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Original
 
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.71/2004 /ech
Arrêt du 26 août 2004
Ire Cour civile
Composition
Mmes et M. les Juges Klett, Juge présidant, Rottenberg Liatowitsch et Favre.
Greffière: Mme Krauskopf.
Parties
A.________ SA,
recourante, représentée par Jean-Franklin Woodtli,
contre
B.________SA,
intimée, représentée par Me Guy-Philippe Rubeli,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst. (Appréciation arbitraire des preuves en procédure civile),
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 13 février 2004.
Faits:
A.
A.________ SA, dont le siège se trouve à Genève, est spécialisée dans l'inspection et l'étude technique sur toutes matières. En automne 1995, B.________SA, société de droit français, a acquis diverses sortes de café en provenance d'Amérique latine que les navires "X.________", "Y.________" et "Z.________" devaient transporter en Algérie où elles allaient être revendues. B.________SA a confié à A.________ SA la tâche de contrôler la qualité du café en entrepôt et de surveiller les opérations de chargement et de déchargement. Un litige est survenu entre les parties, B.________SA estimant que le café ne présentait pas au débarquement les qualités attestées par A.________ SA à l'embarquement. Seule reste litigieuse en procédure fédérale la responsabilité de cette dernière en relation avec la cargaison du "Z.________". En raison d'un retard dans l'émission de lettres de crédit, ce navire a dû attendre pendant trois mois au large des côtes algériennes. Comme les autorités algériennes ont ensuite refusé que le café soit débarqué, dès lors qu'un lot en provenance du Vénézuéla était infesté d'insectes, la marchandise a été acheminée à Trieste pour y être vendue à un nouvel acquéreur. B.________SA a été déboutée des prétentions qu'elle a fait valoir contre le vendeur du café devant la Chambre d'appel du tribunal arbitral de la Coffee Trade Federation.
B.
Le 31 octobre 2002, le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné A.________ SA à verser à B.________SA 3'824'350 US$ 20, 942'619 fr. et 97'782 GBP avec intérêts à 5% dès le 16 janvier 1997, correspondant au dommage subi, et prononcé, à concurrence de ces montants, la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer n° 000. Sur demande reconventionnelle, le Tribunal a condamné B.________SA à payer à A.________ SA les sommes de 368'085 fr. 15 plus intérêts à 5% dès le 28 septembre 1995 et de 1'867 fr. 40 avec intérêts à 5% dès le 26 avril 1995.
Statuant le 13 février 2004 sur appel principal et incident, la Cour de justice a annulé le jugement de première instance sur demande reconventionnelle et augmenté les montants dus par B.________SA à 377'240 fr. 90 et 6'076 fr. 60. Elle a confirmé le jugement pour le surplus.
C.
A.________ SA forme un recours de droit public contre cet arrêt dont elle demande l'annulation en tant qu'il confirme le jugement du Tribunal de première instance sur demande principale. B.________SA conclut au rejet du recours. Par ordonnance du 1er juin 2004, le Président de la Cour de céans a rejeté la requête de A.________ SA tendant à la suspension de la procédure suite à la liquidation judiciaire de B.________SA prononcée le 1er juillet 2003.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 173 consid. 1 p. 174).
1.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction évidente avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 81 consid. 2 p. 86, 177 consid. 2.1 p. 182).
1.2 Aux termes de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Le justiciable qui se plaint d'arbitraire doit démontrer, par une argumentation précise, que cette décision repose sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 129 I 113 consid. 2.1 p. 120; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373 et les arrêts cités).
1.3 Dans un recours de droit public pour arbitraire, les moyens de fait ou de droit nouveaux sont prohibés (ATF 124 I 208 consid. 4b p. 212). Le Tribunal fédéral s'en tient dès lors aux faits constatés par l'autorité cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces constatations sont arbitrairement fausses ou lacunaires (ATF 126 I 95 consid. 4b p. 96; 118 Ia 20 consid. 5a p. 26). C'est à la lumière de ces principes que les griefs de la recourante doivent être examinés.
2.
La Cour de justice a retenu que le taux de défauts des différentes sortes de café, mesuré selon les échelles de New York et du Havre au débarquement de la cargaison du "Z.________", a révélé des différences importantes avec les résultats figurant dans les attestations établies par la recourante avant l'embarquement du café. Ces différences ré-sulteraient du fait que le sous-traitant de la recourante aurait commis l'erreur de mélanger les échantillons des différents lots à l'intérieur de chaque origine avant de les analyser. S'agissant du lot de café costa-ricien, qui ne présentait pas les caractéristiques contractuelles à l'em-barquement, l'indication peu claire de l'intimée de l'accepter "même si 80 défauts" devrait être interprétée selon le principe de la confiance. Selon cette interprétation, la recourante n'aurait dû accepter que les lots de café costaricien présentant un nombre de défauts inférieur à 80. Enfin, la présence d'insectes dans le lot de café vénézuélien ne pouvait être due à une cause extérieure et aurait dû être détectée par la recourante, qui aurait ainsi émis des certificats de fumigation erronés. Sa responsabilité serait donc engagée.
3.
La recourante reproche à l'autorité cantonale d'être tombée dans l'arbitraire en considérant que la présence d'insectes dans le lot de café en provenance du Vénézuéla aurait été détectable à l'embarque-ment. Elle se serait fondée arbitrairement sur les déclarations non cré-dibles faites par le témoin P.________ à cet égard. Ce concurrent de la recourante, mandaté par l'intimée, aurait effectué lui-même ou par l'intermédiaire de sa propre société les analyses, alors que les rap-ports d'analyse seraient toujours le fait de laboratoires indépendants. Incompétent, il ignorerait même que selon l'échelle de New York, le nombre de défauts supérieur à 86 ne serait plus précisé, le café étant alors hors catégorie. Il n'aurait d'ailleurs pas constaté la présence d'insectes. Ses déclarations seraient en outre contredites par les pièces au dossier. Comme le Tribunal arbitral mis en oeuvre par l'in-timée l'aurait retenu à juste titre, les insectes se seraient glissés dans les sacs de café pendant les trois mois où celui-ci est resté, sans fu-migation, dans les cales à la chaleur ambiante des côtes algériennes.
3.1 En tant que la recourante affirme que les rapports d'analyse auraient dû être exécutés par des laboratoires indépendants, elle introduit un fait nouveau, sans démontrer que celui-ci aurait été omis arbitrairement. Par conséquent, il doit être écarté (consid. 1.3.).
L'arrêt cantonal retient qu'il n'est pas contesté que, lorsque les cales du navire ont été ouvertes en Algérie, un lot de café vénézuélien était infesté d'insectes. Dans la mesure où la recourante semble soutenir le contraire, sans démontrer en quoi cette constatation serait arbitraire, le grief est irrecevable pour défaut de motivation (consid. 1.2.).
3.2 La Cour de justice s'est fondée sur les déclarations du témoin P.________, qui a expliqué que la présence d'insectes ne pouvait être due à une cause extérieure et que ceux-ci devaient se trouver dans le café avant l'embarquement, précisant que si la contamination avait eu lieu à bord du navire, d'autres cafés auraient été également affectés. Elle en a conclu que la recourante aurait dû détecter la présence des insectes avant l'embarquement.
3.3 Contrairement à ce que soutient la recourante, le fait que le témoin soit un concurrent mandaté par l'intimée pour vérifier la qualité du café au débarquement ne permet pas d'affirmer qu'il serait arbitraire de tenir compte de sa déposition. Il n'apparaît pas qu'il aurait eu un intérêt à falsifier les résultats des analyses faites par sa société ni à faire des déclarations contraires à la réalité. La recourante ne s'est d'ailleurs pas opposée à son audition. Elle n'affirme pas non plus que ses déclarations seraient contradictoires. Il n'était donc pas arbitraire de ne pas écarter d'emblée ce témoignage, comme le souhaite la recourante.
Quant à la contamination par des insectes du lot de café vénézuélien, le témoin a confirmé la déclaration qu'il avait faite dans la procédure arbitrale opposant l'intimée au vendeur, à savoir que l'infestation s'était limitée au café vénézuélien et que si elle avait eu lieu à bord du navire, elle aurait également affecté d'autres types de café (pièce 91 intimée p. 2). Il a encore précisé que le défaut ne pouvait provenir d'une cause extérieure (PV d'enquêtes du 22 juin 1999, p. 3 in fine). Contrairement à ce que soutient la recourante, cette déposition n'est pas incompatible avec les conclusions auxquelles sont parvenus les arbitres saisis en procédure d'appel par l'intimée. Ceux-ci ne se sont en effet nullement prononcés sur la question de savoir quand les insectes ont pu s'introduire dans le café (cf. pièce 114 intimée). Ils ont considéré que l'intimée ne disposait d'aucune créance à l'encontre du vendeur, dès lors que le contrat portait la mention "qualité finale à l'embarquement" et que l'intimée avait, par l'intermédiaire de la recourante, accepté la marchandise ou omis d'émettre des réserves. Il n'apparaît par ailleurs pas que le témoignage de P.________ serait contredit par d'autres pièces figurant au dossier; la recourante ne spécifie d'ailleurs pas de quelle pièce il s'agirait. Au vu de ces éléments, il n'était pas arbitraire de se fonder sur la déclaration du témoin P.________ pour retenir que les insectes se trouvaient déjà à l'embarquement dans une partie de la cargaison et que leur présence aurait dû être détectée par la recourante.
4.
La recourante semble par ailleurs reprocher à la Cour de justice d'avoir commis l'arbitraire en suivant le principe de la confiance pour interpréter la réponse de l'intimée à son courrier signalant que le café costaricien présentait un taux de défauts supérieur à celui contractuellement convenu. L'interprétation qu'en aurait donnée la Chambre d'appel du tribunal arbitral serait claire et rien ne justifierait de s'en écarter.
4.1 Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle est divergente, le juge doit interpréter les déclarations faites et les comportements selon la théorie de la confiance. L'application du principe de la confiance est une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement lorsqu'il est saisi d'un recours en réforme. Pour trancher cette question de droit, il doit cependant se fonder sur le contenu de la manifestation de volonté et sur les circonstances, lesquelles relèvent du fait et que le Tribunal fédéral peut revoir sous l'angle de l'arbitraire dans le recours de droit public (ATF 129 III 118 consid. 2.5 p. 122 et les références).
4.2 Le 14 décembre 1995, la recourante a indiqué à l'intimée que les résultats d'analyse des lots de café en provenance du Costa Rica lui semblaient "hors specs" et invitait celle-ci à lui faire part de ses commentaires sur ces résultats (pièce 70 intimée). Ces derniers, consignés en sept rapports, faisaient état dans six cas d'un nombre de défauts de "80 plus" et dans un cas de "60 plus". Le même jour, l'intimée a répondu, se référant au lot de café du Costa Rica: "Nous pensons que nous pouvons accepter ce lot même si 80 défauts" (pièce 71 intimée). Le témoin D.________, employé de la recourante à l'époque, a reçu la réponse et, la trouvant ambiguë, en a parlé à son supérieur, qui voulait directement prendre contact avec l'intimée. Il a déclaré ne s'être ensuite plus occupé du dossier (PV d'enquêtes du 22 juin 1999 p. 11). Le supérieur du témoin D.________ n'a pas été entendu. Dans la mesure où la réponse paraissait ambiguë à un témoin et qu'elle ne spécifiait pas si le lot pouvait être accepté pour autant que le nombre de défauts soit inférieur à 80 ou même si ce nombre était dépassé, il n'était pas manifestement insoutenable d'avoir considéré qu'il y avait lieu de l'interpréter. Le grief est donc mal fondé.
5.
La recourante expose ne pas avoir participé aux analyses effectuées par la société C.________. Elle affirme toutefois moins contester les résultats obtenus que le fait que la société C.________ aurait méconnu que, selon l'échelle de New York, le nombre de défauts excédant 86 ne devait plus être pris en compte.
La cour cantonale a retenu, en recourant - sans que l'on puisse le lui reprocher sous l'angle de l'arbitraire (consid. 4.2) - à une interprétation des déclarations de volonté selon le principe de la confiance, que les lots de café costaricien présentant un nombre de défauts supérieur à 80 ne devaient pas être acceptés. Il ressort de l'arrêt querellé que le taux maximal de défauts accepté contractuellement pour les autres lots de café s'élevait à 80, ce que la recourante ne conteste pas. Dès lors qu'en toute hypothèse le nombre de défauts ne devait excéder 80, il importe peu de savoir si selon l'échelle de New York, le nombre de défauts supérieur à 86 doit être indiqué précisément ou si la seule mention du fait que le nombre de 86 est dépassé suffit. Dénué de pertinence, le grief est ainsi irrecevable.
6.
La recourante prétend encore qu'elle aurait démontré dans son mémoire d'appel, auquel elle renvoie, que la qualité du café était conforme aux critères convenus contractuellement. Or, le simple renvoi au mémoire d'appel ne répond pas aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ; ce grief est donc également irrecevable (consid. 1.2; ATF 115 Ia 27 consid. 4a p. 30).
7.
En conclusion, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). La requête d'effet suspensif devient ainsi sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 22'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 24'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 26 août 2004
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
La Juge présidant: La greffière: