BGer 4P.293/2004
 
BGer 4P.293/2004 vom 02.05.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
4P.293/2004 /ech
Arrêt du 2 mai 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Klett,
Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.
Parties
A.________,
recourante, représentée par Me Michel A. Bosshard,
contre
X.________ SA,
intimée, représentée par Me Jean-Yves Schmidhauser,
1re Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst.; contrat de travail, mesures provisionnelles,
recours de droit public contre l'arrêt de la 1re Section de la Cour de justice du canton de Genève du 18 novembre 2004.
Faits:
A.
X.________ SA est une société active dans la gestion, la formation et la sélection de ressources humaines, ainsi que dans la formation de cadres et le placement de personnel stable et temporaire. En juillet 2002, le Tribunal de première instance du canton de Genève a constaté le surendettement de X.________ SA, dont il a ajourné la faillite à deux reprises jusqu'au 30 novembre 2003. La société a ensuite bénéficié d'un sursis concordataire jusqu'au 10 septembre 2004, le concordat proposé ayant finalement été homologué le 26 octobre 2004.
Par contrat du 10 avril 2003, X.________ SA a engagé A.________ en qualité de conseillère en personnel rattachée à la division médicale, pour un salaire mensuel brut de 5'500 fr. versé douze fois l'an. L'art. 12 al. 1 du contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence, par laquelle la travailleuse s'engageait à s'abstenir après la fin du contrat de faire concurrence à X.________ SA d'une quelconque manière, notamment en exploitant pour son propre compte ou par personne interposée une entreprise concurrente (c'est-à-dire exerçant une activité dans le même domaine économique, celui du recrutement et de la mise à disposition de personnel), en travaillant dans ou pour le compte d'une telle entreprise ou en s'y intéressant. L'art. 12 al. 2 réservait à l'employeur, en cas de contravention et selon l'importance des intérêts lésés ou menacés, le droit d'exiger du collaborateur la cessation immédiate de l'activité prohibée.
Le salaire de A.________ a été régulièrement payé en 2003. Il est passé à 7'000 fr. brut en janvier 2004. En avril 2004, les relations entre les parties se sont détériorées. Par lettre du 12 mai 2004, A.________ a demandé à son employeur de garantir ses prétentions contractuelles à concurrence de deux mois de salaire et du solde de ses vacances, en invoquant le sursis concordataire et l'art. 337a CO. Elle a fixé à son employeur un délai de dix jours pour obtenir cette garantie. Dans le même courrier, elle s'est plainte de l'atmosphère de travail régnant au sein de l'entreprise, qui portait atteinte à sa santé.
Par lettre manuscrite du 25 mai 2004, A.________ a, en personne, résilié son contrat au motif que la garantie n'était pas intervenue dans le délai imparti, soit au 22 mai 2004. Ce courrier a été reçu par X.________ SA le 26 mai 2004. Parallèlement, l'avocat de A.________ a invité X.________ SA, par télécopie du 25 mai 2004 à 9h15, à lui confirmer par retour de télécopie que la garantie sollicitée avait bien été constituée. Le même jour, en début d'après-midi, l'avocat de X.________ SA a fait parvenir à celui de A.________ une déclaration de porte-fort à concurrence de 14'000 fr. pour le salaire de l'employée. En réponse à ce courrier, le conseil de cette dernière a télécopié, le même jour à 19h27, à X.________ SA et à son avocat, que la travailleuse avait décidé par elle-même de résilier le contrat de travail avec effet immédiat, et cela avant la réception du porte-fort.
Selon un certificat médical du 27 mai 2004, A.________ s'est trouvée en incapacité de travail à 100% de cette date au 13 juin 2004. Ensuite, du 2 au 13 juillet 2004, elle a travaillé en qualité de conseillère en personnel auprès d'une société dont les activités sont le conseil et les services en vue de placement fixe et temporaire de personnel et de location de services, ainsi qu'en matière de gestion de ressources humaines. Cette entreprise l'a engagée dès le 1er août 2004, dans la même fonction, par un contrat de travail à durée indéterminée, actuellement en cours.
B.
Par ordonnance du 12 août 2004, le Tribunal de première instance du canton de Genève a rejeté la requête de X.________ SA demandant, à titre de mesures provisionnelles, qu'il soit fait interdiction à A.________ d'exercer une activité concurrente. Le Tribunal a considéré que l'employeur n'avait pas rendu vraisemblable qu'il serait concrètement menacé par l'activité de son ex-employée auprès de l'entreprise concurrente, ce qui s'opposait à l'octroi de mesures provisionnelles.
Par arrêt du 18 novembre 2004, la Cour de justice du canton de Genève a admis le recours interjeté par X.________ SA contre la décision du 12 août 2004, a fait interdiction immédiate à A.________ de poursuivre son activité au sein de l'entreprise qui l'employait et lui a ordonné de s'abstenir de faire concurrence à son ancien employeur d'une quelconque autre manière, en reprenant littéralement, dans son dispositif, l'art. 12 al. 1 du contrat de travail ayant lié les parties. En substance, la cour cantonale a retenu que l'employeur avait fourni à temps la garantie de salaire exigée et que la mauvaise atmosphère au sein de l'entreprise n'aurait pas été alléguée "avant le présent appel". Pour obtenir des mesures provisionnelles, le requérant ne devait pas établir l'existence d'un dommage, mais seulement rendre vraisemblable le risque que ses intérêts soient lésés ou menacés. Tel était le cas en l'espèce, où l'ancienne employée avait commencé à travailler auprès d'une entreprise concurrente dès le 2 juillet 2004, ce qui indiquait "qu'elle souhaitait être rapidement déliée de la clause de prohibition de concurrence contenue dans son contrat".
C.
A.________ (la recourante) interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant les art. 9 et 27 Cst., elle se plaint d'arbitraire dans l'appréciation des faits et dans l'application du droit cantonal et fédéral, ainsi que d'une atteinte à sa liberté économique. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt du 18 novembre 2004 et à la confirmation de l'ordonnance du 12 août 2004, avec suite de frais et dépens.
X.________ SA (l'intimée) conclut au rejet du recours, avec suite de dépens. Pour sa part, la Cour de justice se réfère aux considérants de son arrêt.
Par ordonnance du 15 février 2005, le Président de la Ire Cour civile a accordé l'effet suspensif au recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 I 57 consid. 1; 130 II 65 consid. 1, 321 consid. 1 p. 324, 509 consid. 8.1).
1.1 Le Tribunal fédéral admet que la décision qui met fin à la procédure sur mesures provisionnelles soit considérée comme finale; même si elle devait être qualifiée de décision incidente, il faudrait reconnaître, en raison de sa nature, qu'elle cause un dommage irréparable (cf. ATF 123 I 325 consid. 3c p. 328 s.) ouvrant la voie du recours immédiat (ATF 118 II 369 consid. 1 p. 371; 108 II 69 consid. 1 p. 71; plus récemment arrêt 4C.35/2003 du 3 juin 2003, consid. 1.3.1). Le recours contre l'arrêt du 18 novembre 2004 est par conséquent recevable au regard de l'art. 87 OJ.
1.2 Compte tenu du caractère subsidiaire du recours de droit public (art. 84 al. 2 OJ), il faut encore se demander si les critiques de la recourante relatives à l'application du droit fédéral n'auraient pas dû être soulevées dans le cadre d'un recours en réforme (cf. art. 43 al. 1 OJ).
Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, le recours en réforme n'est recevable que contre des décisions finales au sens de l'art. 48 al. 1 OJ. Cette notion est plus restrictive que celle retenue pour le recours de droit public (arrêt 4P.73/2002 du 26 juin 2002, publié in sic! 10/2002 p. 694, consid. 1.4 p. 695 et la référence à Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, spéc. p. 6). Selon la jurisprudence, une décision est qualifiée de finale lorsque la juridiction cantonale statue sur le fond d'une prétention ou s'y refuse pour un motif empêchant définitivement que la même prétention soit exercée à nouveau entre les mêmes parties (ATF 127 III 433 consid. 1b/aa, 474 consid. 1a p. 475 s.; 126 III 445 consid. 3b p. 446 s.). Il importe peu que la décision ait été prise en procédure sommaire, à condition notamment qu'elle ait été rendue à l'issue d'une procédure probatoire complète, non limitée à la vraisemblance des faits allégués, et qu'elle se fonde sur une motivation exhaustive en droit, sans qu'une procédure ordinaire demeure réservée (ATF 126 III 445 consid. 3b p. 447; 119 II 241 consid. 2 p. 243). Sous réserve d'exceptions (cf. ATF 126 III 445 consid. 3b), les décisions rendues en matière de mesures provisionnelles ne remplissent pas ces exigences et ne sont pas considérées comme des décisions finales au sens de l'art. 48 al. 1 OJ (cf. ATF 126 III 261 consid. 1). L'arrêt attaqué n'échappe pas à cette règle. Rendu en application des art. 337a et 340b al. 3 CO, il n'exprime que la position des juges quant à l'opportunité d'assurer une protection juridique provisoire à l'intimée pendant le déroulement de la procédure au fond devant la juridiction des prud'hommes, sur la base de la vraisemblance des faits invoqués par celle-ci, sans préjudice du jugement au fond. Il ne s'agissait donc pas d'une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ, de sorte que la voie du recours en réforme n'était pas ouverte en l'espèce.
