BGer 1B_87/2017
 
BGer 1B_87/2017 vom 06.04.2017
{T 0/2}
1B_87/2017
 
Arrêt du 6 avril 2017
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Eusebio et Chaix.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
recourant,
contre
IIIe arrondissement pour le district de Monthey,
intimée,
Office régional du Ministère public du Bas-Valais, place Sainte-Marie 6, case postale 98, 1890 St-Maurice.
Objet
Procédure pénale, récusation,
recours contre l'ordonnance du Juge unique de la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais du 21 février 2017.
 
Faits :
A. Par acte d'accusation du 19 octobre 2016, A.________ a été renvoyé en jugement devant le Tribunal du district de Monthey pour tentative de lésions corporelles graves (art. 22 et 122 CP), voire tentative de lésions corporelles simples (art. 22 et 123 CP), menaces (art. 180 CP), conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 de la loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière [LCR; RS 741.01]), vol d'usage (art. 94 LCR), conduite sans autorisation (art. 95 LCR) et contravention à l'art. 19a de la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup; RS 812.121).
Par mandat du 3 novembre 2016, la Juge de district Camille Rey-Mermet a cité les parties à comparaître aux débats agendés au 24 janvier 2017. Le 23 janvier 2017, la magistrate a cependant annulé cette séance, s'estimant incompétente eu égard à la peine qui pourrait être prononcée; elle s'est dessaisie en faveur du Tribunal du IIIe arrondissement pour le district de Monthey. Le 24 janvier suivant, cette seconde autorité - agissant par sa Présidente Camille Rey-Mermet - a fixé l'audience de jugement au 9 mars 2017.
B. Le 27 janvier 2017, A.________ a sollicité la récusation de la Juge Camille Rey-Mermet. Celle-ci s'est déterminée le 30 suivant. Par ordonnance du 21 février 2017, le Juge unique de la Chambre pénale du Tribunal cantonal du Valais a rejeté la demande de récusation. Cette autorité a considéré que les fonctions de "juge unique du district de Monthey" et de "présidente du tribunal du IIIe arrondissement pour le district de Monthey" n'étaient pas différentes, dans la mesure où elles amenaient toutes deux à devoir juger en première instance le requérant. Elle a également retenu en substance que le dessaisissement prononcé ne permettait pas de considérer que la magistrate se serait déjà forgée une opinion inébranlable avant même la tenue des débats.
C. Par acte du 6 mars 2017, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à son annulation et à la récusation de la Juge Camille Rey-Mermet dans le cadre de la cause soumise au Tribunal du IIIe arrondissement pour le district de Monthey. Le recourant sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale avec effet au 22 février 2017, date de la réception du jugement attaqué.
Le Ministère public, la Juge intimée et l'autorité précédente ont renoncé à se déterminer.
 
Considérant en droit :
1. Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, une décision relative à la récusation d'un magistrat pénal peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale. Le recourant, prévenu dont la demande de récusation a été rejetée, a qualité pour recourir en vertu de l'art. 81 al. 1 LTF. Pour le surplus, le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en instance cantonale unique (art. 80 al. 2 in fine LTF) et les conclusions prises sont recevables (art. 107 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2. Le recourant se plaint de violations des art. 56 let. f et 334 CPP. Il soutient en substance qu'un juge unique ayant rendu une décision de dessaisissement en application de l'art. 334 al. 1 CPP ne pourrait pas ensuite faire partie de l'autorité collégiale à qui la cause était renvoyée; cela vaudrait d'autant plus au regard de la position de Présidente exercée en l'espèce par la Juge intimée.
2.1. En vertu de l'art. 56 let. b CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsqu'elle a agi à un autre titre dans la même cause, en particulier comme membre d'une autorité, conseil juridique d'une partie, expert ou témoin.
Le fait que le juge a déjà participé à l'affaire à un stade antérieur de la procédure peut éveiller le soupçon de partialité. La jurisprudence a toutefois renoncé à résoudre une fois pour toute la question de savoir si le cumul des fonctions contrevient ou non aux art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH. Elle exige, cependant, que l'issue de la cause ne soit pas prédéterminée, mais qu'elle demeure au contraire indécise quant à la constatation des faits et à la résolution des questions juridiques. Il faut, en particulier, examiner les fonctions procédurales que le juge a été appelé à exercer lors de son intervention précédente, prendre en compte les questions successives à trancher à chaque stade de la procédure et mettre en évidence leur éventuelle analogie ou leur interdépendance, ainsi que l'étendue du pouvoir de décision du juge à leur sujet. Il peut également se justifier de prendre en considération l'importance de chacune des décisions pour la suite du procès (ATF 138 I 425 consid. 4.2.1 p. 429 et les arrêts cités). L'art. 56 let. b CPP doit être interprété dans le même sens (arrêt 1B_131/2011 du 2 mai 2011 consid. 3.2).
La jurisprudence a en outre précisé que la notion de "même cause" s'entend de manière formelle, c'est-à-dire comme la procédure ayant conduit à la décision attaquée ou devant conduire à celle attendue. Elle n'englobe en revanche pas une procédure distincte ou préalable se rapportant à la même affaire au sens large, soit au même ensemble de faits et de droits concernant les mêmes parties. Ainsi, une "même cause" au sens de l'art. 56 let. b CPP implique une identité de parties, de procédure et de questions litigieuses (arrêt 1B_409/2016 du 3 janvier 2017 consid. 3.1 destiné à la publication).
Le cas de récusation visé par l'art. 56 let. b CPP présuppose aussi que le magistrat en question ait agi à "un autre titre", soit dans des fonctions différentes. Tel n'est en principe pas le cas du juge qui statue sur renvoi à la suite de l'annulation de sa décision (arrêt 1B_409/2016 du 3 janvier 2017 consid. 3.1 destiné à la publication) ou du magistrat se prononçant, dans le cadre d'une même fonction, à plusieurs reprises au cours d'une instruction mais par rapport à des procédures incidentes formellement différentes (arrêt 1B_409/2016 du 3 janvier 2017 consid. 3.3 destiné à la publication). La remise en cause d'un jugement rendu par défaut n'entraîne pas non plus - en l'absence d'autres motifs, notamment au sens de l'art. 56 let. f CPP - la récusation des juges ayant participé à la première procédure (ATF 121 IV 340 consid. 2b p. 344). Quant aux actes préparatoires - dont l'examen prévu à l'art. 329 al. 1 CPP - et autres décisions d'instruction, ils sont nécessaires à chaque procédure pénale et ne permettent en principe pas de considérer que celui les ayant ordonnés, respectivement celui qui dirige la procédure, serait prévenu (arrêt 1B_326/2016 du 29 septembre 2016 consid. 3.4 et les références citées; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Petit commentaire, Code de procédure pénale, 2e éd. 2016, n° 11 ad art. 56 CPP; MARKUS BOOG, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, Art. 1-195 StPO, vol. I, 2e éd. 2014, n° 33 ad art. 56 CPP). Il en va de même de la demande tendant à la modification ou au complément de l'acte d'accusation (art. 333 CPP; NIKLAUS SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar [ci-après : Praxiskommentar], 2e éd. 2013, n° 8 ad art. 56 CPP; le même, Handbuch des Schweizerisches Strafprozessrechts [ci-après Handbuch], 2e éd. 2013, n° 516 p. 190 ss).
2.2. Un magistrat est également récusable, selon l'art. 56 let. f CPP, "lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention".
Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.1 p. 179; 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144 s.; arrêt 1B_409/2016 du 3 janvier 2017 consid. 3.2 destiné à la publication).
2.3. En vertu de l'art. 19 al. 1 CPP, le tribunal de première instance statue en première instance sur toutes les infractions qui ne relèvent pas de la compétence d'autres autorités. La Confédération et les cantons peuvent prévoir un juge unique qui statue en première instance sur les contraventions (art. 19 al. 2 let. a CPP) et sur les crimes et les délits, à l'exception de ceux pour lesquels le ministère public requiert une peine privative de liberté supérieure à deux ans, un internement au sens de l'art. 64 CP, un traitement au sens de l'art. 59 al. 3 CP ou une privation de liberté de plus de deux ans lors de la révocation d'un sursis (art. 19 al. 2 let. b CPP).
Selon l'art. 12 al. 1 de la loi cantonale du 11 février 2009 d'application du code de procédure pénale suisse (LACPP; RS/VS 312.0), le tribunal de première instance est le juge de district pour connaître des infractions pouvant relever du juge unique selon le droit fédéral (let. a) et le tribunal d'arrondissement pour connaître des autres infractions (let. b).
L'art. 334 al. 1 CPP prévoit que, lorsque le tribunal arrive à la conclusion que l'affaire pendante devant lui peut déboucher sur une peine ou une mesure qui dépasse sa compétence, il transmet l'affaire au tribunal compétent, au plus tard à la fin des plaidoiries; celui-ci reprend la procédure probatoire depuis le début. Le dessaisissement n'est pas sujet à recours (art. 334 al. 2 CPP).
2.4. En l'espèce, la Juge intimée a estimé que "compte tenu des faits reprochés à A.________, [elle] estim[ait] que l'affaire pourrait déboucher sur une peine qui dépass[ait] la compétence du tribunal du district; cela étant, [elle] transmet[tait], en application de l'art. 334 CPP, le dossier au Tribunal du IIIe arrondissement pour le district de Monthey". La Juge intimée figure cependant dans la composition de cette seconde autorité, y fonctionnant en tant que Présidente (direction de la procédure, art. 61 let. c CPP).
Contrairement à ce que soutient la cour cantonale - de manière cependant incontestée par le recourant -, cette configuration particulière ne semble pas exclure toute récusation de la Juge intimée en application de l'art. 56 let. b CPP (BOOG, op. cit., n° 31 ad art. 56 CPP; STEPHENSON/ZALUNARDO-WALSER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, Art. 196-457 StPO, vol. II, 2e éd. 2014, n° 4 ad art. 334 CPP; YVONA GRIESSER, in DONATSCH/HANSJAKOB/LIEBER (édit.), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], 2e éd. 2014, n° 2 ad art. 334 CPP; SCHMID, Praxiskommentar, op. cit., n° 4 ad art. 334 CPP; SCHMID, Handbuch, op. cit., n° 517 p. 192). Cela étant, cette question peut rester indécise en l'espèce.
2.5. En effet, un motif de récusation découle ici des circonstances - notamment chronologiques - entourant le prononcé de dessaisissement.
Ainsi, la magistrate intimée a été saisie par acte d'accusation du 19 octobre 2016. Le 3 novembre suivant, elle a fixé les débats au 24 janvier 2017. Par décision du 23 janvier 2017, elle s'est cependant dessaisie de la cause en application de l'art. 334 al. 1 CPP. Agissant ensuite au nom de l'autorité collégiale nouvellement saisie, la Juge intimée a agendé, par mandat de comparution du 24 janvier 2017, son audience de jugement au 9 mars 2017.
Un dessaisissement n'est certes pas exclu à ce stade avancé de la procédure (cf. art. 334 al. 1 1ère phrase CPP). Cependant, lorsqu'il intervient presque trois mois après la saisie de la Juge intimée et surtout à la veille des débats, il ne peut pas être retenu que la décision d'incompétence eu égard à la peine - plus lourde - qui pourrait être envisagée résulterait de la lecture du seul acte d'accusation ou d'un examen prima facie du dossier. Dans la mesure où la Juge intimée s'est dessaisie le jour précédent l'audience de jugement, son appréciation repose nécessairement sur une analyse approfondie du dossier, en fait et en droit. Cela vaut d'autant plus que la connaissance du dossier permet à la magistrate intimée - agissant alors en tant que Présidente de la nouvelle autorité saisie - de fixer dès le lendemain la date des prochains débats. La Juge intimée paraît ainsi s'être forgée une opinion sur la cause qui lui est soumise, notamment quant à une éventuelle culpabilité du recourant par rapport aux faits qui lui sont reprochés et/ou sur la durée de la peine encourue. Or, il doit être rappelé qu'en début d'instruction, le chef d'infraction de tentative de meurtre avait été évoqué à l'encontre du recourant (cf. p. 2 de l'arrêt entrepris), prévention aggravée qui pourrait, le cas échéant, justifier un renvoi en jugement devant une instance connaissant des infractions plus graves. A cela s'ajoute encore le fait que la Juge intimée intervient en tant que direction de la procédure de l'autorité collégiale, situation lui conférant certaines prérogatives notamment au cours de la procédure probatoire (cf. art. 341 CPP).
Sur le plan objectif, ces éléments - en particulier la chronologie précitée - suffisent pour retenir une apparence de prévention de la part de la Juge intimée à l'encontre du recourant (art. 56 let. f CPP). Partant, la juridiction précédente viole le droit fédéral en rejetant la demande de récusation de la Juge intimée et ce grief doit être admis.
3. Il s'ensuit que le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la requête de récusation de la Juge intimée est admise.
Le recourant, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat, a droit pour les procédures fédérale et cantonale à des dépens à la charge du canton du Valais (art. 68 al. 1 et 5 LTF). Sa requête d'assistance judiciaire est dès lors sans objet. Il n'est pas perçu de frais judiciaires pour les procédures fédérale et cantonale (art. 66 al. 4 et 67 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis. L'arrêt du 21 février 2017 du Juge unique de la Chambre pénale du Tribunal cantonal du Valais est annulé. La requête de récusation de la Juge Camille Rey-Mermet est admise.
2. Une indemnité de dépens, fixée à 2'500 fr., pour les procédures fédérale et cantonale est allouée au mandataire du recourant, à la charge du canton du Valais. La requête d'assistance judiciaire est sans objet.
3. Il n'est pas perçu de frais judiciaires pour les procédures fédérale et cantonale.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties, à l'Office régional du Ministère public du Bas-Valais et au Juge unique de la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais.
Lausanne, le 6 avril 2017
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
La Greffière : Kropf