BGer 4C.50/2005
 
BGer 4C.50/2005 vom 16.06.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.50/2005 /ech
Arrêt du 16 juin 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. les Juges Corboz, président, Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.
Parties
X.________ S.A.,
défenderesse et recourante, représentée par Me Jean-François Marti,
contre
B.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Shahram Dini.
Objet
contrat de travail; licenciement; tort moral
(recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appel de
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève du 17 décembre 2004).
Faits:
A.
La société Z.________ S.A., devenue par la suite X.________ S.A. (ci-après : X.________), active dans le domaine de la gestion de fortune, a été créée en août 1998. C.________ était l'actionnaire majoritaire, voire unique de la société et agissait comme un organe de fait de X.________, en tout cas durant la période considérée. Son petit-fils, D.________, a été nommé directeur de la société dès sa fondation et président du conseil d'administration à partir du 26 juin 2002. Les organes statutaires n'assumaient que des fonctions purement formelles.
B.________ a été engagé par X.________, avec effet au 1er septembre 2001, en qualité de directeur adjoint, pour un salaire de 160'000 fr. par an.
D.________ a rencontré des problèmes psychiatriques, qui ont entraîné plusieurs hospitalisations. Il a été incapable de travailler du 1er août 2002 au 5 février 2003, puis à nouveau à partir du 2 août 2003 pour une durée indéterminée. A partir des mois de novembre et décembre 2001, son état l'a rendu extrêmement violent dans ses propos, agressif, insultant et menaçant à l'égard des collaborateurs de X.________. Il a amené des armes à feu au bureau et il lui est arrivé de lancer des meubles. Il a été retenu que les employés de X.________ ont dû travailler dans des conditions totalement inacceptables, leur intégrité physique et psychique étant mise en danger.
C.________, présent presque tous les jours dans les locaux de X.________, était parfaitement au courant de l'incapacité de son petit-fils à assumer son rôle de directeur, ainsi que des difficultés rencontrées par tous les employés de la société pour faire face aux problèmes psychiatriques de D.________. Il a été retenu que B.________ notamment a entrepris sans succès des démarches, afin que C.________ prenne les mesures en vue du remplacement de D.________ dans ses diverses fonctions.
Le 6 juin 2002, les collaborateurs de la société, dont B.________, ont écrit à C.________, en sa qualité d'actionnaire majoritaire ou unique de X.________, pour lui faire part des difficultés rencontrées en raison du comportement de D.________ et lui demander de remédier à la situation. Il ressort de cette lettre que les signataires estimaient que le seuil de la légalité avait été dépassé depuis longtemps, qu'ils ne pouvaient plus tolérer de subir, depuis plus de six mois, des pressions inadmissibles, chaque jour apportant son lot d'insultes, d'accusations mensongères et de harcèlement psychologique. Il était demandé à C.________ de faire en sorte de maintenir un environnement professionnel exempt de telles exactions. La lettre se terminait ainsi : "Nous espérons vivement qu'une solution rapide soit trouvée dans l'intérêt de tous. Regrettant d'avoir à vous confronter à cette difficile réalité, nous tenons néanmoins à vous faire part de notre dévouement et de notre sympathie".
Le 14 juin 2002, une entrevue a eu lieu entre C.________ et les signataires de la lettre. A cette occasion, C.________ a établi une note manuscrite en dix points, qui indiquait notamment qu'une fronde contre le président d'une société s'analysait comme une attaque directe contre l'employeur, ce qui constituait pour les intéressés une faute lourde et grave. En outre, la mise à jour d'un bénéficiaire économique de la société constituait une violation du secret professionnel. Il était précisé que les employés qui n'étaient pas contents de leur sort pouvaient partir immédiatement. La société avait renouvelé sa confiance en D.________, qui exerçait également les fonctions de directeur général. Chacun devait respecter son cahier des charges ou démissionner s'il s'y refusait. Les réfractaires étaient avisés qu'ils risquaient un licenciement. Enfin, la tenue d'une assemblée générale avant la fin du mois, qui prendrait les décisions nécessaires pour la pérennité de la société, était prévue; le conseil d'administration déciderait ensuite des mesures internes à la société qui s'imposaient. A la fin de sa note, C.________ précisait qu'il avait mis fin à la réunion après 15 minutes et que "les violons ou le mal-être et les maladies contractées par les collaborateurs devraient s'arrêter ou seraient rompus".
Le 20 juin 2002, une assemblée générale extraordinaire de X.________ a eu lieu, avec pour objet à l'ordre du jour la révocation des administrateurs et l'élection d'un nouveau conseil d'administration. Il a été retenu que la convocation de cette assemblée devait être mise en rapport avec la note de C.________ établie à la suite de l'entrevue du 14 juin 2002. Lors de l'assemblée, tous les anciens administrateurs ont été révoqués de leurs fonctions, à l'exception de D.________, qui a été nommé, à l'unanimité, en qualité de président. Le mandat de directeur adjoint de B.________ a aussi été révoqué. Aucune autre décision n'a été prise concernant l'avenir de la société.
Par lettre du 26 juin 2002 reçue le 2 juillet suivant, X.________ a informé B.________ de la résiliation de son contrat de travail avec effet au 31 juillet 2002. Le 25 juillet 2002, celui-ci a contesté son congé, le considérant comme abusif.
Le 24 juillet 2002, le consultant en comptabilité de X.________ a indiqué qu'il mettait fin à son contrat, en attirant l'attention du conseil d'administration sur le fait qu'à la suite du licenciement de tous les cadres, la société n'avait plus aucun support ni aucune structure, de sorte qu'il n'était plus en mesure d'assurer ses tâches.
Le 9 août 2002, X.________ a délégué temporairement l'exécution des mandats de gestion que lui avait confiés sa clientèle à Y.________ S.A. Cette délégation a été prorogée jusqu'au 30 juin 2003.
B.
Le 15 octobre 2002, B.________ a introduit une demande auprès du Tribunal des prud'hommes du canton de Genève à l'encontre de X.________, réclamant le versement de 79'998 fr. à titre d'indemnité pour résiliation abusive, de 40'000 fr. pour tort moral et de 31'130 fr. en compensation des vacances non prises.
Par jugement du 6 novembre 2003, le Tribunal des prud'hommes a condamné X.________ à payer à B.________ 2'813,80 fr. brut à titre de compensation pour vacances non prises et 80'000 fr. comprenant 40'000 fr. brut à titre d'indemnité pour résiliation abusive et 40'000 fr. pour tort moral, les montants alloués portant intérêt à 5 % l'an dès le 31 août 2002.
X.________ a déposé un appel à l'encontre de ce jugement, tout en s'en rapportant à justice concernant l'indemnité de 2'813,80 fr. pour les vacances non prises.
Par arrêt du 17 décembre 2004, la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes a confirmé le jugement attaqué, sous réserve du montant alloué à titre de réparation morale qu'elle a réduit de moitié, le faisant passer à 20'000 fr. Hormis les 2'813,80 fr. non contestés se rapportant aux vacances non prises, elle a ainsi condamné X.________ à verser à B.________ le montant de 60'000 fr. net avec intérêt à 5 % dès le 31 août 2002 correspondant à 40'000 fr. d'indemnité pour licenciement abusif et 20'000 fr. de tort moral.
C.
Contre l'arrêt du 17 décembre 2004, X.________ (la défenderesse) interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut principalement à la réforme de la décision entreprise dans le sens du déboutement de B.________ de toutes ses conclusions et demande à ce que la Caisse du Tribunal fédéral verse les dépens dus à son mandataire dans le cas où ils ne pourraient pas être recouvrés. Subsidiairement, elle propose le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle instruction et nouvelle décision.
B.________ (le demandeur) propose le rejet du recours.
Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public formé parallèlement par X.________ à l'encontre de l'arrêt du 17 décembre 2004 l'opposant à B.________.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Interjeté par la défenderesse, qui a partiellement succombé dans ses conclusions libératoires, et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ), le recours porte sur une contestation civile (cf. ATF 129 III 415 consid. 2.1) dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Il a en outre été déposé en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. c et 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ). Il convient donc d'entrer en matière.
1.2 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 63 al. 1 OJ), mais il n'est pas lié par les motifs invoqués par celles-ci (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4, 362 consid. 5).
1.3 L'indemnisation des vacances non prises par l'intimé ne sera pas revue dans la présente procédure, dès lors que ce point n'est plus contesté (art. 55 al. let. c OJ).
2.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2; 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Hormis ces exceptions que le recourant doit invoquer expressément, il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
La défenderesse méconnaît ces principes, dans la mesure où elle développe, à l'appui de ses griefs, des faits ne ressortant pas de l'arrêt attaqué, sans se prévaloir de l'une des exceptions précitées. Un tel procédé n'étant pas admissible, la Cour de céans examinera les violations du droit fédéral invoquées uniquement à la lumière des constatations cantonales.
3.
Selon la défenderesse, l'autorité cantonale a violé l'art. 336 al. 1 let. d CO en retenant l'existence d'un congé-représailles. Elle soutient que, comme il y avait plusieurs motifs de congé, les juges auraient dû déterminer si le contrat aurait tout de même été résilié sans le motif illicite.
3.1 Aux termes de l'art. 336 al. 1 let. d CO, le congé est abusif lorsqu'il est donné par une partie parce que l'autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail. Cette disposition vise le congé-représailles (Brunner/Bühler/Waeber, Commentaire du contrat de travail, 3e éd. Lausanne 2004, N 7 ad art. 336 CO) et tend en particulier à empêcher que le licenciement soit utilisé pour punir le salarié d'avoir fait valoir des prétentions auprès de son employeur en supposant de bonne foi que les droits dont il soutenait être le titulaire lui étaient acquis (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4C.171/1993 du 13 octobre 1993 in SJ 1995 p. 797, consid. 2 et les références citées, confirmé in arrêt du Tribunal fédéral 4C.262/2003 du 4 novembre 2003, consid. 3.1). Il importe peu que les prétentions invoquées de bonne foi soient réellement fondées (arrêt du Tribunal fédéral 4C.10/2002 du 9 juillet 2002, in Pra 2003 n. 52 p. 254, consid. 3.2 et les références citées).
S'il n'est pas nécessaire que les prétentions émises par le travailleur aient été seules à l'origine de la résiliation, il doit s'agir néanmoins du motif déterminant. En d'autres termes, ce motif doit avoir essentiellement influencé la décision de l'employeur de licencier; il faut ainsi un rapport de causalité entre les prétentions émises et le congé signifié au salarié (arrêt du Tribunal fédéral 4C.27/1992 du 30 juin 1992 in SJ 1993 p. 360, consid. 3a). L'incidence respective des divers motifs de résiliation en concours est une question qui relève de la causalité naturelle (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 702). Sous réserve des cas où le juge a ignoré cette exigence ou méconnu cette notion juridique (arrêt du Tribunal fédéral 4C.281/2004 du 9 novembre 2004, SJ 2005 I p. 221, consid. 2.3; ATF 125 IV 195 consid. 2b), la causalité naturelle relève du fait, de sorte qu'elle ne peut être revue dans le cadre d'un recours en réforme (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 702 s.). Il en va de même des motifs de congé retenus (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 702; 127 III 86 consid. 2a in fine).
3.2 En l'espèce, il ressort de l'arrêt entrepris que l'on ne peut reprocher au demandeur de s'être adressé par écrit à C.________, afin qu'il intervienne de manière sérieuse pour faire cesser les agissements de son petit-fils envers le personnel de la société. Il a également été retenu que le licenciement litigieux était la conséquence directe des démarches entreprises en ce sens par le demandeur les 6 et 14 juin 2002. Quant à l'argumentation de la défenderesse, selon laquelle le licenciement aurait été fondé sur des problèmes économiques, les juges ont considéré qu'elle n'était pas crédible. Dans ces circonstances, on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir admis l'existence d'un congé abusif au sens de l'art. 336 al. 1 let. d CO.
Les griefs formulés par la défenderesse à ce sujet ne sont pas admissibles. D'une part, elle conteste le lien de causalité retenu entre les démarches effectuées par le demandeur en juin 2002 et son licenciement; d'autre part, elle critique le motif retenu, affirmant que le contrat aurait de toute manière été résilié en raison des difficultés économiques qu'elle traversait, perdant de vue que l'arrêt attaqué a constaté que son argumentation à ce propos n'était pas crédible. Comme on vient de le voir (cf. supra consid. 3.1), de telles critiques portent sur des éléments de fait et ne peuvent être revues dans un recours en réforme.
4.
La défenderesse conteste ensuite le montant de l'indemnité allouée, qui, selon elle, violerait les art. 336a CO et 4 CC.
4.1 Le congé étant abusif, c'est à bon droit que la cour cantonale a condamné la défenderesse à verser au demandeur une indemnité au sens de l'art. 336a CO. L'indemnité prévue par cette disposition est de même nature et vise le même but que celle de l'art. 337c al. 3 CO (ATF 123 III 391 consid. 3a, V 5 consid. 2a). Elle a donc une double finalité, punitive et réparatrice, quand bien même elle ne consiste pas en des dommages-intérêts au sens classique, car elle est due même si la victime ne subit ou ne prouve aucun dommage; revêtant un caractère sui generis, elle s'apparente à une peine conventionnelle (ATF 123 III 391 consid. 3c p. 394).
Le juge fixe l'indemnité de l'art. 336a CO en équité (art. 4 CC) en fonction de toutes les circonstances; il doit notamment tenir compte de la gravité de la faute de l'employeur, d'une éventuelle faute concomitante du travailleur, de la manière dont s'est déroulée la résiliation, de la gravité de l'atteinte à la personnalité du travailleur licencié, de la durée des rapports de travail, de leur étroitesse, des effets économiques du licenciement, de l'âge du travailleur, d'éventuelles difficultés de réinsertion dans la vie économique et de la situation financière des parties (ATF 123 III 246 consid. 6a, 391 consid. 3 p. 394).
Comme à chaque fois que l'autorité cantonale qui a statué dispose d'un pouvoir d'appréciation, le Tribunal fédéral ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l'instance inférieure. Il n'intervient que si la décision s'écarte sans raison sérieuse des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation ou s'appuie sur des faits qui, en l'occurrence, ne devaient jouer aucun rôle ou encore ne tient, au contraire, pas compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; le Tribunal fédéral sanctionne, en outre, les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 127 III 153 consid. 1a p. 155; 121 III 64 consid. 3c p. 68 s.).
4.2 En l'espèce, la cour cantonale a confirmé l'indemnité correspondant à trois mois de salaire pour résiliation abusive prononcée par le tribunal, en soulignant que celui-ci n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation. Pour toute justification, elle a relevé que cette indemnité s'expliquait par les circonstances exceptionnellement pénibles dans lesquelles le demandeur a dû travailler durant les six à huit mois précédant son licenciement et du fait que C.________, qui était la seule personne en mesure d'agir face à un président du conseil d'administration et directeur privé de ses capacités mentales, était resté passif.
Cette motivation n'est pas pertinente. Elle porte sur des circonstances qui ont précédé le licenciement et qui ne le concernent qu'indirectement, dès lors que le demandeur a été congédié non pas parce qu'il a dû supporter le comportement inacceptable du directeur, mais parce qu'il s'en est plaint (pour un cas similaire, cf. arrêt du Tribunal fédéral 4C.310/1998 du 8 janvier 1999, SJ 1999 I p. 277, consid. 4c). Comme nous le verrons ci-après, les conditions inacceptables dans lesquelles le demandeur a dû travailler avant son licenciement peuvent être prises en compte dans le cadre d'une indemnisation fondée sur l'art. 49 CO, mais n'ont pas à jouer de rôle dans la fixation de l'indemnité prévue à l'art. 336a CO.
Dès lors que le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, n'est pas lié par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (cf. supra consid. 1.2), il convient d'examiner si, en fonction des faits ressortant de l'arrêt entrepris, une indemnité équivalant à trois mois de salaire pour licenciement abusif peut se justifier. A cet égard, il apparaît que le comportement de C.________, qui dirigeait dans les faits la société, peut être mis à la charge de la défenderesse (art. 55 CC; ATF 122 III 225 consid. 4b p. 227). Or, celui-ci a adopté une attitude passive clairement fautive. Alors qu'il était parfaitement au courant de l'incapacité de son petit-fils à assumer son rôle de directeur et des difficultés rencontrées par les employés, il n'a pris aucune mesure en vue de protéger le personnel de la société, bien qu'il ait été plusieurs fois informé, en particulier par le courrier du 6 juin et l'entrevue du 14 juin 2002. La note qu'il a établie à la suite de cette dernière réunion démontre qu'à la place d'admettre la réalité, il en a voulu aux employés de la société de mettre en évidence le comportement inacceptable de son petit-fils et il a préféré licencier les cadres que d'intervenir et de protéger le personnel, comme le lui imposait l'art. 328 CO. Aucun reproche ne peut en revanche être mis à la charge du demandeur, qui n'était toutefois dans l'entreprise que depuis moins d'un an. Même si l'arrêt attaqué ne contient pas d'autres éléments de fait pertinents pour évaluer les conséquences de la résiliation abusive pour le demandeur, les circonstances qui viennent d'être évoquées, à savoir la faute grave de la défenderesse et la courte durée des rapports de travail, permettent de tenir pour admissible le versement à l'employé congédié abusivement d'une indemnité au sens de l'art. 336a CO équivalant à trois mois de salaire, telle que fixée dans l'arrêt entrepris.
5.
La défenderesse s'en prend ensuite à l'indemnité pour tort moral allouée au demandeur. Elle soutient principalement que la cour cantonale ne pouvait, en sus de l'indemnité fondée sur l'art. 336a CO, la condamner à réparer le tort moral subi par le demandeur sur la base des art. 49 et 328 CO.
5.1 Lorsque l'atteinte à la personnalité du salarié congédié abusivement découle du licenciement, l'indemnité de l'art. 336a CO comprend en principe la réparation du tort moral subi par le travailleur licencié (arrêt 4C.310/1998 précité, in SJ 1999 I 277, consid. 4a; ATF 123 III 391 consid. 3). Cette indemnité ne laisse guère de place à une application cumulative de l'art. 49 CO. Le Tribunal fédéral ne l'exclut cependant pas dans des situations exceptionnelles, lorsque l'atteinte serait à ce point grave qu'un montant correspondant à six mois de salaire ne suffirait pas à la réparer (consid. 9c non publié de l'ATF 126 III 395; arrêt du Tribunal fédéral 4C.310/1998 précité, in SJ 1999 I 277, consid. 4a).
En revanche, comme l'art. 336a al. 2 in fine CO réserve les dommages-intérêts qui pourraient être dus à un autre titre, le travailleur conserve le droit de réclamer la réparation du préjudice résultant d'une cause autre que celle liée au caractère abusif du congé (cf. ATF 123 III 391 consid. 3c p. 394; cf. Staehelin, Commentaire zurichois, N 8 ad art 336a p. 579; Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd. Zurich 1992, art. 336a no 8), par exemple le tort moral résultant d'un harcèlement antérieur au congé abusif (arrêt du Tribunal fédéral 4C.177/2003 du 21 octobre 2003 consid. 4.1; Aubert, Commentaire romand, N 3 ad art. 336a). La jurisprudence a ainsi admis le versement d'une indemnité pour tort moral en application de l'art. 49 CO indépendamment de l'indemnité prévue à l'art. 336a CO, afin de réparer le tort moral subi par une caissière de magasin victime de harcèlement sexuel et licenciée parce qu'elle s'en était plainte (cf. arrêt 4C.310/1998 précité, SJ 1999 I 277, consid. 4c).
En l'espèce, la situation est similaire, dès lors que le tort moral alloué au demandeur tend à l'indemniser pour les mois de tensions intenses vécues sur son lieu de travail en raison de la maladie mentale du directeur, alors qu'il a été congédié parce qu'il avait entrepris les démarches tendant à ce que son employeur prenne les mesures qui s'imposaient. On ne peut donc reprocher à la cour cantonale d'avoir appliqué l'art. 49 CO, parallèlement à l'art. 336a CO.
Par ailleurs, il a été constaté que les employés de la défenderesse ont été contraints de travailler dans des conditions totalement inacceptables, le directeur mettant en danger leur intégrité physique et psychique. On peut donc en déduire que le demandeur a subi une atteinte grave à sa personnalité, liée à une violation fautive, par l'employeur de ses obligations prévues à l'art. 328 CO, de sorte que les conditions permettant l'octroi d'une indemnité sur la base de l'art. 49 CO sont en principe réalisées (cf. ATF 131 III 26 consid. 12.1).
6.
En dernier lieu et à titre subsidiaire, la défenderesse invoque une violation des art. 49 et 328 CO. Elle estime qu'en allouant au demandeur une indemnité de 20'000 fr. à titre de tort moral, la cour cantonale a excédé les limites de son pouvoir d'appréciation.
6.1 L'ampleur de la réparation morale au sens de l'art. 49 CO dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l'atteinte subie par la victime et de la possibilité d'adoucir sensiblement, par le versement d'une somme d'argent, la douleur morale qui en résulte (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 p. 36; 125 III 269 consid. 2a p. 273). En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un préjudice qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites; l'indemnité allouée doit toutefois être équitable (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 705; 129 IV 22 consid. 7.2 p. 36).
La fixation de l'indemnité pour tort moral est une question d'application du droit fédéral, que le Tribunal fédéral examine donc librement. Dans la mesure où celle-ci relève pour une part importante de l'appréciation des circonstances, le Tribunal fédéral intervient avec retenue, notamment si l'autorité cantonale a mésusé de son pouvoir d'appréciation en se fondant sur des considérations étrangères à la disposition applicable, en omettant de tenir compte d'éléments pertinents ou encore en fixant une indemnité inéquitable parce que manifestement trop faible ou trop élevée; cependant, comme il s'agit d'une question d'équité - et non pas d'une question d'appréciation au sens strict, qui limiterait son pouvoir d'examen à l'abus ou à l'excès du pouvoir d'appréciation -, le Tribunal fédéral examine librement si la somme allouée tient suffisamment compte de la gravité de l'atteinte ou si elle est disproportionnée par rapport à l'intensité des souffrances morales causées à la victime (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 705 et les arrêts cités).
S'agissant du montant alloué en réparation du tort moral, toute comparaison avec d'autres affaires doit intervenir avec prudence, puisque le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment face au malheur qui le frappe. Cela étant, une comparaison n'est pas dépourvue d'intérêt et peut être, suivant les circonstances, un élément utile d'orientation (ATF 130 III 699 consid. 5.1 in fine, confirmé in arrêt du Tribunal fédéral 4C.343/2003 du 13 octobre 2004, consid. 8.1 in fine). Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le Tribunal fédéral ne fait que vérifier si le montant alloué sur le plan cantonal est ou non disproportionné, compte tenu des faits constatés et en fonction de la partie qui recourt.
6.2 La Cour de céans a été amenée à vérifier à plusieurs reprises l'indemnité pour tort moral allouée à des salariés ayant subi une atteinte à leur personnalité en cours d'emploi. Le versement d'un montant de 25'000 fr. à une femme ayant été harcelée pendant près d'une année, ce qui lui avait causé d'importants troubles psychiques, entraînant une invalidité et une incapacité totale de travailler, a été considéré comme la limite supérieure admissible (arrêt 4C.343/2003 précité, consid. 8.2). A l'autre extrême, une somme de 5'000 fr. allouée à une employée harcelée sexuellement par son supérieur, qui avait été atteinte dans sa santé et plongée dans des états d'anxiété et de dépression, a été admise (cf. arrêt 4C.310/1998 précité, in SJ 1999 I p. 277 consid. 4b et c). Entre ces deux limites, le Tribunal fédéral a confirmé une indemnité pour tort moral de 12'000 fr. allouée à une jeune fille mineure qui s'était vu imposer des conditions de travail inacceptables, proches de l'esclavage durant 13 mois (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4C.94/2003 du 23 avril 2004, consid. 5 p. 54). En revanche, l'allocation d'une indemnité de 15'000 fr. destinée à compenser le tort moral d'un employé dont les liens avec une secte avaient été révélés à ses collègues de travail de même qu'à un journal, portant ainsi atteinte à son avenir professionnel, a été considérée comme trop élevée et réduite à 10'000 fr. (consid. 5.3 non publié de l'ATF 130 III 699).
6.3 En l'espèce, la cour cantonale a réduit l'indemnité pour tort moral de moitié par rapport au montant fixé en première instance, la faisant passer de 40'000 fr. à 20'000 fr. Elle a justifié ce montant par le fait que le demandeur avait vécu plusieurs mois de tensions intenses, alors que C.________, témoin direct et seul à pouvoir agir, était resté passif. S'il convient certes de ne pas minimiser le traumatisme ressenti par l'intéressé, dont l'intégrité physique et psychique a été mise en danger sur son lieu de travail, l'arrêt attaqué ne fait état d'aucun élément démontrant que celui-ci en aurait gardé des séquelles durables et importantes. En outre, les conditions de travail ressortant de l'arrêt attaqué, qualifiées à juste titre d'inacceptables, ne sont pas assimilables à la situation proche de l'esclavage vécue par une jeune fille pendant plusieurs mois et qui s'était vu allouer une indemnité pour tort moral de 12'000 fr. (cf. supra consid. 6.2).
Dans ces circonstances, il apparaît que le montant de 20'000 fr. en réparation du tort moral prononcé en faveur du demandeur est excessivement élevé. Compte tenu des éléments qui précèdent, une indemnité de 10'000 fr. paraît équitable.
Par conséquent, le recours en réforme doit être partiellement admis, en ce sens que la défenderesse est condamnée à verser au demandeur le montant de 50'000 fr., comprenant 40'000 fr. à titre d'indemnité pour licenciement abusif et 10'000 fr. pour tort moral, à la place des 60'000 fr. alloués dans l'arrêt attaqué. Il n'y a pas lieu de s'écarter du taux d'intérêt à 5 % dès le 31 août 2002, la défenderesse n'en contestant ni le principe ni les modalités (art. 55 al. 1 let. c OJ). La décision entreprise doit être confirmée pour le surplus.
7.
Comme la valeur litigieuse, selon les prétentions du demandeur à l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41; 100 II 358 consid. a), dépasse 30'000 fr., la procédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO).
Dès lors que la défenderesse n'obtient que très partiellement gain de cause par rapport à ses conclusions tendant à sa libération intégrale, il y a lieu de répartir les frais à raison de trois quarts à sa charge et d'un quart à la charge du demandeur (art. 156 al. 3 OJ).
Entre les parties, la même clé de répartition sera appliquée, ce qui revient à condamner la défenderesse (art. 152 al. 1 OJ a contrario) à allouer au demandeur des dépens réduits de moitié (art. 159 al. 3 OJ).
L'affaire sera par ailleurs renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle se prononce à nouveau sur les frais de la procédure accomplie devant elle (cf. art. 157 et 159 al. 6 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis.
2.
L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la défenderesse est condamnée à verser au demandeur le montant de 50'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 31 août 2002. Il est confirmé pour le surplus.
3.
Un émolument judiciaire de 3'500 fr. est mis à raison de 2'625 fr. à la charge de la défenderesse et de 875 fr. à la charge du demandeur.
4.
La défenderesse versera au demandeur une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens réduits.
5.
La cause est renvoyée à l'autorité inférieure pour nouvelle décision sur les frais de la procédure cantonale.
6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
Lausanne, le 16 juin 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: