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Original
 
[AZA 0]
6S.163/2000/ROD
COUR DE CASSATION PENALE
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10 mai 2000
Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président
du Tribunal fédéral, M. Wiprächtiger et M. Kolly, Juges.
Greffier: M. Denys.
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Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par
A.________, représenté par Me Alain Schweingruber, avocat à Delémont,
contre
l'arrêt rendu le 7 janvier 2000 par la Cour criminelle du Tribunal cantonal jurassien dans la cause qui oppose le recourant au Procureur général du canton du J u r a;
(obtention frauduleuse d'une constatation fausse)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Par arrêt du 7 janvier 2000, la Cour criminelle du Tribunal cantonal jurassien a reconnu A.________, né en 1944, coupable d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse, commise à Delémont le 30 mars 1992 en compagnie de son épouse, pour avoir fait établir l'acte de vente de leur maison familiale en fixant le prix à 580'000 francs au lieu de 640'000 francs, obtenant ainsi un dessous de table de 60'000 francs. Elle l'a condamné à un mois d'emprisonnement avec sursis durant deux ans. Elle l'a en outre acquitté de divers chefs d'accusation et, pour ce motif, lui a alloué une indemnité réduite de 5'000 francs pour tort moral et de 3'000 francs pour frais de défense.
B.- A.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de la décision attaquée et sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire.
Considérant en droit :
1.- Le pourvoi ne peut être formé que pour violation du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF).
La Cour de cassation n'est pas liée par les motifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Les conclusions devant être interprétées à la lumière de leur motivation (ATF 124 IV 53 consid. 1 p. 55; 123 IV 125 consid. 1 p. 127), le recourant a circonscrit les points litigieux.
L'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en nullité (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités). Sous réserve de la rectification d'une inadvertance manifeste, la Cour de cassation est liée par les constatations de fait de l'autorité cantonale (art. 277bis al. 1 PPF). Le recourant ne peut pas présenter de griefs contre des constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF). Dans la mesure où il présenterait un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, il ne serait pas possible d'en tenir compte. Autrement dit, le raisonnement juridique doit être mené exclusivement sur la base de l'état de fait retenu par la cour cantonale (ATF 124 IV 92 consid. 1 p. 93, 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités).
2.- Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 253 CP. Il soutient que cette disposition ne s'applique pas en l'espèce, d'une part parce qu'il n'était pas propriétaire de l'immeuble vendu, partant n'était pas partie à l'acte de vente notarié et, d'autre part, parce que la personne ayant versé les 60'000 francs n'était pas l'acheteur B.________ mais un tiers, soit C.________, qui n'était pas non plus partie à cet acte.
Ce grief est infondé.
Aux termes de l'art. 253 al. 1 CP, se rend coupable d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse "celui qui, en induisant en erreur un fonctionnaire ou un officier public, l'aura amené à constater faussement dans un titre authentique un fait ayant une portée juridique, notamment à certifier faussement l'authenticité d'une signature ou l'exactitude d'une copie". Cela vaut notamment pour la constatation d'un prix de vente inexact dans un contrat de vente immobilière stipulé par un notaire (ATF 117 IV 181; 84 IV 163). Le texte légal n'exige pas que celui qui trompe le notaire soit partie à l'acte notarié; le titre obtenu frauduleusement au sens de l'art. 253 CP n'est au demeurant pas nécessairement un contrat avec deux parties ou un acte unilatéral fait au nom d'une personne; il peut notamment aussi consister en la certification de l'authenticité d'une signature ou de l'exactitude d'une copie. L'obtention frauduleuse d'une constatation fausse n'est pas un délit propre; l'infraction peut être commise par quinconque. Il importe donc peu que le recourant n'ait pas été propriétaire de l'immeuble vendu. Est seul déterminant le fait retenu par l'autorité cantonale selon lequel le recourant a indiqué faussement au notaire un prix inférieur de 60'000 francs à la réalité et a ainsi conduit le notaire à constater faussement le prix payé pour l'immeuble.
