surface insuffisante de 607 m
Il faut concéder à la recourante que la solution du Tribunal cantonal revient à exclure toute construction sur la portion sise en zone villas I d'une parcelle colloquée à cheval sur deux zones, si cette portion de terrain n'atteint pas une surface de 1'000 m 2. A l'examen du PGA, il apparaît en outre, comme le souligne à juste titre la recourante, que la parcelle en cause n'est pas la seule dans cette situation, en particulier dans le secteur longeant, de part et d'autre, la route de la Croix blanche. On peut dès lors se demander si la jurisprudence cantonale ne doit pas conduire à admettre, à tout le moins dans le cas particulier, que la condition de l'art. 23 RPGA est réalisée, la surface totale de la parcelle n o 136 atteignant 1'482 m 2; une telle application du droit cantonal et communal ne paraît pas d'emblée exclue et a fortiori pas nécessairement arbitraire. Cette question peut toutefois demeurer indécise, dans la mesure où le Tribunal cantonal a, d'une part, estimé que la règle de l'art. 23 RPGA devait être relativisée, la limitation du développement quantitatif de la zone étant, en l'espèce, assurée par la fixation d'un COS ainsi que par des règles sur les distances; d'autre part, il a jugé qu'une dérogation à l'art. 23 RPGA pourrait être ici envisagée compte tenu des principes de concentration de l'urbanisation et de densification du milieu bâti poursuivi par la LAT. Les considérations qui précèdent ne préjugent au demeurant en rien un éventuel litige qui relèverait de cette problématique.
3.3. La cour cantonale a cependant condamné le projet litigieux, considérant que celui-ci contrevenait à d'autres règles communales, jugées plus importantes. L'instance précédente a en particulier retenu que si le COS du bâtiment projeté, de 0,169, était conforme au coefficient de 0,2 applicable à la zone de locatifs I, tel n'était en revanche pas le cas en zone de villas, le COS applicable n'y étant que de 0,125. En outre, la construction envisagée prévoit sept logements, ce que proscrit, en zone de villas I, l'art. 28 al. 1 RPGA, limitant à deux le nombre de logements par bâtiment. En définitive, le projet ne respectant pas les dispositions règlementaires de chacune des zones concernées, le Tribunal cantonal a jugé que la commune avait interprété et appliqué de manière erronée le RPGA en délivrant le permis de construire.
3.3.1. Aux yeux de la recourante cette appréciation serait arbitraire. S'agissant de l'art. 28 al. 1 RPGA, l'arrêt attaqué conduirait à interdire, sur toute parcelle à cheval sur la zone de locatifs I et sur la zone villas I, l'édification de bâtiments de plus de deux logements, présentant un COS supérieur à 0,125, quant bien même la portion du bien-fonds destinée à l'habitat collectif serait importante, voire prépondérante. Dans le même ordre d'idée, l'application d'un COS de 0,125 à l'ensemble de la parcelle ferait perdre toute substance aux normes de la zone locatifs I, dans laquelle est pourtant implantée dans une large mesure la parcelle no 136.
La recourante ne saurait toutefois être suivie dans cette voie. En effet, contrairement à ce qu'elle affirme, le régime le plus restrictif ne s'applique pas en toutes circonstances à l'ensemble de la parcelle, mais uniquement, comme en l'espèce, dans l'hypothèse d'un projet de construction prévu à cheval sur deux zones distinctes. L'arrêt attaqué ne dit en particulier pas qu'il serait interdit de réaliser un bâtiment locatif sur la partie nord du bien-fonds en cause, affectée à cet usage; sur le principe, ni les dimensions de cette portion de terrain ni les dispositions communales applicables (art. 16 ss RPGA) ne s'y opposent. C'est d'ailleurs également dans ce sens qu'a été formulée l'opposition des propriétaires voisins, ceux-ci ne remettant en cause que la légalité de la partie du bâtiment locatif implantée en zone villas I (cf. opposition du 22 mars 2017). Il est ainsi erroné d'affirmer, comme le fait la recourante, que la solution à laquelle a abouti le Tribunal cantonal priverait de sa substance l'affectation locative souhaitée par la commune pour le secteur concerné. Dans ces circonstances, on ne discerne pas de motif commandant de s'écarter de la jurisprudence cantonale constante; admettre le projet litigieux et autoriser l'extension d'un bâtiment locatif sur la zone villas I, au mépris des règles applicables à celle-ci, conduirait en effet, par une voie détournée, à une modification substantielle de la planification communale, risque que la pratique cantonale tend précisément à prévenir (cf. ATF 98 Ia 581 consid. 4a p. 582; 92 I 104 consid. 3b p. 106; prononcé de l'ancienne Commission cantonale de recours du 4 avril 1983 in RDAF 1986 p. 190; BENOÎT BOVAY ET AL., Droit fédéral et vaudois de la construction, 4e éd., 2010, n. 3.1.5 ad art. 47 LATC). La solution adoptée par la cour cantonale n'apparaît ainsi aucunement arbitraire.
3.3.2. Quoi qu'en dise la recourante cette solution ne porte pas non plus atteinte à son autonomie (art. 50 al. 2 Cst.; au sujet de l'autonomie des communes vaudoises en matière d'aménagement, cf. arrêt 1C_92/2015 du 18 novembre 2015 consid. 3.1.2), dans la mesure où elle ne remet en définitive pas en cause les options de planification adoptées par la commune; l'arrêt attaqué tend au contraire à les préserver. Le grief de violation de l'autonomie communale se révèle quoi qu'il en soit insuffisamment motivé (art. 106 al. 2 LTF; cf. arrêt 1C_373/2016 du 7 novembre 2016 consid. 6). La recourante se borne en effet à soutenir que le Tribunal cantonal n'aurait pas tenu compte des motifs l'ayant conduite à colloquer une série de parcelles à cheval sur deux zones distinctes. Elle n'explique cependant pas en quoi consisteraient ces motifs ni en quoi ceux-ci auraient imposé de s'écarter de la jurisprudence cantonale constante établie de longue date. Se prévaloir à cet égard de la situation de la parcelle, de sa proximité du centre du village et de sa bonne desserte en transports en commun se révèle sans pertinence: outre que la réalisation de bâtiments collectifs n'est pas exclue, contrairement à l'avis de la commune, on ne comprend guère pourquoi cette dernière n'a pas d'emblée affecté l'entier de ce bien-fonds à la zone de locatifs I, si elle estimait sa configuration et sa situation à ce point propice à la réalisation d'habitations collectives; cela est d'autant plus vrai que la commune connaissait la teneur de la jurisprudence cantonale, dont elle a du reste déjà fait mention au stade de la décision sur opposition; elle ne pouvait ainsi ignorer les difficultés auxquelles se heurterait la réalisation d'un immeuble locatif implanté à cheval sur deux zones d'affectation différentes.
3.4. Sur le vu de ce qui précède, le grief apparaît mal fondé et doit être rejeté dans le mesure de sa recevabilité.
4. Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Les intimés, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat, ont droit à des dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Une indemnité de 3'000 fr., à payer à titre de dépens aux intimés, solidairement entre eux, est mise à la charge de la Commune d'Epalinges.
4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, à C.________ SA et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 6 mars 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
Le Greffier : Alvarez