BGer 4A_269/2010
 
BGer 4A_269/2010 vom 23.08.2010
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
4A_269/2010
Arrêt du 23 août 2010
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges Klett, Présidente, Corboz et Kiss.
Greffier: M. Piaget.
Participants à la procédure
1. X.________ SA en liquidation,
2. Y.________,
tous les 2 représentés par Me Robert Assaël, avocat,
recourants,
contre
Z.________,
intimé.
Objet
nomination d'un liquidateur,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, 1ère Section, du 25 mars 2010.
Faits:
A.
X.________ SA est une société anonyme inscrite au registre du commerce depuis 1978, dont le but social est d'effectuer des opérations financières, notamment par le biais de participations. Son administrateur unique est Y.________.
Comme la société persistait à ne pas avoir de réviseur, le Tribunal de première instance de Genève, par jugement du 22 décembre 2005, a ordonné sa dissolution. Il n'a toutefois pas désigné de liquidateur et la société a continué d'être administrée par Y.________.
B.
Par requête du 8 juin 2009, Z.________, frère de Y.________, se prévalant de sa qualité d'actionnaire de la société et de créancier de celle-ci pour un montant de 390'716 fr. 94 (la postposition de cette créance étant contestée), a sollicité du Tribunal de première instance de Genève la désignation d'un liquidateur "neutre" à la société X.________ SA en liquidation.
Par jugement du 16 juillet 2009, le Tribunal de première instance, faisant application de l'art. 731b al. 1 ch. 3 CO, a ordonné que la liquidation de X.________ SA se fasse selon les règles de la faillite.
Par arrêt du 15 octobre 2009, la Cour de justice de Genève a annulé ce jugement et renvoyé la cause au tribunal pour qu'il complète l'instruction.
Statuant à nouveau le 15 décembre 2009, le Tribunal de première instance a constaté que la société s'était désormais dotée d'un organe de révision, qu'elle était certes surendettée, mais qu'en raison de la postposition de la créance de Z.________ il n'y avait pas lieu d'aviser le juge, que Y.________ avait été acquitté par le Tribunal de police de l'accusation pénale portée contre lui et qu'il n'y avait pas de motif de remettre en cause le fait qu'en tant qu'administrateur unique il se charge de la liquidation de la société. En conséquence, la requête de Z.________ en désignation d'un autre liquidateur a été rejetée.
Saisie d'un appel de ce dernier, la Cour de justice, par arrêt du 25 mars 2010, est entrée en matière, bien que les parties adverses aient conclu à l'irrecevabilité. En résumé, la cour cantonale a considéré que le juge, en prononçant la dissolution de la société le 22 décembre 2005, aurait dû désigner un liquidateur en vertu de l'art. 740 al. 4 CO. Ne l'ayant pas fait, il incombait à Y.________, en sa qualité d'administrateur unique, de liquider la société en application de l'art. 740 al. 1 CO. Comme il n'établit pas avoir accompli des actes de liquidateur et que ses relations avec son frère sont extrêmement mauvaises, il se justifie de le révoquer et de nommer à sa place, en tant que liquidateur, l'avocat A.________ (art. 741 al. 2 CO), en exigeant de la société en liquidation qu'elle verse une provision (à défaut de quoi, la société s'expose à être liquidée selon les règles applicables à la faillite).
C.
X.________ SA en liquidation et Y.________ exercent un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 25 mars 2010. Soutenant principalement que la cour cantonale est entrée en matière arbitrairement parce que l'appel aurait dû être déclaré irrecevable pour cause de tardiveté, les recourants ont conclu à l'annulation de l'arrêt attaqué et à ce que l'appel soit déclaré irrecevable, subsidiairement à ce que la requête de Z.________ soit rejetée. Par ordonnance présidentielle du 7 juillet 2010, leur demande de mesures provisionnelles a été rejetée, mais l'effet suspensif a été accordé.
Dans ses observations, l'intimé a fait valoir qu'il n'était pas responsable des retards de la Poste. Il a conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.
Considérant en droit:
1.
1.1 La décision attaquée doit être qualifiée de finale (art. 90 LTF), puisqu'elle clôt la procédure tendant à la nomination d'un liquidateur (art. 740 al. 4 CO), respectivement au remplacement de l'administrateur unique en tant qu'actuel liquidateur (art. 741 al. 2 CO).
La cour cantonale a estimé que la valeur litigieuse atteignait le seuil de 30'000 fr. requis par l'art. 74 al. 1 let. b LTF. Si l'on considère que le requérant entend protéger sa créance de 390'716 fr.94 à l'encontre de la société en liquidation, cette appréciation - qui n'est d'ailleurs pas contestée - ne prête pas le flanc à la critique. La valeur litigieuse requise est donc atteinte.
Interjeté par les parties qui ont succombé dans leurs conclusions en irrecevabilité de l'appel (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF), rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 LTF), le recours en matière civile est recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 46 al. 1 let. a, 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
1.2 Le recours peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Il peut donc également être formé pour violation d'un droit constitutionnel (ATF 135 III 670 consid. 1.4 p. 674; 134 III 379 consid. 1.2 p. 382). Il résulte de l'énumération figurant aux art. 95 et 96 LTF que le recours n'est pas ouvert pour se plaindre d'une violation du droit cantonal; toutefois, un recourant peut invoquer la garantie, offerte par l'art. 9 Cst., de ne pas être traité arbitrairement par l'autorité cantonale et faire valoir que le droit cantonal a été appliqué de manière arbitraire (ATF 134 III 379 consid. 1.2 p. 382 s.; 133 I 201 consid. 1 p. 203; 133 III 462 consid. 2.3 p. 466).
Par exception à la règle selon laquelle le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), il ne peut entrer en matière sur la violation d'un droit constitutionnel ou sur une question relevant du droit cantonal ou intercantonal que si le grief a été invoqué et motivé de manière précise par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF).
1.3 En règle générale, le Tribunal fédéral est lié par les constatations de fait figurant dans l'arrêt cantonal (art. 105 al. 1 LTF). Il peut cependant rectifier ou compléter, même d'office, les constatations de l'autorité précédente si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire (ATF 135 III 127 consid.1.5 p. 130, 395 consid. 1.5 p. 401) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Cette règle doit permettre au Tribunal fédéral, sans renvoyer la cause à l'autorité cantonale, d'ajouter des faits dont l'omission est insoutenable, afin de trancher les questions pertinentes, lorsque ces faits ressortent à l'évidence du dossier et ne sont pas contestés (BERNARD CORBOZ, in Commentaire de la LTF, 2009, n°s 62 s. ad art. 105 LTF; cf. ULRICH MEYER, in Basler Kommentar, BGG, 2008, no 65 ad art. 105 LTF).
En règle générale, les faits nouveaux et les preuves nouvelles ne sont pas admis (art. 99 al. 1 LTF). Il faut toutefois relever que le Tribunal fédéral peut tenir compte de faits notoires, par exemple que Nice se trouve en France et non en Suisse, parce que ces faits n'ont pas à être prouvés et ne peuvent pas être considérés comme nouveaux (CORBOZ, op. cit., n° 13 ad art. 99 LTF; POUDRET/SANDOZ-MONOD, Commentaire de la Loi fédérale d'organisation judiciaire, 1990, n° 1.5.3.2 ad art. 55 aOJ). Par exception à la règle, des faits nouveaux ou des preuves nouvelles peuvent être présentés devant le Tribunal fédéral s'ils résultent de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). Cette exception doit permettre d'alléguer des faits qui ne sont devenus pertinents qu'en raison de l'argumentation inattendue de l'autorité précédente (arrêt 4A_18/2010 du 15 mars 2010 consid. 2.1 non publié in ATF 136 I 197; Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4137 ch. 4.1.4.3).
Lorsque le délai de recours est expiré, la décision rendue acquiert force de chose jugée (FABIENNE HOHL, Procédure civile, tome I, Berne 2001, p. 241 n° 1274). L'autorité de chose jugée relève de l'ordre public (ATF 128 III 191 consid. 4a p. 194). La cour cantonale devait donc s'assurer d'office qu'elle ne revenait pas sur un jugement entré en force et elle devait contrôler le respect du délai d'appel, ce d'autant plus qu'elle détient normalement les éléments pour le faire (cf. art. 60 du futur Code de procédure civile [CPC; RO 2010 1739]). Les recourants pouvaient s'attendre à ce que ce contrôle soit effectué correctement et ils n'avaient pas à compter avec l'éventualité que la cour cantonale assimile un bureau de poste français à un bureau de poste suisse. Le problème n'étant apparu qu'à la lecture de l'arrêt cantonal, on peut admettre que la question résulte de la décision de l'autorité précédente au sens de l'art. 99 al. 1 LTF et que les recourants peuvent apporter les faits nécessaires pour son réexamen.
1.4 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).
2.
2.1 Savoir si l'appel a été interjeté en temps utile devant l'autorité précédente est une pure question de droit cantonal. Le Tribunal fédéral ne peut donc y revenir que s'il y a eu arbitraire (cf. supra consid. 1.2).
Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 135 V 2 consid. 1.3 p. 4; 134 I 263 consid. 3.1 p. 265 s.).
2.2 Selon l'art. 8 let. b ch. 3 de la Loi genevoise d'application du code civil et du code des obligations (LaCC; E 1 05), la requête formée par l'intimé relève de la procédure sommaire. Le délai d'appel est dès lors de dix jours (art. 354 al. 1 de la Loi genevoise de procédure civile du 10 avril 1987 [LPC/GE; E 3 05]). Il n'est pas fait d'exception lorsqu'une partie est domiciliée à l'étranger (l'art. 296 al. 2 LPC/GE permettrait au juge d'allonger le délai, mais il n'a pas été fait usage de cette faculté, dont il est douteux qu'elle soit applicable en procédure sommaire). Le délai d'appel court à compter de la notification du jugement (art. 354 al. 1 LPC/GE). Dans le calcul du délai, le jour de la notification du jugement n'est pas pris en considération (art. 29 LPC/GE). Sur tous ces points - qui ressortent à l'évidence du droit cantonal -, l'arbitraire n'est invoqué par aucune des parties, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y revenir (art. 106 al. 2 LTF).
Il ressort d'une recherche auprès de la Poste effectuée par la cour cantonale et versée au dossier - qui ne fait l'objet d'aucune contes-tation - que l'intimé a reçu le jugement le 5 janvier 2010. L'intimé l'admet d'ailleurs expressément. Il n'y a donc aucune trace d'arbitraire quant à cette constatation de fait.
Le délai de dix jours arrivait à échéance le vendredi 15 janvier 2010 (qu'il s'agisse d'un vendredi est un fait notoire).
La question est donc de savoir si l'appel a été valablement déposé dans le délai de dix jours expirant le vendredi 15 janvier 2010 à minuit.
2.3 Selon l'art. 31 LPC/GE, le délai n'est considéré comme observé que si l'acte a été accompli avant son expiration (al. 1). L'acte doit parvenir à l'autorité compétente pour le recevoir ou avoir été remis à son adresse à un bureau de poste suisse le dernier jour du délai au plus tard (al. 2). S'il émane d'une personne à l'étranger au sens de la loi fédérale sur le droit international privé, du 18 décembre 1987, il suffit que l'acte parvienne à une représentation diplomatique ou consulaire suisse le dernier jour du délai (al. 3).
Il est constant que l'intimé n'a pas déposé son appel en mains de la Cour de justice du canton de Genève (au greffe), ni auprès d'une représentation diplomatique ou consulaire suisses. Il l'a envoyé par la poste, comme il le reconnaît lui-même.
L'art. 31 al. 2 LPC/GE exige cependant que la remise soit faite à un bureau de poste suisse. La doctrine cantonale explique que l'exigence d'un bureau de poste suisse a pour but de couper court à toute discussion sur la date exacte de la remise à la poste qui, s'agissant d'administrations étrangères, ne pourrait guère faire l'objet de vérifications sérieuses et rapides (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987, Tome I, no 3 ad art. 31 LPC/GE). La volonté du législateur cantonal est dénuée de toute ambiguïté. La règle posée correspond d'ailleurs à celle qui vaut devant le Tribunal fédéral (art. 48 al. 1 LTF) et à celle que tous les cantons devront appliquer prochainement (art. 143 al. 1 CPC).
En l'espèce, il ressort de l'enveloppe figurant au dossier que l'appel a été déposé au bureau de poste français de Nice le 13 janvier 2010, comme l'intimé l'admet expressément. L'arbitraire n'est pas invoqué quant à ce point de fait.
En se fondant sur cette date (arrêt attaqué p. 3 in fine), l'autorité cantonale a méconnu de manière insoutenable l'exigence d'un bureau de poste suisse formulée clairement dans la disposition applicable. Elle a donc violé arbitrairement le droit cantonal. A supposer qu'elle ait imaginé que Nice se trouvait en Suisse, elle aurait établi les faits pertinents d'une manière insoutenable, étant notoire que Nice se trouve en France. La date retenue par la cour cantonale pour dire que le délai avait été respecté est donc arbitraire.
Il reste à se demander si cette constatation rend arbitraire la décision dans son résultat. Selon une recherche effectuée par les recourants auprès de la Poste - et qui n'est pas contestée par l'intimé - le pli n'est arrivé à l'office frontière du pays de destination, c'est-à-dire en mains de la Poste Suisse, que le 16 janvier 2010. Le délai était donc expiré. Selon l'art. 32 LPC/GE, l'expiration du délai accordé par la loi pour l'exercice d'un droit en entraîne la déchéance.
Contrairement à ce que soutient l'intimé, il lui incombait d'acheminer en Suisse son appel en temps utile et il assume le risque de l'auxiliaire qu'il a choisi pour remplir cette tâche (cf. art. 101 CO).
Le recours doit donc être admis, l'arrêt attaqué annulé et l'appel déclaré irrecevable.
2.4 Il n'est pas nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés à titre subsidiaire par les recourants.
3.
Les frais judiciaires et les dépens sont mis à la charge de l'intimé, qui succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
L'appel interjeté par Z.________ auprès de la Cour de justice de Genève contre le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 15 décembre 2009 est déclaré irrecevable.
3.
La cause est retournée à l'autorité précédente pour statuer à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
4.
Les frais judiciaires pour la procédure devant le Tribunal fédéral, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
5.
L'intimé versera aux recourants, créanciers solidaires, une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens.
6.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice du canton de Genève, 1ère Section, et à A.________, Genève.
Lausanne, le 23 août 2010
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Le Greffier:
Klett Piaget