Selon les constatations cantonales, le prix de vente réel était de 640'000 francs. Les 60'000 francs en faisaient donc partie; qu'ils aient été versés par un tiers de sa poche est sans pertinence. Comme le recou-rant l'admet lui-même dans son pourvoi, l'acheteur B.________ n'avait pas l'intention de verser plus de 580'000 francs pour l'immeuble; C.________ a alors versé 60'000 francs supplémentaires pour rendre possible la transaction; celui-ci a donc bien versé une partie du prix de vente réel de 640'000 francs en lieu et place de l'acheteur.
3.- Le recourant estime que l'art. 253 CP, même si ses éléments constitutifs devaient être donnés, serait néanmoins inapplicable en l'espèce dès lors que le faux devait uniquement servir à éluder l'impôt. Il estime à tout le moins que la cause devrait être renvoyée à l'autorité cantonale en vertu de l'art. 277 PPF, l'état de fait étant incomplet sur ce point.
a) L'art. 277 PPF ne fonde pas un moyen de nullité autonome, mais s'applique uniquement lorsque le pourvoi est formé pour violation d'une règle relevant du droit pénal matériel (ATF 117 Ia 1 consid. 1b et les arrêts cités). C'est donc sous l'angle de la violation alléguée de l'art. 253 CP que le pourvoi doit être examiné et, dans ce contexte, il y aura lieu de déterminer si la Cour de cassation dispose des éléments nécessaires pour contrôler la manière dont l'autorité cantonale a appliqué le droit fédéral.
b) Dans un arrêt du 30 mars 1982, le Tribunal fédéral, modifiant sa jurisprudence, a considéré que celui qui, au moyen d'un faux dans les titres, veut éluder exclusivement les dispositions du droit fiscal et exclut dans son esprit tout emploi, bien qu'il soit objectivement possible, du faux ailleurs que dans le domaine fiscal, ne doit être jugé que sur la base du droit pénal fiscal. Ni la possibilité objective de l'usage à des fins non fiscales d'un faux créé à des fins fiscales, ni la conscience de l'auteur que le faux pourrait servir à d'autres buts qu'à des fins fiscales ne suffisent à justifier l'application de l'art. 251 CP; cette disposition n'entre en considération, indépendamment des dispositions de droit pénal fiscal, que si l'auteur a voulu aussi utiliser le faux à des fins autres que fiscales ou a du moins, dans le sens du dol éventuel, envisagé cette possibilité et accepté celle-ci pour le cas où elle se produirait (ATF 108 IV 27).
Dans un arrêt du 7 juin 1991, le Tribunal fédéral a admis que celui qui obtient frauduleusement une constatation fausse dans l'intention d'éluder des prescriptions fiscales cantonales doit en tout cas être puni en application de l'art. 253 CP lorsqu'il n'a pas exclu l'usage de la constatation fausse dans un domaine non fiscal. En revanche, le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si l'art. 253 CP était aussi applicable lorsqu'il n'était pas établi que l'auteur avait consenti à un usage autre que fiscal (ATF 117 IV 181).
Dans un autre arrêt du 7 juin 1991, le Tribunal fédéral s'est prononcé sur le concours entre, d'une part, l'art. 251 CP et l'art. 253 CP, et, d'autre part, l'art. 23 de l'arrêté fédéral du 21 mars 1973 sur l'acquisition d'immeubles par des personnes domiciliées à l'étranger (AFAIE, RO 1974 I 90) qui réprimait notamment le fait d'obtenir une autorisation par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, donc en trompant le fonctionnaire chargé de délivrer les autorisations d'acquérir des immeubles. Il a retenu que tant l'art. 251 CP que l'art. 253 CP ne s'appliquaient pas concurremment à l'art. 23 AFAIE lorsque les manoeuvres de l'auteur avaient pour seul but d'échapper au régime de l'autorisation et qu'il n'avait pas voulu ni même pris en compte la lésion d'un autre intérêt juridiquement protégé.
En résumé, le Tribunal fédéral a considéré que la procédure prévue par l'AFAIE était de type administratif, ce qui permettait un raisonnement par analogie avec l'art. 15 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif (DPA, RS 313. 0) qui traite indistinctement le faux dans les titres et l'obtention frauduleuse d'une constatation fausse; il a en outre relevé qu'il ne pouvait pas avoir échappé au législateur que l'infraction tendant à l'éluder le régime de l'autorisation conduit, dans nombre de cas, à tromper le notaire établissant l'acte de vente authentique et le conservateur du registre foncier amené à procéder à une inscription pas conforme à la vérité (ATF 117 IV 332).
Dans un arrêt du 12 février 1996, le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence relative au concours entre l'art. 251 CP et le droit pénal fiscal: Celui qui, au moyen d'un faux dans les titres, veut éluder exclusivement les dispositions de droit fiscal et exclut dans son esprit tout emploi - bien qu'il soit objectivement possible - du faux ailleurs que dans le domaine des impôts, ne doit être jugé que sur la base du droit pénal fiscal; s'il peut en revanche être établi que l'auteur a créé un titre faux ou en a usé non seulement à des fins fiscales, mais également dans un autre but ou tout au moins qu'il a consenti à ce résultat pour le cas où il se produirait, le concours entre l'infraction fiscale et le faux dans les titres du droit commun doit être retenu; dans ce cas en effet, les conditions objectives et subjectives des deux infractions sont réunies; l'auteur d'un titre, dont il apparaît clairement qu'il peut être utilisé à des fins non fiscales et qui le remet à un tiers, consent à tout le moins à ce résultat pour le cas où il se produirait. Dans le cas d'espèce, le faux en question était le bilan commercial d'une société anonyme. Le Tribunal fédéral a constaté que le bilan avait pour fonction non seulement de renseigner le fisc mais aussi les tiers sur la situation financière de la société; il en a déduit que celui qui établit un bilan mensonger doit en principe savoir qu'il n'est pas exclusivement destiné au fisc et accepte donc l'éventualité d'une utilisation non fiscale du document (ATF 122 IV 25 consid. 3 p. 30 ss).
c) En l'espèce, l'autorité cantonale n'a rien constaté au sujet des motifs du recourant; elle n'a en particulier pas constaté s'il avait consenti à l'usage de l'acte de vente à des fins autres que fiscales.
Le contrat de vente immobilière doit être passé en la forme authentique (art. 216 CO); l'inscription au registre foncier est nécessaire pour l'acquisition de la propriété immobilière (art. 656 CC); l'inscription ne peut être faite que sur présentation de l'acte authentique (art. 965 CC). Lors d'une vente immobilière, même avec un "dessous de table", l'acte authentique sert donc en premier lieu à obtenir l'inscription du changement de propriétaire au registre foncier. C'est pour ce motif qu'il est établi, et non pour tromper le fisc.
L'acte authentique, indiquant le cas échéant un prix de vente inexact, est classé comme pièce justificative au registre foncier. Il peut y être consulté par chaque personne qui justifie de son intérêt (art. 948 et 970 CC). C'est par exemple le cas d'un acheteur ou créancier hypothécaire potentiel ou d'un locataire voulant contrôler si l'immeuble ne produit pas un rendement excessif par rapport au coût effectif.
L'acte authentique sert de base à la publication de l'acquisition de la propriété. Les cantons peuvent prévoir que cette publication inclut le prix de vente (art. 970a CC); le canton du Jura l'a fait (art. 104a al. 2 let. e LICC, RSJU 211. 1). Le but de la publication du prix de vente est la lutte contre la spéculation foncière (cf. ATF 118 II 66 consid. 4b p. 72 s.).
L'acte authentique sert aussi de base à la détermination des émoluments du registre foncier et des honoraires de l'officier public stipulateur. Un prix de vente inexact peut conduire à la perception d'émoluments et d'honoraires trop bas, car ceux-ci sont souvent fixés proportionnellement au montant du prix de vente. C'est notamment le cas dans le canton du Jura pour les émoluments des notaires (art. 9 du décret concernant les émoluments des notaires, RSJU 189. 61) et, jusqu'à un prix de vente de 800'000 francs, pour les émoluments du registre foncier (art. 5 du décret fixant les émoluments du registre foncier, RSJU 176. 331).
Il s'ensuit que, en vertu de la loi, l'acte authentique par lequel un immeuble est vendu est nécessairement remis au registre foncier; c'est le but pour lequel il est établi. En outre, l'acte sert à la publication de la vente et, en tout cas en vertu de la législation jurassienne, à la publication, dans un but d'intérêt public, du prix de vente; il sert aussi pour fixer des émoluments et honoraires, et non seulement à calculer des impôts de mutation ou sur le gain immobilier. Ces usages de l'acte de vente autres que fiscaux sont très largement connus sinon notoires, et ils ne peuvent en tout cas pas échapper à ceux qui participent à l'instrumentation de l'acte par l'officier public.
Un parallèle avec l'ATF 117 IV 332 précité relatif à l'art. 23 AFAIE ne peut pas être tiré. Cette disposition réprimait spécifiquement l'obtention frauduleuse d'une autorisation d'acquérir un immeuble; l'obtention d'une telle autorisation impliquait logiquement la stipulation ultérieure d'un acte de vente immobilière et son inscription au registre foncier. Le droit fiscal pénal par contre réprime d'une manière générale tout faux, obtention de faux et usage de faux dans le cadre de la procédure de taxation fiscale, aussi en dehors du contexte d'une vente immobilière; la commission d'une telle infraction fiscale n'implique donc pas nécessairement une inscription au registre foncier ou une publication. La conséquence en est que l'infraction fiscale n'englobe pas, contrairement à l'art. 23 AFAIE, l'usage du faux pour un transfert immobilier et les suites de celui-ci.
d) En définitive, celui qui amène un officier public à constater un prix de vente inexact dans un acte de vente immobilière ne peut ignorer que cet acte servira à d'autres fins que fiscales. Cette conclusion s'impose d'autant plus en l'espèce pour la personne du recourant que, selon les faits retenus dans l'arrêt attaqué, il était rompu aux affaires, ayant exploité durant dix-huit ans un commerce de bureautique et d'informatique et ayant été actif dans des opérations financières internationales.
C'est partant à bon droit que l'autorité cantonale a appliqué l'art. 253 CP. Le grief est infondé.
4.- Enfin, le recourant se plaint d'une violation des art. 6 par. 2 CEDH et 32 al. 1 Cst. (présomption d'innocence) ainsi que des art. 41 CO et 297 CPP/JU, pour le motif que l'indemnité de 5'000 francs qui lui a été allouée est insuffisante compte tenu du tort moral subi.
L'indemnité allouée est fondée non sur l'art. 41 CO, mais sur l'art. 297 CPP/JU qui prévoit l'allocation d'une indemnité au prévenu acquitté au titre d'indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la procédure.
Partant, la critique relative à la prétendue violation de l'art. 41 CO apparaît d'emblée infondée. Pour le surplus, les autres critiques se rapportent à l'application du droit conventionnel, constitutionnel et cantonal; elles sont irrecevables dans le cadre d'un pourvoi (cf. art. 269 PPF).
5.- Le recourant, qui a bénéficié de l'assistance judiciaire au plan cantonal, a suffisamment montré qu'il est dans le besoin. Pour partie, les griefs soulevés étaient d'emblée dépourvus de chances de succès (cf. supra, consid. 2 et 4); partant, il se justifie de refuser l'assistance judiciaire en ce qui les concerne et de percevoir un émolument judiciaire réduit (art. 278 al. 1 PPF). En revanche, le grief relatif au concours avec le droit pénal fiscal n'apparaissait pas d'emblée voué à l'échec (cf. supra, consid. 3); à son égard, il convient d'admettre l'assistance judiciaire et d'accorder une indemnité réduite au mandataire du recourant (art. 152 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral,
1. Rejette le pourvoi dans la mesure où il est recevable.
2. Admet partiellement la requête d'assistance judiciaire.
3. Met un émolument judiciaire réduit de 500 fr.
à la charge du recourant.
4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 1'000 fr. à Me Schweingruber, mandataire du recourant.
5. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant, au Procureur général du canton du Jura et à la Cour criminelle du Tribunal cantonal jurassien.
__________
Lausanne, le 10 mai 2000
Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,