BGer 6B_263/2009
 
BGer 6B_263/2009 vom 14.07.2009
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
6B_263/2009
Arrêt du 14 juillet 2009
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges Favre, Président,
Schneider et Mathys.
Greffière: Mme Bendani.
Parties
X.________, représenté par Me Patrick Udry, avocat,
recourant,
contre
Y.________, représenté par Me Alec Reymond, avocat,
intimé,
Procureur général du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
Objet
Lésions corporelles par négligence,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, du 23 février 2009.
Faits:
A.
A.a X.________, inspecteur aux Transports publics genevois (ci-après: TPG), a pour fonction d'intervenir sur des accidents et de veiller à la relève des chauffeurs.
A.b Le 30 juin 2007, X.________ a dû faire remplacer un chauffeur non relevé pour éviter qu'il ne dépasse son temps de conduite, s'agissant d'une intervention d'urgence selon les critères des TPG. Pour ce faire, il a utilisé une voiture de service TPG et emprunté au Bachet-de-Pesay la voie ferrée en direction de Rive, passant par Carouge.
Y.________ circulait au guidon d'un scooter sur la place du Marché en direction de la rue de Veyrier. Il s'est arrêté, conformément au signal « stop », à l'intersection de la rue Jacques-Dalphin et de la rue du Marché. Après avoir regardé à gauche et n'avoir vu aucun véhicule circuler dans sa direction, Y.________ a démarré pour aller tout droit en direction d'une pharmacie située à l'opposé de la place du Marché. Il a expliqué ne pas avoir regardé sur sa droite avant de redémarrer. Néanmoins, grâce à sa vision périphérique, il n'avait aperçu aucun tramway venant de la droite, sachant que seuls ces véhicules sont autorisés à rouler à cette hauteur et dans cette direction.
X.________, circulant sur la voie de tram toujours en direction de Rive, se trouvait rue du Marché, à la hauteur de la place du même nom, lorsqu'il a percuté l'arrière droit du scooter de Y.________ avec l'avant droit de la voiture de service TPG. Il circulait à une vitesse très réduite en étant attentif aux nombreux piétons sur sa droite, étant rappelé qu'il s'agissait du jour du marché à Carouge, les rues autour de la place étant majoritairement fermées à la circulation.
A.c Suite au heurt, Y.________ est tombé par terre et a retenu le scooter avec son corps, causant ainsi un écrasement du fémur et une fracture du péroné à la jambe gauche. Il a subi une intervention chirurgicale et une hospitalisation de plus d'une semaine. Il a été en incapacité de travail d'abord complète, puis partielle jusqu'à fin septembre 2007. Il a déposé plainte contre X.________ pour lésions corporelles par négligence.
B.
Par jugement du 14 avril 2008, le Tribunal de police genevois, statuant sur opposition à une ordonnance de condamnation, a condamné X.________, pour lésions corporelles par négligence, à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à raison de 80 fr./j., avec sursis pendant deux ans et à une amende de 1'000 fr., la peine privative de liberté de substitution étant fixée à 10 jours.
Par arrêt du 23 février 2009, la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement précité.
C.
X.________ a déposé un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Invoquant une violation des art. 9, 29 al. 2 Cst., 125 CP, 31 al. 1, 36 al. 2 et 26 al. 1 LCR, il a conclu à son acquittement.
Le Ministère public et Y.________ ont conclu au rejet de ce recours. L'autorité cantonale, se référant aux considérants de son arrêt, n'a pas formulé d'observations.
Considérant en droit:
1.
Invoquant une violation des art. 125 CP, 31 al. 1, 36 al. 2 et 26 al. 1 LCR, le recourant soutient qu'il était au bénéfice de la priorité sur toute l'intersection, qu'il a usé des précautions commandées par les circonstances en circulant à une vitesse très réduite et en concentrant son attention sur les piétons et qu'il ne pouvait s'attendre à ce qu'un autre usager de la route, débiteur de la priorité à un signal stop, s'élançât au même moment que lui dans l'intersection.
1.1 Le recourant a été reconnu coupable de lésions corporelles par négligence au sens de l'art. 125 CP.
Selon cette disposition, celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement ou de l'amende. L'al. 2 prévoit que si la lésion est grave, l'auteur sera poursuivi d'office. Selon l'art. 18 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l'auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur de l'acte n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.
1.1.1 Pour qu'il y ait lésions corporelles par négligence, il faut tout d'abord que l'auteur ait violé les règles de la prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et qu'il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (ATF 129 IV 119 consid. 2.1 p. 121). Pour déterminer plus précisément les devoirs imposés par la prudence, on peut se référer à des normes édictées par l'ordre juridique pour assurer la sécurité et éviter les accidents. S'agissant d'un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 122 IV 133 consid. 2a p. 135).
1.1.2 Chacun doit se conformer aux signaux et aux marques ainsi qu'aux ordres de la police (art. 27 al. 1 LCR; RS 741.1). Le signal "stop" oblige le conducteur à s'arrêter et à accorder la priorité aux véhicules circulant sur la route dont il s'approche (art. 36 al. 1 OSR; RS 741.21).
L'art. 14 al. 1 OCR (RS 741.11) prévoit que celui qui est tenu d'accorder la priorité ne doit pas gêner dans sa marche le conducteur bénéficiaire de la priorité. Le bénéficiaire de la priorité est gêné dans sa marche au sens de cette disposition, lorsqu'il doit modifier brusquement sa manière de conduire, par exemple parce qu'il est soudain contraint de freiner, d'accélérer ou de faire une manoeuvre d'évitement sur l'intersection, voire peu avant ou peu après celle-ci, sans qu'il importe de savoir si une collision survient ou non. Cette restriction de la définition de l'action de gêner n'est pas de nature à vider de sa substance le droit de priorité, car ce n'est qu'exceptionnellement que l'on devra refuser d'admettre que le bénéficiaire de la priorité a été gêné d'une façon importante dans sa marche. L'importance de l'entrave au droit de priorité ne dépend pas du point de savoir si l'ayant droit l'a prévue et a réagi en conséquence (ATF 114 IV 146 ss).
Aux intersections, le droit de priorité s'étend sur toute la surface de l'intersection des routes en cause, sous réserve de la présence de signaux et de marques (ATF 116 IV 157 consid. 1 p. 158; 102 IV 259). Le débiteur de la priorité doit ainsi s'abstenir de gêner le conducteur prioritaire sur toute cette surface et, en particulier, pouvoir s'arrêter avant le début de l'intersection (art. 14 al. 1 OCR; ATF 116 IV 157 consid. 2 p. 158 s.). La notion d'intersection subsiste par rapport à un véhicule empruntant sans droit une voie de « bus » (ATF 100 IV 83 consid. 1 p. 84 s.). Ainsi, selon cet arrêt, lorsqu'une voie de circulation comprend plusieurs pistes et que l'une d'elles est frappée d'une interdiction limitée de circuler par le fait qu'elle est réservée aux moyens de transport public, le conducteur obliquant à gauche qui veut traverser cette piste doit accorder la priorité aux véhicules qui viennent en sens inverse, même si ces véhicules n'ont pas le droit d'utiliser la piste réservée.
1.1.3 Le principe de la confiance, déduit de l'art. 26 al. 1 LCR, permet à l'usager, qui se comporte réglementairement, d'attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l'en dissuader, qu'ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c'est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (ATF 118 IV 277 consid. 4a p. 280; 104 IV 28 consid. 3 p. 30). Seul celui qui s'est comporté réglementairement peut invoquer le principe de la confiance. Celui qui viole des règles de la circulation et crée ainsi une situation confuse ou dangereuse ne peut pas attendre des autres qu'ils parent à ce danger par une attention accrue. Cette limitation n'est cependant plus applicable lorsque la question de savoir si l'usager a violé une règle de la circulation dépend précisément de savoir si et dans quelle mesure il pouvait se fonder sur le comportement de l'autre usager (ATF 120 IV 252 consid. 2d/aa p. 254; 100 IV 186 consid. 3 p. 189).
Le conducteur qui doit attendre à une intersection peut aussi se prévaloir du principe de la confiance. Si le trafic lui permet de s'engager sans gêner un véhicule prioritaire, on ne peut lui reprocher aucune violation du droit de priorité s'il entrave malgré tout la progression du prioritaire en raison du comportement imprévisible de ce dernier. Dans l'optique d'une règle de priorité claire, on ne peut toutefois admettre facilement que le débiteur de la priorité n'a pas à compter avec le passage, respectivement l'entrave d'un prioritaire (ATF 120 IV 252 consid. 2d/aa p. 254).
1.2 Selon la Chambre pénale, le recourant n'était pas attentif à la présence éventuelle d'autres véhicules sur la voie de circulation, ce qui l'a empêché de remarquer que la partie civile se trouvait sur sa gauche, au panneau de signalisation « stop ». S'il avait voué toute son attention à la circulation, il aurait vu que le plaignant avait passé l'intersection, après le panneau « stop », et avait pratiquement terminé sa traversée du carrefour. Le recourant aurait dû prendre des mesures de précaution supplémentaires et, le cas échéant, s'arrêter s'il ne pouvait concentrer son attention à la fois sur les piétons et la route. La Cour cantonale a encore insisté sur le fait que le point de choc démontrait de manière significative que l'intimé n'était plus débiteur de la priorité, puisqu'il avait pratiquement terminé la traversée de l'intersection.
Cette argumentation ne saurait être suivie. En effet, selon la jurisprudence exposée ci-dessus, la partie civile devait avant tout se conformer au signal "stop". Elle devait donc s'arrêter et accorder la priorité aux véhicules circulant sur toute la surface de la route qu'elle avait à traverser. Ainsi, le raisonnement cantonal contrevient au principe énoncé ci-dessus et selon lequel le droit de priorité s'étend sur toute la surface de l'intersection et vaut également par rapport à un véhicule empruntant sans droit une voie réservée aux transports publics. Dans ces conditions, l'intimé demeurait débiteur de la priorité durant toute la traversée du carrefour, y compris au moment du heurt, lequel a eu lieu alors que ladite traversée n'était pas encore achevée. En retenant que le plaignant bénéficiait de la priorité ou n'était plus débiteur de celle-ci, puisqu'il avait pratiquement terminé la traversée de l'intersection, la Chambre pénale a violé l'art. 36 al. 2 LCR.
1.3 Le recourant a certes invoqué qu'il effectuait une course d'urgence et qu'il était ainsi en droit d'emprunter les voies réservées à la circulation du tram, conformément aux instructions de service TPG. La Chambre pénale a toutefois estimé que cet élément n'était finalement pas déterminant, en ce sens qu'une éventuelle course d'urgence ne changeait en rien le devoir de prudence qui incombait au conducteur, soit celui de ne pas mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies, moyennant en sus une vigilance accrue.
Ce raisonnement tombe à faux, dès lors que le débiteur de la priorité était bien le scootériste et non pas le recourant (cf. supra consid. 1.2). Reste que le premier, qui devait attendre au signal « stop », pourrait éventuellement se prévaloir du principe de la confiance, si le trafic lui permettait de s'engager sans gêner un véhicule prioritaire. En effet, on ne saurait lui reprocher une violation du droit de priorité s'il devait malgré tout entraver la progression du prioritaire en raison du comportement imprévisible de ce dernier. Par conséquent, il appartient encore à l'autorité cantonale d'examiner la question de savoir si le comportement du recourant était à ce point imprévisible que l'intimé pût aussi se prévaloir du principe de la confiance.
2.
En conclusion, le recours est admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants. Vu l'issue de la procédure, les frais judiciaires seront mis à la charge de l'intimé à raison de 1000 fr. et les dépens du recourant seront mis pour moitié à la charge de l'intimé et pour moitié à la charge du canton de Genève (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants.
2.
Les frais judiciaires sont mis pour moitié à la charge de l'intimé, soit 1000 fr.
3.
Les dépens du recourant, arrêtés à 3'000 fr., sont mis pour moitié à la charge de l'intimé et pour moitié à la charge du canton de Genève.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale.
Lausanne, le 14 juillet 2009
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Favre Bendani