BGer 4P.174/2000
 
BGer 4P.174/2000 vom 26.09.2000
[AZA 3]
4P.174/2000
Ie COUR CIVILE
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26 septembre 2000
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
Narcisse Pannatier, à Sion, représenté par Me Antoine Zen Ruffinen, avocat à Sion,
contre
la décision rendue le 30 juin 2000 par le Juge des districts de Martigny et St-Maurice dans la cause qui oppose le recourant à Georges-André Dorsaz, à Fully, représenté par Me Henri Carron, avocat à Monthey;
(art. 9 et 30 al. 2 Cst. ; procédure civile valaisanne, compétence locale)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Par contrat d'entreprise signé le 2 octobre 1998, Narcisse Pannatier, domicilié à Sion, a adjugé à Georges-André Dorsaz les travaux de construction d'une charpente pour une villa sise à Fully, dans le district de Martigny.
Le 11 novembre 1998, Georges-André Dorsaz a adressé à Narcisse Pannatier une facture de 16 179 fr.85. Le maître de l'ouvrage a payé 15 712 fr.55. Diverses tentatives de recouvrement du solde à l'amiable ont échoué.
B.- Par demande des 23 novembre/3 décembre 1999, Georges-André Dorsaz a ouvert action contre Narcisse Pannatier devant le juge de commune de Fully en vue d'obtenir le paiement de 467 fr. plus intérêts.
Le juge de commune a fixé une audience au 4 février 2000. Le demandeur a donné suite à cette convocation, mais le défendeur n'a pas comparu. Statuant le jour même, le juge de commune a rendu un jugement par défaut et condamné le défendeur à payer au demandeur la somme de 467 fr., intérêts et frais en sus.
Contre ce jugement, le défendeur a interjeté un pourvoi en nullité que le juge des districts de Martigny et St-Maurice a rejeté, dans la mesure où il était recevable, par décision du 30 juin 2000.
C.- Agissant par la voie du recours de droit public, le défendeur conclut à l'annulation de cette décision.
Il a également formulé une requête d'effet suspensif qui a été rejetée par ordonnance présidentielle du 18 août 2000.
Le dossier cantonal a été transmis au Tribunal fédéral en date du 8 septembre 2000. Le demandeur et le magistrat intimé n'ont pas été invités à déposer une réponse.
Considérant en droit :
1.- Le juge de district a statué sur un pourvoi en nullité dirigé contre un jugement rendu par un juge de commune.
Il en a connu en dernière instance cantonale, ainsi que le précise l'art. 22 al. 5 du Code de procédure civile du canton du Valais du 24 mars 1998 (CPC val.). En s'en prenant à la décision du juge de district, le recourant a donc satisfait à l'exigence de l'épuisement des moyens de droit cantonal (art. 86 al. 1 OJ). Au demeurant, la décision attaquée revêt un caractère final, si bien que le présent recours est également recevable sous cet angle (cf. art. 87 OJ).
2.- Lorsqu'il statue sur un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés (ATF 122 I 70 consid. 1c, 121 IV 317 consid. 3b).
Devant le juge de district, le recourant avait soulevé deux griefs portant, le premier, sur la validité de la citation à comparaître, le second, sur la compétence ratione loci. Les deux griefs ont été rejetés. Dans son recours de droit public, le recourant ne critique pas le rejet du premier grief; au contraire, il déclare expressément ne pas contester la décision du juge de district sur ce point. Par conséquent, le Tribunal fédéral n'a pas à examiner cette question (art. 90 al. 1 let. bOJ).
3.- a) Dans son pourvoi en nullité, le recourant avait soutenu qu'il aurait dû être assigné devant le juge de sa commune de domicile (Sion), conformément à la garantie constitutionnelle spécifique (art. 30 al. 2 Cst.) et à une clause particulière du contrat d'entreprise, et non pas devant le juge de la commune où se trouve l'immeuble visé par ce contrat (Fully). Le juge de district a écarté ce grief au motif que "la contestation du for [était] tardive, le recourant ayant laissé la procédure suivre son cours à Fully dès le 13 janvier 2000 sans soulever de déclinatoire (art. 13 al. 2 CPC)".
A l'appui de son recours de droit public, le recourant reproche au juge de district d'avoir violé l'art. 13 al. 2 CPC val. et "sa disposition mère", l'art. 30 al. 2 Cst. , en concluant à l'existence d'une prorogation de for tacite dans le cas présent. Il souligne à ce propos, en se référant à un avis doctrinal (Ducrot, Le droit judiciaire privé valaisan, p. 103) ainsi qu'à la jurisprudence cantonale (RVJ 1988 p. 356), qu'un comportement purement passif ne vaut pas acceptation tacite, de sorte qu'il ne saurait y avoir renonciation tacite au for légal non impératif en cas de défaut du défendeur.
Le recourant soutient, par ailleurs, que le juge de district aurait dû sanctionner le comportement du juge de commune, lequel n'avait pas examiné d'office sa compétence à raison du lieu contrairement aux réquisits de l'art. 135 CPC val. , et qu'il est dès lors tombé dans l'arbitraire en s'abstenant de le faire.
Avant d'examiner le mérite de ces griefs, il sied de rappeler que, pour justifier le qualificatif d'arbitraire, la décision attaquée doit être manifestement insoutenable, en ce sens qu'elle contredit clairement la situation de fait, viole gravement une norme ou un principe de droit incontesté ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la justice (ATF 122 III 130 consid. 2a p. 131, 121 I 113 consid. 3a p. 114, 120 Ia 369 consid. 3a p. 373). Il ne suffit pas que ses motifs soient insoutenables; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 123 I 1 consid. 4a p. 5; 122 III 130 consid. 2a p. 131; 121 I 113 consid. 3a p. 114; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373; 119 Ia 433 consid. 4 p. 439 et les arrêts cités).
b) aa) Aux termes de l'art. 13 al. 2, 1ère phrase, CPC val. , il y a prorogation de for par acte concluant si le défendeur ne soulève pas le déclinatoire avant toute réponse au fond. En l'espèce, le recourant n'a ni répondu, ni versé d'avance, ni comparu devant le juge de commune. Il apparaît ainsi plus que douteux, au regard des exigences posées par la jurisprudence et la doctrine en la matière, que l'on puisse assimiler son attitude purement passive à un "acte concluant" au sens de la disposition citée. Cependant, pour les motifs indiqués ci-après, la décision attaquée ne viole pas pour autant les garanties constitutionnelles invoquées par le recourant.
En vertu de l'art. 6 al. 3 CPC val. , les prétentions personnelles relatives à un immeuble peuvent être invoquées au lieu de situation de l'immeuble. Cette disposition, à l'instar de l'art. 16 ch. 2 aCPC val. (cf. RVJ 1977 p. 8 ss) et de l'art. 19 al. 1 let. c de la loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors en matière civile (pas encore en vigueur; LFors, RO 2000 II 2080 ss), vise aussi les prétentions issues d'un contrat d'entreprise concernant des travaux réalisés dans un bâtiment (cf. , mutatis mutandis, Ducrot, op.
cit. , p. 84). Dans le cas particulier, elle fondait directement la compétence du juge de la commune de Fully, dès lors que les travaux formant l'objet du contrat d'entreprise en cause avaient été exécutés dans une villa sise sur le territoire de cette commune. Il est vrai qu'il ne s'agit pas là d'un for impératif. Aussi les parties auraient-elles pu y déroger.
Encore eût-il fallu qu'elles le fassent avec un tant soit peu de clarté (cf. ATF 118 Ia 294 consid. 2a à propos de la renonciation au juge du domicile). Or, cette condition n'est manifestement pas réalisée en l'occurrence. En effet, l'art. 10 du contrat d'entreprise invoqué par le recourant est tout sauf clair: d'une part, cette clause a trait au "for resp. siège du tribunal arbitral" et non au for du tribunal ordinaire; d'autre part, la mention manuscrite qu'elle comporte est illisible. Il suit de là que le juge de district n'a pas violé l'art. 9 Cst. en entérinant la décision du juge de la commune de Fully, qui s'était déclaré à juste titre compétent pour statuer sur la demande que lui avait adressée l'intimé. Le résultat auquel il a abouti, sinon les motifs qui l'y ont conduit, est exempt d'arbitraire.
bb) Le recourant invoque également une violation de l'art. 30 al. 2 Cst. Selon cette disposition, la personne qui fait l'objet d'une action civile a droit à ce que sa cause soit portée devant le tribunal de son domicile. La loi peut prévoir un autre for.
L'art. 30 al. 2 Cst. , entré en vigueur le 1er janvier 2000, se distingue de l'art. 59 aCst. par le fait, notamment, que, contrairement à ce dernier, il ne remplit pas seulement une fonction intercantonale ou internationale, mais crée un authentique for (direct) au domicile ou au siège de la partie défenderesse (Message du Conseil fédéral du 18 novembre 1998 concernant la loi fédérale sur les fors en matière civile, in FF 1999 III 2591 ss, 2594 n. 121 et 2598 n. 152). En d'autres termes, sous l'empire de l'art. 59 aCst. , le défendeur pouvait exiger, à certaines conditions (réclamation personnelle, solvabilité), d'être recherché devant un tribunal du canton de son domicile, mais il ne pouvait pas prétendre à ce qu'un jugement fût rendu à son domicile ou à son siège, alors qu'il le peut désormais.
Il a toutefois échappé au recourant que l'art. 30 al. 2 Cst. n'est pas applicable en l'espèce pour un motif tiré du droit transitoire. En effet, dans le cas particulier, la litispendance a été créée au plus tard en décembre 1999 - soit avant l'entrée en vigueur de la nouvelle norme constitutionnelle - par le dépôt du mémoire prévu à l'art. 283 CPC val. (art. 73 al. 3 CPC val. ; cf. Ducrot, op. cit. , p. 216).
Or, en vertu du principe dit de la perpetuatio fori, une action déjà pendante ne peut être rejetée si la compétence à raison du lieu résulte de l'ancien droit (cf. Message précité, p. 2637, n. 29; art. 38 LFors). En l'occurrence, au moment où il a introduit son action en paiement, l'intimé pouvait le faire valablement au lieu de situation de l'immeuble, comme on l'a indiqué plus haut. Par conséquent, le recourant ne saurait lui opposer l'art. 30 al. 2 Cst. , à supposer que cette disposition ait rendu sans objet l'art. 6 al. 3 CPC val. même en matière intracantonale.
Au demeurant, il est douteux que cette dernière hypothèse corresponde à la réalité. L'art. 30 al. 2, in fine, Cst. réserve la faculté de prévoir un autre for dans une loi.
Dans son message du 29 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, le Conseil fédéral notait à ce propos qu'il faut entendre par loi "une loi de la Confédération ou des cantons" (FF 1997 I 1 ss, 186). Ainsi, nonobstant l'art. 30 al. 2 Cst. , les règles de for du droit cantonal, tel l'art. 6 al. 3 CPC val. , demeurent applicables pour les litiges intracantonaux relevant du droit civil fédéral jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi sur les fors, qui règle exhaustivement la compétence ratione loci pour ce type de litiges (cf. Leuch/Marbach/Kellerhals/Sterchi, Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, 5e éd., n. 3a ad art. 20 CPC bern. et n. 2b ad art. 34 CPC bern.).
Quel que soit l'angle sous lequel on considère la situation, il n'y a, dès lors, pas eu violation de l'art. 30 al. 2 Cst. par le juge de commune ni, subséquemment, par le juge de district.
c) Le reproche fait au juge de district d'avoir violé l'art. 135 CPC val. en ne sanctionnant pas le comportement du juge de commune, qui aurait omis d'examiner d'office sa compétence à raison du lieu, est sans objet du moment que le premier magistrat a admis à bon droit sa compétence ratione loci, fût-ce implicitement.
5.- Le présent recours ne peut dès lors qu'être rejeté.
En application de l'art. 156 al. 1 OJ, son auteur devra payer l'émolument judiciaire. En revanche, il ne sera pas tenu d'indemniser l'intimé, puisque celui-ci n'a pas été invité à déposer une réponse.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral ,
vu l'art. 36a OJ:
1. Rejette le recours;
2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la charge du recourant;
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et au Juge des districts de Martigny et St-Maurice.
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Lausanne, le 26 septembre 2000 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,