BGer 8C_319/2016
 
BGer 8C_319/2016 vom 03.04.2017
{T 0/2}
8C_319/2016
 
Arrêt du 3 avril 2017
 
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Maillard, Président,
Frésard et Heine.
Greffière : Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Romain Jordan, avocat,
recourant,
contre
Commune de B.________,
représentée par Me François Bellanger, avocat,
intimée.
Objet
Droit de la fonction publique (heures supplémentaires),
recours contre le jugement de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 8 mars 2016.
 
Faits :
A. A.________ a été engagé par la Commune de B.________ en qualité de cantonnier à partir du 3 février 1992. Dès le 1 er janvier 1996, il est devenu secrétaire de la commune. Le 1 er septembre 2007, il a été nommé chef du secteur voirie du service Transport Voirie et Espaces verts (STVE). A partir du 1 er octobre 2012, parallèlement à son activité de chef de secteur, il a occupé la fonction de suppléant du chef de service du STVE.
Par décision du 15 septembre 2014, la commune a résilié les rapports de service du prénommé pour le 31 décembre 2014. Cette décision a fait l'objet de recours successifs, tout d'abord devant la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative (arrêt du 8 mars 2016; cause ATA/211/2016), puis devant le Tribunal fédéral. Celui-ci a constaté que la procédure cantonale avait été entachée d'un vice qui devait entraîner d'emblée l'annulation du jugement entrepris, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond. En conséquence, il a renvoyé la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision (arrêt du 9 décembre 2016; cause 8C_318/2016).
Entre-temps, par lettre du 11 novembre 2014, A.________ a demandé à la commune de lui fournir un relevé précis des heures supplémentaires qui lui avaient été payées depuis le début des rapports de travail. Il faisait valoir que celles-ci avaient été payées en fonction d'un traitement annuel basé sur douze mois et non "sur les treize mois contractuels". Le 8 décembre 2014, la commune lui a répondu que le relevé demandé n'était pas nécessaire attendu que selon les dispositions réglementaires, les heures supplémentaires étaient rétribuées uniquement en fonction du traitement de base augmenté de l'allocation de vie chère, à l'exclusion du treizième salaire.
B. A.________ a recouru devant la Chambre administrative de la Cour de justice, laquelle l'a débouté par arrêt du 8 mars 2016.
C. A.________ forme un recours en matière de droit public, subsidiairement un recours constitutionnel subsidiaire, dans lequel il conclut, comme en première instance, à l'annulation de l'arrêt attaqué et à la condamnation de la commune de B.________ au paiement d'une somme de 15'000 fr. avec intérêts à 5 % dès le 1er janvier 2014. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
La commune conclut principalement au rejet du recours et, subsidiairement, au renvoi de la cause à la Chambre administrative pour instruction sur la question de la prescription de la créance invoquée et nouvelle décision.
 
Considérant en droit :
 
Erwägung 1
1.1. Le jugement entrepris a été rendu en matière de rapports de travail de droit public au sens de l'art. 83 let. g LTF. En ce domaine, le recours n'est recevable que si la valeur litigieuse s'élève au moins à 15'000 fr. (art. 85 al. 1 let. b LTF). Le recours est recevable sans égard à la valeur litigieuse lorsque la contestation soulève une question juridique de principe (art. 85 al. 2 LTF).
1.2. Le jugement cantonal ne mentionne pas la valeur litigieuse contrairement à ce que prescrit l'art. 112 al. 1 let. d LTF. Dans son recours à l'autorité cantonale, le recourant a indiqué qu'il estimait à environ 15'000 fr. le montant qui devait lui être versé par la commune à titre de complément pour les heures supplémentaires qu'il avait effectuées "ces dix dernières années". Dans son recours devant le Tribunal fédéral, il indique avoir effectué environ 1'200 heures supplémentaires, ce qui justifierait la créance alléguée de 15'000 fr. Sur la base de ces indications, fort imprécises, et faute de constatations ou d'éléments d'appréciation décisifs permettant au Tribunal fédéral de fixer lui-même la valeur litigieuse, il n'est pas possible de constater d'emblée et avec certitude que le seuil de 15'000 fr. est atteint. D'autre part, le litige - le contraire n'est pas allégué - ne soulève à l'évidence pas une question juridique de principe (sur cette notion, voir par exemple ATF 141 II 113 consid. 1.4.1 p. 118). Le recours en matière de droit public n'est ainsi pas recevable.
1.3. L'intitulé erroné du recours ne nuit toutefois pas à son auteur, pour autant que les conditions de recevabilité du recours qui aurait dû être interjeté soient réunies (cf. ATF 134 III 379 consid. 1.2 p. 382; 131 I 291 consid. 1.3 p. 296; arrêt 8C_158/2016 du 2 février 2017 consid. 2.4), ce qui est le cas en l'espèce. En effet, le recourant invoque uniquement la violation de droits constitutionnels, griefs recevables dans un recours constitutionnel subsidiaire (art. 116 LTF). Pour cette raison et dans la mesure où le recourant peut se prévaloir d'un intérêt juridique à l'annulation du jugement attaqué (art. 115 al. 1 let. b LTF; arrêt 8C_158/2016 du 2 février 2017 consid. 2.4), le recours sera traité comme tel.
2. La question est de savoir si le paiement des heures supplémentaires doit ou non inclure une part de treizième salaire.
3. Sauf exceptions non pertinentes en l'espèce (cf. art. 95 let. c, d et e LTF), l'on ne peut invoquer la violation du droit cantonal ou communal en tant que tel devant le Tribunal fédéral (art. 95 LTF a contrario). Il est néanmoins possible de faire valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, comme la protection contre l'arbitraire (art. 9 Cst.) ou la garantie d'autres droits constitutionnels (ATF 140 III 385 consid. 2.3 p. 387; 138 V 67 consid. 2.2 p. 69). Le Tribunal fédéral n'examine de tels moyens que s'ils sont formulés conformément aux exigences de motivation qualifiée prévues à l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 141 I 36 consid. 1.3 p. 41; 136 II 304 consid. 2.5 p. 314).
 
Erwägung 4
 
Erwägung 4.1
4.1.1. Sous le titre "Éléments du traitement", l'art. 47 du Statut du personnel de la Ville de B.________ (ci-après: le statut), dans sa version de 2008, prévoit ceci:
Le traitement comprend:
a) le traitement de base;
b) l'allocation de vie chère complémentaire au traitement de base, calculée en fonction de l'indice genevois des prix à la consommation;
c) un treizième mois de salaire, représentant un douzième du salaire brut (salaire de base ajouté de l'allocation de vie chère).
4.1.2. L'art 48 traite de la "Grille des traitements de base". Il prévoit ce qui suit:
Le traitement annuel de base des membres du personnel au sens des articles 6a) à 6d) est fixé conformément à la grille annexée au présent statut dont elle fait partie intégrante.
(...)
La grille des traitements est adaptée chaque année à l'évolution de l'indice genevois des prix à la consommation par l'incorporation de l'allocation de vie chère versée l'année précédente.
4.1.3. Enfin, l'art. 56 règle la "Compensation des heures supplémentaires". Il est ainsi libellé:
Les heures supplémentaires, accomplies en sus de la durée normale de travail, sont en principe compensées, au plus tard dans un délai de six mois, par des congés d'une durée équivalente.
La compensation en temps est exclue si elle perturbe le bon fonctionnement du service, de l'avis du chef dudit service. Dans ce cas, chaque heure supplémentaire non compensée donne droit à une rétribution égale au 2088ème du traitement annuel.
Si les heures sont effectuées après la fin de l'horaire de travail et jusqu'à 22 heures, ainsi que le samedi, elles donnent droit à une majoration horaire de 50 %; si elles sont effectuées de 22 à 7 heures, ainsi que les dimanches et jours fériés, elles donnent droit à une majoration horaire de 100 %.
(...)
4.2. Les premiers juges ont considéré que le statut de 2008 utilisait indistinctement les termes de "traitement" (par exemple aux art. 12, 15, 35, 39, 43 44, 46, etc.), de "traitement de base" (art. 47 let. a), de "traitement annuel" (art. 56), de "traitement entier" (art. 61 let. a), de "traitement net" (art. 61 let. b), de "traitement intégral" (art. 62), de "dernier traitement mensuel" (art. 65), de "dernier traitement du défunt" (art. 66) ou encore de "traitement mensuel de base" (art. 101). Compte tenu de ces différents qualificatifs, une interprétation littérale du statut ne fournissait pas de réponse à la question posée. Aussi bien la juridiction cantonale a-t-elle procédé à une interprétation systématique, historique et téléologique pour parvenir à la conclusion que le traitement annuel de l'art. 56 correspondait au traitement annuel de base (augmenté de l'allocation de vie chère) selon l'art. 48. Elle en a conclu que le treizième salaire n'est pas pris en compte dans la rétribution des heures supplémentaires.
4.3. Le recourant conteste l'interprétation faite par les premiers juges. Il y oppose une interprétation littérale. Invoquant l'art. 9 al. 1 Cst. il soutient que les juges cantonaux ont procédé à une interprétation insoutenable des dispositions du statut. Selon lui, le texte clair du statut conduit à considérer que la notion de traitement annuel au sens de l'art. 56 fait référence au traitement défini à l'art. 47 et englobe donc le treizième mois de salaire selon la lettre c de cette dernière disposition.
4.4. Appelé à revoir l'application faite d'une norme cantonale ou communale sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est défendable. Par conséquent, si celle-ci ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation cantonale ou communale en cause, elle sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable. En matière d'application du droit cantonal ou communal, l'arbitraire et la violation de la loi ne sauraient être confondus; une violation de la loi doit être manifeste et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire. De plus, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables; encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 140 III 16 consid. 2.1 p. 18 et des références citées; 136 I 316 consid. 2.2.2 p. 318 s). Dans ce contexte, le recourant est soumis aux exigences accrues de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF.
4.5. Cela dit, les critiques du recourant ne sont toutefois pas de nature à démontrer le caractère insoutenable de l'argumentation de la cour cantonale. Le recourant oppose sa propre interprétation à celle des premiers juges. Vu la diversité et aussi l'imprécision des termes utilisés par les auteurs du statut pour qualifier la rémunération des employés, il ne saute pas immédiatement aux yeux que l'art. 56 doive forcément s'interpréter à la seule lumière de l'art. 47. En outre, comme le relèvent les premiers juges, l'art. 47 ne définit pas de manière exhaustive le traitement; il vient s'y ajouter, conformément au chapitre 2 du statut, diverses indemnités, gratifications et primes, telle par exemple la prime de progression. Enfin, si l'on met l'accent sur le terme "annuel" figurant à l'art. 56, il n'est pas déraisonnable de considérer que cette disposition réglementaire peut aussi bien être mise en relation avec le traitement annuel défini par la grille des fonctions, augmenté de l'allocation de vie chère (art. 48), qu'avec le traitement selon l'art. 47. Le recourant, au demeurant, a occupé des années durant une fonction de cadre au sein de l'administration communale et il était donc censé connaître parfaitement les règles statutaires en matière de personnel. Or, bien qu'il ait été indemnisé pour un nombre important d'heures supplémentaires, sur une très longue période de surcroît, il ne paraît jamais avoir remis en cause l'application par la commune de l'art. 56 du statut avant que ses rapports de service ne soient résiliés.
On notera enfin que dans sa version de 2016 (entrée en vigueur le 19 septembre 2016; document accessible à l'adresse https://www.B.________.ch/node/266), le statut prévoit désormais que les heures supplémentaires sont rétribuées en fonction "de la somme du traitement de base et de l'allocation de vie chère complémentaire selon l'article 47 let. a et b du présent statut" (la lettre c relative au treizième salaire n'étant pas mentionnée). On ne saurait toutefois y voir une intention de limiter le montant de la rétribution horaire par rapport à la situation antérieure. Il semble bien plus que le législateur communal ait eu pour souci de clarifier une situation qui pouvait jusqu'alors prêter à confusion en confirmant de manière explicite cette fois le sens qu'il entendait jusqu'alors donner aux dispositions en cause.
Le grief d'arbitraire doit par conséquent être écarté.
5. Le recourant se prévaut de la jurisprudence applicable en droit privé, qui devrait s'appliquer à titre supplétif par le renvoi de l'art. 113 du statut.
Selon cette disposition, pour tous les cas non expressément prévus par le présent statut du personnel, les dispositions du Code des obligations s'appliquent à titre de droit public supplétif. Il est vrai d'autre part qu'en droit privé, le salaire normal au sens de l'art. 321c al. 3 CO comprend, sauf accord écrit contraire, tous les éléments composant la rémunération obligatoirement due par l'employeur, y compris le treizième salaire (arrêt 4A_352/2010 du 5 octobre 2010 consid. 3.1; JEAN-PHILIPPE DUNAND, in Commentaire du contrat de travail, Dunand/Mahon [éds], 2013, n. 30 ad art. 321c CO). L'application du droit privé supposerait toutefois l'existence d'une lacune dans la réglementation cantonale. Le seul fait que la disposition en cause est sujette à interprétation et que la cour cantonale adopte une solution défendable au regard du pouvoir d'examen limité du Tribunal fédéral ne justifie pas l'application du droit fédéral comme droit supplétif (ATF 139 I 57 consid. 5.1 p. 59; 138 I 232 consid. 6.1 p. 238).
6. C'est en vain également que le recourant se plaint d'une violation du principe d'égalité au motif qu'il n'existerait aucune raison objective de faire coexister des statuts différents (de droit public et de droit privé) en matière de rémunération d'heures supplémentaires. Le statut de la fonction publique peut en effet être organisé librement par les collectivités publiques. Ce statut qui, pour être en général globalement plus favorable, peut comporter par rapport au Code des obligations des contraintes plus sévères sur certains points (ATF 139 I 57 consid. 5.1 p. 60 et les arrêts cités; STEPHANIE PERRENOUD, L'évolution historique du droit de la relation de travail, in Le droit de la relation de travail à la croisée des chemins: convergences et divergences entre le droit privé du travail et le droit de la fonction publique, Dunand/Mahon/Perrenoud [éds], 2016, p. 201 sv).
7. Il en résulte que le recours est mal fondé. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lucerne, le 3 avril 2017
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Maillard
La Greffière : von Zwehl