BGer 4P.110/2004
 
BGer 4P.110/2004 vom 14.09.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
4P.110/2004 /ech
Arrêt du 14 septembre 2004
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Rottenberg Liatowitsch et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.
Parties
les époux A.________
recourants, tous les deux représentés par Me Mauro Poggia,
contre
Banque X.________,
intimée, représentée par Me Serge Fasel,
Chambre civile de la Cour de justice genevoise, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 et 29 al. 2 Cst.; appréciation arbitraire des preuves en procédure civile; droit d'être entendu
(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice genevoise du 19 mars 2004).
Faits:
A.
Le 22 mai 1998, les époux A.________ ont contracté, en qualité de débiteurs solidaires, un prêt auprès de la Banque X.________ (ci-après : la Banque) d'un montant de 50'000 fr.
Le 12 août 1999, les époux A.________ ont conclu avec la Banque un deuxième prêt d'un montant de 50'000 fr., destiné au remboursement du prêt du 22 mai 1998 à concurrence de 40'515,95 fr. et à l'obtention de liquidités.
Ces deux contrats comprenaient une assurance de solde et prévoyaient notamment que l'emprunteur s'engageait à rembourser la somme prêtée, "augmentée des intérêts (...), des frais administratifs et de l'assurance décès-incapacité de travail-perte d'emploi suite à un licenciement (3,5 % l'an)". Le taux d'intérêt annuel effectif global se montait à 9,25 % dans les deux cas.
Dès le 1er juillet 2000, la couverture de l'assurance de solde a été restreinte aux risques de décès et de perte d'emploi à la suite d'un licenciement.
Au début du mois de juillet 2000, sieur A.________ s'est rendu à la Banque en vue d'obtenir une augmentation de son emprunt de 5'000 fr. et a demandé l'établissement d'un seul contrat comprenant les sommes déjà dues et le montant supplémentaire accordé.
Le 5 juillet 2000, sieur A.________ et son épouse ont conclu un troisième contrat de prêt portant sur 50'000 fr., dont 43'694,70 fr. ont été affectés au remboursement du deuxième prêt et le solde à leur usage. Le contrat précisait que l'emprunteur s'engageait à rembourser la somme prêtée, "augmentée des intérêts, (...), des frais administratifs et de l'assurance décès-perte d'emploi suite à un licenciement (3,50 % l'an), soit un taux annuel effectif global de 9,25 %".
Pour les trois contrats de prêt signés par les époux A.________, l'étendue de la couverture d'assurance de solde figurait également dans les Conditions générales de la Banque et dans les Conditions générales d'assurance de la compagnie Z.________, signées par les emprunteurs.
Les Conditions générales de la Banque prévoyaient en outre que la couverture d'assurance ne bénéficiait qu'à la première personne nommée lorsque l'emprunt était contracté conjointement et solidairement par plusieurs emprunteurs. En outre, elles contenaient une clause de résiliation anticipée du contrat dans le délai de 7 jours ouvrables dès la signature de celui-ci.
B.
Depuis le 23 octobre 2000, sieur A.________, employé de W.________ en qualité de nettoyeur de trains et de manutentionnaire, est incapable de travailler. Il en a informé la Banque par lettre du 16 janvier 2001. Celle-ci lui a répondu que l'assurance de solde n'intervenait pas en cas d'incapacité de travail.
Sieur A.________ a versé les mensualités contractuelles du prêt du 5 juillet 2000 jusqu'au 31 juillet 2001, puis il a cessé tout paiement.
Dame A.________, qui travaillait chez Y.________, a été licenciée avec effet au 31 août 2001. Elle en a fait part à la Banque en vain, car la couverture de l'assurance de solde ne bénéficiait qu'à la première personne nommée dans le contrat.
C.
En mars 2002, la Banque a introduit des poursuites à l'encontre de sieur A.________ et de son épouse. Elle a obtenu du Tribunal de première instance du canton de Genève, par jugements du 6 mai 2002 prononcés par défaut, la mainlevée provisoire des oppositions formées par les époux poursuivis.
Par jugement du 18 septembre 2003, le Tribunal de première instance a débouté les époux A.________ de leur action en libération de dette. Il les a condamnés, conjointement et solidairement, à payer 39'159,60 fr. avec intérêt à 10,25 % dès le 22 janvier 2002, plus 1'585,25 fr. et 75,05 fr. La mainlevée définitive des oppositions formées par les poursuivis aux commandements de payer que leur avait fait notifier la Banque a également été prononcée.
Par arrêt du 19 mars 2004, la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel formé par sieur A.________ et son épouse à l'encontre du jugement du 18 septembre 2003 et confirmé celui-ci.
D.
Parallèlement à un recours en réforme, les époux A.________ interjettent un recours de droit public au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 19 mars 2004. Se plaignant d'une violation de leur droit d'être entendu et d'arbitraire, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué, avec suite de frais et dépens.
La Banque propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt du 19 mars 2004, sous suite de frais et dépens.
Quant à la Cour de justice, elle se réfère aux considérants de son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Conformément à la règle générale de l'art. 57 al. 5 OJ, il y a lieu de statuer tout d'abord sur le recours de droit public.
2.
2.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ).
L'arrêt attaqué est final dans la mesure où la cour cantonale a statué sur le fond du litige par une décision qui n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal, s'agissant du grief de violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). En revanche, si les recourants soulèvent une question relevant de l'application du droit fédéral, le grief n'est pas recevable, parce qu'il pouvait faire l'objet d'un recours en réforme (art. 43 al. 1 et 84 al. 2 OJ).
Les recourants sont personnellement touchés par l'arrêt entrepris, qui confirme le jugement de première instance les déboutant de leurs conclusions en libération de dette. Ils ont donc un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été adoptée en violation de leurs droits constitutionnels, de sorte que la qualité pour recourir (art. 88 OJ) doit leur être reconnue.
Interjeté en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. a et 89 al. 1 OJ) et dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le présent recours est en principe recevable.
2.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 113 consid. 2.1; 128 III 50 consid. 1c p. 53 s. et les arrêts cités). Il base son arrêt sur les faits constatés dans la décision attaquée, à moins que le recourant ne démontre que la cour cantonale a retenu ou omis certaines circonstances déterminantes de manière arbitraire (ATF 118 Ia 20 consid. 5a).
3.
Les recourants invoquent tout d'abord une violation de leur droit d'être entendu, se plaignant de la motivation lacunaire présentée par la cour cantonale concernant l'information dispensée par la banque à propos de l'assurance de solde.
3.1 En raison du caractère formel du droit d'être entendu, dont la violation entraîne l'admission du recours et l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 127 V 431 consid. 3d/aa p. 437), ce grief doit être examiné en premier lieu.
Comme les recourants n'invoquent pas la violation de règles du droit cantonal de procédure, le défaut de motivation soulevé sera envisagé à la lumière des garanties issues de la Constitution fédérale (ATF 126 I 15 consid. 2a et les arrêts cités), étant précisé qu'il n'y a pas lieu de se départir de la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancienne Constitution s'agissant de l'application de l'art. 29 al. 2 Cst. (cf. ATF 128 V 272 consid. 5b/bb p. 278).
3.2 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 129 I 232 consid. 3.2; 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17, 97 consid. 2b). Il y a également violation du droit d'être entendu si l'autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents (ATF 124 II 146 consid. 2a; 122 IV 8 consid. 2c in fine).
Il suffit cependant que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 123 I 31 consid. 2c; 122 IV 8 consid. 2c). L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, lui paraissent pertinents (ATF 126 I 97 consid. 2b et les arrêts cités).
Savoir si la motivation présentée est convaincante est une question distincte de celle du droit à une décision motivée. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision des juges, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation est erronée (arrêt du Tribunal fédéral 4P.2/1999 du 20 avril 1999 consid. 2b).
3.3 En l'espèce, la cour cantonale, après avoir résumé la position des parties s'agissant du devoir d'information et de mise en garde de la banque, a estimé que cette dernière avait respecté ses obligations, dès lors que l'étendue de la couverture d'assurance de solde était explicitement mentionnée sur le contrat de prêt, en caractère gras. Il appartenait aux emprunteurs d'y être attentifs. Or, ceux-ci avaient admis s'être abstenus de lire le contrat et les conditions générales y relatives, de sorte qu'ils devaient assumer les conséquences de leur négligence.
Contrairement à ce que soutiennent les recourants, on ne voit pas qu'un tel raisonnement soit insuffisamment motivé, dès lors que l'on comprend les raisons qui ont poussé les juges à refuser d'admettre une violation du devoir d'information de la banque, ce qui permet du reste aux recourants de critiquer cette position. Le devoir de motiver n'imposait nullement à la cour cantonale d'entrer en matière sur tous les griefs invoqués par les emprunteurs. En effet, les juges se sont fondés sur le contenu de la clause figurant en gras sur le contrat de prêt, considérant implicitement comme non déterminants les arguments des recourants fondés en particulier sur leur relation de confiance avec la banque, leur position de faiblesse ou la modification des conditions générales d'assurance quelques jours avant la conclusion du troisième contrat de prêt. Enfin, après avoir indiqué un motif justifiant le rejet des prétentions formées par les emprunteurs, les juges n'avaient nullement à entrer en matière sur les autres conditions de leur action.
Il convient de rappeler aux recourants que la Cour de céans n'a pas à examiner, sous le couvert de l'art. 29 al. 2 Cst., le caractère convainquant de la motivation présentée.
Les critiques liées à la violation du droit d'être entendu sont donc infondées.
4.
Dans leur second moyen, les recourants invoquent l'arbitraire.
4.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire prohibé par l'art. 9 Cst. ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution que celle retenue par l'autorité cantonale pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 128 I 81 consid. 2 p. 86, 273 consid. 2.1; 127 I 60 consid. 5a p. 70; 126 III 438 consid. 3 p. 440). S'agissant de l'appréciation des preuves et des constatations de fait, l'autorité tombe dans l'arbitraire lorsqu'elle ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1). Il appartient au recourant d'établir la réalisation de ces conditions en tentant de démontrer, par une argumentation précise, que la décision incriminée est insoutenable (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 185 consid. 1.6; 122 I 70 consid. 1c p. 73). Enfin, pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 173 consid. 3.1 et les arrêts cités).
4.2 Reprenant la position soutenue à l'appui de la violation de leur droit d'être entendu, les recourants reprochent en substance à la cour cantonale d'avoir occulté les raisons pour lesquelles ils n'avaient pas lu les nouvelles conditions concernant l'assurance de solde.
Ils n'indiquent toutefois aucun élément de preuve précis qui ressortirait du dossier et dont l'arrêt attaqué n'aurait arbitrairement pas tenu compte. Par exemple, ils se contentent d'affirmer qu'ils maîtrisent mal le français, mais sans présenter d'élément propre à démontrer qu'ils seraient incapables d'exprimer leur volonté en cette langue ou de lire un texte rédigé en français. Du reste, dans le dossier, rien n'indique que des obstacles linguistiques aient empêché les recourants de comprendre l'étendue de leurs engagements ni de communiquer avec la banque. En définitive, les recourants se limitent à une argumentation appellatoire, présentant les faits qui, de leur point de vue, auraient dû influencer la cour cantonale, mais sans démontrer l'arbitraire, ce qui n'est pas admissible (art. 90 al. 1 let. b OJ; cf. ATF 129 III 727 consid. 5.2.2).
De plus, la problématique soulevée ne concerne pas l'établissement des faits ni l'appréciation des preuves. En effet, les recourants soutiennent pour l'essentiel qu'en raison de la relation de confiance qu'ils avaient nouée avec l'intimée, celle-ci était tenue de les informer activement et de les mettre en garde contre la diminution de la couverture d'assurance de solde. Contrairement à ce qu'invoquent les recourants, cet aspect n'a pas été occulté, mais seulement implicitement écarté par la cour cantonale, qui a jugé que le texte clair mis en évidence dans le contrat de prêt et figurant également dans les conditions générales, documents tous signés par les emprunteurs, constituait une information suffisante. C'est ainsi avant tout le contenu du devoir d'information de la banque que les recourants remettent en cause sous le couvert de l'art. 9 Cst. Or, savoir quelle est l'étendue des obligations d'information d'une banque vis-à-vis de sa clientèle, notamment lors de la conclusion d'un contrat de prêt, est une question de droit (cf. arrêts du Tribunal fédéral 4C.45/2001 du 31 août 2001, publié in SJ 2002 I 274, consid. 4a, et 4C.410/1997 du 23 juin 1998, traduit in SJ 1999 I 205, consid. 3b). La voie du recours en réforme étant en l'occurrence ouverte, une telle critique n'est pas recevable dans un recours de droit public (cf. supra consid. 2.1).
Dans ces circonstances, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
5.
Au vu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge des recourants, solidairement entre eux (art. 156 al. 1 et 7, 159 al. 1 et 5 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants, débiteurs solidaires, verseront à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice genevoise.
Lausanne, le 14 septembre 2004
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: