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Original
 
Eidgenössisches Versicherungsgericht
Tribunale federale delle assicurazioni
Tribunal federal d'assicuranzas
Cour des assurances sociales
du Tribunal fédéral
Cause
{T 7}
U 25/05
Arrêt du 21 février 2006
IVe Chambre
Composition
MM. les Juges Ferrari, Président, Ursprung et Geiser, suppléant. Greffier : M. Métral
Parties
P.________, recourante, représentée par Me Mauro Poggia, avocat, rue De-Beaumont 11, 1206 Genève,
contre
Compagnie d'Assurances Nationale Suisse, Direction pour la Suisse romande, quai Gustave-Ador 54, 1211 Genève 6, intimé,
Instance précédente
Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève
(Jugement du 24 novembre 2004)
Faits:
A.
P.________, née en 1977, a travaillé en qualité de téléprospectrice au service de la société R.________ SA depuis le 10 mai 2001. A ce titre, elle était assurée contre le risque d'accident auprès de La Nationale Suisse Assurances (ci-après : La Nationale). Le 9 juin 2001, vers une heure du matin, la prénommée s'est jetée du balcon de l'appartement qu'elle occupait à C.________, situé au septième étage de l'immeuble. Elle a subi des lésions multiples et demeure depuis lors sévèrement handicapée. La chute est survenue alors que l'ami et la tante de P.________ se trouvaient avec elle. Tous les trois avaient passé la soirée ensemble dans un établissement public que l'intéressée avait quitté précipitamment et très énervée, après avoir déclaré qu'elle allait faire ses valises et qu'on ne la reverrait pas de sitôt. Ses compagnons l'avaient rejointe chez elle où, après avoir eu une discussion avec sa tante dans sa chambre, elle s'est soudain rendue sur un balcon pour se jeter dans le vide. L'enquête menée par la police judiciaire s'est soldée par une décision de classement du Ministère public. Saisie d'une déclaration d'accident en juillet 2001, La Nationale a considéré que l'assurée avait tenté de se suicider et a ordonné une expertise médicale, confiée au docteur B.________, psychiatre et psychothérapeute, aux fins de déterminer quelle était la capacité de discernement de P.________ au moment de l'événement en question. Dans son rapport du 12 février 2003, cet expert a conclu à une incapacité partielle de discernement.
Par décision du 25 février 2003, La Nationale a refusé de prendre en charge le cas. Le 30 octobre 2003, l'assureur-accidents a rejeté les oppositions formées contre ce prononcé par l'assurée et par la caisse-maladie de cette dernière, la Mutuelle Valaisanne.
B.
Par jugement du 24 novembre 2004, le Tribunal des assurances sociales du canton de Genève a rejeté les recours de P.________ et de la Mutuelle Valaisanne contre la décision sur opposition de La Nationale.
C.
P.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont elle requiert l'annulation, sous suite de dépens. A titre subsidiaire, elle demande le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement.
La Mutuelle Valaisanne se rallie aux conclusions du recours, alors que La Nationale en propose le rejet. L'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit:
1.
Le litige porte sur le point de savoir si l'assureur-accidents est tenu à prestations pour les atteintes à la santé subies par la recourante à la suite de sa chute du 9 juin 2001.
2.
2.1 Si l'assuré a provoqué intentionnellement l'atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d'assurance n'est allouée, sauf l'indemnité pour frais funéraires (art. 37 al. 1 LAA). Même s'il est prouvé que l'assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l'art. 37 al. 1 LAA n'est pas applicable si, au moment où il a agi, l'assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l'automutilation est la conséquence évidente d'un accident couvert par l'assurance (art. 48 OLAA). Dans la mesure où elle conditionne le droit aux prestations à l'incapacité totale de l'assuré de se comporter raisonnablement, au moment des faits, cette dernière disposition est conforme à la loi (ATF 129 V 95).
L'entrée en vigueur de la LPGA, le 1er janvier 2003, n'a pas entraîné de modification des art. 37 al. 1 LAA et 48 OLAA. Ces dispositions continuent à s'appliquer en cas de suicide ou de tentative de suicide, à l'exclusion de l'art. 21 al. 1 LPGA (cf. Frésard/Moser-Szeless, Refus, réduction et suspension des prestations LAA, HAVE/REAS 2005 p. 128; Kieser, ATSG-Kommentar, no 17 ad art. 21).
2.2 Selon la jurisprudence, le suicide comme tel n'est un accident assuré, conformément à l'art. 48 OLAA, que s'il a été commis dans un état d'incapacité de discernement au sens de l'art. 16 CC. Par conséquent, il faut, pour entraîner la responsabilité de l'assureur-accidents, qu'au moment de l'acte et compte tenu de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives, l'intéressé ait été privé de toute possibilité de se déterminer raisonnablement, en raison notamment d'une maladie mentale ou d'une faiblesse d'esprit (ATF 113 V 62 consid. 2; RAMA 1990 no U 96 p. 185 consid. 2; ATF 115 V 151 consid. 2b publié dans RAMA 1989 no U 84 p. 448). L'existence d'une maladie psychique ou d'un grave trouble de la conscience doit être établie conformément à la règle du degré de vraisemblance prépondérante. Il doit s'agir de symptômes psychopathologiques comme la folie, les hallucinations, la stupeur profonde, le raptus, etc. Le motif qui a conduit au suicide ou à la tentative doit être en relation avec les symptômes psychopathologiques. L'acte doit apparaître «insensé». Un simple geste disproportionné, au cours duquel le suicidaire apprécie unilatéralement et précipitamment sa situation dans un moment de dépression et de désespoir ne suffit pas (arrêts non publiés P. du 18 juillet 2002 [U 28/01] consid. 4.1, A. du 25 octobre 1996 [U 160/95] consid. 3a, B. du 10 septembre 1996 [U 165/94] consid. 2b, F. du 22 mai 1996 [U 223/94] consid. 1; Kind, Suizid oder «Unfall», Die psychiatrischen Voraussetzungen für die Anwendung von Art. 48 UVV, RSA 1993 p. 291).
3.
3.1 A juste titre, la recourante ne conteste pas que sa chute ait résulté d'un acte volontaire. Il est établi en effet qu'elle avait des idées de suicide depuis le mois de septembre 2000 et qu'elle avait rédigé un écrit au sujet de la garde de sa fille pour le cas où elle ne serait plus apte à s'en occuper.
En revanche, P.________ met en cause la valeur probante de l'expertise psychiatrique ordonnée par l'assureur-accidents. Par ailleurs, elle soutient, en se référant à plusieurs avis de doctrine (Maurer, Le suicide et la tentative de suicide dans l'assurance-accidents, in : Risques totalement ou partiellement exclus de l'assurance sociale [y compris la prévoyance professionnelle], Institut de recherches sur le droit de la responsabilité civile et des assurances (IRAL), Lausanne 1990, p. 51 ss; Ghélew/Ramelet/Ritter, Commentaire de la LAA, Lausanne 1992, p. 146) que, dans l'hypothèse où sa capacité de discernement au moment des faits serait jugée suffisante, des prestations d'assurance, entières ou au moins partielles, devraient tout de même lui être allouées, puisque sa volonté était de mourir, mais pas de rester invalide, et que son aptitude à agir raisonnablement n'était pas complète. Enfin, la recourante invoque le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'art. 8 CEDH.
3.2
3.2.1 Lorsque des expertises ordonnées au stade de la procédure administrative sont établies par des spécialistes reconnus, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, en pleine connaissance du dossier, et que les experts aboutissent à des résultats convaincants, le juge ne saurait écarter ces derniers aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 122 V 161 et les références). L'élément déterminant pour la valeur probante n'est en effet ni l'origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c et les références).
Le juge peut ainsi accorder une valeur probante aux rapports et expertises établis à la demande de l'assureur-accidents aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé ou de douter de l'objectivité des appréciations portées.
3.2.2 Le rapport d'expertise du docteur B.________ procède de l'étude d'un dossier complet et de la prise en compte de tous les éléments déterminants pour apprécier la capacité de discernement de la recourante au moment où elle s'est jetée de son balcon. L'expert a pris en considération de nombreuses déclarations de témoins et celles de l'intéressée elle-même. Il a relevé l'absence d'éléments objectifs permettant d'établir la quantité d'alcool que P.________ avait consommée et si elle avait pris de la cocaïne au moment en question. Les déductions du docteur B.________ sont exposées clairement et sans contradictions. En conclusion, l'expert retient qu'en raison de ses consommations d'alcool et de cocaïne, d'un état dépressif et d'une forte charge anxieuse, l'intéressée avait, au moment de sauter dans le vide, une capacité de raisonnement légèrement restreinte et une liberté d'appréciation de son geste grande, mais pas totale. Pour l'expert, l'assurée était donc partiellement incapable de discernement à ce moment-là. Ces conclusions, dûment motivées, répondent aux critères jurisprudentiels (ATF 125 V 352 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante.
La recourante soutient que l'avis du docteur B.________ ne peut être suivi au regard d'un témoignage selon lequel elle était totalement hystérique et incapable de se comporter raisonnablement au moment des faits. Toutefois, le témoignage en question (celui de la tante de la recourante) ne fait pas état d'une incapacité de se comporter raisonnablement, mais de l'impossibilité d'avoir une discussion. En outre, l'expert a relevé expressément cette déposition dans son rapport et a analysé le comportement de l'assurée en fonction des déclarations en question pour exclure tout caractère psychotique du langage de cette dernière.
Les autres griefs que la recourante adresse aux déductions de l'expert ne s'appuient que sur sa propre appréciation et ne peuvent, de ce fait, constituer des éléments objectifs susceptibles de battre en brèche la valeur probante du rapport en question. Par conséquent, la juridiction cantonale n'avait aucun motif d'ordonner une autre expertise médicale.
3.3 Dans un arrêt récent (ATF 129 V 95), le Tribunal fédéral des assurances, se fondant en particulier sur les travaux législatifs ayant conduit à l'édiction de l'art. 37 al. 1 LAA, est parvenu à la conclusion que l'art. 48 OLAA, dans la mesure où il conditionne le droit aux prestations en cas de suicide ou de tentative de suicide à l'incapacité totale de l'assuré de se comporter raisonnablement, au moment des faits, était conforme à la volonté du législateur. Il a, de plus, constaté que, si l'on voulait donner à l'art. 37 al. 1 LAA une autre portée, comme le soutient une partie de la doctrine, il faudrait que le législateur le décide, la voie jurisprudentielle n'étant pas ouverte. (consid. 3.2 à 3.4). L'argumentation de la recourante relative à sa capacité de discernement partielle et au fait qu'elle n'avait pas l'intention de se rendre invalide en tentant de se suicider est donc mal fondée, les conditions d'un revirement de jurisprudence (ATF 127 V 355 consid. 3a et les références) n'étant évidemment pas réunies. Quant à l'art. 8 CEDH, qui garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, il n'est d'aucun secours à la recourante, dès lors qu'il ne confère aucun droit à l'obtention de prestations sociales de l'Etat (ATF 120 V 4 et les références).
4.
Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ). Par ailleurs, la recourante, qui voit ses conclusions rejetées, ne peut prétendre de dépens (art. 159 al. 1 OJ a contrario). L'intimée n'a pas non plus droit à des dépens, car elle est assimilée, en sa qualité d'assureur privé participant à l'application de la LAA, à un organisme chargé de tâches de droit public au sens de l'art. 159 al. 2 OJ (ATF 112 V 49 consid. 3, 112 V 361 sv. consid. 6; RAMA 1995 no U 212 p. 66 sv. consid. 6).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.
3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Mutuelle Valaisanne, Martigny, au Tribunal des assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 21 février 2006
Au nom du Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IVe Chambre: Le Greffier: