BGer 6P.35/2005
 
BGer 6P.35/2005 vom 03.06.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
6P.35/2005
6S.115/2005 /rod
Arrêt du 3 juin 2005
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffière: Mme Paquier-Boinay.
Parties
A.________,
recourante, représentée par Me Alain Droz, avocat,
contre
X.________,
intimé, représenté par Me Robert Assaël, avocat,
Procureur général du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
6P.35/2005
Art. 9 Cst. (arbitraire)
6S.115/2005
Violation de la LAVI,
recours de droit public (6P.35/2005) et pourvoi en nullité (6S.115/2005) contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 25 février 2005.
Faits:
A.
X.________ a été renvoyé devant la Cour correctionnelle sans jury du canton de Genève. Il était accusé d'avoir fait subir, à plusieurs reprises entre 1994 et 1999, à sa fille A.________, née en 1990, des attouchements sur le sexe avec la main, de manière appuyée et prolongée, par dessus les habits. Représentée par un curateur, cette dernière a participé à la procédure en qualité de partie civile.
Après une longue instruction, la Cour correctionnelle a acquitté X.________ par jugement du 2 juillet 2004.
B.
A.________ s'est pourvue en cassation auprès de la Cour de cassation du canton de Genève.
Par arrêt du 25 février 2005, la Cour a déclaré le pourvoi irrecevable faute de qualité pour recourir, au motif que A.________ n'avait pas pris de conclusions civiles chiffrées, mais s'était limitée à solliciter la réserve de ses droits.
Par le même arrêt, la Cour de cassation cantonale a également déclaré irrecevable le pourvoi interjeté par B.________, la mère de A.________, qui s'était également constituée partie civile.
C.
A.________ a saisi le Tribunal fédéral d'un recours de droit public et d'un pourvoi en nullité. Elle a en outre requis l'assistance judiciaire.
Dans ses observations adressées au Tribunal fédéral lors de la transmission du dossier, conformément à l'art. 274 al. 1 PPF, la Cour de cassation cantonale s'est déterminée sur l'allégation de la recourante selon laquelle, contrairement à ce qui ressort de l'arrêt attaqué, elle aurait bien conclu devant la Cour correctionnelle à l'allocation d'une indemnité pour tort moral de 50'000 francs. La Cour de cassation cantonale relève que ni le jugement ni le procès-verbal de la Cour correctionnelle ne font état de telles conclusions, mais qu'il s'est avéré, à l'écoute de l'enregistrement de l'audience, que le mandataire de la recourante avait, dans le cadre de sa plaidoirie, conclu oralement au paiement d'une indemnité pour tort moral.
Le Ministère public et X.________ ont été invités à se déterminer sur le recours de droit public. Le premier a conclu à l'admission alors que le second estime qu'il doit être rejeté au motif que les conclusions n'auraient pas été valablement formulées au regard des exigences du droit de procédure genevois.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
I. Recours de droit public
1.
La recourante se plaint d'une violation de la garantie constitutionnelle d'être traitée sans arbitraire par les organes de l'Etat (art. 9 Cst.). Elle soutient que la Cour de cassation cantonale est tombée dans l'arbitraire en retenant qu'elle n'avait pas pris de conclusions civiles chiffrées devant la Cour correctionnelle.
Une décision arbitraire est une décision manifestement insoutenable. L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable. Une décision ne viole le principe constitutionnel de l'interdiction de l'arbitraire que si elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, la décision n'est arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables. Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1).
Le fait invoqué par la recourante dans son recours au Tribunal fédéral et confirmé par la Cour de cassation cantonale dans ses observations, à savoir que des conclusions chiffrées ont été articulées devant la Cour correctionnelle, ne ressort ni de l'arrêt attaqué ni du jugement ou du procès-verbal de la Cour correctionnelle. Il n'a par ailleurs pas été allégué dans l'acte de recours cantonal. La recourante est néanmoins habilitée à l'invoquer dans le présent recours de droit public pour arbitraire car il s'agit d'un moyen que seule la motivation de l'arrêt attaqué donne l'occasion de soulever (ATF 99 Ia 113 consid. 4a, 129 I 49 consid. 3, 128 I 354 consid. 6c).
L'articulation de conclusions chiffrées devant la Cour correctionnelle pourrait conduire à admettre la recevabilité du recours adressé à la Cour de cassation cantonale, les autres conditions de recevabilité n'étant pas contestées. La condition est toutefois que ces conclusions soient formellement valables, c'est-à-dire que la façon de procéder de la recourante, consistant à prendre des conclusions orales au stade des plaidoiries, soit conforme aux exigences du droit de procédure cantonal en la matière. Or la Cour de cassation cantonale ne s'est pas prononcée sur cette question de droit cantonal et il n'appartient pas au Tribunal fédéral de le faire. La pertinence du fait ignoré par la Cour de cassation cantonale, soit l'articulation de conclusions chiffrées lors des plaidoiries devant la Cour correctionnelle, ne saurait donc être niée en l'état de la procédure. Il s'ensuit l'admission du recours et l'annulation de l'arrêt attaqué.
2.
Vu l'issue de celui-ci, les frais afférents au recours de droit public doivent être mis à la charge de l'intimé qui succombe (art. 156 al. 1 et 2 OJ). L'indemnité de partie allouée à la recourante (art. 159 al. 1 et 2 OJ) est mise à la charge de l'intimé. Le recouvrement de cette créance n'apparaissant pas problématique (voir ATF 122 I 322 consid. 3a), la requête d'assistance judiciaire présentée par la recourante est partant sans objet.
II. Pourvoi en nullité
3.
L'arrêt attaqué étant annulé, le pourvoi n'a plus d'objet.
4.
Conformément à la pratique, il n'est ni prélevé de frais ni alloué d'indemnité. La requête d'assistance judiciaire pour ce recours inutile est rejetée. Cela se justifie d'autant plus que le pourvoi, essentiellement fondé sur un fait qui n'a pas été constaté par la Cour de cassation cantonale, était manifestement irrecevable (cf. art. 277bis al. 1 PPF; art. 152 OJ).
Il n'est pas alloué d'indemnité à la partie intimée qui n'a pas été invitée à déposer de réponse.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
I. Concernant le recours de droit public
1. Le recours est admis.
2. L'arrêt attaqué est annulé.
3. Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge de l'intimé.
4. Une indemnité de 2'000 francs est allouée à la recourante, à la charge de l'intimé.
5. La requête d'assistance judiciaire de la recourante est sans objet.
II. Concernant le pourvoi en nullité
6. Le pourvoi est sans objet.
7. La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
8. Il n'est pas perçu de frais ni alloué d'indemnité.
III. Communication
9. Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.
Lausanne, le 3 juin 2005
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: