BGer 6P.14/2004
 
BGer 6P.14/2004 vom 08.04.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
6P.14/2004
6S.39/2004 /rod
Arrêt du 8 avril 2004
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Zünd.
Greffière: Mme Paquier-Boinay.
Parties
A.X.________,
recourante, représentée par Me Elie Elkaim, avocat,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
6P.14/2004
art. 9 et 29 Cst. (ordonnance de non-lieu; arbitraire)
6S.39/2004
ordonnance de non-lieu (homicide par négligence),
recours de droit public (6P.14/2004) et pourvoi en nullité (6S.39/2004) contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois du 21 octobre 2003.
Faits:
A.
Le 1er novembre 2002, B.X.________ emménageait dans un chalet à Chesières. Alors qu'il montait un escalier de meunier en portant un fauteuil modulable destiné à être entreposé au grenier il est tombé, subissant des blessures des suites desquelles il est décédé le lendemain.
A.X.________, la veuve de la victime, et son fils, se sont constitués parties civiles. Ils reprochent au propriétaire de l'immeuble, José Ciocca, de n'avoir pas pris toutes les mesures utiles afin d'assurer un accès sécurisé au grenier et notamment de n'avoir mis à la disposition de ses locataires qu'un escalier mobile.
L'instruction a permis d'établir que l'escalier de meunier, du haut duquel la victime a chu, est une échelle massive en bois, profilée à la base comme au sommet de façon à pouvoir se juxtaposer, avec un angle défini, au sol et contre la poutre supérieure constituant le plancher du grenier. L'échelle est mobile, n'étant fixée ni au sol ni à la poutre supérieure. La précédente locataire du logement dans lequel la victime emménageait a déclaré devant le magistrat instructeur qu'elle avait elle-même déjà fait une chute depuis cette échelle et qu'au moment où elle avait ouvert la cave aux nouveaux locataires elle avait attiré l'attention de B.X.________ sur le danger représenté par l'échelle en question.
B.
Par ordonnance du 30 septembre 2003, le Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois a prononcé un non-lieu et renvoyé les parties civiles à agir devant le juge civil.
C.
Statuant le 21 octobre 2003, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par A.X.________ contre cette ordonnance, qu'il a confirmée.
Le Tribunal d'accusation a, comme le Juge d'instruction, admis que la responsabilité pénale du bailleur n'était pas engagée, en raison d'une faute grave et exclusive du défunt qui avait entrepris une manoeuvre dangereuse sans autre précaution.
D.
A.X.________ forme un recours de droit public contre cet arrêt. Invoquant une violation des art. 9 et 29 Cst., elle soutient que l'autorité cantonale a apprécié arbitrairement les preuves dont elle disposait et qu'elle a violé son droit d'être entendue en refusant de procéder à de nouvelles auditions qu'elle avait dûment sollicitées.
Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau.
E.
A.X.________ forme également un pourvoi en nullité contre cet arrêt. Elle soutient que l'arrêt attaqué viole le droit fédéral car il méconnaît le principe de la causalité adéquate. Partant, elle conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau.
F.
L'autorité cantonale a renoncé à se déterminer sur les recours, se référant aux considérants de son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
I. Recours de droit public
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 IV 216 consid. 1; 126 IV 107 consid. 1 p. 109; 126 I 81 consid. 1 p. 83 et les arrêts cités).
La qualité pour former un recours de droit public s'apprécie en principe exclusivement sur la base de l'art. 88 OJ et de la jurisprudence y relative. Toutefois, lorsque le recourant est une victime au sens de l'art. 2 LAVI, il a qualité pour former un recours de droit public en vertu de la règle spéciale de l'art. 8 al. 1 LAVI, aux conditions prévues par cette disposition (voir ATF 120 Ia 101 consid. 2a, 157 consid. 2c), ce qui suppose notamment que la victime ait été partie à la procédure auparavant et que la sentence attaquée touche ses prétentions civiles. Est considérée comme victime au sens de la LAVI la personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique ainsi que, en application de l'art. 2 al. 2 let. b LAVI, les proches d'une telle personne (ATF 128 IV 188 consid. 2 et l'arrêt cité).
En l'espèce, il ne fait aucun doute que B.X.________ doit être considéré comme victime des actes dénoncés par son épouse et que celle-ci, en tant que proche au sens de l'art. 2 al. 2 let. b LAVI, est légitimée à former un recours de droit public en vertu de l'art. 8 al. 1 LAVI.
2.
La recourante reproche en premier lieu à l'autorité cantonale d'avoir apprécié de manière arbitraire les preuves dont elle disposait. Selon la recourante, l'autorité cantonale a ignoré les éléments susceptibles d'accréditer l'existence d'une négligence de la part du bailleur pour se concentrer exclusivement sur la question de la faute de la victime. Selon la recourante, même attentivement suivie, la mise en garde de la précédente locataire n'était pas propre à empêcher l'issue fatidique car les deux accidents ne se ressemblent pas totalement. De ce point de vue, elle reproche à l'autorité cantonale de ne pas s'être posé la question de savoir si l'installation ne présentait pas un danger aussi pour un utilisateur averti. La recourante fait en outre grief à l'autorité cantonale d'avoir omis de déterminer dans quelle mesure le bailleur était conscient du danger représenté par l'échelle, point qui est, selon elle, nécessaire pour apprécier l'étendue de son éventuelle négligence. Enfin, la recourante voit une contradiction dans le fait que l'arrêt attaqué admet que l'échelle était manifestement instable tout en relevant d'autres éléments, tels que le poids de l'échelle, qui montrent que pour une personne raisonnable, il n'y avait pas lieu de prendre de précautions supplémentaires.
Une décision est arbitraire et donc contraire à l'art. 9 Cst. lorsqu'elle viole clairement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou contredit de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables, il faut encore que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A cet égard, il ne suffit pas non plus qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité cantonale apparaisse également concevable ou même préférable (ATF 128 II 259 consid. 5 p. 280; 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60 consid. 5a p. 70; 124 IV 86 consid. 2a p. 88 et les arrêts cités).
En l'espèce, la recourante reproche à l'autorité cantonale d'avoir privilégié l'hypothèse d'une instabilité manifeste de l'échelle par rapport à d'autres éléments, comme le poids important de celle-ci et le fait que, aux dires du propriétaire lui-même, correctement posée l'échelle était parfaitement stable. A la lecture de l'arrêt attaqué, on constate que c'est principalement sur l'aspect mobile, non contesté, de l'installation que l'autorité a mis l'accent pour en déduire que l'on pouvait attendre de l'utilisateur qu'il s'assure de sa bonne disposition et de sa stabilité avant de monter dessus. On ne voit rien d'insoutenable dans cette constatation et le grief apparaît donc mal fondé sur ce point.
Au surplus, ce que la recourante reproche à l'autorité cantonale est de n'avoir pas ordonné d'investigations complémentaires susceptibles d'établir une éventuelle négligence de la part du bailleur et, plus généralement, de n'avoir approfondi que la question de la faute de la victime, ignorant celles liées aux autres éléments constitutifs de l'infraction.
En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, une décision est entachée d'arbitraire lorsqu'elle ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un moyen de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des déductions insoutenables à partir des éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4a).
En l'espèce, l'autorité cantonale a confirmé le non-lieu au motif que la faute de la victime était d'une gravité telle qu'elle implique de toute manière une rupture du lien de causalité entre une éventuelle faute du bailleur et le décès. Dans ces circonstances, elle pouvait renoncer à faire porter l'administration des preuves sur la question de la faute du bailleur, qu'elle ne considérait de toute manière pas comme relevante pour le sort de la cause. Savoir si elle pouvait, sur la base des éléments dont elle disposait, considérer que les éléments constitutifs de l'infraction n'étaient pas réalisés en raison de la rupture du lien de causalité entre une éventuelle faute du propriétaire et le décès de la victime concerne l'application du droit fédéral et sera traitée dans le cadre de l'examen du pourvoi en nullité déposé parallèlement par la recourante.
3.
La recourante reproche en outre à l'autorité cantonale d'avoir violé son droit d'être entendue en refusant de faire procéder à de nouvelles auditions de la précédente locataire et du mari de celle-ci ainsi que du bailleur afin d'établir la chronologie des faits de manière à pouvoir déterminer si le propriétaire a fait preuve de négligence.
Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend en particulier le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16). Toutefois, le droit d'être entendu ne peut être exercé que sur les éléments qui sont déterminants pour décider de l'issue du litige. Il est ainsi possible de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes lorsque le fait à établir est sans importance pour la solution du cas, qu'il résulte déjà des constatations ressortant du dossier ou lorsque le moyen de preuve avancé est impropre à fournir les éclaircissements nécessaires.
Comme cela a été relevé à propos du grief précédent, on ne saurait reprocher à l'autorité cantonale de n'avoir pas fait procéder à des auditions destinées à déterminer si une négligence pouvait être imputée au bailleur dans la mesure où elle considérait que même établie une faute de ce dernier ne serait de toute manière pas causale du décès de la victime, compte tenu de la propre faute de celle-ci, qu'elle jugeait prépondérante.
Ce grief est donc également mal fondé et le recours de droit public doit être rejeté.
4.
Vu le sort du recours de droit public, les frais afférents à celui-ci doivent être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).
II. Pourvoi en nullité
5.
Conformément à l'art. 270 let. e ch. 1 PPF, la victime d'une infraction peut se pourvoir en nullité au Tribunal fédéral si elle était déjà partie à la procédure et dans la mesure où la sentence touche ses prétentions civiles ou peut avoir des incidences sur le jugement de celles-ci. Cette faculté est réservée à la victime telle qu'elle est définie par l'art. 2 al. 1 LAVI, savoir la personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique (ATF 127 IV 236 consid. 2b/bb) ou encore, en application de l'art. 2 al. 2 let. b LAVI, aux proches d'une telle personne.
En l'espèce, les actes dénoncés par la recourante ont conduit au décès de son époux, de sorte qu'elle revêt la qualité de victime. Comme elle a provoqué par son recours la décision attaquée, il n'est en outre pas douteux qu'elle a participé à la procédure cantonale (ATF 124 IV 262 consid. 1a, 123 IV 184 consid. 1b p. 187 et les arrêts cités). Enfin, il est évident que le classement de la procédure au motif que l'infraction d'homicide par négligence n'est pas réalisée est susceptible d'avoir une influence négative sur les prétentions civiles que la recourante, en tant qu'épouse de la victime, pourrait faire valoir sur la base des dispositions qui régissent l'allocation de dommages-intérêts ainsi que d'une réparation morale en cas de mort causée par un acte illicite (art. 45 et 47 CO). Elle a qualité pour se pourvoir en nullité conformément à l'art. 270 let. e ch. 1 PPF.
6.
Conformément à l'art. 117 CP, "celui qui, par négligence, aura causé la mort d'une personne sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende". Il en résulte que la réalisation de cette infraction suppose la réunion de trois conditions: le décès d'une personne, une négligence et un lien de causalité entre la négligence et la mort (ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147).
La recourante reproche à l'autorité cantonale d'avoir méconnu le principe de causalité adéquate.
La réalisation de l'infraction prévue par l'art. 117 CP suppose notamment que la violation fautive d'un devoir de prudence ait été la cause naturelle et adéquate du décès de la victime.
Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non. La constatation du rapport de causalité naturelle relève du fait, ce qui la soustrait au contrôle de la Cour de cassation saisie d'un pourvoi en nullité. Il y a toutefois violation de la loi si l'autorité cantonale méconnaît le concept même de la causalité naturelle (ATF 125 IV 195 consid. 2b p. 197; 122 IV 17 consid.2c/aa p. 23; 121 IV 207 consid. 2a p. 212).
Il faut en outre que le rapport de causalité puisse être qualifié d'adéquat, c'est-à-dire que, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement de l'auteur ait été propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit. Il s'agit-là d'une question de droit que la Cour de cassation revoit librement (ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65; 126 IV 13 consid. 7a/bb p. 17 et les arrêts cités). La causalité adéquate peut cependant être exclue si une autre cause concomitante - par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65; 126 IV 13 consid. 7a/bb p. 17; 122 IV 17 consid. 2c/bb p. 23; 121 IV 207 consid. 2a p. 213).
En l'espèce, il ressort des constatations de l'autorité cantonale que la victime est tombée alors qu'elle grimpait sur une échelle en portant un fauteuil modulable qu'elle entendait entreposer dans le local auquel l'échelle en question permettait d'accéder. L'autorité cantonale note que l'échelle était mobile en ce sens qu'elle était profilée à la base comme au sommet pour pouvoir s'apposer, avec un angle défini, au sol et contre la poutre supérieure mais qu'elle ne pouvait être fixée ni à l'un ni à l'autre. Le caractère mobile de l'échelle était patent et la victime avait été rendue attentive au danger que présentait l'installation par la locataire sortante, qui était elle-même déjà tombée de l'échelle.
Dans ces circonstances, le fait d'escalader une telle échelle sans prendre de précaution particulière pour s'assurer de sa stabilité et de surcroît en portant un objet encombrant constitue une prise de risque particulièrement importante. Peu importe à ce propos que l'accident subi par la précédente locataire se soit déroulé de manière légèrement différente ou pas. Ce qui est déterminant est que la victime était consciente du manque de stabilité de l'échelle et du risque qui en découlait. De même, le fait que le local auquel l'échelle donnait accès ait été compris dans le bail et n'ait été accessible que par ce moyen ne justifie pas une telle prise de risque. Le cas échéant, on pouvait attendre du locataire qu'il commence par sommer le propriétaire d'aménager un accès plus sûr de manière à permettre un usage normal de l'ensemble des biens compris dans le bail. C'est donc sans violer le droit fédéral que l'autorité cantonale a considéré la faute de la victime comme suffisamment grave pour constituer une circonstance extraordinaire rompant le lien de causalité qui pourrait exister entre une éventuelle faute du bailleur et le décès. Dans ces circonstances, on ne saurait reprocher à l'autorité cantonale de n'avoir pas suffisamment examiné la question de la négligence imputable au propriétaire puisque l'infraction prévue par l'art. 117 CP ne pouvait de toute manière pas être réalisée, l'un de ses éléments constitutifs, savoir le lien de causalité entre la violation fautive d'un devoir de prudence et le décès de la victime, n'étant pas donné. Le pourvoi doit par conséquent être rejeté.
7.
Vu l'issue de la procédure, les frais de la cause doivent être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 278 al. 1 PPF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit public est rejeté.
2.
Le pourvoi est rejeté.
3.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la recourante.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois.
Lausanne, le 8 avril 2004
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: