BGer 6B_1035/2008
 
BGer 6B_1035/2008 vom 11.05.2009
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
6B_1035/2008
Arrêt du 11 mai 2009
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges Favre, Président,
Schneider et Ferrari.
Greffière: Mme Kistler Vianin.
Parties
X.________ SA,
recourante, représentée par Mes Benjamin Borsodi et Olivier Hari, avocats,
contre
Y.________,
intimée, représentée par Me Christian Fischer, avocat,
Ministère public du canton de Vaud, rue de l'Université 24, 1005 Lausanne,
intimé.
Objet
Séquestre pénal, restitution au lésé des valeurs patrimoniales séquestrées en rétablissement de ses droits (art. 70 al. 1 in fine CP),
recours contre l'arrêt du 21 octobre 2008 du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Faits:
A.
En date du 14 juin 2004, l'établissement bancaire Y.________ a déposé une plainte pénale auprès du Juge d'instruction du canton de Vaud, expliquant que le compte en banque de A.________ auprès de Y.________ à Curaçao, aux Antilles néerlandaises, avait été frauduleusement débité - apparemment au moyen d'un fax falsifié par un auteur inconnu - de trois montants pour un total de 660'000 USD et que cet argent avait été transféré illicitement sur un compte en banque ouvert au Portugal, à la B.________, puis viré sur le compte de la société uruguayenne X.________ SA auprès de la Compagnie Bancaire C.________ SA, à Lausanne.
Par décision des 14 et 16 juin 2004, le Juge d'instruction vaudois a bloqué, à concurrence de 660'000 USD, les avoirs détenus par la société X.________ SA auprès de la Compagnie Bancaire C.________ SA.
Le magistrat instructeur vaudois a refusé une première fois de lever le séquestre par ordonnance du 15 juillet 2005, laquelle a été confirmée par le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois le 26 septembre 2005.
Le 22 septembre 2006, la société X.________ SA a formé une seconde demande de levée du séquestre pénal, que le Juge d'instruction vaudois a également rejetée par ordonnance du 26 septembre 2006. Le Tribunal d'accusation vaudois a confirmé celle-ci par arrêt du 7 novembre 2006.
B.
Par ordonnance du 4 juin 2008, le Juge d'instruction vaudois a levé le séquestre portant sur le compte de la société X.________ SA auprès de la Compagnie Bancaire C.________ SA, d'un montant de 660'000 USD, et ordonné la restitution de ce montant à la banque Y.________.
C.
Par arrêt du 21 octobre 2008, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par la société X.________ SA contre l'ordonnance du 4 juin 2008.
D.
Contre ce dernier arrêt, X.________ SA dépose un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et à la levée de la saisie pénale conservatoire qui frappe la relation bancaire n° 104'241 ouverte à son nom auprès de la Compagne Bancaire C.________ SA.
Appelée à se déterminer, Y.________ conclut au rejet du recours. Dans le cas où l'ordre de restitution serait toutefois annulé, elle sollicite, à titre subsidiaire, le renvoi de la cause au juge d'instruction vaudois pour nouvelle décision sur les questions de la levée du séquestre et de la restitution des valeurs et, à titre plus subsidiaire, le maintien du séquestre jusqu'à droit connu sur le sort de l'action pénale.
Le Ministère public vaudois a renoncé à déposer des déterminations.
E.
L'effet suspensif a été accordé par ordonnance du 13 janvier 2009.
Considérant en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 133 III 465 consid. 2).
1.1 Selon l'art. 78 LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours contre les décisions rendues en matière pénale. La notion de « décisions en matière pénale » comprend toutes les décisions qui se fondent sur le droit pénal matériel ou le droit de procédure pénale. Tel est le cas en l'espèce où la recourante s'en prend à une décision de levée d'un séquestre prise en application des art. 70 al. 1 in fine CP et 261 CPP/VD aux fins de restitution au lésé.
1.2 Le Tribunal d'accusation est intervenu comme autorité de recours. Il s'agit d'un tribunal de dernière instance cantonale. Le recours est recevable selon l'art. 80 LTF.
1.3 En ordonnant la restitution des valeurs séquestrées au lésé, l'arrêt attaqué règle définitivement leur sort. Il s'agit donc d'une décision finale, qui met définitivement fin à la procédure (art. 90 LTF; sur la notion de décision finale, cf. ATF 129 III 107 consid. 1.2.1).
1.4 Aux termes de l'art. 81 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b), soit en particulier l'accusé (ch. 1), le représentant légal de l'accusé (ch. 2), l'accusateur public (ch. 3), l'accusateur privé, si, conformément au droit cantonal, il a soutenu l'accusation sans l'intervention de l'accusateur public (ch. 4), la victime, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (ch. 5), le plaignant, pour autant que la contestation porte sur le droit de porter plainte (ch. 6) et le Ministère public de la Confédération et l'administration concernée en ce qui concerne les affaires pénales administratives au sens de la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (ch. 7).
La recourante ne revêt aucune des qualités définies dans cette liste.
Celle-ci n'est n'est toutefois pas exhaustive, comme cela résulte du terme « en particulier », mais énumère les cas ordinaires où la condition de l'intérêt juridique à recourir est en principe réalisée (ATF 133 IV 228 consid. 2.3 p. 230). Selon la jurisprudence rendue en matière de pourvoi en nullité, le tiers qui avait acquis les valeurs patrimoniales avant leur confiscation et qui possédait sur ces valeurs un droit de propriété ou un droit réel restreint avait un intérêt juridique à l'annulation de la décision de confiscation, car il perdait les valeurs ensuite de la confiscation. La jurisprudence a précisé qu'il en allait de même du tiers qui disposait d'un droit personnel, équivalant à un droit réel, sur de l'argent en espèces, tel que l'ayant droit d'un compte bancaire (sous le régime de l'ancien art. 268 PPF, cf. ATF 128 IV 145 consid. 1a p. 148; 122 IV 365 consid. III.1a/bb p. 368; 108 IV 154 consid. 1a p. 155 s.). Ces principes doivent s'appliquer au recours en matière pénale. Dans le présent cas, la cour cantonale n'a certes pas ordonné la confiscation des valeurs délictueuses, mais les a attribuées de manière définitive au lésé. De même qu'en cas de confiscation, le titulaire du compte s'en trouve dessaisi. Dans ces conditions, la recourante qui détenait le compte saisi et qui prétend avoir acquis de bonne foi les valeurs en question doit se voir reconnaître la qualité pour recourir.
1.5 Enfin, il convient de se demander si l'arrêt attaqué, rendu en cours d'instruction, doit être qualifié de décision provisionnelle contre laquelle seule peut être invoquée la violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF). La loi ne définit pas la notion de mesures provisionnelles. Parmi les indices en faveur d'une mesure provisionnelle, on peut citer le caractère temporaire ou non définitif de la mesure, l'absence d'administration complète des preuves et l'absence de décision sur le fond du droit revêtue de l'autorité de chose jugée.
L'arrêt attaqué ordonne la levée du séquestre en vue de la restitution des valeurs au lésé. Il règle la question de l'appartenance des valeurs séquestrées de manière définitive et non seulement de façon temporaire. Elle ne saurait donc être qualifiée de mesure provisoire, et la recourante peut ainsi soulever les motifs prévus aux art. 95 à 97 LTF et non seulement la violation de droits constitutionnels.
2.
La recourante dénonce une violation de l'art. 70 CP. Selon elle, les faits retenus ne permettraient pas de retenir une escroquerie et, partant, une infraction de blanchiment, justifiant le prononcé d'une mesure au sens des art. 70 à 73 CP. Au demeurant, la banque intimée ne saurait être qualifiée de lésée directe et, en conséquence, se voir restituer les valeurs en application de l'art. 70 al. 1 in fine CP. Les droits effectifs de chacun des plaignants n'auraient pas non plus été clarifiés, de sorte que la situation juridique ne saurait être considérée comme suffisamment claire pour que l'autorité d'instruction puisse restituer, avant la clôture de l'enquête, les valeurs directement au lésé. A cet égard, la recourante explique qu'elle a toujours déclaré avoir acquis les valeurs dans l'ignorance des faits qui auraient justifié la confiscation et avoir fourni une contre-prestation adéquate.
Pour la banque intimée, la cour cantonale aurait décrit de manière suffisamment claire le mécanisme d'escroquerie. Les dépositions versées au dossier de la cause, notamment, démontreraient l'existence d'une machination incluant l'usage de documents mensongers. Se fondant sur l'ATF 132 III 449, l'intimée ajoute que le dommage découlant des virements frauduleux serait bien un dommage de la banque et non du client, de sorte que c'est à juste titre qu'elle se serait vu restituer les valeurs séquestrées. Enfin, elle s'oppose à toutes les prétentions de la recourante, contestant une éventuelle opération de compensation.
2.1
2.1.1 L'art. 70 al. 1er CP autorise le juge à confisquer des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits. Lorsque les valeurs à confisquer ne sont plus disponibles, il ordonne, selon l'art. 71 CP, leur remplacement par une créance compensatrice (et peut, dans ce but, ordonner, en vertu de l'art. 71 al. 3 CP, le séquestre d'éléments du patrimoine). Enfin, l'art. 73 al. 1 CP autorise le juge à allouer au lésé, jusqu'à concurrence des dommages-intérês fixés judiciairement, le montant de l'amende payée par le condamné, les objets et valeurs confisqués et les créances compensatrices. Les cantons doivent utiliser une procédure simple et rapide pour les cas où le juge ne peut ordonner cette mesure dans le cadre d'un jugement pénal (art. 73 al. 3 CP).
2.1.2 La restitution au lésé selon l'art. 70 al. 1 in fine CP a la priorité sur une éventuelle confiscation et l'attribution au lésé en réparation du dommage subi (ATF 128 I 129 consid. 3.1.2 p. 133; 122 IV 365 consid. 1a/aa p. 368). Elle porte, en première ligne, sur les objets provenant directement du patrimoine du lésé et tend au rétablissement de ses droits absolus (restitution de l'objet volé; pour une conception purement réelle, cf. BAUMANN, Basler Kommentar, Strafrecht I, 2e éd., 2007, n. 42 ad art. 70/71). Selon la jurisprudence, le lésé ne doit toutefois pas forcément se fonder sur un droit de propriété ou un autre droit réel sur les valeurs patrimoniales. La restitution peut aussi porter sur d'autres valeurs patrimoniales, telles que des billets de banque, des devises, des effets de change, des chèques ou des avoirs en compte, qui ont été transformés à une ou plusieurs reprises en des supports de même nature, dans la mesure où leur origine et leurs mouvement peuvent être clairement établis (biens acquis en remploi improprement dit; ATF 128 I 129 consid. 3.1.2 p. 133). La restitution doit porter sur des valeurs patrimoniales qui sont le produit d'une infraction dont le lésé a été lui-même victime. Les valeurs patrimoniales doivent être la conséquence directe et immédiate de l'infraction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_344/2007 du 1er juillet 2008, consid. 3). Sans un lien direct entre les valeurs et l'infraction, la restitution au lésé serait contraire aux règles de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (SCHMID, Strafprozessrecht, 4e éd., 2004, p. 280 n. 753). La loi pénale ne règle pas la question du conflit entre le lésé et l'acquéreur ultérieur de bonne foi, question qui doit être résolue au regard du droit civil (DUPUIS ET AL., Code pénal I, Partie générale - art. 1-110 et DPMin, 2008, n. 26 ad art. 70).
2.1.3 La décision de restitution ne doit pas forcément être prise par le juge du fond, mais peut l'être, sous réserve d'une voie de recours cantonale à une autorité judiciaire, par l'autorité d'instruction (ATF 128 I 129 consid. 3.1.2 p. 133; 126 IV 107 consid. 1b/cc p. 110 et 111 ainsi que consid. 4 p. 112). Dans ce cas, la situation juridique doit être suffisamment claire et un tiers ne doit pas faire valoir de meilleurs droits (cf. ATF 128 I 129 consid. 3.1.2 p. 133; 122 IV 365 consid. 2b p. 374).
3.
En l'espèce, les fonds séquestrés ont été restitués au lésé par l'autorité d'instruction, ce qui supposerait que la situation juridique soit claire. L'arrêt attaqué et les arrêts auxquels celui-ci renvoie décrivent cependant sommairement le mécanisme de l'escroquerie et affirme, sans aucun développement, que les 660'000 USD séquestrés sur le compte de la recourante ont été débités du compte de A.________. L'état de fait tel que retenu par la cour cantonale laisse toutefois de nombreuses questions ouvertes. Il ne permet notamment pas d'établir si l'astuce, élément constitutif de l'escroquerie, est réalisée, si la banque intimée a engagé sa responsabilité en exécutant les ordres de virement falsifiés ou encore si celle-ci revêt la qualité de lésé direct au sens de l'art. 70 al. 1 in fine CP. La cour cantonale ne se prononce pas non plus sur les prétentions de la recourante ni ne retient les faits permettant de le faire. Se fondant sur l'art. 70 al. 2 CP, la recourante soutient en effet qu'elle devrait être protégée dans son acquisition au motif qu'elle aurait acquis les valeurs litigieuses dans l'ignorance des faits qui auraient justifié la confiscation et qu'elle a fourni une contre-prestation adéquate. Elle aurait, dans le cadre d'opérations usuelles de change, versé au Brésil des reals brésiliens, après avoir reçu un montant en dollars américains sur son compte, au taux de change applicable au moment de la transaction.
Au vu de ce qui précède, la situation juridique ne peut être qualifiée de claire, de sorte que le juge d'instruction ne pouvait pas restituer les valeurs litigieuses à l'intimée avant la clôture de la procédure. L'ordre de restitution à l'intimée doit donc être annulé, le séquestre des valeurs étant pour sa part maintenu. L'arrêt attaqué étant annulé pour violation de l'art. 70 al. 1 CP, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le grief de violation du droit d'être entendu.
4.
Le recours étant admis, l'intimée, qui succombe, supportera les frais (art. 66 al. 1 LTF) et versera une indemnité de dépens à la recourante (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de l'intimée.
3.
L'intimée versera une indemnité de dépens de 2500 fr. à la recourante.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 11 mai 2009
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Favre Kistler Vianin