BGer 5P.68/2004
 
BGer 5P.68/2004 vom 28.05.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
5P.68/2004 /frs
Arrêt du 28 mai 2004
IIe Cour civile
Composition
M. et Mmes les Juges Raselli, Président, Escher et Hohl.
Greffière: Mme Michellod Bonard.
Parties
A.________,
recourant, représenté par Me François Membrez, avocat,
contre
B.________,
intimée, représentée par Me Olivier Weber-Caflisch, avocat,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst. (cédules hypothécaires etc.),
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 16 janvier 2004.
Faits:
A.
A.a Jusqu'au 7 avril 1988, A.________ était actionnaire unique de la SI C.________, société anonyme propriétaire de deux parcelles (n. 1924 + 1925) sises à Genève.
Le 2 mars 1984 ont été inscrites au Registre foncier cinq cédules hypothécaires au porteur de 100'000 fr. chacune, grevant les parcelles n. 1924 et 1925 en troisième rang et en concours entre elles.
La gérance de l'immeuble construit sur ces parcelles a été confiée à D.________. A une date indéterminée, cette société a accordé à la SI C.________ un prêt de 500'000 fr., garanti par les cinq cédules hypothécaires susmentionnées. Le 15 décembre 1986, A.________ a dénoncé ce prêt pour le 30 juin 1987.
A.b E.________ est devenu administrateur unique avec signature individuelle de la SI C.________ le 2 avril 1987. Il était à l'époque le seul associé indéfiniment responsable de la régie B.________.
B.________ a versé à D.________, valeur 2 juillet 1987, les montants de 500'000 fr. en capital et de 16'875 fr. en intérêts, la pièce bancaire indiquant comme motif de paiement "SI C.________"; à la même date, elle a inscrit le montant de 500'000 fr. dans ses livres au débit du compte "SI C.________ Prêt". B.________ a repris la gérance de l'immeuble de la SI C.________ dès le 1er juillet 1987. Le 12 août 1987, D.________ a remis les cinq cédules hypothécaires à B.________.
A.c Par acte authentique du 22 septembre 1987, A.________ et E.________, ce dernier agissant en qualité de mandataire au nom et pour le compte de la SI C.________, ont déclaré éteindre par novation la dette résultant des cédules hypothécaires dont E.________ était porteur. Ces cédules ont été remplacées par cinq nouveaux titres de même nature et de même montant grevant en troisième rang en concours entre eux l'immeuble de la SI C.________. A.________ reconnaissait en devoir les montants. L'acte du 22 septembre 1987 prévoyait également que B.________ serait inscrite au Registre foncier en qualité de fondée de pouvoirs des cédules hypothécaires.
L'inscription de la novation des cédules et de B.________ comme fondée de pouvoir au Registre foncier est intervenue le 2 octobre 1987. Les cinq titres ont alors été remis en nantissement auprès d'une banque par la régie B.________ afin de garantir l'augmentation, à hauteur de 500'000 fr., d'une ligne de crédit qui lui avait été accordée.
A.d Le 7 avril 1988, A.________ a cédé le capital-actions de la SI C.________ à F.________ pour la somme de 10'000'000 fr. Il était prévu que le cessionnaire s'acquitterait du prix de vente notamment par la reprise à sa charge des cinq cédules hypothécaires constituées par l'acte de novation du 22 septembre 1987. La convention précisait que les cédules étaient nanties en garantie d'un crédit accordé à A.________ par un établissement bancaire et que ce crédit serait repris par le cessionnaire.
Le 25 avril 1988, F.________ a donné ordre à son notaire de procéder au versement de 500'000 fr. à B.________ en remboursement du prêt hypothécaire garanti par les cédules. Le 26 avril 1988, le notaire a fait parvenir un chèque de 500'000 fr. à B.________. Celle-ci a alors soldé le compte "SI C.________ Prêt" ouvert dans ses livres, le 29 avril 1988. Le même jour, le notaire a reçu les cinq cédules hypothécaires de la part de l'établissement bancaire auprès duquel elles étaient nanties et les a transmises à F.________ le 19 septembre 1988.
B.
Plusieurs années après, le 9 juillet 2001, ayant appris que F.________ avait payé 500'000 fr. à B.________, A.________ a mis en demeure cette dernière de lui reverser ce montant avec intérêts. Il estimait être le seul titulaire des créances incorporées dans les cédules hypothécaires grevant l'immeuble de la SI C.________, puisque ces titres n'avaient jamais été cédés, ni en pleine propriété ni en nantissement. B.________ ne les avaient reçus qu'en qualité de fondée de pouvoirs au sens de l'art. 860 CC et devait par conséquent lui restituer tout montant encaissé en exécution du mandat qui lui avait été conféré.
Le 31 août 2001, A.________ a ouvert action contre B.________, concluant à la condamnation de celle-ci à lui payer 500'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mai 1988 et au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition qu'elle avait formée au commandement de payer qu'il lui avait fait notifier.
La défenderesse s'est opposée à la demande, exposant avoir consenti un prêt à A.________, garanti par le nantissement des cinq cédules constituées le 22 septembre 1987.
C.
Par jugement du 10 avril 2003, le Tribunal de première instance du canton de Genève a rejeté la demande.
Statuant le 16 janvier 2004, la Cour de justice du canton de Genève a confirmé ce jugement. Elle a considéré qu'en remboursant D.________ le 2 juillet 1987, B.________ avait repris le prêt hypothécaire accordé par cette dernière à la SI C.________. B.________ était ensuite devenue créancière de A.________ lui-même, puisque celui-ci s'était reconnu débiteur des cédules constituées par novation le 22 septembre 1987.
La cour a écarté la critique du recourant tirée du conflit d'intérêts et de l'incompatibilité des fonctions de créancier hypothécaire, porteur des titres et de fondé de pouvoirs. Elle a estimé que B.________ était déjà créancière hypothécaire au moment de la novation par laquelle A.________ se reconnaissait débiteur des cédules et l'intimée devenait fondée de pouvoirs. Par ailleurs, A.________ n'avait ni allégué ni établi que l'intimée aurait engagé sa responsabilité du fait de la violation du devoir d'impartialité qui incombe au fondé de pouvoirs d'une cédule hypothécaire.
D.
A.________ interjette un recours de droit public contre cet arrêt, concluant à son annulation et au déboutement de l'intimée de toutes autres ou contraires conclusions. Il sollicite également d'être "dispensé de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés pour les dépens".
L'intimée n'a pas été invitée à répondre.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Conformément au principe général posé à l'art. 57 al. 5 OJ (ATF 122 I 81 consid. 1 p. 82/83 et les arrêts cités), il convient d'examiner en premier lieu le recours de droit public.
1.2 Déposé en temps utile contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale, pour constatation et appréciation arbitraires des faits et des preuves, le présent recours est recevable du chef des art. 86 al. 1, 87 (a contrario) et 89 al. 1 OJ.
1.3 Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public n'est qu'une voie de cassation et ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5). Dans la mesure où elles sortent de ce cadre, les conclusions du recourant sont irrecevables.
2.
Le recourant se plaint d'arbitraire dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves: selon lui, les pièces et les enquêtes ne prouvent pas qu'il aurait obtenu un prêt de D.________, repris ensuite par la SI C.________ en tant que débitrice et par B.________ en tant que créancière.
2.1 Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours de droit public doit contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Le Tribunal fédéral n'examine que les griefs expressément soulevés par le recours et exposés de manière claire et détaillée (ATF 129 I 113 consid. 2.1; 125 I 71 consid. 1c). Par conséquent, celui qui forme un recours de droit public pour arbitraire ne peut se borner à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en procédure d'appel, où l'autorité jouit d'un libre pouvoir d'examen (ATF 117 Ia 10 consid. 4b; 110 Ia 1 consid. 2a; 107 Ia 186 et la jurisprudence citée). En particulier, il ne peut se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, mais doit démontrer, par une argumentation précise, que la décision attaquée repose sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 125 I 492 consid. 1b; 120 Ia 369 consid. 3a), sous peine d'irrecevabilité de son recours (ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558). De plus, dans un recours pour arbitraire, l'invocation de faits, de preuves ou de moyens de droit nouveaux est exclue (ATF 120 Ia 369 consid. 3b p. 374; 118 III 37 consid. 2a et la jurisprudence citée).
2.2 Il sied de relever, en premier lieu, que c'est à tort que le recourant impute à la cour cantonale d'avoir retenu qu'il aurait été initialement débiteur d'un prêt, garanti par cinq cédules hypothécaires, envers D.________; il le reconnaît d'ailleurs lui-même par la suite. Si, dans la partie "fait", la cour cantonale a exposé le contenu de la lettre de Me X.________, selon lequel "A.________ a dénoncé ... le prêt ... que lui avait consenti D.________", dans la partie "droit", elle a retenu, par appréciation des preuves (indication par B.________ du motif de paiement à D.________: "SI C.________" et inscription par B.________ du montant au débit du compte "SI C.________ Prêt" dans ses livres), que le prêt de D.________ avait été accordé à la SI C.________. Le grief tombe dès lors à faux.
2.3 Bien qu'il ne conteste pas expressément que les pièces désignent la SI C.________ comme l'emprunteur, le recourant semble soutenir que cela ne serait juridiquement pas possible car D.________ ne pouvait être simultanément fondée de pouvoirs au sens de l'art. 860 CC et créancière d'un prêt hypothécaire. A juste titre, il indique toutefois réserver ce grief à son recours en réforme connexe (cf. art. 84 al. 2 OJ).
2.4 Le recourant soutient ensuite qu'il était arbitraire de retenir que B.________ avait, avant la novation des cédules, repris le prêt accordé par D.________ à la SI C.________ en versant le capital et les intérêts de la dette à D.________ et que cette dernière avait cédé sa créance et les cinq cédules à B.________. Selon le recourant, aucune pièce du dossier ne fait état d'une telle cession et cette conclusion ne peut pas être tirée de la pièce 6 selon laquelle D.________ remet simplement les cinq cédules à B.________.
Le recourant n'explique nullement en quoi l'appréciation de la cour cantonale, qui ne repose pas sur cette seule pièce, serait arbitraire. Dans la mesure où il ne conteste pas que B.________ a payé à D.________, le 2 juillet 1987 (soit après la dénonciation au 30 juin 1987 du prêt garanti par les cinq cédules hypothécaires), les sommes de 500'000 fr. en capital et 16'875 fr. d'intérêts pour le compte de la SI C.________, montant qu'elle a également inscrit dans ses livres, le recourant ne démontre pas en quoi il était arbitraire de retenir que l'intimée avait repris le prêt hypothécaire accordé à la SI C.________ et que les cinq cédules, envoyées le 12 août 1987, lui avaient été remises en garantie. Son grief est donc irrecevable (art. 90 al. 1 let. b OJ; cf. consid. 2.1).
2.5 Le grief selon lequel la cour cantonale aurait retenu arbitrairement un changement de débiteur avant la novation résulte d'une mauvaise compréhension de l'arrêt attaqué. La cour cantonale n'a admis aucun changement de débiteur avant la novation, la SI C.________ ayant été débitrice d'abord de D.________ (cf. supra, consid. 2.2) puis de B.________ (cf. supra, consid. 2.4). Le fait que dans l'acte de novation, E.________, en qualité de mandataire de la SI C.________, ait été mentionné comme porteur des cédules pour le compte de cette dernière n'exclut nullement que B.________ ait accordé un prêt à SI C.________, ait été créancière gagiste des cédules, ait obtenu ultérieurement leur cession ou en soit devenue créancière gagiste nantie.
2.6 Le recourant soutient encore que la cour cantonale est tombée dans l'arbitraire en retenant qu'à la suite de la novation des cédules, il était devenu lui-même débiteur du prêt hypothécaire envers B.________.
Pour conclure que B.________ est devenue créancière du recourant à la suite de la novation des cédules hypothécaires, la cour cantonale s'est fondée exclusivement sur le texte de l'acte authentique de novation du 22 septembre 1987 et sur le texte des cédules hypothécaires elles-mêmes, dont il résulte que le recourant se reconnaît débiteur de leur montant. Ce faisant, elle n'a pas, par une interprétation subjective, établi la réelle et commune intention des parties à ce sujet (art. 18 CO), mais elle a procédé à l'interprétation objective de l'acte et des cédules. Or, contrairement à l'interprétation subjective qui relève du fait, le résultat de l'interprétation objective peut être attaquée par la voie du recours en réforme (ATF 122 III 420 consid. 3a p. 424). Le moyen est par conséquent irrecevable dans un recours de droit public, dont le caractère absolument subsidiaire est consacré par l'art. 84 al. 2 OJ.
3.
Le recourant invoque enfin la violation de l'art. 165 CO. Ce grief relève toutefois également de l'application du droit fédéral et est donc irrecevable dans le présent recours (art. 84 al. 2 OJ).
4.
Vu le sort du recours, la requête du recourant tendant à être dispensé de payer les frais judiciaires et de "fournir des sûretés", qui peut être comprise comme une requête d'assistance judiciaire totale, avec désignation d'un défenseur d'office, doit être rejetée (art. 152 al. 1 OJ).
Le recourant, qui succombe, supportera les frais (art. 159 al. 1 OJ), dont le montant sera fixé en tenant compte de sa situation financière. Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens à l'intimée, dès lors qu'elle n'a pas été invitée à répondre au recours et n'a donc pas eu à assumer de frais en relation avec la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 159 al. 1 et 2 OJ; Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. V, 1992, n. 2 ad art. 159 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est irrecevable.
2.
La requête d'assistance judiciaire du recourant est rejetée.
3.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 28 mai 2004
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: