BGer 5C.234/2003
 
BGer 5C.234/2003 vom 02.04.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
5C.234/2003 /frs
Arrêt du 2 avril 2004
IIe Cour civile
Composition
M. et Mmes les Juges Raselli, Président, Escher et Hohl.
Greffier: M. Fellay.
Parties
Dame Y.________, (épouse),
demanderesse et recourante, représentée par Me Vincent Spira, avocat,
contre
Y.________, (époux),
défendeur et intimé, représenté par Me Pierre Siegrist, avocat,
Objet
divorce,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 19 septembre 2003.
Faits:
A.
Y.________, né le 19 décembre 1953, et dame Y.________, née le 25 avril 1954, se sont mariés le 12 août 1982. Ils sont soumis au régime de la séparation de biens. Trois enfants sont issus de leur union: A.________, né le 19 juillet 1983, B.________, née le 3 juillet 1985, et C.________, né le 26 décembre 1987.
Le 22 octobre 1998, l'épouse a ouvert action en divorce. L'époux a conclu reconventionnellement au divorce.
Par jugement du 10 octobre 2002, le Tribunal de première instance du canton de Genève a prononcé le divorce des époux et statué sur les effets accessoires.
Statuant le 19 septembre 2003 sur appel de l'époux et appel incident de l'épouse, la Cour de justice du canton de Genève a déclaré irrecevable un chef de conclusions nouveau de l'époux, a constaté l'entrée en force du jugement de première instance sur le prononcé du divorce et sur certains effets accessoires, l'a confirmé sur d'autres, l'a réformé formellement ou simplement annulé avec renvoi au tribunal de première instance sur d'autres encore, fixant au surplus les contributions dues à titre provisionnel par le père pour l'entretien de deux de ses enfants.
B.
Par la voie d'un recours en réforme au Tribunal fédéral, la demanderesse remet en cause l'arrêt de la Cour de justice sur quatre effets accessoires formellement tranchés dans son dispositif. Sur ces quatre points, elle conclut principalement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle la renvoie à son tour au tribunal de première instance, pour instruction et décision, dans le sens des considérants; subsidiairement, elle demande au Tribunal fédéral de prononcer qu'elle est l'unique propriétaire de la parcelle sur laquelle se situe la villa ayant servi de domicile conjugal (parcelle n° 1 de la commune de X.________), que les parties sont copropriétaires des biens meubles qui garnissaient ce domicile à la date du départ de l'époux en 1997, y compris les biens meubles emmenés par celui-ci, que la demanderesse ne doit pas payer 1'500'000 fr. au défendeur et que celui-ci soit condamné à verser à la demanderesse une contribution d'entretien de 10'000 fr. par mois.
Dans sa réponse, le défendeur s'en remet à justice en ce qui concerne la recevabilité du recours et conclut au fond à son rejet.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 II 225 consid. 1; 128 II 56 consid. 1).
1.1 La recourante soutient que l'arrêt attaqué contient différents types de décisions, qui ne sont pas toutes finales, que la décision de mesures provisoires ne l'est pas, que celle concernant les questions renvoyées à la première instance est préjudicielle et que celle rendue sur les autres points est partielle. L'arrêt attaqué serait donc une décision finale incomplète susceptible de recours en réforme.
Dans la mesure où l'arrêt attaqué statue au fond et sur mesures provisionnelles, il réunit effectivement deux types de décisions, soit une décision sur le fond et une décision sur mesures provisionnelles.
En ce qui concerne la décision sur le fond, il faut pour la qualifier, contrairement à ce que fait la recourante, la considérer comme un tout et dans son ensemble, et déterminer à quel type de décision - et un seul - elle correspond. Selon les cas et à certaines conditions, le recours en réforme au Tribunal fédéral est ou n'est pas ouvert.
1.2 Une décision est finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ lorsque la juridiction cantonale statue sur le fond d'une prétention ou s'y refuse pour un motif qui empêche définitivement que la même prétention soit exercée à nouveau entre les mêmes parties (ATF 127 III 433 consid. 1b/aa et les arrêts cités).
Une décision est préjudicielle ou incidente au sens de l'art. 50 al. 1 OJ lorsque la cour cantonale tranche définitivement le sort d'une condition de fond de la prétention, que ce soit expressément dans le dispositif du jugement ou en renvoyant la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants (ATF 127 III 433 consid. 1b/bb; 105 II 218 consid. 1a p. 221; J.-F. Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II, Berne 1990, n. 2.1.3 in fine ad art. 50 OJ).
Une décision est partielle lorsqu'elle statue sur un chef de conclusions qui aurait pu faire l'objet d'un procès séparé et dont le sort est préjudiciel à celui des autres chefs de conclusions encore litigieux (ATF 129 III 25 consid. 1.1; 124 III 406 consid. 1b et les arrêts cités).
2.
En matière de divorce, le principe de l'unité du jugement de divorce est applicable. Par définition, il ne peut donc y avoir de décision partielle dans ce domaine.
2.1 Pour respecter le principe de l'unité du jugement de divorce, le juge doit statuer en même temps sur le divorce et sur tous les effets accessoires de celui-ci; exceptionnellement, à certaines conditions, il peut renvoyer la seule liquidation du régime matrimonial à un procès séparé (ATF 113 II 97 consid. 2 p. 98/99 et les arrêts cités; ATF 127 III 433 consid. 1b/aa). Si le juge de première instance a limité la procédure à la seule question du divorce et que l'instance de recours cantonale prononce formellement le divorce, sans statuer ni renvoyer la cause à la première instance sur les effets accessoires, elle rend une décision finale incomplète qui peut faire l'objet d'un recours en réforme (ATF 113 II 97 consid. 1; 127 III 433 consid. 1b/aa). Lorsque l'instance cantonale de recours admet matériellement la demande en divorce et qu'elle prononce formellement le divorce dans le dispositif de son arrêt et renvoie la cause à la première instance pour décision sur les effets accessoires, elle rend non pas une décision finale au sens de l'art. 48 OJ, mais une décision préjudicielle ou incidente au sens de l'art. 50 OJ. Il en va de même lorsque l'instance cantonale admet matériellement la demande en divorce et qu'elle renvoie la cause au premier magistrat pour qu'il prononce le divorce dans le sens des considérants et règle en même temps les effets accessoires (ATF 105 II 218 consid. 1a et 1b; 127 III 433 consid. 1b/bb). En revanche, si la cour cantonale n'est pas en mesure de trancher et ne tranche pas matériellement la question du divorce et renvoie la cause à la première instance pour que celle-ci tranche cette question et statue sur les effets accessoires, le recours en réforme n'est pas ouvert.
Lorsque seuls les effets accessoires du divorce font l'objet du recours cantonal et que le prononcé du divorce est donc entré en force (art. 148 al. 1 CC), la décision de l'instance cantonale de recours qui tranche matériellement et formellement (sans renvoi aucun) toutes les prétentions encore litigieuses est finale au sens de l'art. 48 OJ. En revanche, lorsqu'elle les tranche matériellement, mais ne statue formellement dans son dispositif que sur certaines et renvoie les autres à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants, on se trouve en présence d'une décision préjudicielle ou incidente au sens de l'art. 50 OJ. En effet, dès qu'il y a renvoi à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants, la décision ne peut être finale au sens de l'art. 48 OJ; elle est préjudicielle au sens de l'art. 50 OJ, puisque l'autorité de première instance est liée par l'arrêt cantonal sur la question préjudicielle (Poudret, op. cit., n. 2.1.3 in fine ad art. 50 OJ).
2.2 Dans le cas particulier, le jugement de première instance est entré en force, faute de recours en appel, sur le prononcé du divorce et sur certains effets accessoires (autorité parentale et garde, droit de visite et curatelle éducative). Sur recours en appel, l'arrêt de la cour cantonale tranche formellement dans son dispositif certains effets accessoires; en particulier, il constate la copropriété des parties sur la parcelle de la commune de X.________ et prononce une interdiction d'en disposer, condamne la demanderesse à payer au défendeur 1'500'000 fr. avec intérêts, confirme le ch. 13 du jugement constatant la copropriété des parties sur les biens meubles garnissant le domicile conjugal de X.________ et rejette la contribution à l'entretien de l'épouse. Sur d'autres points, il renvoie la cause au tribunal de première instance "pour instruction et décision dans le sens des considérants", notamment en ce qui concerne le partage de la prévoyance professionnelle et les contributions dues par le père pour l'entretien de deux de ses enfants.
2.3 Lorsqu'elle soutient que cet arrêt viole le principe de l'unité du jugement de divorce, ce qui devrait entraîner son annulation et le renvoi au premier juge - alors même qu'elle n'a pris aucun chef de conclusions formel dans ce sens -, la recourante se méprend sur le sens et le but du principe invoqué. Ce principe signifie que le juge doit statuer sur le divorce et sur les effets accessoires dans un seul jugement; il ne doit pas renvoyer la liquidation des effets accessoires à une procédure séparée, sous réserve, exceptionnellement, de la liquidation du régime matrimonial. Ce principe ne peut évidemment pas empêcher que certains chefs du dispositif du jugement de première instance entrent en force, faute de recours sur eux (art. 148 al. 1 CC), et il n'interdit pas non plus que seuls certains effets accessoires litigieux soient définitivement tranchés par l'autorité cantonale de recours. Le jugement de première instance ayant prononcé le divorce et statué sur tous les effets accessoires, il respecte le principe de l'unité du jugement de divorce.
Comme le prononcé du divorce et certains effets accessoires (attribution de l'autorité parentale sur les enfants) n'ont pas été remis en cause en appel par les parties, le premier jugement est entré en force de chose jugée partielle sur ces points conformément à l'art. 148 al. 1 CC. En appel, la Cour de justice a tranché matériellement le sort de divers effets accessoires et, dans le dispositif de son arrêt, elle a statué formellement sur certains d'entre eux, renvoyant d'autres à l'instance précédente pour instruction et décision dans le sens des considérants. Puisqu'il y a eu renvoi, il ne peut s'agir d'une décision finale. L'on est par conséquent en présence d'une décision incidente ou préjudicielle au sens de l'art. 50 OJ, qui peut faire l'objet d'un recours en réforme immédiat au Tribunal fédéral si les conditions de cette disposition sont remplies.
3.
Selon l'art. 50 al. 1 OJ, le recours en réforme est recevable exceptionnellement contre les décisions préjudicielles ou incidentes autres que celles relatives à la compétence (art. 49 OJ), lorsqu'une décision finale peut ainsi être provoquée immédiatement et que la durée et les frais de la procédure probatoire seraient si considérables qu'il convient de les éviter en autorisant le recours immédiat au Tribunal fédéral.
3.1 L'ouverture du recours en réforme pour des motifs d'économie de procédure constitue une exception et doit, comme telle, être interprétée restrictivement (ATF 122 III 254 consid. 2a; 118 II 91 consid. 1b). Cela s'impose d'autant plus que les parties ne subissent aucun préjudice lorsqu'elles n'attaquent pas immédiatement des décisions préjudicielles ou incidentes, car l'art. 48 al. 3 OJ leur permet de les contester en même temps que la décision finale. Cette faculté subsiste lorsque le Tribunal fédéral déclare irrecevable un recours fondé sur l'art. 50 al. 1 OJ; en pareil cas, l'art. 48 al. 3, 2ème phrase, OJ n'est pas applicable (ATF 118 II 91 consid. 1b). En principe, le Tribunal fédéral examine d'office et librement si les conditions de l'art. 50 al. 1 OJ sont réalisées (art. 50 al. 2 OJ; ATF 122 III 254 consid. 2a), mais cela ne dispense pas le recourant d'une collaboration active à la procédure (ATF 118 II 91 consid. 1a; 116 II 738 consid. 1b/aa).
Une décision finale ne peut être provoquée immédiatement au sens de l'art. 50 OJ que lorsque le Tribunal fédéral lui-même peut la rendre (ATF 105 II 317 consid. 3). Cela suppose qu'il puisse mettre fin définitivement à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente. En d'autres termes, il faut que la solution inverse de celle retenue dans la décision préjudicielle soit finale au sens de l'art. 48 OJ (Poudret, op. cit., n. 2.3 ad art. 50 OJ, p. 347). Tel n'est pas le cas si le Tribunal fédéral peut seulement renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour compléter l'instruction ou appliquer sa procédure et statuer à nouveau (Poudret, op. cit., n. 2.3 ad art. 50 OJ, p. 348). Par conséquent, si les conclusions du recours tendent au renvoi de la cause à la cour cantonale, elles sont incompatibles avec l'art. 50 OJ et doivent être déclarées irrecevables.
3.2 En l'espèce, on peut d'emblée constater que les chefs de conclusions principaux sont incompatibles avec l'art. 50 OJ, partant irrecevables, puisqu'ils tendent au renvoi de la cause à la cour cantonale et, de ce fait, ne permettent pas au Tribunal fédéral de rendre une décision finale.
Dans ses chefs de conclusions subsidiaires, la recourante demande au Tribunal fédéral de prononcer qu'elle est l'unique propriétaire de la parcelle de la commune de X.________ [violation des art. 937 al. 1 et 9 CC], de dire qu'elle ne doit pas au défendeur le montant de 1'500'000 fr. [violation des art. 312 ss CO et 8 CC], de constater la copropriété des parties sur les biens meubles qui garnissaient le domicile conjugal de X.________ à la date du départ du défendeur en 1997, y compris les biens emmenés par celui-ci [violation de l'art. 248 al. 2 CC] et de condamner le défendeur à lui verser une contribution d'entretien de 10'000 fr. par mois [violation de l'art. 125 CC]. Elle ne remet en cause et ne formule des griefs que sur ces quatre points, à l'exclusion de tous les autres que la cour cantonale a renvoyés à l'instance précédente: ainsi, elle ne s'en prend pas à la question des fonds initialement déposés en Australie et Nouvelle-Zélande et à la propriété des bijoux, ni au partage de la prévoyance professionnelle, ni à la contribution d'entretien des enfants. Faute de conclusions et de motivation sur ces derniers points, le Tribunal fédéral ne peut entrer en matière sur ceux-ci. Il en résulte qu'il ne pourrait en aucun cas rendre une décision finale mettant définitivement fin à la procédure sur tous les effets accessoires encore litigieux.
Partant, la première condition de l'art. 50 al. 1 OJ n'est pas remplie et le recours en réforme est irrecevable.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'500 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera une indemnité de 3'000 fr. à l'intimé à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 2 avril 2004
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: