BGer 6S.424/2004
 
BGer 6S.424/2004 vom 16.02.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
6S.424/2004 /rod
Arrêt du 16 février 2005
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Karlen.
Greffière: Mme Kistler.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Patrick Stoudmann, avocat,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.
Objet
Complicité d'assassinat (art. 26 et 112 CP),
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale, du 6 août 2004.
Faits:
A.
En août 2002, Y.________, né en 1984, a fait la connaissance de Z.________, né en 1943, marié, père et grand-père, qui dissimulait à sa famille ses penchants homosexuels et qui l'a entouré matériellement et affectivement. Deux mois après leur rencontre, Y.________ a laissé son protecteur le caresser de la main ou de la bouche, parfois contre rémunération. Dès décembre 2002, des tensions sont apparues. Y.________ a évoqué un chantage, dans le cadre duquel Z.________ aurait exigé de la sexualité sans plus remettre d'argent en échange ou en se contentant de régler des dépenses indispensables. Le 12 décembre 2002, Z.________ a informé la police que Y.________ se vantait d'avoir commis des vols et a déclaré craindre pour sa propre sécurité.
Le 4 janvier 2003 vers 18h30, Z.________ s'est rendu à l'appartement de Y.________ sur l'invitation de celui-ci. Le jeune homme a bu du whisky et de la vodka. Il s'est mis en colère, apparemment parce que Z.________ avait apporté des fleurs plutôt que de l'argent. Il lui a alors asséné des coups très violents au visage, voire à la gorge. Une fois sa victime à terre, il a continué à la rouer de coups de pied. Z.________ a sombré dans le coma. Son visage et sa tête étaient ensanglantés. Les coups ont causé un fracas du squelette du larynx et de l'os hyoïde, des fractures du nez et des côtes et des ruptures du foie. Y.________ a dérobé le contenu des poches de sa victime, qui contenaient notamment 900 fr. en espèces.
A 19h28, il a téléphoné à son ami X.________, né en 1983, pour qu'il le rejoigne rapidement. A son arrivée, celui-ci a trouvé Z.________ allongé, le visage enflé et tuméfié, saignant du nez, la respiration difficile et forte. Des éclaboussures de sang souillaient le tapis, le canapé et un mur. Y.________ lui a déclaré: "je l'ai détruit". X.________ s'est assis sur le canapé taché de sang et a fumé une cigarette.
A l'incitation de Y.________, les deux hommes ont entravé la victime, X.________ lui liant les chevilles avec du scotch tandis que Y.________ lui attachait les poignets. X.________ est allé chercher le véhicule de la victime, qu'il a garé devant la porte de l'immeuble. Les deux jeunes gens ont alors porté la victime et l'ont déposée, inanimée mais vivante, sur la banquette arrière de son véhicule, dont X.________ a pris le volant, alors qu'il ne disposait que du permis d'élève conducteur.
Dans une forêt avoisinante, ils ont sorti du véhicule la victime, toujours vivante mais inanimée, et Y.________ l'a traînée par les pieds sur une pente en contrebas, à quelque 8 m 50 de la route. X.________ est resté dans le véhicule. Eclairé par le halo des phares, Y.________ a, au moyen d'un couteau suisse portant une lame de dix centimètres dont il s'était muni en sortant de chez lui, porté trois entailles sur le cou de Z.________ pour l'égorger. Le sang ne jaillissant pas comme prévu, il a asséné sur le torse de la victime 31 coups de couteau, dont 14 ont perforé la paroi thoracique pour atteindre le coeur, l'aorte, le foie et les poumons. La victime a gémi. Y.________ a cessé de la frapper lorsqu'il a entendu X.________ l'appeler. A un moment indéterminé, il a introduit des feuilles mortes et une pierre dans la bouche de la victime. Il a été établi que celle-ci est décédée des suites de l'hémorragie interne provoquée par la pénétration répétée de la lame.
Après avoir quitté les lieux, Y.________ et X.________ ont dans un premier temps regagné leurs domiciles respectifs, puis X.________ a rejoint son ami dans son appartement, qu'il était en train de nettoyer. Il l'a aidé en repeignant un mur pour faire disparaître les taches de sang. Y.________ a donné 600 fr. à X.________, qui se doutait que cet argent avait été dérobé à la victime. X.________ est ensuite parti à Lausanne pour y finir la nuit dans une discothèque.
B.
Par jugement du 19 mars 2004, le Tribunal criminel de l'arrondissement de l'Est vaudois a reconnu X.________ coupable de complicité d'assassinat, vol, recel, vol d'usage, conduite d'un véhicule automobile avec un permis d'élève conducteur sans être accompagné conformément à la loi ainsi que de contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants. Il l'a condamné à cinq ans de réclusion et à l'expulsion du territoire suisse pour une durée de 15 ans, avec sursis pendant 5 ans.
C.
Par arrêt du 6 août 2004, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a notamment rejeté le recours formé par X.________ contre ce jugement, qu'elle a confirmé.
Ecartant l'hypothèse selon laquelle X.________ aurait été terrorisé par son ami et incapable de lui opposer un refus, la cour cantonale a considéré qu'il avait adhéré au projet criminel de son ami au prix d'une vie humaine, l'égoïsme l'emportant sur toute autre considération. Elle a en outre relevé que sa manière d'agir, tant pendant les faits qu'après ceux-ci, révélait une indifférence et une froideur particulièrement odieuses, de sorte que c'est à juste titre qu'il avait été reconnu coupable de complicité d'assassinat.
D.
X.________ se pourvoit en nullité contre cet arrêt. Invoquant une violation de l'art. 112 CP, il conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau.
A l'appui de ses conclusions, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir fait une interprétation trop large de l'art. 112 CP. Selon lui, on ne trouve dans l'arrêt attaqué aucun motif permettant de retenir que sa faute, par son caractère odieux, se distingue nettement de celle d'un meurtrier.
Le recourant sollicite en outre l'assistance judiciaire.
E.
La cour cantonale a renoncé à se déterminer sur le pourvoi, se référant aux considérants de son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recourant ne remet pas en question le principe de sa participation à l'homicide, mais uniquement la qualification de celui-ci. Il soutient que seule peut lui être imputée une complicité de meurtre et non d'assassinat.
1.1 Conformément à l'art. 26 CP, les relations, qualités et circonstances personnelles spéciales dont l'effet est d'augmenter, de diminuer ou d'exclure la peine n'ont d'effet qu'à l'égard de l'auteur, instigateur ou complice qu'elles concernent. Parmi les circonstances personnelles spéciales dont l'effet est d'augmenter la peine figure notamment l'absence particulière de scrupules prévue à l'art. 112 CP. Cela a pour conséquence que celui qui a prêté assistance à la commission d'un assassinat ne pourra être reconnu coupable de complicité d'assassinat que pour autant qu'il ait lui-même agi avec une absence particulière de scrupules (ATF 120 IV 265 consid. 3a p. 275 et les références citées). Dans le cas contraire, seule la complicité de meurtre peut être retenue à sa charge.
1.2 Aux termes de l'art. 112 CP, se rend coupable d'assassinat celui qui tue avec une absence particulière de scrupules, notamment si son mobile, son but ou sa façon d'agir est particulièrement odieux. L'assassinat constitue une forme qualifiée d'homicide intentionnel, qui se distingue du meurtre (art. 111 CP) par le caractère particulièrement répréhensible de l'acte (ATF 118 IV 122 consid. 2b p. 125). L'absence particulière de scrupules suppose une faute spécialement lourde et déduite exclusivement de la commission de l'acte. Pour la caractériser l'art. 112 CP évoque le cas où les mobiles, le but ou la façon d'agir de l'auteur sont hautement répréhensibles, mais cet énoncé n'est pas exhaustif.
Les mobiles de l'auteur sont particulièrement odieux lorsqu'il tue pour obtenir une rémunération ou pour voler sa victime. Son but est particulièrement odieux lorsqu'il agit pour éliminer un témoin gênant ou une personne qui l'entrave dans la commission d'une infraction. Quant à sa façon d'agir, elle est particulièrement odieuse s'il fait preuve de cruauté, prenant plaisir à faire souffrir ou à tuer sa victime. Il ne s'agit toutefois là que d'exemples destinés à illustrer la notion; il n'est donc pas nécessaire que l'une de ces hypothèses soit réalisée (ATF 118 IV 122 consid. 2b p. 125 s. et les références citées).
On ne saurait cependant conclure à l'existence d'un assassinat dès que l'on distingue dans un cas d'espèce l'un ou l'autre élément qui lui confère une gravité particulière. Il faut au contraire procéder à une appréciation d'ensemble pour déterminer si l'acte, examiné sous toutes ses facettes, donne à l'auteur les traits caractéristiques de l'assassin. Tel est notamment le cas s'il ressort des circonstances de l'acte que son auteur a fait preuve du mépris le plus complet pour la vie d'autrui. Alors que le meurtrier agit pour des motifs plus ou moins compréhensibles, généralement dans une grave situation conflictuelle, l'assassin est une personne qui agit de sang froid, sans scrupules, qui démontre un égoïsme primaire et odieux, avec une absence quasi totale de tendances sociales, et qui, dans le but de poursuivre ses propres intérêts, ne tient aucunement compte de la vie d'autrui (ATF 127 IV 10 consid. 1a p. 14; 118 IV 122 consid. 2b p. 126 et les références citées).
Chez l'assassin, l'égoïsme l'emporte en général sur toute autre considération; il est souvent prêt à sacrifier, pour satisfaire des besoins égoïstes, un être humain dont il n'a pas eu à souffrir et fait preuve d'un manque complet de scrupules et d'une grande froideur affective (ATF 118 IV 122 consid. 2b p. 126 et l'arrêt cité). La destruction de la vie d'autrui est toujours d'une gravité extrême, mais, comme le montre la différence de peine, il faut, pour retenir la qualification d'assassinat, que la faute de l'auteur, par son caractère particulièrement odieux, se distingue nettement de celle d'un meurtrier au sens de l'art. 111 CP (ATF 127 IV 10 consid. 1a p. 13; 120 IV 265 consid. 3a p. 274; 118 IV 122 consid. 2b p.125 s.; 117 IV 369 consid. 17 p. 389 ss et les références citées).
1.3
1.3.1 En l'occurrence, il ressort du jugement de première instance, auquel l'arrêt attaqué renvoie dans son intégralité, que le recourant a agi parce qu'il a préféré conserver l'amitié de son ami plutôt que de sauver une vie humaine. En outre, le jugement précise que le recourant n'était pas en conflit avec la victime et que celle-ci ne l'avait pas fait profondément souffrir. Le grief du recourant, selon lequel la cour cantonale aurait fondé le diagnostic d'égoïsme sur le seul fait que le tribunal aurait écarté l'hypothèse qu'il avait été terrorisé par son ami et incapable de lui apporter un refus, est donc infondé. Dans son mémoire, le recourant admet du reste qu'il n'a recherché aucun avantage direct dans l'assistance prêtée à l'auteur principal et qu'il a donc agi gratuitement. Dans ces circonstances, c'est à juste titre que la cour cantonale a considéré que le recourant avait participé à l'assassinat de Z.________ par pur égoïsme.
Le recourant soutient que son caractère malléable, retenu par l'expert psychiatre, devrait relativiser la part d'égoïsme dans son adhésion au projet criminel de Y.________. Ce grief n'est pas pertinent. En effet, un trouble psychique ou des particularités de caractère n'excluent pas la qualification d'assassinat (Corboz, Les principales infractions, n. 22 ad art. 112 CP, p. 34; arrêt, non publié, du Tribunal fédéral, du 22 décembre 1997, consid. 1a, 6S.780/1997). Ces éléments sont pertinents, le cas échéant, pour apprécier le degré de responsabilité du délinquant et fixer la peine en conséquence, mais ne sauraient être pris en compte pour apprécier ses scrupules et, partant, la qualification de l'infraction.
1.3.2 On ne saurait suivre le recourant, lorsqu'il soutient que la cour cantonale aurait retenu la qualification d'assassinat en raison du seul égoïsme dont il a fait preuve dans l'accomplissement de ses actes. La cour cantonale a en effet observé que la façon d'agir pendant les faits délictueux révélait une indifférence et une froideur particulièrement odieuses. Arrivé sur les lieux, face à la victime agonisante, le recourant s'est assis sur le canapé taché de sang et a fumé une cigarette, ce qui démontre une totale indifférence face à la souffrance d'autrui. Ensuite, il a aidé son ami à porter Z.________, inanimé, mais vivant, dans la voiture pour l'amener dans la forêt avoisinante, où les deux acolytes l'ont extrait de la voiture. Pendant que le recourant est resté dans le véhicule, Y.________, qui s'était muni d'un couteau suisse d'une lame de 10 cm, a traîné la victime sur une pente en contrebas, où il l'a poignardée à plusieurs reprises. En apportant son concours à une mise à mort d'une personne agonisante, commise avec une telle lâcheté et une telle sauvagerie, le recourant a manifestement agi de manière particulièrement odieuse. L'argument du recourant, selon lequel il est resté dans sa voiture et n'a pas participé à l'acte homicide en tant que tel, n'est pas pertinent. En effet, le recourant a aidé à amener Z.________ dans la forêt et savait que son comparse voulait se débarrasser de sa victime, soit en la laissant mourir soit en la poignardant, ce qui ne peut que témoigner du plus grand mépris de la souffrance et de la vie d'autrui.
1.3.3 Enfin, selon la jurisprudence, il faut considérer le comportement après l'acte, dans la mesure où il peut fournir des indications sur sa personnalité, son attitude et sa mentalité à l'époque où il a commis son forfait (ATF 127 IV 10 consid. 1a p. 14, 117 IV 369 consid. 17 p. 390). En l'occurrence, immédiatement après les faits, le recourant a aidé son ami à repeindre un mur pour dissimuler les taches de sang, puis est parti à Lausanne pour finir la nuit dans une discothèque, ce qui montre l'état d'esprit qui était le sien au moment de l'homicide.
1.3.4 Au vu de ce qui précède, force est d'admettre que l'ensemble des circonstances présentes pendant et après l'acte incriminé conduisent à retenir une absence particulière de scrupules au sens de l'art. 112 CP. C'est donc à juste titre que la cour cantonale a condamné le recourant pour complicité d'assassinat et non seulement pour complicité de meurtre. Le pourvoi doit ainsi être rejeté.
2.
Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais (art. 278 al. 1 PPF). Comme le pourvoi était d'emblée dépourvu de chances de succès, l'assistance judiciaire doit être refusée (art. 152 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est rejeté.
2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Un émolument judiciaire de 800 francs est mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale.
Lausanne, le 16 février 2005
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: