BGer 6B_433/2017
 
BGer 6B_433/2017 vom 17.11.2017
6B_433/2017
 
Arrêt du 17 novembre 2017
 
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président,
Jacquemoud-Rossari et Rüedi.
Greffière : Mme Cherpillod.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Marc Mathey-Doret, avocat,
recourant,
contre
1. Ministère public du canton du Valais,
2. X.________, représenté par
Me Stéphane Jordan, avocat,
intimés.
Objet
Ordonnance de classement (lésions corporelles graves par négligence),
recours contre l'ordonnance du Tribunal cantonal du canton du Valais, Chambre pénale, du 28 février 2017 (P3 16 202).
 
Faits :
A. A.________ a été victime d'un grave accident le 3 août 2013, en début d'après-midi, alors qu'il roulait au guidon de sa Honda CB1000RA. Il a déclaré avoir tenté d'éviter de l'eau sur la chaussée, celle-ci étant mouillée par les projections du système d'arrosage du pré bordant la route, système mis en fonction le matin de l'accident par X.________.
B. Par ordonnance du 18 août 2016, rectifiée le lendemain, le Ministère public du canton du Valais a classé, en vertu de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, la procédure pénale ouverte contre X.________ pour lésions corporelles graves, renvoyé la partie plaignante à faire valoir ses droits devant le juge civil, dès l'entrée en force de l'ordonnance de classement, et levé le séquestre du motocycle Honda CB1000RA en vue de sa restitution à A.________.
C. Par ordonnance du 28 février 2017, la Chambre pénale du Tribunal cantonal du Valais a rejeté le recours formé contre cette ordonnance par A.________.
D. Ce dernier forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral contre l'ordonnance du 28 février 2017. Il requiert, avec suite de frais et dépens, l'annulation de cette décision ainsi que de celle du 18 août 2016 et le renvoi de la procédure au ministère public pour rédaction de l'acte d'accusation et renvoi en jugement de X.________.
 
Considérant en droit :
1. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Constituent des prétentions civiles celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s'agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. Selon l'art. 42 al. 1 LTF, il incombe au recourant d'alléguer les faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir. Lorsque le recours est dirigé contre une décision de non-entrée en matière ou de classement de l'action pénale, la partie plaignante n'a pas nécessairement déjà pris des conclusions civiles. Quand bien même la partie plaignante aurait déjà déclaré des conclusions civiles (cf. art. 119 al. 2 let. b CPP), il n'en reste pas moins que le procureur qui refuse d'entrer en matière ou prononce un classement n'a pas à statuer sur l'aspect civil (cf. art. 320 al. 3 CPP). Dans tous les cas, il incombe par conséquent à la partie plaignante d'expliquer dans son mémoire au Tribunal fédéral quelles prétentions civiles elle entend faire valoir contre l'intimé. Comme il n'appartient pas à la partie plaignante de se substituer au ministère public ou d'assouvir une soif de vengeance, la jurisprudence entend se montrer restrictive et stricte, de sorte que le Tribunal fédéral n'entre en matière que s'il ressort de façon suffisamment précise de la motivation du recours que les conditions précitées sont réalisées, à moins que l'on puisse le déduire directement et sans ambiguïté compte tenu notamment de la nature de l'infraction alléguée (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 4 s.; 138 IV 186 consid. 1.4.1 p. 189 et les références citées).
En l'espèce, le recourant a pris part à la procédure de dernière instance cantonale. Dans ce cadre, il n'a pas formulé de conclusions civiles. L'accident lui a toutefois causé de graves lésions dont, selon son recours cantonal, notamment l'amputation de son avant-bras gauche. On peut déduire de telles lésions qu'il entend réclamer à l'intimé l'indemnisation de son tort moral à tout le moins. Il a ainsi un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée. Il a donc qualité pour former le présent recours.
2. Le recourant conteste l'appréciation des preuves et les faits retenus par l'autorité précédente.
Il invoque qu'il résulterait du second témoignage de B.________ et du témoignage de C.________ que sa moto aurait été déplacée après l'accident de plusieurs dizaines de mètres. Il estime que l'expert n'a pas tenu compte de ce facteur et que la position finale de la moto constituait l'un des éléments fondamentaux pour calculer la vitesse du recourant. L'expertise n'était par conséquent pas probante pour établir celle-ci et celle retenue n'était pas correcte.
2.1. Le Tribunal fédéral est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 143 IV 241 consid. 2.3 p. 244; 142 II 355 consid. 6 p. 358).
Il n'examine la violation de droits fondamentaux que si ce moyen est invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée. Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368).
2.2. Il ressort de l'expertise que le fait que la moto a été déplacée a été pris en considération par l'expert (cf. pièce 123 question 7). Le schéma de l'accident, auquel se réfère l'expertise, le mentionne en outre clairement, tant sur la première page que sur le plan lui-même.
2.3. Le recourant affirme que la moto aurait été déplacée, après s'être immobilisée, de plusieurs dizaines de mètres, alors que l'ordonnance attaquée retient uniquement qu'elle avait été mise en bordure de route par un jeune homme.
Son raisonnement, visant à imposer sa propre appréciation des témoignages sur celle faite par l'autorité précédente, sans démontrer l'arbitraire de celle-ci, est appellatoire. Au demeurant, le déplacement en bordure de route seulement était attesté par le témoin B.________ lors de sa première audition, confirmé par le croquis de l'accident, qui situe la moto juste après la fin des traces qu'elle a laissées, et par la témoin D.________, qui avait vu l'accident dans son intégralité et avait affirmé que la moto avait glissé sur environ 150 mètres, soit beaucoup plus loin que la position finale du recourant. Dans ces conditions, la seule affirmation des témoins B.________, plus d'un an après ses premières déclarations, et C.________ d'un positionnement plus proche de la moto par rapport à son utilisateur n'imposait pas de s'écarter du positionnement retenu par l'ordonnance attaquée.
Cela dit, le recourant soutient que le positionnement de la moto étant erroné, l'expert aurait mal calculé sa vitesse avant la chute. Ce point de vue ne peut non plus être suivi. L'expert n'a en effet pas calculé la vitesse du recourant sur la base du positionnement final de la moto, mais en se fondant sur la longueur des traces de glissades laissées par elle (pièce 120 ch. 3.5), telles qu'elles ressortent des photos prises par les agents de police et du croquis fait par eux (pièces 81 ss), ainsi que du schéma effectué par le bureau technique (pièce 25). L'admission du grief de constatation arbitraire des faits s'agissant du positionnement de la moto après l'accident n'aurait ainsi de toute façon pas conduit à écarter la valeur probante de l'expertise s'agissant de la vitesse du recourant avant la chute et donc à imposer cas échéant une décision différente.
2.4. S'agissant de la vitesse du recourant avant la chute, ce dernier conteste les conclusions de l'expert, retenant une vitesse minimale de 97 km/h, invoquant les estimations de vitesse formulées par les témoins B.________ et C.________. Leurs déclarations sur ce point ne sauraient toutefois suffire à imposer de s'écarter des conclusions de l'expert. D'une part, il s'agit d'estimations alors que l'expert a procédé à des calculs fondés sur plusieurs paramètres, dont la longueur des traces laissées par le motocycle après sa chute. D'autre part, le témoin B.________ avait lors de sa première déposition indiqué avoir entendu le recourant, mais ne l'avoir pas vu avant la chute. On ne voit pas qu'il puisse ensuite estimer de manière probante sa vitesse avant dite chute. Quant au témoin C.________, celui-ci ne s'est manifesté qu'une année après les faits, après avoir discuté à plusieurs reprises de l'accident avec le recourant. Son opinion sur la vitesse du recourant, qu'il juge non excessive, sans pouvoir être capable de l'estimer, n'était pas suffisante pour imposer que l'autorité précédente s'écarte des conclusions de l'expert sur ce point.
2.5. Il résulte de ce qui précède que les griefs d'arbitraire dans l'appréciation des preuves et la constatation des faits sont infondés dans la mesure de leur recevabilité.
3. Le recourant invoque une violation de l'art. 319 al. 1 let. a CPP. Il estime que l'intimé aurait dû être poursuivi du chef de lésions corporelles graves par négligence.
3.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).
La décision de classer la procédure doit être prise en application du principe " in dubio pro duriore ". Ce principe vaut également pour l'autorité judiciaire chargée de l'examen d'une décision de classement. Il signifie qu'en règle générale, un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation que le Tribunal fédéral revoit avec retenue. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2. 1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées).
3.2. Aux termes de l'art. 125 CP, celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1). Si la lésion est grave, le délinquant sera poursuivi d'office (al. 2).
La réalisation de l'infraction sanctionnée par l'art. 125 al. 2 CP suppose la réunion de trois conditions: une négligence commise par l'auteur, une lésion corporelle grave subie par la victime et un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et la lésion.
3.3. En l'espèce, l'autorité précédente a retenu que la pente du tronçon où a eu lieu l'accident était de l'ordre de 7%. Il n'y avait quasiment pas d'accumulation d'eau sur la chaussée, de sorte que la notion d'aquaplanning était inexistante. La vitesse sur ledit tronçon, se trouvant en localité, était limitée à 60km/h. La limitation de vitesse était répétée par un signal posé à courte distance de la zone de l'accident. La courbe précédent le lieu de l'accident imposait de plus un devoir de prudence plus important au conducteur du motocycle. L'expert judiciaire a retenu que la perception de l'eau sur la chaussée était visible à environ 123 mètres. En respectant la limite de vitesse de 60 km/h, le recourant aurait pu s'arrêter sur une distance de 35 m, respectivement vraisemblablement négocier ou contourner la zone mouillée sans que cela n'entraîne sa chute.
Cela étant, le recourant a roulé à une vitesse d'au moins 97 km/h sur le tronçon litigieux, soit un dépassement de la vitesse autorisée de 37 km/h en localité. A cela s'ajoute qu'il venait de se faire enlever une botte plâtrée à son pied droit, qui se trouvait donc encore en état de convalescence. Le recourant a déclaré avoir reconnu la chaussée mouillée à une distance de 42 m 90. En circulant à une vitesse de 97 km/h, il a parcouru environ 26 m 94 par seconde, rendant toute réaction de sa part très difficile, en raison de la distance visible dont il dit avoir bénéficié.
L'autorité précédente n'a pas tranché la question de savoir si l'intimé avait commis une négligence. Elle a admis l'existence d'un rapport de causalité naturelle entre la présence d'eau sur la route et la chute du recourant en raison de la possible perte d'adhérence. Elle a toutefois jugé que le dépassement de vitesse commis par le recourant dans les conditions précitées sortait de l'ordinaire, que la faute du recourant était grave et revêtait une importance prépondérante dans la survenance de l'accident et que l'accident n'aurait vraisemblablement pas eu lieu si le recourant n'avait pas commis intentionnellement une grave violation des règles de la circulation routière. Pour l'autorité précédente, c'était en raison de sa vitesse excessive que le recourant n'avait vraisemblablement pas ou difficilement été en mesure d'entreprendre une manoeuvre d'évitement à temps. Son comportement lourdement fautif et imprévisible était donc la cause prépondérante de sa chute, de sorte qu'il s'imposait d'admettre que le lieu de causalité adéquate entre les actes de l'intimé et l'accident avait été rompu. Un acquittement de l'intimé apparaissait en conséquence d'ores et déjà plus vraisemblable qu'une condamnation, ce qui justifiait le classement.
3.4. Dès lors que le recourant fonde son moyen sur l'admission de celui d'arbitraire, traité ci-dessus, il est irrecevable. Il résulte au surplus du rejet du moyen d'arbitraire qu'aucun doute s'agissant du déroulement des faits ne devait être retenu par l'autorité précédente.
3.5. Le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir considéré que son comportement avait interrompu le rapport de causalité adéquate entre, d'une part, le fait pour l'intimé d'avoir mis en marche un système d'arrosage projetant de l'eau sur une partie de la route et, d'autre part, l'accident.
3.5.1. Un fait est la cause naturelle d'un résultat dommageable s'il en constitue une des conditions Il y a causalité adéquate lorsque le comportement incriminé était propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit. Pour procéder à cette appréciation de la probabilité objective, le juge se met en règle générale à la place d'un " tiers neutre ". La jurisprudence a précisé que, pour qu'une cause soit adéquate, il n'est pas nécessaire que le résultat se produise régulièrement ou fréquemment. Une telle conséquence doit demeurer dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles. La causalité adéquate peut être interrompue par un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s'attendre - force naturelle, fait du lésé ou d'un tiers -, et qui revêt une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l'arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer - y compris le fait imputable à la partie recherchée. La causalité adéquate est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 250 et les références citées).
3.5.2. Le fait que la chaussée soit mouillée est susceptible de jouer un rôle dans un accident de circulation. Cela dit, les véhicules sont équipés pour pouvoir rouler en toute sécurité sur une chaussée mouillée, moyennant que leur conducteur respecte les règles de circulation. Celui-ci doit en particulier respecter les limitations de vitesse et, de plus, ne pas circuler à une vitesse qui l'empêcherait de s'arrêter sur la distance à laquelle porte sa visibilité (art. 4 al. 1 OCR). A cela s'ajoute que, dans le cas d'espèce, l'eau ne s'est quasiment pas accumulée sur la chaussée, en raison de la pente existant à cet endroit. Les faits se sont déroulés au mois d'août 2013, soit à un moment où n'existait aucun risque de gel. Le tronçon, quasi rectiligne au lieu de l'accident, ne devait pas être emprunté à une vitesse supérieur à 60 km/h et la visibilité était d'environ 123 mètres. En d'autres termes à une vitesse de 60 km/h, le fait que la route était mouillée pouvait être vu plus de 7 secondes avant d'atteindre le lieu en question. Dans ces circonstances, avoir mis en marche un système d'arrosage conduisant directement ou indirectement à ce que la route longeant le pré, censée être empruntée à un maximum de 60 km/h, soit mouillée n'apparaît pas propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, à entraîner la perte de maîtrise des personnes empruntant normalement, voire même un peu trop vite, dite route. Une telle conséquence n'apparaît pas dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles. Ainsi, si le rapport de causalité naturelle est admis, tel n'est pas le cas du rapport de causalité adéquate. L'eût-il été qu'il aurait de toute façon été interrompu par le comportement du recourant, qui indiquant ne pas avoir vu l'eau à plus de quelque 40 mètres, a adopté une vitesse totalement excessive (dépassement de la limite autorisée de 37 km/h), ne lui permettant pas de s'arrêter, respectivement de réagir de manière appropriée sur sa distance de vue. Dans ces conditions, le classement de l'accusation de lésions corporelles graves par négligence, en vertu de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, ne prête pas flanc à la critique.
4. Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, au frais du recourant qui succombe.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 3000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton du Valais, Chambre pénale.
Lausanne, le 17 novembre 2017
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
La Greffière : Cherpillod