BGer 5C.246/2004
 
BGer 5C.246/2004 vom 02.03.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
5C.246/2004 /frs
Arrêt du 2 mars 2005
IIe Cour civile
Composition
MM. les Juges Raselli, Président,
Meyer et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.
Parties
Epoux B.________,
défendeurs et recourants,
tous deux représentés par Me Jean-Franklin Woodtli, avocat,
contre
Epoux A.________,
demandeurs et intimés,
tous deux représentés par Me Guy Zwahlen, avocat,
Objet
passage nécessaire,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 8 octobre 2004.
Faits:
A.
Le 18 octobre 1943, le propriétaire de la parcelle n° xxx de la commune de X.________ a fait procéder à la division de son terrain en deux parcelles rectangulaires d'égale grandeur qui ont reçu les numéros xxxa et xxxb. Il a fait inscrire le même jour, au profit de la parcelle n° xxxa et à charge de la parcelle n° xxxb, une servitude de passage à pied et à véhicules s'exerçant sur une largeur de 1 m 50 le long de la limite ouest du fonds servant, depuis la voie publique qui longe la limite nord de celui-ci. À une date ultérieure non déterminée, la parcelle n° xxxa a reçu le numéro aaa et la parcelle n° xxxb le numéro bbb. Sur chacune de ces parcelles a ensuite été construit un petit chalet en bois.
B.
La parcelle n° aaa a été acquise le 22 novembre 2000 par les époux A.________, tandis que la parcelle n° bbb a été acquise le 13 septembre 2000 par les époux B.________. Les deux couples avaient l'intention de faire construire une villa pour eux-mêmes sur leurs parcelles respectives.
Aussitôt après l'achat de leur parcelle, les époux A.________ se sont adressés aux époux B.________ pour les informer qu'ils souhaitaient accéder à leur parcelle par la servitude de passage créée en 1943, qui devait toutefois être élargie pour permettre le transit des voitures.
Avant d'entrer en matière sur une possible extension de la servitude existante, les époux B.________ ont invité les époux A.________ à demander un passage auprès des propriétaires des parcelles voisines nos ccc, ddd, eee et fff. En effet, ces quatre parcelles rectangulaires, sur lesquelles étaient déjà construites des villas, étaient desservies depuis la voie publique par un chemin goudronné qui longeait la limite ouest des parcelles nos bbb et aaa sur toute la longueur de ces dernières, depuis la parcelle n° ccc au nord jusqu'à la parcelle n° fff au sud.
Contactés par les époux A.________, les propriétaires d'alors de deux desdites parcelles se sont montrés peu favorables à cette solution, sans l'exclure cependant à condition d'être indemnisés équitablement.
C.
Le 18 mai 2001, les époux A.________ ont ouvert action contre les époux B.________ devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Ils ont conclu en substance à ce que soit constaté leur droit à faire usage de la servitude de passage existante sur une largeur de 3 m au lieu de 1 m 50, et subsidiairement à l'octroi d'un passage nécessaire de 3 m de largeur sur le tracé de la servitude actuelle, moyennant versement d'une indemnité compensatoire de 8'200 fr. aux défendeurs. Ces derniers ont conclu principalement au rejet de la demande et subsidiairement, en cas d'octroi d'un passage nécessaire, au versement d'une pleine indemnité.
Par jugement du 15 janvier 2004, le Tribunal de première instance a accordé aux demandeurs un droit de passage nécessaire sur une largeur supplémentaire de 1 m 50 tout au long du tracé de l'actuelle servitude (1), subordonné l'octroi dudit droit au paiement d'une indemnité de 38'440 fr. aux défendeurs ainsi qu'au dépôt par les demandeurs d'une demande d'autorisation de construire une villa sur leur parcelle dans un délai de six mois dès l'entrée en force du jugement (2), à défaut de quoi le droit de passage nécessaire ne serait pas inscrit (3). Il a en outre condamné les défendeurs à requérir du Conservateur du registre foncier, aux frais des demandeurs, l'inscription du passage nécessaire (4), a réparti les frais judiciaires par moitié entre les parties et a compensé les dépens (5 et 6).
Le Tribunal de première instance a considéré en bref que la parcelle n° aaa ne disposait pas d'un accès suffisant à la voie publique, le passage actuel ne constituant pas une voie carrossable. En outre, les demandeurs agissaient à juste titre contre les propriétaires de la parcelle n° bbb, puisque leur fonds et celle-ci étaient issus d'une même division parcellaire et qu'il avait été prévu, à l'époque, de ménager au fonds enclavé une voie d'accès au travers de celle-ci. La demande était ainsi fondée au regard de l'état antérieur des propriétés et des voies d'accès. Il était dès lors inutile d'examiner si d'autres débouchés sur la voie publique auraient pu être aménagés; en effet, de telles solutions ne revêtaient qu'un caractère subsidiaire, et l'élargissement sollicité n'était pas impossible ni ne causait une gêne disproportionnée aux défendeurs.
D.
Statuant par arrêt du 8 octobre 2004 sur appel des défendeurs, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance, sauf en ce qui concerne les frais et dépens de première instance qu'elle a mis à raison de 4/5 à la charge des défendeurs, lesquels ont été condamnés aux dépens d'appel.
La motivation de cet arrêt, dans ce qu'elle a d'utile à retenir pour l'examen du recours, est en substance la suivante :
D.a Les défendeurs ne contestent pas que la cause doit être examinée à la lumière de l'art. 694 CC, aux termes duquel le propriétaire qui n'a qu'une issue insuffisante sur la voie publique peut exiger de ses voisins qu'ils lui cèdent le passage nécessaire, moyennant pleine indemnité (al. 1). Ils admettent également que la parcelle des demandeurs est actuellement privée d'un accès suffisant pour la villa d'habitation que ceux-ci projettent d'y construire.
D.b Selon l'art. 694 al. 2 CC, le droit de passage nécessaire s'exerce en premier lieu contre le voisin à qui le passage peut être le plus naturellement réclamé en raison de l'état antérieur des propriétés et des voies d'accès, et, au besoin, contre celui sur le fonds duquel le passage est le moins dommageable.
En l'espèce, il est constant que la parcelle propriété des demandeurs est susceptible d'être reliée à la voie publique par trois accès distincts : au travers d'une parcelle limitrophe au sud, au moyen du chemin existant sur les parcelles nos ccc à fff en bordure des parcelles nos aaa et bbb, et enfin par l'élargissement de la servitude de passage existante sur la propriété des défendeurs.
L'accès par le sud doit être exclu pour diverses raisons, ce qui n'est plus contesté devant le Tribunal fédéral. Créer le passage nécessaire par le biais du chemin sis sur les parcelles nos ccc à fff permettrait d'utiliser une construction existante mais conduirait à grever d'une servitude de passage trois, voire quatre parcelles successives. Enfin, la solution sollicitée par les demandeurs et choisie par le premier juge conduit à l'arrachage et au remplacement de la haie existante et à l'élargissement de 1 m 50 à 3 m de l'assiette du passage actuel. Cette solution correspond à celle choisie au moment de la division parcellaire à laquelle il a été procédé en 1943. Par ailleurs, la création d'un chemin sur l'assiette élargie de la servitude n'est pas impossible et ne cause pas de gêne disproportionnée aux défendeurs, ne portant en particulier pas atteinte à la construction que ceux-ci envisagent sur leur propre parcelle.
Au vu de l'examen de la situation géographique des parcelles et des accès possibles et/ou existants, ainsi que de la comparaison des inconvénients imposés aux différents propriétaires voisins, le premier juge a retenu avec raison que le passage nécessaire réclamé pouvait être imposé aux défendeurs.
D.c Le premier juge a arrêté le montant de l'indemnité équitable due aux défendeurs à 38'440 fr. Ce montant, qui correspond à la perte de valeur, déterminée par l'expert judiciaire, du terrain grevé du droit de passage (28'950 fr.) et au coût de remplacement de la haie existante (9'490 fr.), doit être confirmé.
E.
Agissant par la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral, les défendeurs concluent avec suite de frais et dépens à la réforme de cet arrêt, en ce sens que les demandeurs soient déboutés de toutes leurs conclusions. Une réponse au recours n'a pas été demandée.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'arrêt attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire (cf. ATF 92 II 62; 80 II 311 consid. 1; 60 I 235), dont la valeur dépasse largement 8'000 fr.; il constitue une décision finale prise par le tribunal suprême du canton de Genève et qui ne peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal. Le recours en réforme, interjeté en temps utile, est donc recevable au regard des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.
2.
2.1 Les défendeurs, qui ne contestent pas que les conditions d'application de l'art. 694 al. 1 CC soient réunies en l'espèce, se plaignent d'une violation de l'al. 2 de cette disposition. Ils reprochent à la cour cantonale d'avoir pris en considération uniquement l'état antérieur des propriétés - à savoir la division, en 1943, de la parcelle n° xxx en deux sous-parcelles d'égale surface et l'inscription simultanée, sur celle des deux qui disposait d'un accès à la voie publique, d'une servitude de passage en faveur de l'autre - et d'avoir fait fi du critère de l'état antérieur des voies d'accès, alors que les deux critères seraient, d'après le texte même de l'art. 692 al. 2 CC, placés sur un pied d'égalité. Or cette manière de voir les choses conduirait en l'espèce à une solution absurde en entraînant la création de deux chemins parallèles séparés uniquement par une bande de terre de 50 cm de largeur, à savoir un chemin d'ores et déjà aménagé sur les parcelles nos ccc à fff le long de la limite de propriété avec les parcelles nos aaa et bbb, et un autre chemin sur l'assiette de la servitude élargie qui longe la limite de propriété avec les parcelles nos ccc et ddd.
Les défendeurs soutiennent que prendre en considération les voies d'accès naturelles existantes sur le même pied que l'état antérieur des propriétés ne serait pas incompatible avec la jurisprudence du Tribunal fédéral. En effet, celui-ci a exposé dans un arrêt de 1960 que s'il faut choisir entre plusieurs chemins qui, d'après leur situation et leur nature, sont tous également propres à fournir à l'ayant droit un accès suffisant à la voie publique, il faut retenir en premier lieu non pas le plus favorable à l'ayant droit, mais celui qui cause le moins de dommage au propriétaire qui doit le passage (ATF 86 II 235 consid. 4 p. 240). En l'espèce, il faudrait dès lors, conformément à cette jurisprudence, retenir la solution la moins dommageable, soit le passage par le chemin goudronné d'ores et déjà existant sur les parcelles nos ccc à eee, qui impliquerait seulement pour les demandeurs de créer un portail sur leur propre parcelle à la hauteur de la parcelle n° eee.
2.2 Lorsque, comme en l'espèce, il est constant que le propriétaire demandeur n'a qu'une issue insuffisante sur la voie publique, le droit de passage nécessaire s'exerce en premier lieu contre le voisin à qui le passage peut être le plus naturellement réclamé en raison de l'état antérieur des propriétés et des voies d'accès, et, au besoin, contre celui sur le fonds duquel le passage est le moins dommageable (art. 694 al. 2 CC). Lorsque la nécessité d'un droit de passage est reconnue et que plusieurs fonds voisins offrent une issue vers la voie publique, l'art. 694 al. 2 CC établit ainsi un ordre de priorités (Steinauer, Les droits réels, tome II, 3e éd. 2002, n. 1865).
2.2.1 On tiendra en premier lieu compte de l'état antérieur des propriétés et des voies d'accès. Ainsi, dans le cas où la parcelle n'a plus d'accès à la voie publique ensuite de la division d'un fonds, ou de l'aliénation d'une parcelle contiguë appartenant au même propriétaire, le passage sera accordé sur l'autre parcelle qui, elle, a encore un accès à la route (Steinauer, op. cit., n. 1865 et 1865a; Meier-Hayoz, Berner Kommentar, Band IV/1/3, 1975, n. 30 ad art. 694 CC; Rey, Basler Kommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch II, 2e éd. 2002, n. 15 ad art. 694 CC; Haab/Scherrer, Zürcher Kommentar, Band IV/1, 1953/1977, n. 11 ad art. 694-696 CC; Caroni-Rudolf, Der Notweg, thèse Berne 1969, p. 95; Rep. 1989 p. 141). On examinera aussi l'état antérieur des voies d'accès, en ne prenant toutefois en considération que les droits de passage existant précédemment, et non de simples autorisations de passer accordées à bien plaire (Steinauer, op. cit., n. 1865a; Meier-Hayoz, op. cit., n. 30 et 31 ad art. 694 CC; Caroni-Rudolf, op. cit., p. 95-96; cf. ATF 43 II 288 consid. 1, encore confirmé dans un arrêt non publié 5C.288/1998 du 8 mars 1999, consid. 3).
2.2.2 Ce n'est que si aucun fonds ne répond à ces critères, à savoir lorsque l'état de nécessité ne résulte pas d'une modification de l'état des propriétés ou des voies d'accès, que le droit de passage peut être demandé au propriétaire sur le fonds duquel le passage est le moins dommageable (Steinauer, op. cit., n. 1865; Meier-Hayoz, op. cit., n. 32 ad art. 694 CC; Haab/Scherrer, op. cit., n. 12 ad art. 694-696 CC; Caroni-Rudolf, op. cit., p. 95-96).
2.3 En l'espèce, la situation apparaît parfaitement claire au regard des principes qui viennent d'être rappelés. En effet, la situation actuelle de la parcelle n° aaa résulte de la division, opérée le 18 octobre 1943, de la parcelle n° xxx en deux parcelles nos xxxa et xxxb. Comme la parcelle n° xxxa (aujourd'hui n° aaa) ne disposait plus d'un accès à la voie publique ensuite de cette division, le propriétaire a fait inscrire le même jour au profit de cette parcelle, à charge de la parcelle n° xxxb (aujourd'hui n° bbb), une servitude de passage à pied et à véhicules d'une largeur de 1 m 50. Il s'avère ainsi que, s'agissant aujourd'hui de ménager à la parcelle n° aaa un accès suffisant à la voie publique, la parcelle n° bbb répond tant au critère de l'état antérieur des propriétés qu'à celui de l'état antérieur des voies d'accès. Ce dernier critère ne concerne en effet pas seulement les voies d'accès qui n'existent plus, mais aussi les voies d'accès existantes mais qui sont insuffisantes au regard des besoins actuels, notamment parce que le passage est trop étroit ou ne permet pas l'accès avec un véhicule à moteur; en pareil cas, le passage nécessaire est dû par le propriétaire du fonds sur lequel s'exerce le droit de passage existant, si un accès suffisant est possible à travers ce fonds (Caroni-Rudolf, op. cit., p. 95-96).
Il sied de souligner que la parcelle n° aaa n'a jamais bénéficié d'un droit de passage par le chemin goudronné qui dessert les parcelles nos ccc à fff, de sorte que les défendeurs se trompent lorsqu'ils affirment que ledit chemin devrait être pris en considération au titre de l'état antérieur des voies d'accès. De fait, il appert que la parcelle n° bbb répond seule au critère prioritaire de l'état antérieur des propriétés et des voies d'accès. La création d'un chemin carrossable sur l'assiette élargie de la servitude existante étant en outre possible sans gêne disproportionnée pour les défendeurs, il n'y a pas à faire appel au critère subsidiaire du passage le moins dommageable. L'arrêt attaqué se révèle ainsi conforme au droit fédéral en tant qu'il retient que le passage nécessaire doit s'exercer à travers la parcelle n° bbb.
3.
Il résulte de ce qui précède que le recours, mal fondé, doit être rejeté. Les défendeurs, qui succombent, supporteront les frais judiciaires, solidairement entre eux (art. 156 al. 1 et 7 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens, dès lors que les demandeurs n'ont pas été invités à procéder et n'ont en conséquence pas assumé de frais en relation avec la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 159 al. 1 et 2 OJ; Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. V, Berne 1992, n. 2 ad art. 159 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge des défendeurs, solidairement entre eux.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 2 mars 2005
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: