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Original
 
[AZA 0/2]
5P.268/2000
IIe COUR CIVILE
*************************
24 octobre 2000
Composition de la Cour: M. Reeb, Président, Mme Nordmann,
Juge, et M. Gardaz, Juge suppléant. Greffière: Mme Jordan.
_______
Statuant sur le recours de droit public
formé par
Z.________, représenté par Me Yves Schmidhauser, avocat à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 15 juin 2000 par la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose le recourant à P.________, représenté par Me Robert Assael, avocat à Genève;
(art. 9 Cst. ; mainlevée provisoire de l'opposition)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- a) P.________ exploitait une imprimerie à Genève.
Le 17 décembre 1992, il l'a vendue à Z.________; les parties ont signé trois documents:
- le contrat de vente proprement dit, dont il résulte que le prix de la transaction était de 300'000 fr., payable selon les modalités suivantes: 150'000 fr. comptant, 50'000 fr. le 4 janvier 1993 et 100'000 fr. payables et exigibles selon les clauses et conditions de la reconnaissance de dette signée le même jour par les contractants; le document donne par ailleurs quittance du versement de 150'000 fr.
- la "reconnaissance de dette", aux termes de laquelle Z.________ s'engageait à payer à P.________ la somme de 100'000 fr. "constituant un tiers du prix de vente" et dont le remboursement devait intervenir selon les dispositions du protocole signé le même jour;
- le "protocole d'accords", d'après lequel Z.________ s'obligeait à constituer l'entreprise vendue en une société anonyme au "capital-social" de 100'000 fr. divisé en cent actions de 1'000 fr. chacune, dont vingt-cinq devait revenir à P.________. Il y était en outre prévu que la valeur d'acquisition (25'000 fr.) serait imputée sur le solde du prix de vente, les 75'000 fr. restant devant être entièrement remboursés au 31 décembre 1996, avec intérêts à 8% l'an dès le 31 décembre 1993.
b) Le 17 décembre 1992 également, Z.________ a versé à P.________, sur deux comptes bancaires différents, la somme totale de 250'000 fr. Le 28 décembre suivant, il a encore payé 50'000 fr.
c) A la suite de la fondation de la société anonyme, P.________ a reçu, le 17 décembre 1993, les vingt-cinq actions convenues.
B.- Le 23 décembre 1998, P.________ a réclamé en vain à Z.________ le paiement de 78'750 fr., montant correspondant au capital restant et au solde d'intérêts impayés à fin 1998. Le 14 mai 1999, il lui a fait notifier un commandement de payer la somme de 75'000 fr., avec intérêts à 8% dès le 1er juin 1998. Comme titre de la créance, il a indiqué:
"capital dû selon article 5 de la convention du 17.12. 92 et reconnaissance de dette du 17.12.92". Le poursuivi a fait opposition.
Le Tribunal de première instance de Genève a rejeté la requête de mainlevée du créancier le 29 mars 2000.
Statuant le 15 juin 2000 sur l'appel de P.________, la 1ère Section de la Cour de justice a annulé ce jugement et a notamment prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition.
C.- Z.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral, en concluant à l'annulation de l'arrêt cantonal, sous suite de frais et dépens.
P.________ propose le rejet du recours; la Cour de justice se réfère à ses considérants.
D.- Par ordonnance du 21 juillet 2000, le Président de la IIe Cour civile a rejeté la demande d'effet suspensif.
Considérant en droit :
1. a) Formé en temps utile contre une décision qui prononce en dernière instance cantonale la mainlevée provisoire de l'opposition (ATF 111 III 8 consid. 1 p. 9 et les références), le présent recours est en principe recevable.
b) Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public est de nature purement cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 125 I 104 consid. 1b p. 107 et la jurisprudence citée). Le chef de conclusions tendant au déboutement de l'intimé est dès lors irrecevable. Celui qui vise la condamnation de celui-ci aux frais et dépens des instances cantonales l'est aussi, dès lors que le sort de ceux-ci ne peut être modifié que dans le cas des art. 157 et 159 al. 6 OJ.
2.- Le recourant reproche d'abord à la Cour de justice d'avoir arbitrairement tenu pour vraisemblable que le prix de vente était supérieur aux 300'000 fr. prévus dans le contrat de vente. Il prétend que les pièces produites démontrent manifestement le contraire et qu'il est insoutenable de retenir que, dans sa lettre du 11 janvier 1999, il faisait référence à des faits non contenus dans les documents signés le 17 décembre 1992.
a) Selon la jurisprudence relative à l'art. 4 aCst.
- laquelle garde toute sa pertinence sous l'empire de l'art. 9 Cst. -, il n'y a appréciation arbitraire des preuves que lorsque le juge a manifestement abusé du large pouvoir dont il dispose en la matière, lorsque ses conclusions sont insoutenables ou lorsqu'elles reposent manifestement sur une inadvertance.
Le juge doit avoir par exemple, de manière crasse, apprécié les preuves unilatéralement à l'avantage d'une partie ou ignoré totalement des preuves importantes (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40; 118 Ia 28 consid. 1b p. 30; 116 Ia 85 consid. 2b p. 88). Devant le Tribunal fédéral, le recourant ne peut se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, comme il le ferait dans une procédure d'appel; conformément à l'art. 90 al 1 let. b OJ, il doit au contraire démontrer, par une argumentation précise, que la décision déférée repose sur une appréciation insoutenable des preuves (ATF 121 I 225 consid. 4c p. 230). De plus, comme l'annulation de la décision cantonale attaquée ne se justifie que si elle est arbitraire non seulement dans sa motivation, mais également dans son résultat (ATF 122 I 61 consid. 3a p. 66/67; 122 III 130 consid. 2a p. 131), le grief de constatation arbitraire des faits ne peut avoir de chance de succès que s'il porte sur des faits pertinents et décisifs.
b) Certes, au vu des documents signés le 17 décembre 1992, le prix de 300'000 fr. paraît constant. Le recourant oublie toutefois que, selon l'arrêt attaqué, outre le montant de 300'000 fr., il a aussi remis à l'intimé les vingt-cinq actions prévues, comme partie du prix, par le "protocole d'accords". Par ailleurs, il a versé une somme de 250'000 fr.
le 17 décembre 1992, alors même que le contrat de vente ne prévoyait qu'un acompte de 150'000 fr. à cette date. Dans ces circonstances, il n'était pas insoutenable de considérer que le prix effectif n'était pas de 300'000 fr. Au demeurant, l'appréciation de l'autorité cantonale quant au prix de vente n'était, à elle seule, pas déterminante pour le sort de la requête de mainlevée. Vu la poursuite en cause, le point essentiel était celui du paiement du solde de 75'000 fr. qui, selon les accords écrits, devait intervenir en complément de la remise des actions. Dans ce cadre, l'autorité cantonale a accordé la mainlevée parce que Z.________ ne s'est pas acquitté de ce solde de 75'000 fr. Or, sur cette question, le recourant ne formule aucun grief qui serait fondé sur l'appréciation des preuves.
3.- Le recourant soutient ensuite que l'autorité cantonale a appliqué l'art. 82 LP de façon arbitraire, en retenant qu'il n'a pas rendu vraisemblable sa libération.
Selon cette disposition, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (al. 1), que le juge prononce si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (al. 2). En l'espèce, le recourant prétend avoir prouvé - qui plus est par titre - s'être acquitté du montant de 300'000 fr. établi par reconnaissance de dette. Ce faisant, il perd de vue que la question de sa libération doit être examinée à la lumière de tous les éléments établis et en fonction de l'objet de la poursuite frappée d'opposition, soit, en l'occurrence, du solde de 75'000 fr. prévu par le protocole d'accord. Selon ce dernier document, le recourant s'est engagé à payer la somme susmentionnée avant le 31 décembre 1996, les intérêts courant toutefois dès le 31 décembre 1993. C'est dans ce cadre que l'autorité cantonale a considéré que le débiteur n'a pas rendu vraisemblable sa libération. Si cette appréciation est certes discutable, elle ne saurait toutefois être qualifiée d'arbitraire, en ce sens qu'elle serait manifestement insoutenable ou en contradiction évidente avec l'état de fait, qu'elle violerait de manière flagrante une règle ou un principe incontestable ou encore heurterait de manière choquante l'équité (ATF 125 II 10 consid. 3a p. 15 et les arrêts cités). Outre les points relevés ci-devant (cf. supra, consid. 2b), il convient de mentionner qu'en plus de l'acompte initial contractuel de 150'000 fr. le recourant a payé, non un montant de 75'000 fr., mais une somme de 100'000 fr., dont on ne sait à quoi elle correspond. Ce versement est par ailleurs intervenu un an avant le moment où le solde de 75'000 fr. commençait à porter intérêts. Bien que cela lui fût loisible, on ne voit pas quel avantage le recourant aurait eu à procéder à ce paiement anticipé. L'ensemble de ces circonstances était propre à entamer la vraisemblance de la thèse selon laquelle le paiement du solde de 75'000 fr. était inclus dans l'acompte supplémentaire de 100'000 fr. versé de façon inexpliquée le 17 décembre 1992.
4.- Le recourant, qui succombe, doit être condamné aux frais et aux dépens de la procédure (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 et 2 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable.
2. Met à la charge du recourant:
a) un émolument judiciaire de 4'000 fr.
b) une indemnité de 3'000 fr. à payer à l'intimé à
titre de dépens.
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.
______________________
Lausanne, le 24 octobre 2000 JOR/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE,
Le Président, La Greffière,