BGer 4P.52/2000
 
BGer 4P.52/2000 vom 29.06.2000
[AZA 3]
4P.52/2000
Ie COUR CIVILE
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29 juin 2000
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
Marylène Tintori, à Villars-Ste-Croix, représentée par Me Antonella Cereghetti Zwahlen, avocate à Lausanne,
contre
l'arrêt rendu le 6 octobre 1999 par la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois dans la cause qui oppose la recourante à la Banque Migros S.A., succursale de Lausanne, à Lausanne, et Mileda, Gesellschaft für Leasing und Privatdarlehen AG, à Bâle, toutes deux représentées par Me Benjamin Humm, avocat à Lausanne;
(art. 4 aCst. ; application arbitraire du droit fédéral; droit d'être entendu; protection de la bonne foi)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- a) Le 8 janvier 1990, Marc-Henri Kocher a requis et obtenu de la Banque Migros S.A., succursale de Lausanne, un crédit d'un montant de 25 000 fr. accordé au taux d'intérêt de 11,25 % l'an, remboursable en 48 mensualités de 640 fr. chacune, la première fois le 1er février 1990. En signant le contrat de prêt, l'emprunteur se déclarait en parfaite santé et confirmait disposer de sa capacité totale de travail; il certifiait également avoir reçu un double du contrat accompagné d'un règlement "Crédit privé" et approuver l'ensemble des points de ce règlement.
Il résulte de l'art. 11 dudit règlement que la Banque Migros S.A. traite et gère ses crédits privés en collaboration avec une société affiliée, Mileda, Gesellschaft für Leasing und Privatdarlehen AG (ci-après: Mileda), dont le siège est à Bâle. L'art. 6 du même règlement a la teneur suivante:
"La BANQUE accorde à l'emprunteur la couverture suivante:
a) Couverture pour solde de dette
- en cas de décès de l'emprunteur, lui-même, respective- ment ses héritiers, seront libérés du solde de la
dette.
- en cas d'incapacité de travail totale, suite à une
maladie ou à un accident, la BANQUE libère l'emprun- teur, après un délai d'attente de 30 jours, du paie- ment de la mensualité à concurrence d'un trentième
du montant dû par jour supplémentaire d'incapacité de
travail. Le délai d'attente sera calculé depuis le début
de l'entière incapacité de travail constatée par un mé- decin.
- aucune mensualité déjà versée ne sera remboursée.
... ...
e) Perte de la couverture
Le droit à la libération pour solde de dette ou de men- sualité devient caduc lorsque l'emprunteur
- ne fait parvenir à la BANQUE aucune communication au
plus tard 10 jours après le délai d'attente
- est en retard d'une échéance
- se trouvait, lors du décès ou au début de l'incapacité
de travail, depuis plus de deux mois et sans inter- ruption à l'étranger
- à (sic) lui-même provoqué l'accident, la maladie ou le
décès, ou lorsque ces faits sont en relation avec un
délit ou un crime commis par l'emprunteur, ou lorsqu'ils
sont à imputer à une manie ou à l'ivresse".
L'établissement bancaire précité a fait éditer une brochure publicitaire concernant les crédits privés; sous l'intitulé "protection en cas de difficultés", il y est notamment précisé que "lors d'événements imprévisibles (accident, maladie, infirmité) la BANQUE MIGROS assure les mensualités et vous libère même du solde en cas de décès".
b) Marc-Henri Kocher a appris en mars 1991 qu'il était séropositif dans le diagnostic du sida. Dans le courant de l'année 1992, il a souffert des premiers signes de la maladie.
Victime d'un accident le 21 septembre 1992, il est tombé gravement malade en novembre 1992 en raison d'une blessure à la jambe provoquée par l'accident. Dès le 23 novembre 1992, Marc-Henri Kocher a été totalement incapable de travailler pour une durée indéterminée, comme l'a attesté un praticien dans un certificat du 24 novembre 1992.
Jusqu'en octobre 1992, Marc-Henri Kocher a payé ponctuellement les mensualités du prêt qu'il avait contracté.
Par la suite, ses versements sont devenus irréguliers et il a dû avoir recours à sa mère, Marylène Tintori, pour honorer ses dettes. Le développement de la maladie l'a progressivement empêché de s'occuper de ses affaires. A partir du mois de juin 1993 en tout cas, il a perdu toute autonomie, dépendant alors de l'assistance que lui apportait sa mère.
c) En juillet 1993, Marylène Tintori, qui avait téléphoné à la Banque Migros S.A. après avoir pris connaissance d'un rappel portant sur une somme de 513 fr.20, se vit inviter par celle-ci à régler les mensualités en retard, par 513 fr.20 et 640 fr., pour que son fils puisse être libéré, à bien plaire, du solde des mensualités depuis le mois d'août 1993. Marylène Tintori s'est exécutée le 27 juillet 1993.
C'est à l'occasion de l'appel téléphonique de Marylène Tintori que la Banque Migros S.A. et Mileda ont appris que Marc-Henri Kocher était malade. Le 27 juillet 1993, Mileda a adressé à ce dernier un formulaire intitulé "rapport médical" destiné à être rempli par son médecin traitant. Le 2 août 1993, le Dr Tauxe a ainsi envoyé à Mileda un certificat médical faisant état d'une incapacité de travail de 100 % dès le 23 novembre 1992.
Par lettre du 6 août 1993, Mileda a informé Marc-Henri Kocher qu'il était libéré de ses obligations relatives au prêt en cause. Cela signifiait que la Banque Migros S.A.
et Mileda renonçaient à réclamer le remboursement d'un montant d'environ 4000 fr.
d) Marc-Henri Kocher est décédé du sida le 25 octobre 1993; sa mère est son unique héritière.
En novembre 1993, Marylène Tintori a lu les articles du règlement des crédits privés de la Banque Migros S.A.
Le 15 novembre 1993, elle a sollicité de Mileda la rétrocession d'une partie des mensualités prétendument payées par erreur. Mileda lui a répondu, le 23 novembre 1993, que les conditions posées par le règlement susrappelé pour la libération du paiement des mensualités n'avaient pas été remplies puisque le délai pour annoncer l'incapacité de travail totale était échu le 3 janvier 1993, que la libération accordée l'avait été à bien plaire au vu de la gravité de la maladie dont souffrait Marc-Henri Kocher et que l'art. 6 let. a du règlement ne permettait pas le remboursement des mensualités déjà versées. Il s'en est suivi un nouvel échange de correspondances, où chacune des parties est restée sur ses positions.
Marylène Tintori a fait notifier des poursuites à Mileda les 30 septembre 1994, 29 septembre 1995 et 27 septembre 1996, qui ont été frappées d'opposition totale. Le 29 avril 1997, elle a ouvert action en reconnaissance de dette contre la Banque Migros S.A. et Mileda devant le Tribunal civil du district de Lausanne et a conclu au paiement de 6849 fr.50 plus intérêts à 5% l'an dès le 10 décembre 1992 sur 1920 fr., dès le 6 mai 1993 (échéance moyenne) sur 2560 fr., dès le 27 juillet 1993 sur 513 fr.20 et dès le dépôt de la demande sur 1856 fr.30.
Les défenderesses se sont opposées à la demande.
Par jugement du 23 septembre 1998, le Tribunal de district a rejeté les conclusions de la demande et admis les conclusions libératoires des défenderesses. Retenant que Marc-Henri Kocher et les défenderesses avaient passé un contrat de prêt de consommation au sens des art. 312 ss CO et non un contrat mixte comportant des éléments de contrat d'assurance, le Tribunal de district a considéré que l'emprunteur avait accepté le règlement des crédits privés de la Banque Migros S.A. dont les clauses n'étaient pas ambiguës ni étrangères à un contrat de prêt. Du moment que Marc-Henri Kocher n'avait pas annoncé sa maladie comme le prescrivait le règlement en cause, il n'était pas libéré du versement des mensualités, lesquelles n'avaient donc pas été perçues indûment par les défenderesses.
B.- Saisie d'un recours de la demanderesse, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, par arrêt du 6 octobre 1999, l'a rejeté et a confirmé le jugement entrepris.
En substance, les juges cantonaux ont admis que l'art. 6 du règlement des crédits privés de la banque défenderesse ne constitue qu'une clause additionnelle du contrat de prêt conclu le 8 janvier 1990 - sans lequel elle ne se conçoit pas -, qui est de surcroît inhérente au système de prêt pratiqué par les défenderesses. Cette clause n'a ainsi pas le caractère autonome requis pour entraîner l'application de la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (LCA; RS 221. 229.1). La cour cantonale a constaté en outre qu'il n'était pas prouvé qu'en novembre et décembre 1992, Marc-Henri Kocher ait été hors d'état de faire la communication prévue par le règlement, d'autant que, pendant cette période, il a poursuivi le paiement des mensualités. Les juges cantonaux ont encore estimé que l'art. 6 dudit règlement n'était pas de nature à provoquer une erreur, que la clause ne dérogeait pas au système légal des art. 312 ss CO régissant le prêt de consommation et qu'elle n'instaurait pas un régime portant atteinte à la position de l'emprunteur. Enfin, l'art. 6 du règlement en question ne présentait aucun caractère insolite, comme l'a retenu le Tribunal de district aux motifs duquel la Chambre des recours a renvoyé.
C.- Marylène Tintori forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Soutenant que l'arrêt cantonal est arbitraire (art. 9 Cst.), consacre un déni de justice (art. 29 al. 2 Cst.) et viole les règles de la bonne foi (art. 9 Cst.), la recourante conclut à son annulation, la cause étant renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
La requête d'effet suspensif présentée par Marylène Tintori a été rejetée sur la formule d'avance de frais du 13 mars 2000, établie par ordre du Président de la Ie Cour civile.
Les intimées concluent au rejet du recours, alors que l'autorité cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
Considérantendroit :
1.- a) Eu égard à la nature cassatoire du recours de droit public (ATF 125 II 86 consid. 5a; 124 I 231 consid. 1d; 123 I 87 consid. 5), le chef de conclusions tendant au renvoi de la cause est superfétatoire (ATF 112 Ia 353 consid. 3c/bb).
b) Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ).
L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final, n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal dans la mesure où la recourante invoque la violation directe d'un droit de rang constitutionnel et l'application arbitraire du droit fédéral dans une cause dont la valeur litigieuse est inférieure à 8000 fr. (art. 46 OJ), de sorte que la règle de la subsidiarité du recours de droit public est respectée (art. 84 al. 2, 86 al. 1 et 87 OJ).
La recourante est personnellement touchée par la décision attaquée, qui rejette ses conclusions en paiement, de sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été prise en violation de ses droits constitutionnels; en conséquence, elle a qualité pour recourir (art. 88 OJ).
c) En instance de recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs exposés de manière assez claire et détaillée pour qu'il puisse déterminer quel est le droit constitutionnel dont l'application est en jeu.
Le recourant ne saurait se contenter de soulever de vagues griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux. En partant de l'arrêt attaqué, la partie recourante doit indiquer quels sont les droits constitutionnels dont la violation est invoquée et, pour chacun d'eux, expliquer avec précision en quoi consiste la violation; ce n'est qu'à ces conditions qu'il est possible d'entrer en matière (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 492 consid. 1b et les références; cf. également ATF 110 Ia 1 consid. 2a).
2.- La recourante se prévaut de deux droits constitutionnels des citoyens (art. 9 et 29 al. 2 Cst.). Dans ce cadre, il faut contrôler si la cour cantonale, en rendant sa décision le 6 octobre 1999, a respecté les droits constitutionnels qui étaient alors en vigueur. C'est donc à tort que la recourante s'est référée aux dispositions de la nouvelle Constitution fédérale, qui n'est entrée en vigueur que le 1er janvier 2000. En effet, la cour cantonale n'avait pas à tenir compte de dispositions qui n'étaient pas encore en force, si bien que la recourante ne peut pas lui reprocher de les avoir violées.
Cette erreur reste cependant sans conséquence, puisque les griefs articulés sont suffisamment clairs pour que l'on puisse comprendre quels sont les droits constitutionnels qui auraient été prétendument transgressés.
3.- La recourante prétend essentiellement que la cour cantonale a appliqué arbitrairement des dispositions de droit fédéral.
Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 4 aCst. , ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129 consid. 5b; 124 I 247 consid. 5; 124 V 137 consid. 2b).
a) aa) La recourante allègue que la Chambre des recours a considéré arbitrairement que l'art. 6 let. e du règlement des crédits privés de la Banque Migros S.A. n'entrait pas dans le champ d'application de la LCA au motif qu'un des cinq critères caractéristiques de l'opération d'assurance tels qu'ils ont été définis par la jurisprudence et la doctrine ferait en l'occurrence défaut. A l'en croire, l'examen du rapport interne entre les prestations promises par les cocontractants pourrait conduire à soumettre le rapport de droit à cette loi fédérale, quand bien même le critère de l'autonomie de l'opération ne serait pas rempli. De toute manière, l'art. 6 du règlement en question serait rédigé comme un contrat d'assurance, dès l'instant où y seraient définis et le risque assuré, et la couverture, son étendue et sa durée, et la perte de ce droit. Les magistrats vaudois auraient d'ailleurs dû prendre en compte la publicité émise par la Banque Migros S.A., qui mettait l'accent sur la protection octroyée à l'emprunteur "en cas de difficultés". La solution retenue par la cour cantonale aurait pour résultat que plus l'emprunteur serait victime d'un accident ou d'une maladie grave, moins il serait à même de satisfaire aux exigences de l'art. 6 let. e pour être libéré du versement des primes; cette manière de voir serait clairement contraire à l'esprit de protection de la LCA, en particulier de son art. 45. La demanderesse prétend encore que refuser in casu l'application de la LCA contreviendrait à l'esprit du législateur, lequel a entendu protéger celui à qui est octroyé un petit crédit par l'adoption de la loi fédérale sur le crédit à la consommation (LCC; RS 221. 214.1).
bb) Ni la LCA, ni la loi fédérale du 23 juin 1978 sur la surveillance des institutions d'assurance privées (LSA; RS 961. 01) ne donnent une définition de l'assurance.
Pour déterminer les opérations soumises à la surveillance de la Confédération, la jurisprudence constante du Tribunal fédéral (cf. ATF 114 Ib 244 consid. 4a; 107 Ib 54 consid. 1b; 76 I 362 consid. 3; 58 I 256 consid. 2) a posé que les éléments essentiels de la notion d'assurance sont au nombre de cinq. Ce sont:
a) le risque, b) la prestation de l'assuré (prime tarifaire selon la LCA), c) la prestation de l'assureur, d) le caractère autonome de l'opération, e) la compensation des risques conformément aux données de la
statistique (exploitation selon un plan).
Ces caractéristiques que doit présenter un contrat d'assurance au sens où l'entend la LCA sont approuvées par la doctrine (Hans Roelli/Max Keller, Kommentar zum Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag, tome I, 2e. éd., 1968, p. 13 à 21; Willy Koenig, Der Versicherungsvertrag, Traité de droit privé suisse, VII/2, p. 491 et la note 5; Moritz Kuhn/Pascal Montavon, Droit des assurances privées, p. 91 et la note 2; Bernard Viret, Droit des assurances privées, 3e éd., p. 25; plus réservé sur le critère de la prestation de l'assuré, Alfred Maurer, Schweizerisches Privatversicherungsrecht, 3e éd., p. 94 et 185/186).
C'est donc sans le moindre arbitraire que les juges cantonaux se sont référés à ces critères.
cc) Il convient notamment de contrôler si le contrat de prêt signé le 8 janvier 1990 par Marc-Henri Kocher prévoyait que ce dernier versât une prestation pécuniaire en contrepartie de la prise en charge d'un risque par les intimées.
Le montant de la prime est déterminé lors de la conclusion du contrat d'assurance. La prime d'assurance constitue l'un des éléments essentiels d'un tel contrat (Roelli/Keller, op. cit. , p. 17; Viret, op. cit. , p. 112; Kuhn/Montavon, op. cit. , p. 118/119). Maurer (op. cit. , p. 185/186) envisage certes l'hypothèse où la prestation d'assurance est octroyée gratuitement ("geschenkte" Versicherungsverträge), mais il décrit des situations très particulières (jubilé d'une association, contrats d'assurance-accidents conclus par l'assureur avec des filiales d'un client), qui n'ont rien à voir avec la présente cause.
Il n'est pas nécessaire que figure dans le contrat le montant chiffré de la prime. Il suffit que la prime puisse être déterminée objectivement (renvoi à un tarif donné de l'assureur ou à une classe de risques, pourcentage du salaire de l'assuré, part de son chiffre d'affaires, etc.) (Roelli/Keller, op. cit. , p. 17 s. et la note 6; Kuhn/Montavon, op. cit. , p. 119).
En l'espèce, le contrat de prêt litigieux ne spécifie nullement que sur les 11,25 % d'intérêts dus sur le capital à rembourser aux défenderesses, l'emprunteur participe à raison d'un quelconque pourcentage au paiement de primes d'assurance décès et invalidité à la suite d'une maladie ou d'un accident. Le règlement des crédits privés de la Banque Migros S.A. est également muet sur ce point. En l'absence de toute référence à un tarif de primes, il n'est pas possible de déduire d'éléments objectifs la prestation de l'assuré.
Partant, un des éléments essentiels de la notion jurisprudentielle de l'assurance soumise à la LCA fait d'emblée défaut.
dd) Mais il y a plus. Comme l'a retenu sans arbitraire l'autorité cantonale, le rapport d'assurance convenu entre Marc-Henri Kocher et les intimées ne présente pas le caractère d'autonomie exigé par la jurisprudence fédérale.
Le contrat d'assurance fondé sur la LCA peut comprendre des clauses contractuelles relatives à d'autres rapports juridiques. L'autonomie est consacrée lorsque la prise en charge du risque par l'assureur est l'élément essentiel du contrat et ne constitue pas une des modalités ou une clause accessoire d'un contrat principal. C'est le rapport interne entre les diverses prestations promises qui permettra d'en juger (ATF 114 Ib 244 consid. 4c et les arrêts cités; cf.
not. Roelli/Keller, op. cit. , p. 20 s.; Kuhn/Montavon, op.
cit. , p. 124 à 126).
In casu, il n'était pas insoutenable d'admettre que, dans l'analyse globale de la convention passée le 8 janvier 1990, l'art. 6 du règlement des crédits privés devait être qualifié de clause additionnelle au contrat de prêt, ce qui exclut l'existence d'un contrat d'assurance au sens de la LCA. De fait, cette clause n'était même pas incorporée à ladite convention. Elle ne constituait qu'une des onze clauses du règlement en cause de la banque défenderesse, lequel était remis à l'emprunteur lors de la conclusion du prêt. Du reste, le développement de la concurrence entre établissements bancaires a eu pour résultat que de tels engagements du prêteur sont devenus usuels dans le domaine des petits crédits, comme la recourante l'admet elle-même dans son acte de recours (ch.
III let. c in fine). Autrement dit, la libération du paiement des primes en cas de décès ou d'invalidité de l'emprunteur n'a pas de caractère autonome.
Quant à la publicité de la Banque Migros S.A., elle est évidemment secondaire par rapport au texte du contrat signé, qui seul exprime les volontés déclarées des parties contractantes.
La recourante invoque en pure perte la LCC, dès lors que cette loi est entrée en vigueur le 1er avril 1994, soit plus de quatre ans après la conclusion du prêt.
Dans ces conditions, le grief d'application arbitraire de la LCA, et singulièrement de son art. 45, tombe à faux
b) aa) La recourante soutient que la cour cantonale n'a arbitrairement pas fait application de l'art. 8 LCD. A son sentiment, il est peu probable que, lors de la signature du prêt, l'emprunteur ait réalisé les restrictions imposées à son droit à la couverture pour solde de dette. Compte tenu en particulier de la publicité émise par la Banque Migros S.A., Marc-Henri Kocher pouvait partir de l'idée qu'il serait pleinement protégé en cas de maladie et d'accident, sans devoir respecter les conditions instaurées par l'art. 6 let. e du règlement des crédits privés.
bb) Aux termes de l'art. 8 LCD, agit de façon déloyale celui qui, notamment, utilise des conditions générales préalablement formulées, qui sont de nature à provoquer une erreur au détriment d'une partie contractante et qui (let. a) dérogent notablement au régime légal applicable directement ou par analogie, ou (let. b) prévoient une répartition des droits et des obligations s'écartant notablement de celle qui découle de la nature du contrat. Selon la jurisprudence, l'exigence de conditions générales qui soient de nature à provoquer une erreur vaut aussi bien dans l'hypothèse prévue à la lettre a que dans celle visée à la lettre b. L'art. 8 LCD n'est ainsi pas applicable lorsque la seule hypothèse de la lettre a ou de la lettre b est réalisée, à l'exclusion de la condition posée préalablement. L'aptitude à induire en erreur peut tenir à la formulation des conditions générales, à leur situation dans le texte ou à leur présentation graphique (ATF 117 II 332 consid. 5a; arrêt du 5 août 1997 dans la cause 4C.538/1996 consid. 2a, reproduit in: Pra 1998 9 53).
Examiné sous cet angle, il appert que l'art. 6 du règlement des crédits privés de la Banque Migros S.A. n'est pas rédigé de manière ambiguë. Il en ressort clairement que la couverture pour solde de dette de la let. a, accordée à l'emprunteur, après un délai d'attente de trente jours, en cas d'incapacité de travail totale due à une maladie ou à un accident, devient caduque lorsque ce dernier n'adresse aucune communication à la banque au plus tard 40 jours après le début de son entière incapacité de travail attestée par un médecin.
A la lecture de cette clause, il ne peut échapper à l'emprunteur que la libération du paiement des mensualités tombe s'il n'informe pas l'établissement bancaire de son état de santé dans le délai précité. Pour ce qui est de sa localisation, la clause n'est pas de nature à égarer l'emprunteur, du moment qu'elle est située au coeur même du règlement dans sa version française, dont elle représente du reste plus de la moitié du contenu. En ce qui concerne la typographie, la Banque Migros S.A. a mis en évidence, par l'utilisation de caractères gras, tant le titre de la let. a, qui donne le principe de la couverture, que celui de la let. e, qui en décrit les limites.
Il suit de là que la condition préalable posée par l'art. 8 LCD n'est pas réalisée dans le cas présent, si bien que l'art. 6 du règlement des crédits privés de la banque défenderesse ne saurait être assimilé à des conditions commerciales abusives au sens de cette disposition.
Comme les conditions d'application de l'art. 8 LCD ne sont pas remplies, il importe peu, au regard du droit de la concurrence, que Marc-Henri Kocher ait mal compris la clause, au demeurant claire, du règlement en question, dont il a déclaré approuver le contenu en signant le contrat de prêt.
A propos des méthodes de publicité utilisées par la Banque Migros S.A., la recourante n'a jamais prétendu qu'elles étaient déloyales (cf. art. 3 let. b et l LCD).
cc) Il est constaté en fait - et l'arbitraire n'a pas été démontré (art. 90 al. 1 let. b OJ) - que Marc-Henri Kocher était en état en novembre et décembre 1992 de renseigner sur sa santé, comme l'art. 6 let. e du règlement des crédits privés l'exigeait sans ambiguïté. Il n'a toutefois pas donné l'avis requis dans les 40 jours après qu'il a été totalement incapable de travailler. L'arrêt attaqué n'est donc nullement arbitraire dans son résultat lorsqu'il retient que l'intéressé n'a pas satisfait aux conditions de l'art. 6 de ce règlement.
Le moyen est privé de fondement.
4.- La recourante reproche aux juges cantonaux de n'avoir pas examiné la publicité distribuée par la Banque Migros S.A., ni le lien existant entre cette publicité et le contrat de prêt. Pour n'avoir pas indiqué les motifs en vertu desquels cet aspect de la question a été écarté, ces magistrats auraient violé l'obligation qui leur incombe de motiver leur décision.
a) La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu, découlant de l'art. 4 aCst. , le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 125 II 369 consid. 2c; 124 II 146 consid. 2a; 124 V 180 consid. 1a; 123 I 31 consid. 2c; 123 II 175 consid. 6c). Il suffit cependant que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 123 I 31 consid. 2c; 122 IV 8 consid. 2c). Il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, lui apparaissent pertinents (122 IV 8 consid. 2c; 121 I 54 consid. 2c et les arrêts cités).
En l'espèce, la Chambre des recours a considéré que l'art. 6 du règlement des crédits privés n'était qu'une clause additionnelle au contrat de prêt du 8 janvier 1990, dénuée de l'autonomie requise pour entraîner l'application de la LCA. En outre, elle a admis que cette clause n'était pas propre à induire en erreur l'emprunteur sur la couverture pour solde de dette ou de mensualités, et qu'elle n'avait aucun caractère insolite. Cette motivation, parfaitement intelligible et étayée par de nombreuses références jurisprudentielles et doctrinales, est évidemment suffisante pour comprendre les raisons pour lesquelles les conclusions de la demanderesse ont été rejetées. Et, comme le moyen fondé sur la publicité de la banque défenderesse n'était pas pertinent (cf. consid. 3 ci-dessus), la cour cantonale pouvait se dispenser de le réfuter formellement. Il n'y a ainsi pas eu de violation du droit de la recourante à recevoir une décision motivée.
5.- La recourante invoque enfin le principe de la bonne foi déduit de l'art. 4 aCst. que la cour cantonale aurait bafoué en affirmant que Marc-Henri Kocher avait oublié la clause dont il pouvait bénéficier.
Découlant directement de l'art. 4 aCst. et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'ilmet dans les assurances reçues des autorités (ATF 124 II 265 consid. 4a p. 269/270).
La protection de la bonne foi en droit des contrats est assurée par l'art. 2 CC. Aussi longtemps qu'il y va de la confiance fondée sur une relation contractuelle, il n'y a pas de place pour un recours direct à la protection conférée par l'art. 4 aCst. (ATF 122 I 328 consid. 7c).
Le moyen, si tant est qu'il soit suffisamment motivé (art. 90 al. 1 let. b OJ), est dénué de fondement.
6.- En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les frais et dépens doivent être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable;
2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la charge de la recourante;
3. Dit que la recourante versera aux intimées, créancières solidaires, une indemnité de 2000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.
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Lausanne, le 29 juin 2000ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,