BGer 6S.132/2005
 
BGer 6S.132/2005 vom 16.05.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
6S.132/2005 /rod
Arrêt du 16 mai 2005
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Kistler.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Séverine Berger, avocate,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.
Objet
Fabrication de fausse monnaie (art. 240 CP), fixation
de la peine (art. 68 ch. 2 et 63 CP) et sursis (art. 41
ch. 1 CP),
pourvoi en nullité contre l'arrêt du 29 décembre 2004 du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale.
Faits:
A.
Par jugement du 2 novembre 2004, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois a notamment condamné X.________ pour fabrication de fausse monnaie (art. 240 CP) à la peine de quatorze mois de réclusion, peine complémentaire à la peine de douze mois prononcée le 16 octobre 1998 par la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal.
Statuant le 29 décembre 2004 sur recours du condamné, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé le jugement de première instance.
B.
En résumé, l'arrêt cantonal retient les faits suivants:
B.a Dans le courant de l'année 1996, Y.________ a été mis en contact avec une bande de malfrats qui soutiraient d'importantes sommes d'argent grâce à une escroquerie connue sous le nom de "rip deal". Il s'agissait d'inciter des gens à participer à un jeu de cartes dénommé "dada", en mettant sur la table d'importantes sommes d'argent, soit 500'000 francs au minimum. Mis en confiance par des complices, Y.________ devait jouer contre un vieillard sénile, mais richissime. Il a perdu la première partie, mais a toutefois décidé de se refaire et a cherché de grosses sommes d'argent auprès de partenaires.
C'est dans ce contexte que Y.________ a pris contact avec X.________. Ce dernier était à la recherche d'argent facile, notamment en vue de payer une partie de ses dettes, qui s'élevaient à environ un million de francs. Il est ressorti des discussions entre Y.________ et X.________ l'idée de fournir une grosse somme d'argent en faux billets.
B.b Au début du mois d'août 1996 à Villeneuve, durant une quinzaine de jours, X.________ a fabriqué 4'000 faux billets de banque de mille francs ainsi que des attaches-liasses au moyen de la photocopieuse couleur de sa société.
Le 28 août 1996 à Montreux, X.________ a remis à Y.________ 40 liasses de 100 faux billets de mille francs.
Y.________ a apporté ces faux billets au groupe d'escrocs lors de la deuxième partie, à nouveau gagnée par le vieillard, qui a empoché la mise.
B.c Désireux de se refaire lors d'une troisième partie, Y.________ a demandé à X.________ de produire encore 100'000 francs en faux billets. Celui-ci a cependant fabriqué beaucoup plus de billets, soit 2'100'000 francs.
En octobre 1996 à Montreux, il a remis à Y.________ 100'000 francs en faux billets. Il a déposé le solde, soit deux millions de francs, sur son bateau, amarré au port de Noville.
Par la suite, Y.________ a restitué 2'000 faux billets à X.________ et a détruit lui-même l'équivalent de 100'000 francs en faux billets.
C.
Contre l'arrêt cantonal, X.________ dépose un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une violation de l'art. 240 CP et des art. 68 ch. 2, 63 et 41 ch. 1 CP, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. En outre, il sollicite l'assistance judiciaire et l'effet suspensif.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter. Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui doivent être interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).
2.
Le recourant conteste sa condamnation pour fabrication de fausse monnaie (art. 240 CP).
2.1 Dans un premier grief, le recourant fait valoir qu'il n'avait pas le dessein de mettre en circulation de la fausse monnaie comme authentique. Pour lui, il était clair que son comparse allait gagner la partie et que les faux billets ne pourraient être acquis par ses adversaires. Les billets ne devaient donc pas sortir du cadre restreint du jeu de cartes, de sorte que l'autorité cantonale aurait admis à tort le dessein spécial de mise en circulation.
2.1.1 L'art. 240 CP punit celui qui, dans le dessein de les mettre en circulation comme authentiques, aura contrefait des monnaies, du papier-monnaie ou des billets de banque. L'infraction de fabrication de fausse monnaie exige donc l'intention ainsi que le dessein spécial de mettre les faux billets en circulation comme authentiques. Selon la jurisprudence, il suffit que l'auteur réalise que le tiers à qui il remet la fausse monnaie pourrait la mettre en circulation comme authentique et qu'il accepte cette éventualité (ATF 119 IV 154 consid. 2d p. 157 s.).
2.1.2 En l'espèce, le jugement de première instance, auquel renvoie l'arrêt attaqué, mentionne que le recourant "a accepté que la fausse monnaie soit mise en circulation par le tiers à qui il l'avait remise". A ce propos, le tribunal explique que'"Y.________ pouvait tout à fait devoir laisser cet argent au vieillard, cela d'autant plus qu'il avait déjà perdu une première partie. [Le recourant] le savait et avait accepté cette éventualité en remettant l'argent à son ami" (jugement p. 13). Au vu de ces faits, force est d'admettre que le recourant a agi intentionnellement et qu'il a accepté de mettre en circulation les faux billets comme authentiques. Le dessein spécial s'applique tant à la première livraison (soit à celle portant sur les 4'000 faux billets de 1'000 francs) qu'à la seconde s'agissant des 100'000 francs, étant précisé qu'aucune infraction n'a été retenue contre le recourant en ce qui concerne la fabrication du solde de deux millions de francs, qu'il a déposés sur son bateau.
Par son argumentation, le recourant s'écarte donc de l'état de fait cantonal, ce qu'il n'est pas habilité à faire dans un pourvoi (cf. consid. 1 ci-dessus). Le grief soulevé est dès lors irrecevable.
2.2 Le recourant fait valoir, à titre subsidiaire, que son comportement constitue un cas de très peu de gravité selon l'art. 240 al. 2 CP au motif que la falsification était aisément détectable. En effet, il ne s'agissait que de simples photocopies sur du papier tout à fait standard.
2.2.1 Selon la jurisprudence, le cas est de très peu de gravité si le montant est faible ou si l'imitation est trop grossière pour être dangereuse. L'interprétation doit être restrictive, dès lors qu'il est question de cas de "très peu de gravité" (ATF 119 IV 154 consid. 2e p. 159).
2.2.2 En l'espèce, l'autorité cantonale a considéré que la qualité des billets était suffisamment bonne pour tromper aisément des personnes non averties. Au vu du billet figurant au dossier (pièce 43), cette appréciation ne suscite aucune critique. Le fait que les autres joueurs ont immédiatement remarqué qu'il ne s'agissait pas de vraies coupures et que les numéros de séries étaient tous les mêmes ne signifie pas encore que l'imitation ait été grossière. Au contraire, comme le relève l'autorité cantonale, la contrefaçon est apparue de suffisamment bonne qualité pour que, après une première alerte du vieillard, le mélange des faux billets avec des vrais passe inaperçu. La première hypothèse du cas de peu de gravité - relative à la qualité du billet - n'est donc pas réalisée.
Comme le constate à juste titre l'autorité cantonale, la seconde hypothèse - concernant le montant en jeu - n'entre pas non plus en ligne de compte, puisque le recourant a fabriqué plus de quatre millions de francs de faux billets.
En conséquence, c'est à juste titre que l'autorité cantonale a refusé d'appliquer l'art. 240 al. 2 CP. Mal fondé, le grief du recourant doit être rejeté.
3.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 68 ch. 2 CP. Il soutient que c'est à tort que le juge de première instance a considéré qu'il devait prononcer une peine complémentaire d'un an de réclusion au minimum, cette durée constituant le minimum légal prévu par l'art. 240 al. 1 CP en relation avec l'art. 35 CP. En outre, la peine complémentaire serait excessive et violerait ainsi l'art. 63 CP.
3.1 Si, comme en l'espèce, le délinquant a été condamné à une peine privative de liberté pour une infraction commise après l'infraction pour laquelle il comparaît, l'art. 68 ch. 2 CP enjoint au juge de prononcer une peine complémentaire additionnelle (Zusatzstrafe), de telle sorte que le délinquant ne soit pas puni plus sévèrement que si les deux infractions avaient été jugées en même temps et réprimées par une peine d'ensemble (ATF 118 IV 119 consid. 2c p. 121). Pour fixer la peine complémentaire, le juge doit se demander comment il aurait fixé la peine en cas de concours simultané, puis déduire la peine qui a déjà été prononcée.
La jurisprudence a précisé que le juge n'est pas tenu de respecter le minimum légal du genre de peine prévu par l'infraction à juger lorsqu'il prononce une peine complémentaire. Celle-ci ne viole pas la loi parce qu'elle reste en dessous du minimum légal prévu pour le genre de peine, afin qu'ajoutée à la peine de base elle ne soit pas trop sévère (ATF 80 IV 223 consid. p. 232).
3.2 L'argumentation développée par le recourant concernant la fausse application de l'art. 68 ch. 2 CP est entièrement dirigée contre la décision du Tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois. Or, conformément à l'art. 268 ch. 1 1ère phrase PPF, le pourvoi n'est recevable que contre les jugements ne pouvant pas donner lieu à un recours de droit cantonal (principe de l'épuisement des voies de recours cantonales; ATF 126 IV 107 consid. 1b p. 109), de sorte que le pourvoi est irrecevable lorsqu'il est dirigé contre le jugement du tribunal correctionnel, qui n'est pas la dernière instance cantonale à avoir à connaître de la présente cause. En outre, savoir si la cour de cassation cantonale, qui a statué en tant qu'autorité de recours, a interprété correctement la volonté des premiers juges, n'est pas une question de droit fédéral qui peut être examinée dans le cadre du pourvoi.
3.3 Au demeurant, en fixant la peine, l'autorité cantonale a tenu compte de l'ensemble des éléments pertinents au regard de l'art. 63 CP. A charge, elle a retenu l'escroquerie pour laquelle le recourant a été frappé en 1998 d'une peine de douze mois, la gravité des infractions reprochées, le montant considérable des faux billets fabriqués (non - il est vrai - six millions de francs, mais quatre millions, ce qui constitue cependant déjà un montant considérable) et le fait que le recourant a agi dans un but de lucre. A décharge, elle a tenu compte de la situation professionnelle et financière difficile du recourant, du fait que les billets n'ont été remis qu'à une seule personne et dans un but déterminé ainsi que du temps écoulé depuis la commission de l'infraction. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, elle a implicitement estimé qu'une peine d'ensemble hypothétique de vingt-six mois devait être prononcée dont elle a déduit la peine de douze mois prononcée en 1998 pour arriver à une peine complémentaire de quatorze mois de réclusion.
Le raisonnement de l'autorité cantonale ne prête pas le flanc à la critique. Au vu des éléments précités, la faute du recourant paraît très lourde, notamment au regard du montant des faux billets fabriqués (et cela même si l'infraction de l'art. 240 CP n'a été retenue que pour 4'100'000 francs et non 6'000'000 francs comme le mentionne à tort la cour de cassation cantonale). Contrairement à ce que soutient le recourant, l'autorité cantonale n'a pas additionné les deux peines, mais a simplement constaté que le sursis ne pouvait être accordé, puisque le total de celles-ci dépassait dix-huit mois (cf. consid. 4 ci-dessous). En conséquence, il faut admettre que l'autorité cantonale a correctement appliqué les art. 68 ch. 2 et 63 CP. Infondés, les griefs soulevés doivent donc être rejetés.
3.4 Se fondant sur le principe d'égalité de traitement, le recourant fait encore valoir que Y.________ a été condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, soit à une peine de douze mois si l'on fait abstraction de l'atténuation de la peine. Ce grief repose cependant sur des faits qui ne figurent pas dans l'arrêt attaqué, ce qui n'est pas admissible dans le cadre d'un pourvoi en nullité. L'arrêt cantonal ne dit en effet rien sur la situation de Y.________, de sorte que la cour de céans ignore les faits qui ont été reprochés à ce dernier et les paramètres qui ont pu intervenir dans la fixation de sa peine; elle ne peut en conséquence entrer en matière sur la critique soulevée.
4.
Enfin, le recourant soutient que le sursis devrait lui être accordé.
Lorsqu'une peine complémentaire doit être prononcée en application de l'art. 68 ch. 2 CP, une jurisprudence constante permet qu'elle soit assortie du sursis seulement si, ajoutée aux peines principales, elle ne représente pas une détention de plus de dix-huit mois (art. 41 ch. 1 CP; ATF 109 IV 68 consid. 1 p. 69 s.). Si l'autorité cantonale prononce une peine dont la durée est compatible avec celle du sursis, elle devra donc également se prononcer sur le sursis.
En l'occurrence, les conditions objectives du sursis ne sont pas réalisées, puisque la peine d'ensemble est de vingt-six mois (quatorze mois + douze mois). Il n'appartenait pas à l'autorité cantonale d'examiner si, compte tenu de la situation personnelle du recourant, il ne convenait pas de réduire la peine d'ensemble à dix-huit mois pour pouvoir octroyer le sursis. En effet, selon la jurisprudence, le juge doit procéder à cet examen seulement si la peine privative de liberté qu'il envisage de prononcer n'est pas d'une durée nettement supérieure à dix-huit mois, c'est-à-dire seulement si elle n'excède pas vingt et un mois (ATF 127 IV 97 consid. 3 p. 101; 118 IV 337 consid. 2c p. 339 s.).
Mal fondé, le grief relatif à la violation de l'art. 41 CP doit être rejeté.
5.
Au vu de ce qui précède, le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.
Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais (art. 278 al. 1 PPF). Comme le pourvoi était d'emblée dépourvu de chances de succès, l'assistance judiciaire doit être refusée (art. 152 al. 1 OJ).
Vu l'issue du pourvoi, la requête d'effet suspensif devient sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Un émolument judiciaire de 800 francs est mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la mandataire du recourant, au Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale.
Lausanne, le 16 mai 2005
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: