BGer 6B_642/2008
 
BGer 6B_642/2008 vom 09.01.2009
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
6B_642/2008 /rod
Arrêt du 9 janvier 2009
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Favre.
Greffière : Mme Angéloz.
Parties
X.________,
recourant,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, 1005 Lausanne,
intimé.
Objet
Infraction à la loi fédérale sur la protection des eaux
(art. 70 LEaux),
recours contre le jugement du Tribunal de police de l'arrondissement de La Broye et du Nord Vaudois
du 30 juin 2008.
Faits:
A.
Après le décès de son époux en 2006, Y.________ est devenue propriétaire d'une porcherie. Ayant besoin d'un tiers pour la gérer, elle a demandé de l'aide à sa soeur, qui a contacté X.________, ingénieur ETS en agriculture et gérant de la société Z.________ GmbH (ci-après: la société). Un contrat d'engraissement de porcs a été conclu, aux termes duquel la société fournissait les aliments et s'occupait de la gestion de la porcherie, alors que les animaux étaient commercialisés sous le nom de Y.________.
Le 22 septembre 2007, un gendarme a constaté qu'une coulisse d'eau claire située en aval de la porcherie était tapissée de bactéries à certains endroits. Le 25 septembre 2007, le gendarme et le garde-pêche ont recherché la source de la pollution, en vain, car les traces de celle-ci dans la coulisse avaient disparu. Ils ont toutefois remarqué que la fosse à purin, pleine à ras bord, laissait échapper du lisier au travers de fissures de ses murs, qui dépassaient le niveau du sol de quelques centimètres. Le transfert du lisier dans une autre fosse n'avait pas été effectué. X.________ avait interdit à son collaborateur d'utiliser une pompe électrique trop coûteuse, mais lui avait ordonné d'actionner la pompe mécanique d'un tracteur, ce que l'employé n'avait pas fait.
B.
Par prononcé du 27 novembre 2007, le Préfet d'Orbe a condamné X.________, pour infraction à l'art. 70 de la loi fédérale sur la protection des eaux du 24 janvier 1991 (LEaux; RS 814.20), à 10 jours-amende avec sursis pendant 2 ans, le montant du jour-amende étant fixé à 50 fr., ainsi qu'à une amende de 500 fr.
C.
Sur appel du condamné, le Tribunal de police de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, par jugement du 30 juin 2008, a réformé ce prononcé. Retenant que X.________ avait commis l'infraction litigieuse par négligence, il l'a condamné, en application de l'art. 70 al. 1 let. a et al. 2 LEaux, à 5 jours-amende d'un montant de 50 fr. chacun, avec sursis pendant 2 ans, ainsi qu'à 500 fr. d'amende, la peine privative de liberté de substitution étant fixée à 5 jours. Le tribunal a relevé que le volume exact du lisier qui s'était écoulé n'était pas connu, mais qu'il s'agissait "vraisemblablement de plusieurs dizaines de litres". Il a considéré que cet écoulement était déjà constitutif de l'infraction retenue, en raison du risque concret de pollution qu'il générait. Il importait peu que l'eau de la coulisse ait été contaminée par ce lisier ou par une autre source de pollution. Il était toutefois "vraisemblable" que le lisier avait suivi les rigoles naturellement creusées par l'eau de pluie pour atteindre la conduite enterrée qui capte le trop-plein d'une fontaine et qu'il s'était alors mélangé à l'eau pour se concentrer plus bas dans la coulisse où les traces de pollution avaient été vues.
D.
X.________ forme un recours au Tribunal fédéral. Il conteste pouvoir être personnellement mis en cause, faisant valoir que le contrat d'engraissement de porcs a été passé entre la propriétaire de la porcherie et la société. Au fond, il allègue qu'un maximum de 50 litres de lisier se sont écoulés et que ceux-ci ne pouvaient atteindre l'exutoire de la fontaine et, par lui, la coulisse où les traces de pollution ont été observées. Il soutient en outre qu'un rapport de causalité entre les fissures du haut de la citerne et la pollution n'est pas établi et que toute l'affaire a été amplifiée par les autorités. Il conclut à l'annulation du jugement attaqué.
L'autorité cantonale et le Ministère public ont renoncé à formuler des observations.
Considérant en droit:
1.
Le jugement attaqué a été rendu en application de dispositions pénales de la LEaux et peut donc faire l'objet d'un recours en matière pénale (art. 78 ss LTF), que le recourant, en tant qu'accusé, est habilité à former (art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF).
2.
Contrairement à ce qu'estime le recourant, le comportement qui lui a été reproché peut lui être imputé. En effet, même si sa position dans l'entreprise n'a pas été précisée, il en est manifestement le responsable principal, si ce n'est unique. Il importe donc peu de savoir s'il est l'associé gérant ou le directeur de la société. Les manquements constatés ayant été commis "dans l'exercice bien compris de l'activité commerciale de l'entreprise" (Laurent Moreillon, La responsabilité pénale de l'entreprise: état de la pratique, Genève 2008, p. 14 n. 10; Niggli/Gfeller, BSK Strafrecht I, art. 102 n. 64), ils lui sont opposables.
C'est en vain aussi que le recourant tente de s'abriter derrière la propriétaire de la porcherie, en invoquant sa qualité de conseiller d'entreprise ("quasi als Berater tätig"). La LEaux contient des dispositions de police sanitaire (Hans Reinhard, Allgemeines Polizeirecht, Berne 1993, p. 69 n. 3.2. in fine). Dans ce contexte, le propriétaire d'une installation dangereuse pour le bien juridiquement protégé, en l'occurrence la qualité des eaux, peut être considéré comme un perturbateur par situation en cas de violation de la loi, alors que celui qui a la responsabilité de son exploitation sera vu comme un perturbateur par comportement. En effet, ce dernier est la personne qui crée un dommage ou un danger en raison de son propre comportement ou de celui d'un tiers placé sous sa responsabilité, en provoquant de la sorte une situation contraire à l'ordre public (ATF 127 I 60 consid. 5c p. 71; 122 II 65 consid. 6a p. 70; 117 Ib 407 consid. 4c p. 414; Hans Reinhard, op. cit., p. 184/185 n. 2.2; Daniel Thürer, Das Störerprinzip im Polizeirecht, in RDS 1983 vol. 1, p. 473 n. 2; Hans Mathys, Zum Begriff des Störers im Polizeirecht, Zurich 1974, p. 7/8 n. 1). Ainsi, même indépendamment de toute faute, le perturbateur par comportement doit répondre de la mise en danger du bien juridiquement protégé (Hans Mathys, op. cit., p. 54), tant par lui que par un tiers dépendant de son pouvoir (Hans Reinhard, loc. cit.).
3.
Le recourant a été condamné pour avoir enfreint, par négligence, l'art. 70 al. 1 let. a LEaux, qui réprime la création d'un risque de pollution des eaux. Il s'agit d'une infraction de mise en danger, de sorte qu'une lésion du bien juridique protégé n'est pas nécessaire. Elle suppose une mise en danger concrète; un danger abstrait, même très élevé, ne suffit pas. Il y a mise en danger concrète, lorsqu'il existe la probabilité ou la possibilité sérieuse d'une lésion du bien juridique protégé (arrêts 6P.87/2005 consid. 7.1 et 6S.520/2001 consid. 1.2; ATF 124 IV 114 consid. 1 p. 115/116; 123 IV 128 consid. 2a p. 130).
3.1 Définissant une infraction de mise en danger, l'art. 70 al. 1 let. a LEaux n'exige pas que le comportement qu'il sanctionne ait effectivement porté atteinte au bien juridique protégé, de sorte que le recourant allègue vainement qu'il n'est pas établi que l'écoulement de plusieurs dizaines de litres de lisier ait causé une pollution de l'eau.
La seule question à résoudre est ainsi de savoir si cet écoulement a atteint l'intensité requise pour conclure à une mise en danger concrète du bien juridique protégé, soit à une probabilité ou à une possibilité sérieuse d'altération de la qualité de l'eau courant dans la coulisse.
3.2 La jurisprudence a notamment admis la création d'un danger concret de pollution de l'eau dans un cas où, en raison d'un dysfonctionnement du système de remplissage d'une citerne, 741 litres de mazout avaient été déversés dans le sol, sur une parcelle qui se trouvait dans le secteur A de la protection des eaux, comprenant des eaux souterraines (cf. arrêt 6S.520/2001 précité, consid. 1.2). En effet, au vu de la sensibilité de la zone et de l'importance de l'écoulement d'un hydrocarbure, l'existence d'une mise en danger concrète devait être retenue, dès lors qu'une partie du mazout non absorbé par le sol pouvait très vraisemblablement atteindre des eaux souterraines protégées.
En l'espèce, il a été retenu que ce sont "vraisemblablement" plusieurs dizaines de litres de lisier de porc qui se sont écoulés dans le terrain et qu'il est "vraisemblable" que le lisier a suivi les rigoles naturellement creusées par l'eau de pluie pour atteindre la conduite enterrée qui capte le trop-plein d'une fontaine et qu'il s'est alors mélangé à l'eau pour se concentrer plus bas dans la coulisse. A l'appui, il a été observé que, "lors d'une pollution subséquente", des prélèvements faits dans la coulisse ont révélé la présence de lisier de porc.
L'état de fait ainsi retenu est insuffisant pour trancher la question de savoir si la mise en danger de l'eau a été concrète. Le volume du lisier de porc est estimé de manière approximative à "plusieurs dizaines de litres" et la distance entre la fosse et l'exutoire de la fontaine n'est pas précisée. Le fait que la présence de lisier a été relevée dans la coulisse lors d'une pollution ultérieure n'autorise pas de conclusion quant à ce qui s'est passé à l'époque des faits litigieux. Enfin, la nature géologique et juridique de la zone où se trouvent la porcherie et la coulisse n'est pas indiquée, ce qui peut s'avérer important pour estimer l'intensité de la mise en danger. Comme rappelé plus haut, la seule possibilité théorique d'une mise en danger de l'eau, soit une mise en danger abstraite, ne suffit pas pour retenir le délit réprimé par l'art. 70 al. 1 let. a LEaux. Or, s'il est manifeste que l'écoulement de quelques dizaines de litres de lisier constitue une mise en danger abstraite, l'état de fait lacunaire du jugement attaqué ne permet pas de déterminer s'il existait la probabilité ou la possibilité sérieuse d'une pollution de l'eau. Le recours doit dès lors être admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour complètement de l'état de fait et nouvelle décision.
4.
Vue l'issue du recours, il ne sera pas perçu de frais (art. 66 al. 1 LTF). Le recourant, qui agit en personne et n'indique pas les frais exposés pour la défense de ses intérêts, ne peut prétendre à des dépens (cf. art. 68 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Il n'est pas perçu de frais, ni alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal de police de l'arrondissement de La Broye et du Nord Vaudois.
Lausanne, le 9 janvier 2009
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Schneider Angéloz