BGer 1C_278/2017
 
BGer 1C_278/2017 vom 10.10.2017
1C_278/2017
 
Arrêt du 10 octobre 2017
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Karlen, Juge présidant,
Eusebio et Chaix.
Greffière : Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
recourant,
contre
Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie du canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8.
Objet
Assujettissement à une autorisation de construire; changement d'affectation,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre administrative, 3ème section,
du 28 mars 2017.
 
Faits :
A. A.________ est copropriétaire de la parcelle n° 3'427 du registre foncier de la commune de Bellevue, sise en 5 ème zone de construction. Un bâtiment, d'une surface totale de 355 m 2, se trouve pour 190 m 2 sur la parcelle précitée et pour 165 m 2 sur la parcelle voisine n° 3'159. Le bâtiment est connu sous le nom de "Villa Turrettini". À teneur du registre foncier, il est affecté à de l'habitation ("Hab plusieurs logements").
Par décisions du 5 juin 2001 et du 7 novembre 2001, le Département cantonal de l'aménagement, de l'équipement et du logement (devenu depuis lors le Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie [ci-après : DALE]) a autorisé la "transformation et rénovation - jours en toiture" dans la villa.
Le 21 avril 2015, un inspecteur de la direction des autorisations de construire du DALE s'est rendu sur la parcelle précitée pour y effectuer un constat. Le 7 mai 2015, le DALE a informé le prénommé que, lors d'un constat effectué sur place, il avait été constaté que l'affectation de certains locaux de la villa avait été changée par rapport à celle prévalant lors de l'octroi des autorisations de construire; cette situation était susceptible de constituer une infraction à la législation en vigueur. Par courriel du 19 mai 2015, A.________ a précisé au DALE que la maison était entièrement dédiée à la location de bureaux depuis le milieu des années 1960; la demande d'autorisation de construire, au moment de l'acquisition du bien immobilier, avait eu pour but de réhabiliter un certain nombre de bureaux en appartements; l'affectation des locaux n'avait pas changé. Par courrier du 19 juin 2015, A.________ a transmis au DALE une copie d'un extrait d'une expertise réalisée en août 1995 par un bureau d'architectes avant d'acheter le bâtiment, lequel mentionnait que la villa était louée à l'usage de bureaux, un extrait de l'acte d'achat, datant de 1997, et un extrait du dossier de présentation de janvier 2001, produit avec la demande d'autorisation de construire; pour la période du milieu des années 1960 à 1979, date à laquelle il était devenu locataire de bureaux dans la villa, il y avait lieu de s'adresser au propriétaire de l'époque.
Par courrier du 23 juin 2015, le DALE a ordonné au prénommé de requérir dans un délai de trente jours la délivrance d'une autorisation de construire, sous forme de demande définitive, afin de tenter de régulariser la situation. Par acte du 27 août 2015, A.________ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance contre la décision précitée. Après avoir procédé à l'audition des parties, celui-ci a déclaré irrecevable le recours, par jugement du 5 octobre 2016.
Par arrêt du 28 mars 2017, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté dans la mesure de sa recevabilité le recours déposé par A.________ contre le jugement du 5 octobre 2016.
B. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 28 mars 2017 et la décision du 23 juin 2015 du DALE. Il conclut subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants de son arrêt. Le DALE conclut principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Le recourant a répliqué par courrier du 6 juillet 2017.
 
Considérant en droit :
1. Formé contre un arrêt final (art. 90 LTF) pris en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit des constructions (art. 82 let. a LTF), le présent recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recourant est directement touché par le prononcé d'irrecevabilité de l'arrêt attaqué et a un intérêt digne de protection à en obtenir l'annulation. Il a dès lors qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.
Les juges cantonaux ayant refusé d'entrer en matière sur son recours, seule la question de la recevabilité du recours cantonal peut donc être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation (ATF 133 IV 119 consid. 6.3 p. 121).
2. Le recourant conteste la nature incidente de la décision querellée, estimant qu'il s'agit d'une décision finale. Il se plaint d'une application arbitraire de l'art. 57 let. a et c de la loi sur la procédure administrative genevoise du 12 septembre 1985 (LPA/GE; RS/GE E 5 10).
2.1. Appelé à revoir l'interprétation d'une norme cantonale sous l'angle restreint de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - même préférable - paraît possible (ATF 141 I 172 consid. 4.3.1 p. 177 et les références citées). Les griefs de violation de dispositions cantonales sont soumis à des exigences de motivation accrue (art. 106 al. 2 LTF); il appartient dans ce contexte à la partie recourante de citer les dispositions du droit cantonal dont elle se prévaut et de démontrer en quoi celles-ci auraient été appliquées arbitrairement ou d'une autre manière contraire au droit (cf. ATF 136 II 489 consid. 2.8 p. 494; 133 IV 286 consid. 1.4 p. 287).
2.2. Le recourant prétend d'abord qu'il s'agit d'une décision finale au sens de l'art. 57 let. a LPA/GE.
La décision litigieuse ordonne au recourant de déposer une requête de permis de construire relative au changement d'affectation de certains locaux de la villa. En exigeant le dépôt d'une telle requête, après avoir constaté un changement d'affectation, le Département cantonal a ouvert une procédure administrative, qui prendra fin par une décision qui pourra soit constater, sur la base du dossier complet, que le changement d'affectation n'est en définitive pas soumis à une autorisation; soit dire qu'il est bel et bien soumis à autorisation et accorder cette autorisation; soit encore refuser l'autorisation de construire. En exigeant le dépôt d'une requête, le Département cantonal rend donc une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure administrative mais constitue une simple étape dans le cours de celle-ci.
Quoi qu'en dise le recourant, la référence contenue dans la décision attaquée à trois arrêts du Tribunal fédéral (arrêts 1C_92/2017 du 15 février 2017 consid. 2.3; 1C_390/2016 du 5 septembre 2016 consid. 2.2; 1C_386/2013 du 28 février 2014 consid. 1.2) est pertinente, dans la mesure où ces arrêts ont tous pour objet une décision qui ordonne de déposer des requêtes en autorisation de construire qu'ils qualifient d'incidente.
Par ailleurs, la comparaison opérée par le recourant avec l'arrêt 1C_405/2015 du 6 avril 2016 manque de pertinence, dans la mesure où la question de la recevabilité n'était alors pas litigieuse devant le Tribunal fédéral.
Enfin, la mention inexacte dans la décision en cause d'un délai de recours de 30 jours (prévu par l'art. 62 al. 1 let. a LPA/GE pour les décisions finales) et non pas de 10 jours (tel que prévu par l'art. 62 al. 1 let. b LPA/GE pour les décisions incidentes) ne suffit pas à qualifier la décision de finale (cf. ATF 141 III 270 consid. 3.3 p. 272 s.).
La cour cantonale n'a donc pas fait preuve d'arbitraire en qualifiant la décision litigieuse d'incidente au sens de l'art. 57 let. c LPA/GE.
2.3. Le recourant soutient ensuite que si la décision litigieuse devait toutefois être qualifiée d'incidente, elle pourrait faire l'objet d'un recours. Il reproche à la cour cantonale d'avoir retenu qu'aucune des deux hypothèses de l'art. 57 let. c LPA/GE n'était remplie.
2.3.1. A teneur de l'art. 57 let. c LPA/GE, les décisions incidentes sont susceptibles de recours si elles peuvent causer un préjudice irréparables ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.
La teneur de l'art. 57 let. c LPA/GE est similaire à celle de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Dès lors, la cour cantonale pouvait interpréter cette disposition selon les principes dégagés par la jurisprudence du Tribunal fédéral au sujet de l'art. 93 LTF, ce que le recourant ne remet d'ailleurs pas en cause. Un préjudice ne peut être qualifié d'irréparable que s'il cause un inconvénient de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1; 138 III 190 consid. 6); un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable (ATF 141 III 80 consid. 1.2; 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.2). Il appartient au recourant d'expliquer en quoi la décision entreprise remplit les conditions de l'art. 93 LTF, sauf si ce point découle manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause (art. 42 al. 1 et 2 LTF; notamment: ATF 142 V 26 consid. 1.2 p. 28; 141 III 80 consid. 1.2 p. 81 et les références).
2.3.2. En l'espèce, la cour cantonale a considéré que la décision litigieuse ne causait aucun préjudice irréparable puisqu'elle se limitait à obliger le recourant au dépôt d'une requête, sans aucunement préjuger de la décision finale; il n'était pas exclu qu'à l'issue de l'instruction de la demande d'autorisation de construire, le DALE considère qu'il n'y a pas de changement d'affectation; le recourant conservait par ailleurs la possibilité de recourir contre la décision que prendra le Département cantonal; de plus, le fait qu'un éventuel tiers puisse recourir contre la future décision du Département était sans pertinence, l'exercice d'un droit par un tiers autorisé ne constituant aucunement un dommage irréparable pour le recourant.
Face à ce raisonnement, le recourant se contente d'affirmer que le préjudice irréparable résulte du fait qu'il ne peut plus obtenir de décision le libérant de toute obligation de déposer une autorisation de construire. Il réitère aussi, de manière appellatoire, son argument selon lequel un tiers éventuel aurait la possibilité de recourir contre la future décision du DALE. Ce faisant, il ne parvient pas à démontrer le caractère insoutenable de l'argumentation de l'instance précédente. En effet, on ne voit pas à quel préjudice irréparable le recourant pourrait être exposé, dès lors que la légalité du changement d'affectation sera prochainement examinée par l'autorité administrative compétente, sur la base du dossier qu'il doit déposer. Quant à l'obligation de constituer un dossier en vue du dépôt d'une requête en autorisation, si elle impose différentes démarches au propriétaire concerné, on ne saurait considérer qu'elle cause un préjudice irréparable (cf. arrêt 1C_470/2008 du 11 novembre 2008 consid. 2.3). Le mémoire de recours ne contient du reste pas la démonstration de l'existence ou du risque d'un tel préjudice, alors qu'il incombe au recourant de présenter une argumentation motivée sur ce point.
2.3.3. En outre, la cour cantonale a retenu que la seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA/GE n'entrait pas en considération, une admission du recours n'étant pas de nature à conduire immédiatement à une décision finale qui permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse; la procédure d'autorisation de construire ne devrait en effet pas présenter de tels inconvénients pour le recourant, vu que le dépôt de la requête ne nécessitait pas l'élaboration d'un travail démesuré ou excessivement coûteux. Par ailleurs, l'instance précédente a souligné que la présente procédure ne permettait précisément pas de trancher la question de fond: à défaut du dépôt d'une requête formelle et de l'instruction du dossier par le Département cantonal, aucune autorité ne pouvait se prononcer valablement. Pour contrer cette argumentation, le recourant fait uniquement valoir qu'il devra s'adjoindre les services d'un architecte pour préparer le dossier, "que son instruction passera par les différents services de l'Etat, que d'éventuelles mises en conformité seront demandées, qu'une décision devra être rendue par le DALE et qui fera sans doute l'objet de recours". Ces arguments sont manifestement insuffisants à faire admettre l'arbitraire du raisonnement de la cour cantonale puisqu'ils ne démontrent pas que la procédure de permis de construire nécessitera des mesures probatoires prenant un temps considérable et exigeant des frais importants.
Pour le reste, la question de savoir si l'autorisation de construire peut être délivrée ne constitue pas l'objet du présent litige et les griefs de fond qui s'y rattachent (violations du principe de la non-rétroactivité des lois, du principe de la bonne foi de l'administration et du délai de péremption de 30 ans [art. 26 Cst. et 5 al. 3 Cst.]; violation du principe de l'égalité de traitement [art. 8 Cst.]) pourront être examinés dans le cadre de l'éventuelle procédure contre la décision que rendra le DALE.
2.4. Par conséquent, la cour cantonale n'a pas fait preuve d'arbitraire en qualifiant la décision du 23 juin 2015 de décision incidente ne remplissant pas les hypothèses de l'art. 57 let. c LPA/GE.
3. Il s'ensuit que le recours est rejeté, aux frais du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Dans la mesure où le présent arrêt statue sur une question de recevabilité de droit cantonal, des frais judiciaires réduits à 2'000 fr. se justifient. Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie et à la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 10 octobre 2017
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Karlen
La Greffière : Tornay Schaller