1.3 La recourante est personnellement touchée par la décision entreprise, qui entrave son activité professionnelle. Elle a ainsi un intérêt personnel, concret et actuel à ce que l'arrêt n'ait pas été adopté en violation de ses droits constitutionnels (art. 84 al. 1 let. a OJ). La qualité pour recourir doit lui être reconnue (art. 88 OJ).
1.4 Au surplus, le recours a été interjeté en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. c et 89 al. 1 OJ).
1.5 Vu la nature cassatoire du recours de droit public, les conclusions qui vont au-delà de la simple demande d'annulation du prononcé attaqué, superflues, sont irrecevables (ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131 s., 173 consid. 1.5). Tel est le cas de la conclusion tendant à la confirmation de la décision du Tribunal de première instance, qui résulterait de toute manière de l'admission éventuelle du recours, impliquant l'annulation de l'arrêt entrepris.
1.6 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31, 258 consid. 1.3 p. 262; 129 I 113 consid. 2.1).
2.
Les juridictions genevoises ont successivement refusé, puis accordé à l'employeur des mesures provisionnelles relatives au contrat de travail, tendant à la cessation de l'activité interdite par une clause de prohibition de concurrence.
2.1 Selon la jurisprudence, c'est le droit cantonal qui détermine si et à quelles conditions on peut protéger l'employeur par voie de mesures provisionnelles (ATF 103 II 120 consid. 2b p. 123 s.; plus récemment arrêt 4P.98/1999 du 29 juin 1999, consid. 2b/aa).
2.2 Si l'art. 320 al. 1 de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987 (ci-après: LPC/GE) ne définit pas les différents types de mesures provisionnelles, les commentateurs en discernent trois catégories, soit les mesures provisionnelles au sens étroit visant à prévenir un dommage et à assurer l'exécution forcée ultérieure d'une obligation non pécuniaire, les mesures d'accompagnement réglementant les rapports entre les parties durant une procédure contentieuse et, enfin, les décisions de preuve à futur pour la sauvegarde anticipée des moyens de preuve (cf. Bertossa/Gaillard/ Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987, tome III, n. 2 ad art. 320 LPC/GE). Ces catégories correspondent à celles retenues par la doctrine dans l'énoncé des standards généraux de procédure civile, les mesures provisionnelles au sens strict étant qualifiées plutôt de mesures conservatoires et les mesures d'accompagnement nommées "mesures de réglementation" (cf. Hohl, Procédure civile [ci-après: Procédure], tome II, Berne 2002, n. 2777 p. 229; Vogel/Spühler, Grundriss des Zivilprozessrechts, 7e éd., Berne 2001, n. 192 ss p. 349 ss; Habscheid, Schweizerisches Zivilprozess- und Gerichtsorganisationsrecht, 2e éd., Bâle 1990, n. 611 ss p. 363 s.). Même si la notion de mesures d'exécution anticipée provisoires (cf. Hohl, op. cit. Procédure, n. 2777 p. 229; Vogel/Spühler, op. cit., n. 196 s. p. 350 s.) n'est pas expressément mentionnée par le droit genevois de procédure, les situations qu'elle vise, soit l'exécution anticipée provisoire ayant pour objet des prestations en argent ou des obligations de s'abstenir ou de faire, peuvent être appréhendées notamment par la saisie-revendication provisionnelle de l'art. 321 LPC/GE et par les mesures provisionnelles innommées de l'art. 324 LPC/GE.
Le classement d'une mesure dans l'une ou l'autre de ces catégories est parfois très difficile (Hohl, op. cit. Procédure, n. 2778 p. 229), mais n'est pas dénué d'effet pratique, dans la mesure où il peut avoir une incidence sur le degré de preuve requis (cf. Hohl, op. cit. Procédure, n. 2868 ss p. 244 s.). Certaines mesures présentent les caractéristiques réunies de deux types de mesures provisionnelles; ainsi, l'interdiction de faire concurrence peut apparaître comme une simple mesure conservatoire (ou mesure provisionnelle au sens étroit, selon la terminologie genevoise) qui tend au maintien de l'objet du litige, mais elle implique aussi pour l'employé une restriction dans l'exercice de son droit et l'exécution anticipée du jugement au fond, raison pour laquelle on peut la considérer comme une mesure d'exécution anticipée (cf. Hohl, La réalisation du droit et les procédures rapides [ci-après: Réalisation], Fribourg 1994, note de bas de page 3 p. 162).
2.3 Dans le cadre des mesures provisionnelles, le juge peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs du requérant et de l'intimé, pour les trois catégories susmentionnées, sans exception (cf. Hohl, op. cit. Procédure, n. 2799 ss p. 233, n. 2837 p. 239 et n. 2877 ss p. 246). Dans les trois cas, le juge doit procéder à la mise en balance des intérêts contradictoires, c'est-à-dire à l'appréciation des désavantages respectifs pour le requérant et pour l'intimé, selon que la mesure requise est ordonnée ou refusée. L'examen du droit et la pesée des intérêts en présence ne s'excluent pas: le juge doit pondérer le droit présumé du requérant à la mesure conservatoire avec les conséquences irréparables que celle-ci peut entraîner pour l'intimé (Hohl, op. cit. Procédure, n. 2820 s. p. 236; Vogel/Spühler, op. cit., n. 210 p. 355). Des exigences beaucoup plus élevées sont posées pour les mesures d'exécution anticipée provisoires, qui portent une atteinte particulièrement grave à la situation juridique de l'intimé et qui ne peuvent être admises que de façon restrictive (cf. Vogel/Spühler, op. cit., n. 200 p. 351 et n. 208 p. 354). C'est en particulier le cas lorsque la décision sur la mesure requise est susceptible d'avoir un effet définitif, parce que le litige n'a plus d'intérêt au-delà du stade des mesures provisionnelles (cf. Hohl, op. cit. Procédure, n. 2868 ss p. 244 s.), ce qui se produit par exemple en matière d'interdiction de faire concurrence, selon l'art. 340b al. 3 CO, lorsqu'il est presque certain que le délai maximal de prohibition de trois ans (cf. art. 340a al. 1 CO) sera expiré à l'issue de la procédure au fond, dont le jugement deviendra sans objet (cf. Hohl, op. cit. Réalisation, n. 679 in fine p. 222).
Enfin, il appartient à l'autorité cantonale saisie d'une requête de mesures provisionnelles tendant à la cessation de l'activité prohibée de vérifier, même selon les règles de la procédure sommaire, la validité matérielle de la clause considérée (cf. Bohny, Das arbeitsvertragliche Konkurrenzverbot, Zurich 1989, p. 166; Haefliger, Das Konkurrenzverbot im neuen schweizerischen Arbeitsvertragsrecht, 2e éd., Berne 1975, p. 86 s.).
3.
Dans l'un de ses griefs, la recourante, invoquant l'art. 9 Cst., reproche à la cour cantonale d'avoir fait une application arbitraire de l'art. 340b al. 3 CO, en ce sens qu'elle n'aurait pas procédé à une pesée des intérêts avant de lui interdire de travailler auprès de son nouvel employeur.
3.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, qu'elle méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 131 I 57 consid. 2; 129 I 8 consid. 2.1). Arbitraire et violation de la loi ne sauraient être confondus; une violation doit être manifeste et reconnue d'emblée pour être arbitraire. Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement dire si l'interprétation qui a été retenue est défendable. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 131 I 57 consid. 2; 129 I 8 consid. 2.1). En outre, pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 173 consid. 3.1 p. 178; 127 I 38 consid. 2a p. 41, 54 consid. 2b).
3.2 Aux termes de l'art. 340b al. 3 CO, l'employeur peut exiger, s'il s'en est expressément réservé le droit par écrit, outre la peine conventionnelle et les dommages-intérêts supplémentaires éventuels, la cessation de la contravention, lorsque cette mesure est justifiée par l'importance des intérêts lésés ou menacés de l'employeur et par le comportement du travailleur.
Ainsi, pour qu'une interdiction de concurrence soit prononcée par voie de mesures provisionnelles, un certain nombre de conditions formelles et matérielles doivent être réalisées. D'une part, l'employeur doit avoir respecté la forme écrite; d'autre part, la lésion ou la mise en danger des intérêts de celui-ci, ainsi que le comportement du travailleur, doivent justifier l'interdiction ou la suspension de l'activité concurrente. Ces deux dernières conditions matérielles sont cumulatives (Neeracher, Das arbeitsvertragliche Konkurrenzverbot, Berne 2001, p. 120; Staehelin, Commentaire zurichois, n. 16 ad art. 340b CO; Bohny, op. cit., p. 162).
En règle générale, la simple violation de la clause de prohibition de concurrence n'est pas suffisante (Tercier, Les contrats spéciaux, 3e éd., Zurich 2003, n. 3503 p. 511; Favre/Munoz/Tobler, Le contrat de travail, Lausanne 2001, n. 3.2 ad art. 340b CO). La plupart des juridictions cantonales admettent au contraire qu'il n'y a lieu d'accorder la mesure provisionnelle que lorsque l'employeur rend vraisemblable que le dommage qu'il subit est considérable et difficilement réparable et que la violation de son engagement contractuel par le travailleur apparaît particulièrement lourde et contraire à la bonne foi (Tercier, op. cit., n. 3503 p. 511; Favre/Munoz/Tobler, op. cit., n. 3.2 ad art. 340b CO; sur ces notions, cf. également Brühwiler, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2e éd., Berne 1996, n. 4 ad art. 340b CO; Staehelin, op. cit., n. 16 ss ad art. 340b CO; Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., Zurich 1992, n. 8 ad art. 340b CO).
Certains auteurs sont même d'avis que le risque d'un dommage doit être tel qu'il puisse mettre en péril la prospérité ou l'existence de l'entreprise (Tercier, op. cit., n. 3503 p. 511; Favre/Munoz/Tobler, op. cit., n. 3.2 ad art. 340b CO; Haefliger, op. cit., p. 76; contra Aubert, Commentaire romand, n. 4 ad art. 340b CO; Neeracher, op. cit., p. 119 s.; Staehelin, op. cit., n. 17 ad art. 340b CO). Dans une jurisprudence ancienne, le Tribunal de céans a réfuté cette manière de voir (ATF 103 II 120 consid. 4; arrêt P.1282/1981 du 28 septembre 1981, traduit au JdT 1982 I p. 170, consid. 3b p. 172). Ultérieurement, il a prononcé que l'art. 340b al. 3 CO, en tant qu'il implique l'examen de la situation de l'employeur, d'une part, et de la conduite du travailleur, d'autre part, confère un large pouvoir d'appréciation au juge qui est saisi d'une demande de cessation de la contravention (arrêt 4P.167/1995 du 27 octobre 1995, publié in JAR 1997 p. 223, consid. 2d p. 226 s.; plus récemment arrêt 4P.98/1999 du 29 juin 1999, consid. 2b). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal fédéral a encore précisé que, pour le surplus, il allait sans dire que l'ordre de cesser l'activité prohibée était une mesure des plus draconiennes, dès lors qu'elle était de nature, le cas échéant, à priver le travailleur de sa seule source de revenus (arrêt 4P.98/1999 du 29 juin 1999, consid. 2b; en ce sens, (cf. également Tercier, op. cit., n. 3501 p. 510; Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p. 455).
La décision sur la requête de mesures provisionnelles a une importance particulière dans la mesure où, dans un cas comme dans l'autre, par rapport aux intérêts de l'employeur et du travailleur, elle peut conduire à un résultat inéquitable (Neeracher, op. cit., p. 122). Il s'ensuit qu'elle ne peut être rendue qu'au terme d'une pesée globale des intérêts contradictoires en présence et de l'examen des conditions particulières aux mesures provisionnelles requises (Neeracher, op. cit., p. 122). Plus une mesure provisionnelle atteint de manière incisive la partie citée, plus il convient de fixer de hautes exigences pour faire reconnaître le bien-fondé de la demande quant à l'existence des faits pertinents et au fondement juridique de la prétention. Ces exigences élevées ne portent pas seulement sur la vraisemblance comme mesure de la preuve requise, mais également sur l'ensemble des conditions d'octroi de la mesure provisionnelle, en particulier sur l'appréciation de l'issue du litige au fond et sur celle des inconvénients que la décision incidente pourrait créer à chacune des deux parties.
En raison du caractère particulièrement sensible des intérêts touchés, la protection juridique provisoire ne doit être accordée que lorsque la demande apparaît fondée de manière relativement claire, au vu de l'état de fait rendu vraisemblable (cf. Neeracher, op. cit., p. 123 et 124; Brühwiler, op. cit., n. 5 ad art. 340b CO; Staehelin, op. cit., n. 20 ad art. 340b CO). Sous l'angle des inconvénients subis par les parties, les considérations financières ne sont pas les seules déterminantes. Vis-à-vis du demandeur et employeur, il faut tenir compte de l'écoulement du temps, pour éviter qu'une clause de prohibition de concurrence ne devienne sans effet à cause de la durée de la procédure au fond. Du côté du travailleur, le risque du dommage engendré par une mesure provisionnelle injustifiée peut dépasser la perte de salaire pendant la durée de la procédure au fond, notamment en considération des difficultés créées pour l'avenir économique de l'employé et de la perte d'expérience encourue pendant l'interdiction provisoire (cf. Neeracher, op. cit., p. 125).
En résumé, plus les mesures provisionnelles sont susceptibles de porter atteinte à la situation du travailleur, plus les inconvénients subis par l'employeur doivent l'emporter dans la pesée des intérêts contradictoires et plus la demande, au fond, doit être assortie de grandes chances de succès (Neeracher, op. cit., p. 124 et 125). La pesée des intérêts en présence, indissociable de toute procédure de mesures provisionnelles (cf. consid. 2.3), revêt ainsi une importance encore plus décisive en matière d'interdiction provisoire de faire concurrence.
3.3 Dans le cas présent, la cour cantonale a considéré qu'il était établi que la recourante avait commencé à travailler auprès d'une entreprise concurrente de l'intimée dès le 2 juillet 2004. Les circonstances dans lesquelles elle avait donné son congé à son employeur démontraient qu'elle souhaitait être rapidement déliée de la clause de prohibition de concurrence contenue dans son contrat.
Au stade des mesures provisionnelles, l'intimée avait allégué de manière suffisamment précise que la nouvelle activité de la recourante était susceptible de lui causer un préjudice. On devait constater à cet égard que les domaines de recrutement et de placement d'employés étaient semblables dans les deux entreprises et que l'activité de la recourante avait commencé aussitôt qu'elle l'avait pu après avoir quitté la société intimée. Dans la mesure où l'on ne pouvait exiger de l'employeur qu'il démontre l'existence de son dommage, les mesures provisionnelles devaient être prononcées. Si la recourante - comme elle l'affirmait dans ses écritures - avait véritablement quitté la société concurrente après une mission de deux semaines en juillet 2004, l'interdiction de faire concurrence ne lui causerait d'ailleurs aucun préjudice.
3.4 Le raisonnement qui précède ne satisfait pas aux exigences susmentionnées et procède manifestement d'une application arbitraire de l'art. 340b al. 3 CO. En effet, la cour cantonale a méconnu que la simple violation de la clause de prohibition de concurrence - que la recourante ne remet à juste titre plus en cause - ne suffisait pas pour qu'une interdiction de travailler soit prononcée et elle a purement et simplement négligé de procéder à une balance des intérêts.
Les juges cantonaux ne pouvaient pas retenir, sur la base de l'état de fait déterminant, que l'intimée avait rendu vraisemblable qu'elle subissait concrètement un dommage considérable et difficilement réparable. En effet, il découle des constatations cantonales que l'employeur n'a démontré son intérêt à l'octroi de la protection provisionnelle que par le fait que la recourante avait trouvé une place au sein d'une entreprise concurrente, dans la même ville.
Pour le surplus, il n'apparaît pas que l'entreprise ait été mise en péril par le départ de la recourante et son engagement au sein d'une société concurrente et il résulte au contraire du dossier que la situation économique de l'intimée s'est améliorée. En effet, celle-ci était en situation d'insolvabilité dès l'année 2002, et menacée de faillite avant de faire l'objet d'un sursis concordataire, pendant pratiquement toute la période où la recourante a travaillé chez elle, dès le 10 avril 2003. Par la suite, la situation s'est stabilisée, l'intimée ayant pu obtenir l'homologation de son concordat le 26 octobre 2004, soit environ trois mois et demi après que la recourante ait développé son activité auprès de son nouvel employeur. Il résulte de l'homologation du concordat que, nonobstant la violation de la clause de prohibition de concurrence dont la validité au fond doit être examinée par le Tribunal des prud'hommes, le Tribunal de première instance a jugé que la situation de l'intimée était assainie et son redressement suffisant pour permettre la continuation de son activité économique et le désintéressement de ses créanciers.
Par ailleurs, l'intimée n'a nullement allégué que son ancienne collaboratrice aurait utilisé des éléments ou des données provenant de son réseau commercial de demandeurs d'emploi ou d'entreprises offrant du travail à ces derniers. Si le risque théorique d'un préjudice provenant de l'activité de l'intimée au sein d'une entreprise concurrente est allégué et paraît vraisemblable, son ampleur et les modalités concrètes de sa survenance éventuelle ne sont pas démontrées, même au stade de la vraisemblance.
Cela étant, l'intimée n'a pas non plus rendu vraisemblable que la violation, par la recourante, de son engagement contractuel avait été particulièrement lourde et contraire à la bonne foi, en d'autre termes que celle-ci avait eu un comportement déloyal. A cet égard, il est douteux que l'on puisse retenir, ainsi que l'a fait la cour cantonale, que les circonstances dans lesquelles la recourante avait donné son congé démontraient qu'elle souhaitait être rapidement déliée de la clause de prohibition de concurrence contenue dans son contrat. Un laps de temps d'environ un mois et demi s'est en effet écoulé entre le moment où la recourante a quitté l'intimée et celui où elle a commencé à travailler pour son nouvel employeur. Quoi qu'il en soit, quand bien même l'abandon immédiat de la place de travail peut selon les cas apparaître comme constitutif d'un comportement déloyal, il ne saurait être considéré comme tel dans la présente espèce. Il sied en effet de rappeler les circonstances particulières dans lesquelles la recourante a résilié le contrat de travail qui la liait à l'intimée, au vu des risques sérieux d'insolvabilité de celle-ci, alors en sursis concordataire, et du fait que les garanties requises n'ont été constituées que postérieurement à l'échéance du délai imparti par la recourante.
Dans tous les cas, la cour cantonale aurait dû, au terme de la pesée des intérêts en présence, retenir que l'intérêt de la recourante à continuer sa nouvelle activité l'emportait sur celui de l'intimée à obtenir la cessation immédiate provisoire de celle-ci pour une durée indéterminée. L'inconvénient que subirait la recourante, qui serait contrainte d'abandonner son activité professionnelle pendant la durée de la procédure au fond, et se retrouverait sans revenu pendant un certain nombre de mois, était en effet majeur. De plus, la cessation temporaire de son activité, alors qu'il n'est pas démontré qu'elle pourrait en occuper une autre, vu sa profession de conseillère en personnel, la menacerait, outre de la perte de son revenu pendant cette période, d'une grande difficulté de retrouver une place de travail dans le même domaine. Partant, les juges cantonaux auraient dû refuser les mesures provisionnelles sollicitées, ce d'autant plus que la procédure au fond a déjà été introduite il y a plusieurs mois, de sorte que le risque que la clause de prohibition de concurrence ne devienne sans effet par l'écoulement du temps est en l'espèce quasi inexistant (trois ans dès le 2 juillet 2004).
4.
Les considérants qui précèdent commandent l'admission du recours et l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice du 18 novembre 2004, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par la recourante, notamment la violation de l'art. 27 Cst.
5.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de l'intimée.
3.
L'intimée versera à la recourante une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la 1re Section de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 2 mai 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: