Zurück zur Einstiegsseite Drucken
Original
 
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4C.304/2005 /ech
Arrêt du 8 décembre 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président,
Rottenberg Liatowitsch et Favre.
Greffière: Mme Cornaz
Parties
A.________,
B.________,
défendeurs et recourants,
tous deux représentés par Me Filippo Ryter,
contre
X.________ SA,
Association Y.________,
demanderesses et intimées,
toutes deux représentées par Me François Besse.
Objet
acte illicite, concurrence déloyale,
recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois du 11 février 2005.
Faits:
A.
Le 27 octobre 1997, l'Office communautaire des variétés végétales a octroyé à X.________ SA - société anonyme de droit français active dans le domaine des plants de pomme de terre - une protection communautaire des obtentions végétales pour une nouvelle variété de pomme de terre dénommée "Z.________". Le 31 mai 2000, le Bureau fédéral de la protection des variétés lui a délivré un certificat d'obtention végétale portant sur cette même variété.
Le 23 février 1999, X.________ SA a écrit à l'Association Y.________ (ci-après: Y.________) - association régie par les art. 60 ss CC qui a entre autres pour but de travailler collectivement à défendre les intérêts généraux de la culture de la pomme de terre et particulièrement de la pomme de terre nouvelle de ... - qu'elle lui accordait l'exclusivité de la distribution du plant "Z.________" sur l'ensemble du territoire suisse.
Y.________ a confié à la société V.________ l'exclusivité de la distribution de la pomme de terre "Z.________" sur le territoire suisse. En contrepartie, l'intégralité des quantités de pommes de terre de cette variété vendues par V.________ devait provenir de Y.________.
Au cours de l'année 2000, A.________ et B.________ - qui exploitent un domaine agricole à ... et produisent notamment des pommes de terre - en ont produit de variété "Z.________".
Les consommateurs ont trouvé des pommes de terre de cette variété dans des commerces n'appartenant pas à la chaîne des magasins V.________. La société W.________ a notamment commercialisé des pommes de terre sous désignation "Z.________".
Les 30 juin et 15 juillet 2000, T.________ SA - société dont A.________ est l'administrateur unique avec signature individuelle, qui a entre autres pour but la production et le commerce de légumes par l'exploitation de tous domaines agricoles, qui dispose de deux adresses dont l'une à celle de A.________ et B.________ et dont le numéro de téléphone de l'ingénieur agronome correspond à celui de A.________ - a adressé à W.________ de différentes villes des factures portant sur un total de mille septante kilos de pommes de terre "Z.________" reconverties bio, pour des montants qui ont été payés sur son compte bancaire.
B.
Saisi d'une requête de mesures provisionnelles et d'extrême urgence de X.________ SA et de Y.________ du 5 juillet 2000 et statuant par ordonnance de mesures préprovisionnelles du lendemain, le Juge instructeur de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a interdit à A.________ et B.________ ainsi qu'à W.________ de commercialiser des pommes de terre portant la désignation "Z.________", d'utiliser sous quelle que forme que ce soit la désignation "Z.________", ou de commercialiser du matériel de multiplication de variété "Z.________", ceci sous menace des peines d'arrêts et d'amende de l'art. 292 CP en cas d'insoumission à une décision de l'autorité.
A l'audience provisionnelle du 13 juillet 2000, X.________ SA et Y.________ ont passé avec W.________ une convention à titre de transaction au fond. Elles ont par ailleurs signé avec A.________ et B.________, qui n'ont pas contesté leur légitimation passive, une transaction selon laquelle ceux-ci s'engageaient à s'abstenir de toute culture, multiplication et commercialisation, sous quelle que forme que ce soit, de pommes de terres de la variété "Z.________" ou portant cette désignation, jusqu'à droit connu sur la validité du certificat d'octroi de protection végétale y relatif.
Par jugement du 11 février 2005 rendu suite à une demande de X.________ SA et de Y.________ du 14 septembre 2000, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a notamment fait interdiction à A.________ et B.________, ainsi qu'à leurs auxiliaires, d'exposer, d'offrir, de mettre dans le commerce ou de vendre des pommes de terre portant la désignation "Z.________", d'utiliser sous quelle que forme que ce soit la désignation "Z.________" en relation avec des pommes de terre et de produire, d'offrir ou de faire métier de vendre du matériel de multiplication de la variété "Z.________", interdictions assorties des peines d'arrêts ou d'amende prévues par l'art. 292 CP en cas d'insoumission à une décision de l'autorité.
C.
A.________ et B.________ (les défendeurs) interjettent un recours en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent, avec suite de frais et dépens, principalement au rejet des conclusions de X.________ SA et de Y.________ et à l'admission de leurs conclusions libératoires, subsidiairement à l'annulation du jugement entrepris et au renvoi du dossier à cette autorité pour complètement et nouvelle décision.
X.________ SA et Y.________ (les demanderesses) concluent, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Formé par les défendeurs, qui ont succombé dans leurs conclusions libératoires, et dirigé contre un jugement final rendu en instance cantonale unique par l'autorité judiciaire suprême du canton de Vaud (art. 48 OJ, 42 al. 1 de la loi fédérale sur la protection des obtentions végétales du 20 mars 1975, ci-après: LPOV (RS 232.16), 12 al. 2 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986, ci-après: LCD (RS 241), et 74 al. 3 de la loi vaudoise d'organisation judiciaire du 12 décembre 1979), le recours est recevable sans égard à la valeur litigieuse (art. 45 let. a OJ, 42 al. 2 LPOV et 12 al. 2 LCD). Il a par ailleurs été interjeté en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). En revanche, il ne permet pas de se plaindre de la violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ), ni de la violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252). Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ).
Dans la mesure où une partie présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme ne permet pas de remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4; 129 III 618 consid. 3).
2.
2.1 Dans un premier moyen, les défendeurs reprochent à la cour cantonale d'avoir admis leur légitimation passive, laquelle appartiendrait à la société T.________ SA, qui seule aurait fait le commerce des pommes de terre de type "Z.________".
2.2 La qualité pour agir (légitimation active) et la qualité pour défendre (légitimation passive) sont des questions de droit matériel, de sorte qu'elles ressortissent au droit privé fédéral s'agissant des actions soumises à ce droit (ATF 130 III 417 consid. 3.1; 126 III 59 consid. 1a p. 63). Elles se déterminent selon le droit au fond et leur défaut conduit au rejet de l'action qui intervient indépendamment de la réalisation des éléments objectifs de la prétention litigieuse (ATF 126 III 59 consid. 1a p. 63; 125 III 82 consid. 1a p. 83). Cette question doit en particulier être examinée d'office et librement (ATF 126 III 59 consid. 1a p. 63; 114 II 345 consid. 3d).
En matière de biens immatériels et de concurrence déloyale, quiconque contrevient à une disposition légale ou participe à une infraction a qualité pour défendre (Troller, Précis du droit suisse des biens immatériels, Bâle 2001, p. 383; cf. également von Büren/Marbach, Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, 2e éd., Berne 2002, n. 881 p. 177). Plus particulièrement, dans le domaine de la LCD, la légitimation passive appartient à quiconque se comporte de manière déloyale au sens de la loi, qu'il agisse seul ou comme participant (arrêt 4C.139/2003 du 4 septembre 2003, publié in sic! 2004 p. 430, consid. 2.1 p. 431 et la référence à Pedrazzini/Pedrazzini, Unlauterer Wettbewerb UWG, 2e éd., Berne 2002, n. 17.02 p. 276). La définition très large de la légitimation passive s'explique par le fait que la protection est accordée contre toute personne qui peut influencer la concurrence économique de manière significative, peu importe que l'agissement considéré relève d'une activité économique ou simplement d'un comportement privé. En réalité, seul le résultat compte, à savoir une influence potentielle sur le marché et la concurrence économique (arrêt 4C.139/2003 du 4 septembre 2003, publié in sic! 2004 p. 430, consid. 2.1 p. 431 et les références citées, notamment à von Büren/Marbach, op. cit., n. 882 p. 177 s.; Pedrazzini/Pedrazzini, op. cit., n. 17.02 p. 276).
2.3 En l'espèce, la cour cantonale a considéré que les défendeurs exploitaient un domaine agricole sur lequel ils avaient cultivé, au cours de l'année 2000, des pommes de terre de variété "Z.________". A l'audience de mesures provisionnelles, ils s'étaient engagés tous deux à s'abstenir de toute culture, multiplication et commercialisation de pommes de terre de cette variété. Ils n'avaient pas contesté leur légitimation passive. Certes, c'était la société T.________ SA qui avait facturé les diverses livraisons de pommes de terre à W.________. Toutefois on ne saurait en déduire que toute l'activité commerciale et la production de ces pommes de terre se faisaient au seul nom de cette société. A cet égard, les demanderesses avaient produit un sachet de pommes de terre sur lequel on pouvait lire "Z.________, A.________". En outre, sur une photo produite par celles-ci, on pouvait voir des pommes de terre en vrac sur un étalage de magasin, au-dessus duquel figurait une ardoise portant la mention "P.D.T NOUVELLES. Z.________ du pays A./B.________-...". Seul le nom des défendeurs apparaissait, à l'exclusion de celui de la société T.________ SA. Par ailleurs, un témoin avait affirmé que la production de pommes de terre de variété "Z.________" était exploitée par les défendeurs, à titre personnel, comme tous les paysans, et que seules les factures étaient adressées à T.________ SA. Au vu de ces éléments, il convenait d'admettre la légitimation passive des défendeurs.
2.4 Essentiellement appellatoire, l'argumentation des défendeurs se résume en une vaine remise en cause de l'appréciation des preuves et des faits à laquelle la cour cantonale s'est livrée pour aboutir à la conclusion que leur légitimation passive devait être admise, de sorte qu'elle est irrecevable dans le cadre d'un recours en réforme. Il en va en particulier ainsi des développements qui reposent sur la prémisse erronée que le fait qu'ils aient commercialisé des pommes de terre de variété "Z.________" n'aurait pas été établi à satisfaction de droit. Pour le surplus, l'on ne voit pas, sur la base des faits souverainement établis par la cour cantonale, en quoi celle-ci aurait violé le droit fédéral en admettant la légitimation passive des défendeurs. Partant, le moyen ne saurait être accueilli.
3.
3.1 Dans un second grief, les défendeurs plaident derechef qu'il ne serait pas établi qu'ils aient commercialisé la pomme de terre "Z.________", de sorte que la LCD ne serait pas applicable. Ils exposent ensuite s'être engagés à s'abstenir de toute culture, multiplication ou commercialisation de ladite variété jusqu'à droit connu de la validité des certificats d'octroi de protection végétale y relatifs, ce dont on ne saurait déduire qu'ils ne reconnaissaient pas les droits des demanderesses, mais bien au contraire s'en remettaient à justice. Cela signifierait que la demande en interdiction, pour autant qu'elle soit bien dirigée contre eux, ne serait pas fondée en droit, ce qui entraînerait l'accueil de leurs conclusions libératoires.
3.2 En matière de protection des obtentions végétales, les mêmes actions en contrefaçon existent que dans le reste de la propriété intellectuelle (Dessemontet, La propriété intellectuelle, Lausanne 2000, n. 715 p. 320).
Une action en interdiction ou en cessation de trouble suppose un intérêt suffisant, qui existe en présence de la menace directe d'un acte illicite, lorsque le comportement du défendeur laisse sérieusement craindre une violation imminente des droits du demandeur. Un intérêt suffisant doit ainsi être reconnu si le défendeur a déjà commis des atteintes dont la répétition n'est pas à exclure ou s'il y a des indices concrets qu'il va commettre de telles atteintes (cf. ATF 116 II 357 consid. 2a et l'arrêt cité; plus récemment arrêt 4C.238/2003 du 2 juin 2004, publié in sic! 2004 p. 876, consid. 2.2 p. 877).
En règle générale, l'on présume qu'il existe un danger de répétition des actes incriminés si le défendeur a déjà commis une telle violation et qu'il ne reconnaît pas les droits du demandeur ou nie à tort que les actes qui lui sont reprochés portent atteinte aux droits de son adverse partie (cf. ATF 116 II 357 consid. 2a et les arrêts cités; plus récemment arrêt 4C.238/2003 du 2 juin 2004, publié in sic! 2004 p. 876, consid. 2.2 p. 877; 4C.28/2002 du 6 mai 2002, publié in sic! 2002 p. 599, consid. 5.1 p. 601).
Cette présomption peut être renversée si le défendeur établit des circonstances qui excluent une récidive dans le cas concret ou qui la font apparaître comme invraisemblable. Il y a cependant lieu de poser des exigences strictes pour pouvoir écarter cette présomption. Celle-ci ne sera renversée ni par la cessation des violations, ni par la simple déclaration du défendeur de renoncer à des atteintes futures, s'il ne reconnaît pas simultanément la prétention du demandeur (ATF 116 II 357 consid. 2b et l'arrêt cité).
3.3 Dans la présente affaire, la cour cantonale a considéré en substance qu'au cours de l'année 2000, les défendeurs avaient produit des pommes de terre dénommées "Z.________" qu'ils avaient vendues à W.________. Ils n'étaient pas des producteurs agréés de la demanderesse Y.________ et ne disposaient d'aucune autorisation leur permettant de produire ou de distribuer la variété de pommes de terre "Z.________". Par conséquent, en produisant et en commercialisant à titre professionnel cette variété de pommes de terre, ils avaient agi en violation de l'art. 12 LPOV. Peu importait, à cet égard, qu'ils l'aient exploitée de manière biologique.
Les pommes de terre produites et commercialisées par les défendeurs portaient le même nom que la variété protégée dont la demanderesse X.________ SA était titulaire. Il était manifeste qu'il existait un risque de confusion direct avec la production réglementée exclusivement par les demanderesses. Par conséquent, il convenait d'admettre que les défendeurs avaient également commis un acte illicite au sens de l'art. 3 let. d LCD.
Les défendeurs contestaient avoir agi en violation des droits des demanderesses. Dès lors qu'ils ne reconnaissaient pas les droits de celles-ci et que l'on ne discernait pas de circonstances permettant d'exclure qu'une telle violation ne se reproduise, il convenait de présumer un danger de répétition des actes incriminés. Ainsi, les conditions d'une action en interdiction au sens de l'art. 12 (recte: 37) LPOV étaient réalisées.
3.4 En l'occurrence, et quoi que persistent à en dire les défendeurs, l'état de fait déterminant fait apparaître qu'ils ont porté atteinte aux droits des demanderesses, dont ils n'ont pas reconnu la prétention. Dans ces circonstances, l'on ne voit pas que la présomption susmentionnée puisse être renversée. En particulier, la signature, à l'audience de mesures provisionnelles, d'une transaction aux termes de laquelle les défendeurs s'engageaient à s'abstenir de toute culture, multiplication et commercialisation de pommes de terre "Z.________" ne saurait constituer une circonstance permettant d'exclure une récidive dans le cas d'espèce. En conséquence, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en prononçant les interdictions incriminées.
4.
Il résulte des considérants qui précèdent que le recours des défendeurs doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
5.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront supportés par les défendeurs, solidairement entre eux (art 156 al. 1 et 7 ainsi que 159 al. 1 et 5 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge des défendeurs, solidairement entre eux.
3.
Les défendeurs, débiteurs solidaires, verseront aux demanderesses, créancières solidaires, une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.
Lausanne, le 8 décembre 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: