BGer 8C_78/2013
 
BGer 8C_78/2013 vom 19.12.2013
{T 0/2}
8C_78/2013
 
Arrêt du 19 décembre 2013
 
Ire Cour de droit social
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Leuzinger, Présidente, Frésard et Heine.
Greffière: Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
L.________,
représentée par Me Manuel Piquerez, avocat,
recourante,
contre
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne,
intimée.
Objet
Assurance-accidents (affection psychique; causalité adéquate),
recours contre le jugement du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Cour des assurances,
du 7 décembre 2012.
 
Faits:
A. L.________, née en 1975, est employée en qualité de vendeuse au magasin du garage X.________ Sàrl tenu par son père. A ce titre, elle est assurée contre le risque d'accidents auprès de la Caisse nationale suisse en cas d'accidents (CNA).
Le 1er novembre 2010, L.________ s'est blessé le pouce droit au niveau de la dernière phalange (lésion du type ring finger). Elle faisait sortir un cheval d'un van quand l'animal a pris peur et a tiré sur la longe; elle a lâché cette longe qui a tapé contre le van et lui est revenue comme un fouet sur sa main droite. Les pompiers appelés sur place l'ont transportée au Centre hospitalier Y.________ (France) où les médecins ont constaté une plaie importante et délabrante circulaire du pouce droit avec décollage. L.________ a été opérée le même jour au Centre hospitalier Z.________ (France) pour greffer le pouce. Une incapacité de travail totale a été prescrite. La CNA a pris en charge le cas.
Constatant que le traitement ne donnait pas de bons résultats, l'assurée s'est rendue le 15 novembre 2010 à l'hôpital V.________. Elle a été traitée par le docteur T.________, chirurgien de la main, qui a dû procéder le 19 novembre 2010 à une amputation partielle du pouce droit (à la base de l'ongle) en raison d'une nécrose des parties molles de celui-ci. Cette opération a été suivie de séances de physiothérapie et d'ergothérapie pour mobiliser le pouce, ainsi que de consultations régulières auprès du docteur T.________. Ce médecin a noté une évolution favorable et attesté une capacité de travail - qui ne s'est toutefois pas concrétisée - de 20% dès le 1er mars 2011, puis de 50% le 5 mai suivant, et ensuite de 100% à partir du 11 juillet 2011 (rapports des 25 février, 30 mars, 4 mai et 5 juillet 2011).
Au mois de février 2011, l'assurée a débuté un traitement de psychothérapie chez le docteur P.________, psychiatre, qui a fait état d'un stress post-traumatique et de troubles dépressifs entraînant une incapacité de travail totale (rapport du 13 avril 2011 établi à l'intention de la CNA). Le 6 avril 2011, L.________ a été hospitalisée pour un jour à l'hôpital de Porrentruy en raison d'une réaction allergique cutanée et asthmatiforme à une pommade qu'elle devait appliquer sur sa main lésée.
Sur la base des rapports du docteur T.________ versés au dossier, la CNA a mis un terme à ses prestations au 11 juillet 2011 hormis la prise en charge d'un traitement de soutien sous la forme de séances d'ostéopathie et le suivi nécessaire auprès du chirurgien traitant (décision du 22 septembre 2011). La CNA a considéré que l'assurée était en mesure de reprendre son activité professionnelle à 100%; quant aux troubles psychiques, ils n'étaient pas à sa charge en l'absence d'un rapport de causalité adéquate. L.________ a formé opposition contre cette décision.
Dans le cadre de la procédure d'opposition, l'assurée a été examinée par le docteur M.________, spécialiste en chirurgie à la division de médecine des assurances de la CNA. Ce dernier a estimé qu'il existait des séquelles objectivables limitant les capacités fonctionnelles mais qu'une pleine capacité de travail était envisageable depuis le 11 juillet 2011 à des places de travail légères ne comportant pas de préhensions de force ni de manipulations de précision, ce qui lui semblait être le cas de l'activité habituelle de l'assurée (rapport du 19 décembre 2011). Dans une nouvelle décision du 14 mars 2012, la CNA a partiellement admis l'opposition en ce sens qu'elle a reconnu à l'assurée le droit à une indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux de 5%; elle l'a rejetée pour le surplus.
B. L'assurée a déféré la décision sur opposition de la CNA du 14 mars 2012 à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal jurassien, qui a rejeté son recours par jugement du 7 décembre 2012.
C. L.________ interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement, dont elle requiert l'annulation. Sous suite de frais et dépens, elle conclut, principalement, à ce que la CNA poursuive le versement des indemnités journalières et le remboursement des traitements médicaux résultant de l'accident assuré au-delà du 11 juillet 2011; subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée à la juridiction cantonale pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
La CNA conclut au rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.
 
Considérant en droit:
1. Est litigieux le maintien éventuel du droit de la recourante à des prestations de l'assurance-accidents au-delà du 11 juillet 2011 pour les troubles et l'incapacité de travail persistant après cette date. Vu l'objet du litige, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF).
2. Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et principes jurisprudentiels applicables, en particulier les critères déterminants en matière de causalité adéquate en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident (ATF 115 V 133 consid. 6 p. 138 ss et 403 consid. 5 p. 407 ss). Il peut y être renvoyé.
 
3.
3.1. Au plan physique, les juges cantonaux ont retenu que la situation avait évolué favorablement depuis la deuxième intervention chirurgicale et que l'assurée avait recouvré une capacité de travail entière dans son activité de vendeuse depuis le 11 juillet 2011. Ils se sont référés aux comptes-rendus de consultation du chirurgien traitant, le docteur T.________, ainsi que sur le rapport d'examen final du docteur M.________, de la CNA, dont ils ont jugé qu'il répondait aux exigences en matière de valeur probante d'un rapport médical et qu'il était convaincant (ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352; 122 V 157 consid. 1c p. 160 et les références). Il n'y avait donc aucune raison de s'en écarter ni d'ordonner une expertise médicale comme le demandait l'assurée.
3.2. La recourante conteste cette appréciation et réitère sa requête d'un complément d'instruction médicale. Elle fait valoir que le docteur M.________ a conclu à une capacité de travail entière dans une activité adaptée à certaines conditions seulement. Or son travail ne correspondait pas à une place "légère" ni "ne comportant pas de préhensions de force". Il impliquait en effet de décharger la marchandise, de la déballer et de ranger des objets parfois très lourds dans les rayons du magasin. Par ailleurs, il ne lui était plus possible de ramasser la monnaie ni d'ouvrir les cartouches de cigarettes entourées de papier cellophane.
3.3. Les conclusions du docteur M.________ doivent être mises en relation avec ses constatations cliniques. A l'issue de son examen du 19 décembre 2011, ce médecin a relevé que la mobilité du pouce était bien conservée et que l'assurée avait récupéré la fonctionnalité de la pince avec tous les rayons et de l'opposition, en tenant compte bien entendu du raccourcissement du pouce. Il a également noté qu'il n'y avait pas de signe d'épargne et que le moignon était de bonne qualité et calme. Ces observations sont similaires à celles faites par le docteur T.________, selon lequel la mobilité est très bonne ("die Beweglichkeit [...] ist [...] hervorragend") et le résultat, tant au niveau esthétique que fonctionnel, très satisfaisant eu égard au fait que la phalange est raccourcie et qu'il n'y plus d'ongle ("sehr schönes ästhetisches und funktionelles Ergebnis") (rapport du 2 novembre 2011). Au sujet de la capacité de travail de l'assurée au plan physique, l'avis du chirurgien traitant rejoint celui de son confrère de la CNA (rapport du 5 juillet 2011). Au vu de ces constatations et compte tenu de l'existence d'une certaine accoutumance au handicap avec le temps, il n'est pas douteux que l'activité de vendeuse au magasin du garage X.________ Sàrl est compatible avec les limitations décrites par le docteur M.________. A cet égard, les objections de l'assurée, qui peut s'aider dans l'exécution de ses tâches de sa main gauche valide, apparaissent peu convaincantes. Son activité habituelle ne saurait en effet être comparée à un métier lourd ou à un travail exigeant une manipulation fine avec les deux mains qui sont ceux visés par les restrictions du médecin de la CNA. L'appréciation des premiers juges n'est donc pas critiquable.
 
4.
4.1. Au plan psychique, les juges cantonaux ont pris acte du fait que le docteur P.________ a attesté une incapacité de travail totale perdurant au-delà du 1er septembre 2011. A l'instar de la CNA, ils ont renoncé à se prononcer sur l'existence d'un rapport de causalité naturelle entre les troubles psychiques diagnostiqués par ce psychiatre et l'accident assuré, et examiné directement la question du caractère adéquat de ces troubles. A cet égard, ils ont considéré que l'accident subi par la recourante entrait dans la catégorie des accidents de gravité moyenne et sont arrivés à la conclusion qu'un seul des sept critères posés par la jurisprudence (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140) était réalisé, à savoir celui des douleurs persistantes, étant donné que le docteur M.________ mentionnait encore la présence de douleurs chroniques, exacerbées lors des sollicitations mécaniques et à l'exposition du froid.
4.2. La recourante soutient que l'événement du 1er novembre 2010 doit être classé parmi les accidents graves ou, à tout le moins considéré comme l'un des plus graves de la catégorie des accidents de gravité moyenne. Les forces en jeu sur sa main avaient été particulièrement élevées puisque celles-ci avait provoqué un arrachement pratiquement complet de la première phalange de son pouce. La recourante critique également la manière dont la juridiction cantonale a appliqué les critères jurisprudentiels déterminants.
 
4.3.
4.3.1. Pour classer l'accident subi par l'assurée dans l'une des trois catégories prévues par la jurisprudence, les premiers juges se sont appuyés sur plusieurs cas de lésions accidentelles aux mains jugés par le Tribunal fédéral. A l'aune des cas cités - dont l'arrêt U 233/95 du 13 juin 1996 dans lequel un serrurier avait eu la main droite coincée dans une machine avec comme résultat une amputation totale du pouce, de l'index, du majeur et de l'auriculaire et partielle de l'annulaire, événement qualifié en l'occurrence d'accident de moyenne gravité à la limite supérieure de cette catégorie -, leur appréciation des faits ne prête pas flanc à la critique et il suffit de renvoyer à la motivation convaincante du jugement entrepris sur ce point (cf. consid. 7.2).
4.3.2. La survenue d'un accident de gravité moyenne présente toujours un certain caractère impressionnant pour la personne qui en est victime, ce qui ne suffit pas en soi à conduire à l'admission de ce critère. En l'espèce, on ne saurait, d'un point de vue objectif, conférer un caractère particulièrement dramatique ou impressionnant à l'accident du 1er novembre 2010 (pour comparaison, un caractère impressionnant a notamment été admis dans certains cas de blessures à la main causées par des machines; voir par exemple les arrêts 8C_175/2010 du 14 février 2011 consid. 5.2, 8C_77/2009 du 4 juin 2009 consid. 4.2.1, et U 280/97 du 23 mars 1999 consid. 2b/bb in RAMA n° U 346 p. 428).
4.3.3. Les séquelles accidentelles présentées par la recourante se caractérisent par un raccourcissement du pouce (amputation partielle de la phalange distale) ainsi que par une hypoesthésie au toucher au niveau du 3ème rayon de la main droite et de la face palmaire de l'avant-bras droit où des prélèvements nerveux et vasculaires ont été effectués. Il est établi que la pince et l'opposition, essentielles à la fonction la main, sont possibles. Dans ces conditions, et bien que la recourante ait été atteinte à un doigt important de sa main dominante, on ne peut retenir que la lésion qu'elle a subie est, au regard de ses conséquences purement physiques, d'une gravité et d'une nature particulière propre, selon l'expérience, à entraîner des troubles psychiques.
4.3.4. Pour l'examen du critère de la durée anormalement longue du traitement médical, il faut uniquement prendre en compte le traitement thérapeutique nécessaire (arrêt U 369/05 du 23 novembre 2006 consid. 8.3.1). N'en font pas partie les mesures d'instruction médicale et les simples contrôles chez le médecin (arrêt U 393/05 du 27 avril 2006 consid. 8.2.4). La prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations même pendant une certaine durée ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêts 8C_361/2007 du 6 décembre 2007 consid. 5.3 et U 380/04 du 15 mars 2004 consid. 5.2.4 in RAMA 2005 n° U 549 p. 239). La jurisprudence a nié que ce critère fût rempli notamment dans le cas d'un assuré dont le traitement médical du membre supérieur accidenté avait consisté en plusieurs opérations chirurgicales et duré 18 mois (arrêt U 37/06 du 22 février 2007 consid. 7.3). La recourante a subi deux interventions chirurgicales les 10 et 19 novembre 2010. Le traitement de physiothérapie et d'ergothérapie a pris fin en juillet 2011. On ne peut donc pas parler d'un traitement médical anormalement long.
4.3.5. Une erreur médicale n'est pas établie. Si la greffe du pouce tentée lors de la première opération s'est soldée par un échec, cela ne signifie pas pour autant qu'une erreur ait été commise. Par ailleurs, il n'y a pas eu de complications importantes après l'amputation pratiquée par le docteur T.________.
4.3.6. On ne saurait non plus suivre la recourante sur le critère de la longue incapacité de travail puisque celle-ci n'est pas imputable aux lésions physiques mais à la persistance des troubles psychiques.
4.4. En définitive, seul le critère des douleurs persistantes - qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause au vu des documents médicaux - est réalisé. Cela ne suffit toutefois pas pour admettre un lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques présentés par la recourante et l'accident assuré. Il s'ensuit que la juridiction cantonale était fondée à confirmer la décision de suppression des prestations rendue par la CNA.
Le recours doit être rejeté.
5. Vu l'issue du litige, la recourante supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et n'a pas droit à des dépens.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est rejeté.
2. Les frais judiciaires, d'un montant de 800 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Cour des assurances, et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 19 décembre 2013
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Leuzinger
La Greffière: von Zwehl