BGer 4P.42/2001
 
BGer 4P.42/2001 vom 15.05.2001
[AZA 1/2]
4P.42/2001
Ie COUR CIVILE
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15 mai 2001
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
B urato & Stanley S.à r.l., à Lausanne, représentée par Me Anne-Virginie Gaide, avocate à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 21 décembre 2000 par la Chambre civile de la Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose la recourante àEl Meditsol S.à r.l., à Genève, représentée par Me Pierre-Alain Killias, avocat à Genève;
(droit d'être entendu; arbitraire)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le 4 juin 1998, Burato & Stanley S.à r.l. a déposé auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle la marque verbale "Movida" en relation notamment avec des services de restauration. La marque a été enregistrée le 10 mars 1999 avec effet à la date du dépôt.
Le 18 août 1998, Burato & Stanley S.à r.l. a ouvert à Lausanne un café-bar sous l'enseigne "Movida", dont l'inauguration a eu lieu les 8 et 9 septembre 1998. Selon un témoin, cet établissement, qui a le style d'un bar, est fréquenté essentiellement par des jeunes qui peuvent se restaurer simplement, même assez tard le soir.
Une société Movida S.à r.l. - sans rapport avec Burato & Stanley S.à r.l. - a été inscrite au registre du commerce le 21 janvier 1999, cette inscription ayant été publiée le 27 janvier 1999.
Le 30 juin 1999, cette société a ouvert à Genève un restaurant à l'enseigne "Movida". Selon les témoignages recueillis, il s'agit d'un restaurant traditionnel, de style pub, fréquenté notamment par des personnes qui connaissent déjà les gérants.
B.- Saisie d'une requête en mesures provisionnelles formée par Burato & Stanley S.à r.l., la Cour de justice de Genève, par ordonnance du 8 septembre 1999, a fait interdiction à Movida S.à r.l. d'utiliser cette dénomination en particulier pour son établissement et ses services.
Le 30 septembre 1999, Burato & Stanley S.à r.l. a informé sa partie adverse du fait que, le 5 octobre, un huissier se rendrait au restaurant "La Movida" en vue de l'exécution forcée de l'ordonnance de la Cour.
Sur ce, le 4 octobre 1999, Movida S.à r.l. a modifié son enseigne, devenue "El Meditsol", et l'intervention de l'huissier a été annulée. La raison sociale de la société est devenue El Meditsol S.à r.l. Cette modification a été inscrite au registre du commerce le 8 octobre et publiée le 14 octobre 1999.
Le 13 octobre 1999, Burato & Stanley S.à r.l. a néanmoins déposé une action sur le fond devant la Cour de justice de Genève. Ses conclusions tendaient, en dernier lieu, à ce qu'il soit fait interdiction à sa partie adverse d'utiliser le mot "Movida" notamment pour ses établissements ou services, à ce que cette dernière soit condamnée à lui verser la somme de 36 393 fr.15 à titre de dommages-intérêts et à ce que le jugement soit publié.
Par arrêt du 21 décembre 2000, la Chambre civile de la Cour de justice a débouté Burato & Stanley S.à r.l. de toutes ses conclusions. En substance, la cour cantonale a estimé que les deux établissements, en raison de l'éloignement, n'étaient pas dans un rapport de concurrence et que le mot "Movida", vu sa signification en espagnol, relevait du domaine public et ne pouvait pas donner lieu à protection pour des services de restauration ou de divertissement. Dans une motivation alternative, la cour cantonale a constaté que la demanderesse n'avait pas établi avoir subi un quelconque dommage du fait de l'ouverture du restaurant "Movida" à Genève et de son exploitation qui n'a duré que trois mois sous cette enseigne.
C.- Parallèlement à un recours en réforme, Burato & Stanley S.à r.l. interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant une violation du droit d'être entendu et de l'interdiction de l'arbitraire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.
L'intimée invite le Tribunal fédéral à rejeter le recours.
Considérant en droit :
1.- a) Conformément à la règle générale, le recours de droit public est examiné en premier lieu (art. 57 al. 5 OJ).
b) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF 126 III 524 consid. 1c; 126 III 534 consid. 1b; 125 I 492 consid. 1b; 122 I 70 consid. 1c; 121 IV 317 consid. 3b).
2.- a) Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst. et une application arbitraire de l'art. 146 de la loi genevoise de procédure civile, la recourante soutient que la cour cantonale a violé son droit à une décision motivée.
La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. , notamment le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que son destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 126 I 97 consid. 2b; 125 II 369 consid. 2c; 124 II 146 consid. 2a; 124 V 180 consid. 1a; 123 I 31 consid. 2c; 123 II 175 consid. 6c). Il y a également violation du droit d'être entendu si l'autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner et traiter les problèmes pertinents (ATF 126 I 97 consid. 2b; 124 II 146 consid. 2a; 122 IV 8 consid. 2c; 121 III 331 consid. 3b; 118 Ia 35 consid. 2e).
Quant à l'art. 146 al. 1 let. d et e de la loi genevoise de procédure civile, il prévoit que les jugements contiennent les questions de fait et de droit posées par les juges, la décision sur chacune d'elles ainsi que les motifs.
On ne voit cependant pas en quoi cette disposition de procédure cantonale offrirait une protection plus étendue que celle déjà déduite de l'art. 29 al. 2 Cst. Il faut ici rappeler que le respect du droit cantonal n'est examiné que sous l'angle de l'arbitraire, tandis que le respect des garanties minimales déduites de la Constitution fédérale est contrôlé librement (ATF 121 I 54 consid. 2a; 120 Ia 220 consid. 3a; 119 Ia 136 consid. 2c; 119 Ia 141 consid. 5b p. 149). Il suffit donc d'examiner le grief sous l'angle de l'art. 29 al. 2 Cst.
b) La recourante reproche à la cour cantonale de ne pas avoir indiqué clairement quels étaient les faits qu'elle retenait.
Ce premier grief est infondé. La cour cantonale a extrait de l'administration des preuves les éléments qui lui apparaissaient décisifs. Il en résulte une vision des faits qui n'est ni lacunaire ni contradictoire et permet de comprendre le raisonnement juridique qui suit.
c) La recourante reproche ensuite à la cour cantonale de ne pas avoir élucidé différents points qu'elle juge pertinents pour dire si le mot "Movida" appartient ou non au domaine public.
Savoir ce qui est pertinent ou non relève du droit matériel. La question doit donc être examinée, s'il y a lieu, dans le cadre du recours en réforme déposé parallèlement. Si le Tribunal fédéral, dans l'application du droit fédéral, ne trouve pas les éléments de fait qu'il juge indispensables, il applique l'art. 64 OJ. Dès lors que l'ensemble du problème peut être examiné dans le recours en réforme, il est exclu qu'il le soit également par la voie du recours de droit public, qui revêt un caractère subsidiaire (art. 84 al. 2 OJ).
Ce grief est donc irrecevable.
d) La recourante reproche à la cour cantonale de ne pas avoir examiné ses arguments relatifs à l'existence d'un dommage.
Il ressort clairement de l'arrêt attaqué que la cour cantonale est parvenue à la conclusion que l'existence d'un gain manqué n'avait pas été prouvée. Elle n'avait dès lors plus à se prononcer sur une construction juridique (la licence fictive) qui ne concerne que l'hypothèse où l'existence d'un gain manqué est admise, mais que sa quotité est impossible à établir exactement. L'autorité ne viole pas le droit d'être entendu si elle ne traite pas une question qui est manifestement sans pertinence au vu de l'argumentation retenue.
Quant à une éventuelle atteinte à la force distinctive de la marque, la cour cantonale a clairement exclu cette hypothèse en constatant que l'enseigne n'avait été utilisée que pendant trois mois environ à Genève et qu'il n'en était résulté aucun préjudice constatable. On ne peut donc pas dire que la question n'a pas été traitée.
En ce qui concerne les frais de justice, la cour cantonale a reproduit (p. 9 in initio) l'argumentation de l'intimée selon laquelle ils ont été couverts par les dépens octroyés sur mesures provisionnelles. Il est certes regrettable que la cour cantonale n'ait pas indiqué plus clairement qu'elle faisait sienne cette argumentation. On peut toutefois le déduire de manière implicite en considérant l'arrêt dans son ensemble, de sorte que ce grief doit également être rejeté.
3.- a) La recourante invoque également l'interdiction de l'arbitraire.
Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst. , ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 126 I 168 consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 124 I 247 consid. 5; 124 V 137 consid. 2b; 122 I 61 consid. 3a).
On ne voit pas comment la recourante pourrait déduire une protection supplémentaire de l'art. 196 de la loi genevoise de procédure civile, puisque cette disposition ne fait que proclamer le principe de la libre appréciation des preuves.
b) S'agissant de l'absence de préjudice, la recourante reproche à la cour cantonale de ne pas avoir ordonné l'apport des comptes de sa partie adverse.
Ce grief relève du droit d'être entendu, et non de l'arbitraire. En effet, la jurisprudence a déduit du droit d'être entendu notamment le droit pour le justiciable de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa; 124 I 49 consid. 3a; 124 I 241 consid. 2; 124 II 132 consid. 2b, 124 V 180 consid. 1a; 124 V 372 consid. 3b; 123 I 63 consid. 2a; 123 II 175 consid. 6c). L'autorité a l'obligation de donner suite aux offres de preuves présentées en temps utile et dans les formes requises, à moins qu'elles ne soient manifestement inaptes à apporter la preuve ou qu'il s'agisse de prouverun fait sans pertinence (ATF 115 Ia 8 consid. 2b; 114 Ia 97 consid. 2a; 106 Ia 161 consid. 2b). Cela n'empêche toutefois pas le juge de refuser une mesure probatoire si, en appréciant d'une manière non arbitraire les preuves déjà apportées, il parvient à la conclusion que les faits pertinents sont établis et qu'un résultat même favorable au recourant de la mesure probatoire sollicitée ne pourrait plus modifier sa conviction (ATF 121 V 150 consid. 5a; 115 Ia 101).
En l'espèce, la cour cantonale a constaté - sans que la recourante n'invoque à ce sujet l'arbitraire - que l'établissement de cette dernière était fréquenté par des jeunes qui souhaitent une alimentation bon marché, servie même à une heure tardive. On ne peut pas imaginer que cette clientèle préfère prendre un moyen de transport et se rendre à Genève, pour le seul motif qu'il y aurait dans cette ville un autre établissement ayant la même enseigne. La recourante n'est pas parvenue à établir, par ses comptes, une baissede son chiffre d'affaires pendant la période où l'autre établissement était ouvert à Genève. Les témoins entendus n'ont constaté, pendant cette période, ni baisse de la clientèle à Lausanne ni hausse de la clientèle à Genève. Il ne ressort pas non plus des témoignages que l'établissement de Lausanne ait été connu à Genève, de telle sorte que l'on puisse imaginer que l'enseigne soit de nature à attirer des clients résidant dans cette ville. Sur cette base, la cour cantonale est parvenue à une conviction qui ne peut être qualifiée d'arbitraire. Elle n'a donc pas violé le droit d'être entendu en refusant d'ordonner une mesure probatoire qui, en fonction d'une appréciation des preuves non arbitraire, ne lui paraissait pas de nature à modifier sa conviction.
c) La recourante se plaint enfin de ce que la cour cantonale aurait arbitrairement déterminé le sens du mot "Movida", la compréhension qu'en a le public en Suisse, ainsi que le cercle de ses clients.
L'ensemble de ces griefs concerne l'argument selon lequel le mot "Movida" appartiendrait au domaine public. La décision attaquée est cependant fondée également sur une motivation alternative, qui est en elle-même suffisante pour la justifier. La cour cantonale a en effet constaté que la recourante ne pouvait se prévaloir d'aucun préjudice et d'aucun intérêt à agir. En ce qui concerne cette motivation alternative, la recourante ne prétend pas ici - en tout cas d'une manière répondant aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ - que les faits auraient été établis arbitrairement. En conséquence, il n'y a plus lieu d'entrer en matière sur les griefs concernant la première motivation, puisque, même si l'arbitraire était retenu sur l'un ou l'autre des points invoqués par la recourante, cela ne serait plus de nature à modifier le dispositif, de sorte que, de toute manière, la décision n'apparaît pas arbitraire dans son résultat.
4.- Des frais et dépens doivent être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable;
2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la charge de la recourante;
3. Dit que la recourante versera à l'intimée une indemnité de 2500 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice genevoise.
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Lausanne, le 15 mai 2001 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,
La greffière,