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Original
 
[AZA 3]
1P.137/2000
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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9 juin 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Jacot-Guillarmod.
Greffier: M. Thélin.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
Alain F e l l e y , à Haute-Nendaz, représenté par Me Jörn-Albert Bostelmann, avocat à Sion,
contre
la décision prise le 2 février 2000 par le Président du Tribunal cantonal du canton du Valais dans la cause qui oppose le recourant au Juge d'instruction pénale du Valais central Jean-Luc Addor;
(récusation)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- En 1993, Alain Felley est devenu actionnaire et administrateur de la société anonyme Casino de Saxon SA, qui préparait l'ouverture d'un nouvel établissement de jeux.
D'entente avec les autres administrateurs, il s'est chargé de négocier avec Pierre-Olivier Haller une convention par laquelle celui-ci devait lui aussi acquérir une participation au capital et, par ailleurs, s'engager à mettre à disposition les machines à sous du casino, à ses frais et risques, moyennant une part des recettes. L'accord final, adopté par le conseil d'administration, porta sur un taux dégressif de 70 % au plus et de 30 % au moins. Dès ce marché conclu, Felley et Haller convinrent secrètement, en particulier à l'insu des autres actionnaires et administrateurs, de dominer la société au moyen des participations au capital qu'ils détenaient désormais, directement ou sous le nom d'un tiers, en tout supérieures à 50 %, et de se partager les revenus que Haller retirerait de la fourniture des machines à sous. Par la suite, leurs partenaires ignorèrent également que les machines à sous effectivement fournies par Haller ne lui appartenaient pas, et qu'elles étaient, au contraire, louées à une entreprise tierce percevant 25 % des recettes.
Casino de Saxon SA a convenu avec la commune de Saxon de créer une autre société anonyme, la Société d'exploitation du casino de Saxon, qui devrait mettre à profit les locaux entièrement équipés, mis à disposition par Casino de Saxon SA, contre versement de 70 % des recettes. La commune et divers organismes locaux de promotion touristique devenaient ensemble actionnaires majoritaires de cette société; Casino de Saxon SA détenait le solde des actions. Le casino a connu un succès inattendu dès son ouverture, en mai 1996, de sorte que Felley et Haller ont perçu des sommes importantes provenant de la recette des machines à sous.
B.- Le 29 octobre 1996, en rapport avec une demande d'entraide judiciaire pénale des autorités autrichiennes concernant le fournisseur de ces appareils, le Juge d'instruction pénale du Valais central Jean-Luc Addor a décidé d'ouvrir d'office une enquête pour blanchissage d'argent (art. 305bis CP). Plusieurs dirigeants et collaborateurs du casino furent interrogés dans ce cadre. Haller, entendu en qualité de témoin le 10 mars 1998, a fait état de la location des machines à sous et du partage de son gain, après paiement du loyer, avec Felley. Interrogé à nouveau le 16 juin suivant, par la police puis par le Juge d'instruction, Haller fut alors inculpé d'escroquerie, de gestion déloyale et de faux dans les titres, et placé en détention préventive. Le lendemain, Felley fut lui aussi interrogé, inculpé des mêmes infractions et arrêté. Tous deux furent libérés le 19 juin 1998; cette incarcération n'a fait l'objet d'aucun recours.
Les deux prévenus n'ont pas cessé de contester, sur le plan juridique, l'ensemble des infractions qui leur sont imputées.
Parmi d'autres actes d'enquête, afin d'élucider l'affectation des recettes des machines à sous, le Juge d'instruction a ordonné une expertise comptable portant sur la gestion de Casino de Saxon SA et de la Société d'exploitation.
Il a désigné un expert et a établi, à son intention, une liste de seize questions. Avec succès, les prévenus ont contesté ce questionnaire par la voie d'une plainte à la Chambre pénale du Tribunal cantonal. Cette autorité a constaté que seules deux des questions, concernant respectivement la comptabilisation des redevances relatives aux machines à sous et la légitimité des frais comptabilisés à la charge des sociétés, pouvaient valablement être soumises à l'expert. Les autres questions ont été annulées pour violation de l'art. 104 CPP val. relatif à la mission d'un expert judiciaire.
Selon la Chambre pénale, elles portaient sur des points de fait sans rapport avec les infractions en cause, ou sans rapport avec les connaissances spéciales d'un expert-comptable, ou déjà établis; certaines d'entre elles avaient pour objet des questions de droit dont la solution incombait exclusivement au juge, concernant l'appréciation du comportement des prévenus au regard du devoir de diligence des administrateurs d'une société anonyme. Une question - la treizième - a été considérée comme "difficile à comprendre". La Chambre pénale a statué par décision du 10 novembre 1998.
Dès juin 1998, dans le but de garantir les prétentions civiles des éventuels lésés, le Juge d'instruction avait ordonné le séquestre des comptes bancaires sur lesquels les prévenus recevaient leurs gains provenant du casino; le 2 juillet 1998, il en a informé les deux sociétés en les invitant à déclarer si elles entendaient se constituer parties civiles. Casino de Saxon SA a refusé; dans un premier temps, le conseil d'administration de la Société d'exploitation n'a pas pu prendre de décision faute de la majorité qualifiée requise par ses statuts. Par contre, la commune de Saxon a exprimé la volonté d'être partie civile. Par une requête du 27 janvier 1999, le conseil de Haller a contesté cette constitution de partie civile et a requis la levée du séquestre.
Le Juge d'instruction a admis la commune en qualité de partie civile et a refusé la libération des avoirs séquestrés. Haller a contesté cette décision par la voie d'une nouvelle plainte à la Chambre pénale du Tribunal cantonal. Celle-ci a jugé que la qualité de la commune avait été admise en violation du principe clair selon lequel un dommage seulement indirect, tel que le subit l'actionnaire de la société anonyme qui est, le cas échéant, directement lésée, ne suffit pas à conférer la qualité de partie civile. Par ailleurs, la Chambre pénale a constaté que les prévenus avaient entre-temps constitué des sûretés suffisant largement à réparer l'éventuel dommage, de sorte que le maintien du séquestre sur une somme supplémentaire de 700'000 fr., correspondant à l'avoir en compte, était injustifié. La plainte a ainsi été admise sur ces deux points, par une décision du 30 avril 1999.
Le 8 avril 1999, le Juge d'instruction a rendu une ordonnance d'inculpation sous la forme d'un exposé de dix-huit pages. Les prévenus disposaient d'un délai de trente jours pour requérir un éventuel complément d'instruction.
Tous deux ont là encore adressé une plainte à la Chambre pénale, pour faire valoir que cet acte ne les informait pas avec la précision voulue des charges retenues contre eux. La juridiction saisie a considéré qu'une ordonnance d'inculpation était une étape importante pour la préparation de l'acte d'accusation à établir après la clôture de l'instruction; certes sans être soumise aux exigences applicables à cet acte, l'ordonnance d'inculpation devait néanmoins "impérativement s'en tenir aux faits nécessaires, énoncés sans équivoque, avec une accusation qui en découle clairement". La Chambre pénale a constaté que l'ordonnance litigieuse renvoyait à des actes qui n'étaient pas rédigés en vue d'une accusation précise et renvoyaient eux-mêmes à de très nombreuses pièces; qu'elle renvoyait notamment au questionnaire d'expertise que la Chambre pénale avait pourtant déjà invalidé; qu'elle exposait beaucoup plus de faits que nécessaire, sans relier ces faits à des infractions déterminées, et que, enfin, elle n'indiquait pas toujours clairement ce qui était reproché à quel prévenu. La Chambre pénale a retenu que le principe de l'accusation était violé de façon manifeste, en tant que l'ordonnance d'inculpation ne délimitait pas l'objet de l'instruction et ne permettait pas aux prévenus de comprendre ce qui leur était effectivement et personnellement reproché; elle a entièrement annulé cet acte.
Par ailleurs, elle a déclaré irrecevables des conclusions de Felley tendant à la récusation du Juge d'instruction Addor, au motif qu'une telle requête devait être adressée au Président du Tribunal cantonal. Ce prononcé de la Chambre pénale est intervenu le 16 novembre 1999.
C.- Felley a introduit une demande de récusation le 3 décembre 1999. Il soutenait que le Juge Addor entretenait des rapports d'animosité avec lui depuis l'époque de leurs études à l'Université de Lausanne. Il alléguait un manque d'objectivité et d'impartialité ressortant de l'ensemble des actes de la procédure: l'enquête avait été conduite exclusivement à charge et le Juge avait, oralement, multiplié les appréciations partiales au détriment des prévenus; leur arrestation pendant quelques jours, en juin 1998, était une mesure vexatoire et inutile; le Juge avait menacé un témoin, l'actionnaire de Casino de Saxon SA, Henri-Albert Jacques, de l'inculper pour complicité s'il ne se constituait pas partie civile; les questions adressées à l'expert-comptable et l'ordonnance d'inculpation contenaient de nombreux jugements de valeur défavorables et sans fondement, portant parfois, de plus, sur des faits dépourvus de pertinence; le Juge avait également exercé des pressions d'ordre financier en maintenant à tort le séquestre d'un compte bancaire. Ce magistrat avait encore, à la suite de l'annulation de l'ordonnance d'inculpation, fait des déclarations à la presse qui dénotaient sa partialité. Par ailleurs, Haller a lui aussi présenté une demande de récusation.
Statuant le 2 février 2000, le Président du Tribunal cantonal a rejeté ces demandes. Il a considéré que certains des griefs soulevés auraient pu faire l'objet de plaintes à la Chambre pénale et que d'autres ne se rapportaient qu'à une contestation de la culpabilité des prévenus, sans mettre réellement en cause l'impartialité du Juge. Les erreurs effectivement commises avaient été réparées par les décisions de la Chambre pénale et, de toute manière, ces erreurs ne dénotaient pas un manque d'impartialité. Le Juge d'instruction n'avait pas non plus violé son devoir de réserve envers la presse.
D.- Agissant par la voie du recours de droit public, Felley requiert le Tribunal fédéral d'annuler la décision du 2 février 2000. Il invoque l'art. 9 Cst. qui garantit à toute personne le droit d'être traitée par les organes de l'Etat sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi.
Il reprend, pour l'essentiel, les moyens déjà développés en instance cantonale.
Invités à répondre, le Président du Tribunal cantonal et le Juge d'instruction Addor ont renoncé à déposer des observations.
Considérant en droit :
1.- a) La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la protection conférée par les art. 30 al. 1 Cst. ou 58 aCst. , permet au plaideur de s'opposer à une application arbitraire des règles cantonales sur l'organisation et la composition des tribunaux, qui comprennent les prescriptions relatives à la récusation des juges. Elle permet aussi, indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité; elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 116 Ia 135 consid. 2; voir aussi ATF 125 I 119 consid. 3a p. 122, 124 I 255 consid. 4a p. 261, 120 Ia 184 consid. 2b).
Les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. ne s'appliquent pas à la récusation d'un juge d'instruction ou d'un représentant du ministère public, car ces magistrats, pour l'essentiel confinés à des tâches d'instruction ou à un rôle d'accusateur public, n'exercent pas de fonction de juge au sens étroit (ATF 124 I 76, 119 Ia 13 consid. 3a p. 16, 118 Ia 95 consid. 3b p. 98). L'art. 29 al. 1 Cst. assure toutefois, en dehors du champ d'application des règles précitées, une garantie de même portée (jurisprudence relative à l'art. 4 aCst. : ATF 125 I 119 consid. 3b p. 123 et les arrêts cités), à ceci près que cette disposition, à la différence desdites règles, n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme maxime d'organisation des autorités auxquelles elle s'applique (ibidem, consid. 3f p. 124).
b) Selon la jurisprudence, le droit à un juge impartial n'est pas violé lorsqu'un recours est admis et que la cause est renvoyée au juge qui a pris la décision invalide; d'ordinaire, on peut attendre de ce juge qu'il continue de traiter l'affaire de manière impartiale et objective, en se conformant aux motifs de l'arrêt rendu sur recours, et il n'est pas suspect de prévention du seul fait qu'il a erré dans l'application du droit (ATF 113 Ia 407 consid. 2 b p. 410; voir aussi ATF 117 Ia 157 consid. 2b in fine p. 162, 114 Ia 50 consid. 3d p. 58). Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constituant des violations graves de ses devoirs, peuvent justifier le soupçon de parti pris. La fonction judiciaire oblige le magistrat à se déterminer sur des éléments souvent contestés et délicats; c'est pourquoi, même si elles se révèlent viciées, des mesures inhérentes à l'exercice normal de sa charge ne permettent pas d'exiger sa récusation (ATF 116 Ia 135 consid. 3a p. 138; voir aussi ATF 125 I 119 consid. 3e p. 124).
2.- On constate qu'en moins de deux ans d'enquête, dès le moment où les recherches ont été dirigées sur les affaires menées par le recourant et son coïnculpé Haller, la Chambre pénale a dû par trois fois invalider des actes du Juge d'instruction. Cette succession d'erreurs aussi rapprochées apparaît d'emblée insolite, compte tenu du fait que les faits de la cause les plus importants - soit la convention secrète des deux prévenus et le mode de location des machines à sous - ont été connus dès juin 1998 et que la suite des recherches n'a comporté aucune opération particulièrement difficile.
On ne se trouve aucunement en présence de faits très complexes et concernant de nombreux prévenus, contexte qui serait propre à excuser, dans une certaine mesure, des décisions erronées d'un magistrat instructeur.
Plusieurs des erreurs survenues ont porté sur des étapes essentielles de la procédure. L'élaboration du questionnaire destiné à l'expert judiciaire et l'ordonnance d'inculpation étaient des actes importants du Juge d'instruction, tant par leur nature intrinsèque que par leur incidence sur la suite du procès pénal et, en particulier, sur l'exercice des droits de la défense. Or, ils se sont révélés entièrement ou presque entièrement viciés: sur seize questions à l'expert, deux seulement ont été maintenues; l'ordonnance d'inculpation a été complètement annulée.
La préparation d'un questionnaire pléthorique, à l'intention de l'expert, avait pour effet immédiat d'exagérer l'importance de l'affaire pénale et de compliquer la tâche des défenseurs. De plus, ce procédé était aussi de nature à aggraver la position des prévenus dans la mesure où, par des questions étrangères à son propre domaine de compétence, l'expert pouvait être indûment amené à multiplier les prises de positions défavorables aux personnes poursuivies. Les questions de droit portant sur le respect du devoir de diligence des administrateurs étaient, de ce point de vue, particulièrement inadéquates, d'autant plus que deux d'entre elles - la deuxième et la treizième - étaient elles-mêmes conçues de façon obscure et prolixe.
A elle seule, bien que gravement inappropriée, cette manière de préparer la mission de l'expert ne suffirait pas à justifier objectivement le soupçon d'une instruction partiale.
Le juge a toutefois usé de la même approche au stade de l'ordonnance d'inculpation, pour aboutir derechef à un texte pléthorique et imprécis, et, de ce fait, selon la décision de la Chambre pénale, contraire aux droits de la défense. Le préambule de l'ordonnance contient même une référence au questionnaire précité, référence dont on ne comprend d'ailleurs pas l'utilité. Or, après l'invalidation de cet acte-ci, on pouvait attendre du juge qu'il adapte sa méthode et énonce ses thèses de façon plus circonspecte.
L'hypothèse d'erreurs graves et répétées, propres à justifier le doute sur l'impartialité d'un magistrat, est ainsi réalisée. L'équivoque est renforcée par le fait que d'autres erreurs encore ont été commises, toujours au détriment des prévenus, consistant dans l'admission de la commune de Saxon en qualité de partie civile et dans le refus de lever le séquestre pénal. Par ailleurs, le Juge d'instruction a parfois usé de tournures ironiques ou polémiques dans les actes de l'enquête; dans le contexte particulier d'une procédure entachée de plusieurs irrégularités, cette attitude corrobore également l'impression d'un manque d'objectivité du magistrat. En raison de ces circonstances déjà, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la véracité ni la portée des autres faits invoqués par le recourant, le rejet de la demande de récusation présentée par Felley se révèle contraire à l'art. 29 al. 1 Cst. ; le recours de droit public doit donc être admis pour violation de cette disposition.
3.- Le recourant qui obtient gain de cause a droit à des dépens, à la charge du canton du Valais.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Admet le recours et annule la décision attaquée.
2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3. Dit que le canton du Valais versera au recourant une indemnité de 1500 fr. à titre de dépens.
4. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant, au Juge d'instruction pénale Jean-Luc Addor, au Ministère public et au Président du Tribunal cantonal du canton du Valais.
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Lausanne, le 9 juin 2000THE/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,