BGer 1E.7/1999
 
BGer 1E.7/1999 vom 21.02.2000
[AZA 0]
1E.7/1999
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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21 février 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président, Aeschlimann, Féraud, Jacot-Guillarmod et Favre.
Greffier: M. Jomini.
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Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
P.________, représentée par Me Gérald Page, avocat à Genève,
contre
la décision prise le 29 avril 1999 par la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, dans la cause qui oppose la recourante à l'établissement Aéroport International de Genève, au Grand-Saconnex, représenté par Me Alain Veuillet, avocat à Genève;
(expropriation, droit de voisinage)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- P.________ est propriétaire de la parcelle n° 1390 du registre foncier sur le territoire de la commune de Genthod. Ce terrain de 12'632 m2 est actuellement classé en zone de développement 4B destinée à des activités sans nuisances; son affectation "originaire" est la zone de villas et une maison d'habitation y a été construite. La parcelle se trouve à environ 2 km de l'extrémité nord-est de la piste de l'Aéroport international de Genève, dans l'axe de celle-ci.
B.- Le 20 mai 1996, P.________ s'est adressée au Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie (actuellement: Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication - ci-après: le Département fédéral) pour demander que le droit d'expropriation soit octroyé à l'Etat de Genève, ou le cas échéant à l'établissement public Aéroport International de Genève, afin qu'une procédure soit ouverte devant la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement (ci-après: la Commission fédérale d'estimation) de telle sorte qu'il soit statué sur ses prétentions à une indemnité en raison des nuisances provoquées par l'exploitation de l'aéroport. Ces prétentions, annoncées sous réserve d'ampliation, s'élevaient alors à 1'044'641. 55 fr. (pour la dévaluation du terrain et de la maison d'habitation).
Le 11 juin 1996, le Département fédéral a conféré à l'Aéroport International de Genève le droit d'expropriation en relation avec les nuisances auxquelles l'immeuble précité est exposé; il a invité cet établissement public à faire ouvrir, par le Président de la Commission fédérale d'estimation, une procédure destinée à statuer sur les prétentions de P.________. Cette procédure a été ouverte le 8 juillet 1996.
L'instruction a été suspendue, avec l'accord des parties, jusqu'au mois d'avril 1997.
L'Aéroport International de Genève (l'expropriant en l'occurrence), qui s'est déterminé pour la première fois le 4 juin 1997 dans cette procédure, a invoqué la prescription des prétentions annoncées par P.________ et il a soutenu qu'elles seraient de toute manière infondées.
P.________ (l'expropriée) a pu se déterminer sur les écritures de l'Aéroport International de Genève. D'autres occasions de s'expliquer ont encore été données aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral de l'aviation civile. L'expropriée a conclu en définitive au paiement d'une indemnité de 1'793'469. 05 fr. avec intérêts au taux légal dès le 20 mai 1996, ainsi qu'à l'exécution par l'expropriant de toutes les mesures d'insonorisation nécessaires.
C.- Le 29 avril 1999, la Commission fédérale d'estimation a rendu une décision qu'elle a qualifiée de "jugement partiel sur la question de la prescription". Elle a déclaré prescrites les prétentions de P.________ à une indemnité pour expropriation formelle (ch. 1 du dispositif) et elle l'a déboutée, à ce propos, de toutes ses conclusions (ch. 2 du dispositif). Se référant essentiellement à un arrêt du Tribunal fédéral rendu le 23 septembre 1998 (dans la cause Etat de Genève c. hoirie de V.H. et Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, ATF 124 II 543), cette autorité a considéré que l'expropriée aurait dû agir devant le Département fédéral (ou une autre autorité) au plus tard le 2 septembre 1992, soit dans un délai de cinq ans dès le 2 septembre 1987. Ce prononcé met donc fin à la procédure devant la Commission fédérale d'estimation, celle-ci ayant au demeurant retenu qu'il n'aurait été ni nécessaire ni utile que l'Etat de Genève, propriétaire du terrain de l'aéroport, intervînt en qualité de partie (consid. X de la décision du 29 avril 1999).
Les frais de cette décision ont été répartis - partagés par moitié - entre l'expropriée et l'expropriant (ch. 3 du dispositif). La Commission fédérale d'estimation a en outre considéré que les dépens, auxquels tant l'expropriant que l'expropriée avaient droit, devaient être compensés (voir le consid. XI de la décision, en relation avec le ch. 4 du dispositif, qui rejette "toutes autres conclusions", donc la conclusion en dépens de l'expropriée).
D.- Agissant par la voie du recours de droit administratif, P.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 29 avril 1999, de prononcer que ses prétentions ne sont pas prescrites et de renvoyer l'affaire à la Commission fédérale d'estimation pour qu'elle statue sur leur bien-fondé. Elle critique la solution retenue par cette autorité quant au point de départ et à la durée du délai de prescription et elle invoque divers normes et principes du droit fédéral ou conventionnel (art. 5 de la loi fédérale sur l'expropriation [LEx; RS 711], art. 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales [CEDH; RS 0.101], principe de la bonne foi, interdiction de l'abus de droit). La Commission fédérale d'estimation l'ayant condamnée à payer une partie des frais de première instance et ayant prononcé la compensation des dépens, l'expropriée se plaint en outre à cet égard d'une violation des art. 114 et 115 LEx.
L'Aéroport International de Genève conclut au rejet du recours de droit administratif.
Invitée à se déterminer, la Commission fédérale d'estimation se réfère à sa décision.
Considérant en droit :
1.- Le recours de droit administratif est recevable contre une décision prise par une commission fédérale d'estimation (art. 77 al. 1 LEx, art. 115 al. 1 OJ). L'exproprié a qualité pour recourir (art. 78 al. 1 LEx). Les autres conditions de recevabilité étant remplies, il y a lieu d'entrer en matière.
2.- La recourante soutient, au sujet de ses prétentions à une indemnité d'expropriation formelle selon les critères développés par la jurisprudence sur la base de l'art. 5 LEx (cf. ATF 124 II 543 consid. 3a p. 548; 123 II 481 consid. 7 p. 490 ss, 560 consid. 3 p. 564 ss; 121 II 317 consid. 4d p. 328 et les arrêts cités), que le délai de prescription n'a pas commencé à courir avant le 12 juillet 1995, date à laquelle le Tribunal fédéral a rendu un arrêt de principe en cette matière (second arrêt Jeanneret, ATF 121 II 317). Avant cette date, on ne pouvait pas, selon elle, attendre des intéressés qu'ils sussent quelle voie de droit était ouverte. La recourante invoque également les incertitudes quant à l'estimation du niveau de bruit du trafic aérien et quant aux valeurs limites d'immission applicables dans le cas particulier.
L'argumentation de la recourante se rapporte au bruit provoqué par l'exploitation de l'aéroport. Il n'est pas fait mention, dans le recours, du survol de la parcelle par les avions suivant l'axe de la piste. Du reste, la décision attaquée, si elle mentionne cette circonstance particulière dans l'état de fait, n'en tire aucune conséquence juridique.
Dans le voisinage d'un aéroport national, le problème principal est en effet celui des immissions de bruit; la question de la prescription se pose d'abord dans ce contexte (cf. infra, consid. 3). Il se justifie néanmoins de se prononcer également, de façon distincte, sur le survol comme fondement éventuel d'une indemnité (même si cela n'a pas été directement invoqué par l'expropriée ni examiné par la Commission fédérale d'estimation - cf. ATF 122 II 349 consid. 4 p. 352) et d'étudier la question de la prescription de ce point de vue (cf. infra, consid. 4).
3.- La Commission fédérale d'estimation s'est bornée à considérer que les prétentions de la recourante étaient prescrites, sans se prononcer sur l'ensemble des conditions matérielles à remplir pour obtenir une indemnité d'expropriation à cause des immissions de bruit excessives; il convient de vérifier si, sur ce point décisif d'ordre formel, elle a violé le droit fédéral.
a) La question de la prescription a fait l'objet récemment d'un arrêt du Tribunal fédéral, dans lequel plusieurs questions de principe ont été résolues (arrêt du 23 septembre 1998, Etat de Genève c. hoirie de V.H., ATF 124 II 543). La décision attaquée s'y réfère expressément, de même que les écritures des parties.
Il ressort en substance de cet arrêt que les prétentions des propriétaires fonciers voisins de l'aéroport sont soumises à la prescription (ATF 124 II 543 consid. 4a p. 550), que la durée de ce délai est de cinq ans (ibid. ), qu'il court en principe dès que la condition de la spécialité est remplie - soit lorsque les immissions atteignent une intensité excédant la limite de ce qui est usuel et tolérable (ATF 124 II 543 consid. 5a in fine p. 552). Le délai de prescription est interrompu quand le propriétaire concerné s'adresse au titulaire du droit d'expropriation, ou à l'autorité compétente pour conférer un tel droit, afin de demander l'ouverture d'une procédure d'expropriation et d'annoncer le cas échéant ses prétentions (ATF 124 II 543 consid. 4b p. 551).
Dans un arrêt qu'il vient de rendre (arrêt du 24 décembre 1999, non publié, dans les causes 1E.6/1999 et 1E.9/1999), le Tribunal fédéral a considéré qu'il n'y avait aucun motif de réexaminer ces principes (consid. 3b de cet arrêt). Le présent recours de droit administratif contient la même argumentation et les mêmes conclusions qu'un des deux recours sur lesquels le Tribunal fédéral s'est prononcé le 24 décembre 1999 (cause 1E.9/1999, dame O. c. Aéroport International de Genève et Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement); la décision attaquée, dans cette affaire-là, avait du reste été rendue le même jour que celle faisant l'objet du présent recours et, dans les deux cas, la motivation retenue par la Commission fédérale d'estimation est analogue. Aussi peut-on, sur le point qui vient d'être évoqué ainsi que sur d'autres questions concernant la prescription (infra, consid. 3b et 5), renvoyer à cet arrêt du 24 décembre 1999, connu au demeurant des mandataires des deux parties.
b) Dans l'affaire précitée jugée le 24 décembre 1999, le Tribunal fédéral a renoncé à évaluer avec précision le niveau des immissions de bruit sur la parcelle des recourants - elle se trouvait à Vernier, au sud-ouest de la piste - et à déterminer à partir de quel niveau, à cet endroit-là, la condition de la spécialité devait être considérée comme remplie (c'est en principe le niveau des valeurs limites d'immission selon la législation fédérale sur l'environnement mais on ne peut pas en l'état se référer, pour les aéroports nationaux, à des valeurs fixées définitivement dans l'ordonnance sur la protection contre le bruit [OPB; RS 814. 41]). Le Tribunal fédéral a alors retenu que la parcelle concernée se trouvait dans une situation comparable à celle d'autres terrains, voisins ou relativement proches; les constatations faites, à l'occasion de jugements précédents, au sujet du niveau des immissions de bruit sur ces terrains pouvaient ainsi être reprises (cf. arrêt précité du 24 décembre 1999, consid. 3c/aa).
La propriété de l'actuelle recourante est très proche de celle des consorts Favre, pour laquelle, en 1995 et 1996, le Tribunal fédéral a admis que la condition de la spécialité était remplie (cf. ATF 122 II 337 consid. 3a p. 342 et les références à l'arrêt publié aux ATF 121 II 317 ss). A propos de cette propriété - et d'autres immeubles situés de part et d'autre de la piste de l'aéroport -, le Tribunal fédéral a considéré, dans une décision rendue le 10 octobre 1995 (décision Looten et consorts c. Etat de Genève, ATF 121 II 350), qu'il "n'[était] pas possible de déterminer précisément le moment à partir duquel les immissions provoquées par l'exploitation de l'aéroport [étaient] devenues excessives (au cours des années 1960, voire au début des années 1970)" (ATF 121 II 350 consid. 6b in fine p. 356). Cette conclusion vaut également, manifestement, pour la parcelle de l'actuelle recourante (cf. à ce propos ATF 124 II 543 consid. 5b/aa p. 552).
Il a fallu, dans ces conditions, trouver une solution spécifique pour la prescription. Dans l'arrêt du 24 décembre 1999, le Tribunal fédéral a rappelé sa jurisprudence selon laquelle on ne saurait opposer la prescription à ceux des propriétaires voisins de l'aéroport qui ont annoncé leurs prétentions, quel que soit le fondement de celles-ci (expropriation matérielle ou expropriation formelle), dans les cinq ans dès le 2 septembre 1987, soit dès la publication de l'approbation du plan des zones de bruit de l'aéroport (ATF 124 II 543 consid. 5c/cc p. 555). En revanche la prescription est en principe acquise - et elle peut être invoquée par l'expropriant - quand les prétentions ont été annoncées une fois échu le délai quinquennal courant dès le 2 septembre 1987, soit après le 2 septembre 1992 (arrêt précité du 24 décembre 1999, consid. 3c/bb). Il n'y a aucun motif de réexaminer ou de remettre en cause cette jurisprudence.
Les prétentions de la recourante, en relation avec les immissions de bruit, ont été annoncées plusieurs années après l'échéance du délai fixé; la prescription est donc en principe acquise.
4.- Dans l'arrêt déjà cité du 23 septembre 1998 (Etat de Genève c. hoirie de V.H., ATF 124 II 543), le Tribunal fédéral a évoqué la possibilité d'appliquer, en matière de prescription, la solution que l'on vient d'exposer (supra, consid. 3b) également aux prétentions à indemnité en raison du survol de la parcelle. Il a laissé cette question indécise (ATF 124 II 543 consid. 5d p. 557), après avoir relevé que les problèmes se posaient a priori de façon analogue au sujet du bruit et du survol (ATF 124 II 543 consid. 3c p. 549).
Comme la propriété de la recourante se trouve dans l'axe de la piste, il y a lieu d'examiner plus avant cette question.
a) Selon les règles du droit civil, la propriété du sol emporte celle du dessus et du dessous, dans toute la hauteur et la profondeur utiles à son exercice (art. 667 al. 1 CC). L'extension verticale de la propriété foncière est ainsi définie en fonction de l'intérêt que présente l'exercice du droit de propriété. Ni la loi ni la jurisprudence n'ont fixé de façon générale un seuil d'altitude en dessous duquel le passage des avions serait en principe interdit en vertu du droit civil (cf. ATF 123 II 481 consid. 8 p. 494; 122 II 349 consid. 4a/aa p. 352/353 et les arrêts cités).
Lorsqu'un avion traverse l'espace aérien d'une parcelle, cette atteinte directe n'est pas une immission au sens de l'art. 684 CC, cette dernière notion s'appliquant aux conséquences indirectes que l'exercice de la propriété sur un fonds peut avoir sur les fonds voisins (cf. ATF 122 II 349 consid. 4b p. 356; Paul-Henri Steinauer, Les droits réels, tome II, 2e éd. Berne 1994, n. 1807 p. 141; Arthur Meier-Hayoz, Berner Kommentar, tome IV/1/3, Berne 1975, n. 81 et 192 ad art. 684 CC). A proximité d'un aéroport, le survol, dans l'espace aérien des parcelles voisines, est néanmoins une conséquence de l'exercice de la propriété sur le fonds où se trouvent la piste et les installations annexes. Aussi la responsabilité du propriétaire de l'aérodrome peut-elle en principe être engagée selon l'art. 679 CC (cf. ATF 122 II 349 consid. 4b p. 355; Arthur Meier-Hayoz, Berner Kommentar, tome IV/1/2, Berne 1964, n. 79 ad art. 679 CC; Paul-Henri Steinauer, Les droits réels, tome I 3e éd., Berne 1997, n. 1035 p. 287; Peter Liver, Schweizerisches Privatrecht, tome V/1, Bâle 1977, p. 223). Cependant, conformément à la jurisprudence, un régime particulier s'applique dans le voisinage d'un aérodrome public pour l'exploitation duquel le droit d'expropriation peut être conféré sur la base de l'art. 50 de la loi fédérale sur l'aviation (LA; RS 748. 0): le propriétaire voisin ne peut pas exercer les actions du droit privé pour faire cesser l'usurpation (au sens de l'art. 641 al. 2 CC - dans le texte allemand de cette disposition: "Einwirkung") que peut représenter le survol; la prétention à une indemnité d'expropriation s'y substitue (cf. ATF 124 II 543 consid. 3b p. 548; 122 II 349 consid. 4b p. 355 et les arrêts cités).
Quand le propriétaire foncier ne dispose plus des actions pour écarter ce type d'atteintes, ou en d'autres termes pour faire cesser le trouble à la propriété - actions imprescriptibles -, mais qu'il ne peut faire valoir que des prétentions à une indemnité, celles-là sont en principe soumises à la prescription (cf. ATF 97 I 624 consid. 6b p. 627).
Cela vaut pour les prétentions de droit public fondées sur la loi fédérale sur l'expropriation (ATF 124 II 543 consid. 4a p. 550). Le délai de prescription est de cinq ans (ibid. ).
b) Le survol des terrains voisins d'un aéroport par de grands avions a déjà fait l'objet de quelques arrêts. Dans une affaire concernant un terrain situé au nord-est de la piste de l'aéroport de Genève, à Bellevue, le Tribunal fédéral a constaté que la hauteur de survol était de 75 m et qu'il y avait donc une usurpation, ou une atteinte directe à la propriété (arrêt non publié du 24 juin 1996 dans la cause hoirie S.-H. - il y est question d'un "empiétement direct", selon la terminologie utilisée par Steinauer, op. cit. , tome II, n. 1807 p. 141; cf. aussi ATF 123 II 481 consid. 8 p. 495); ce terrain était néanmoins sensiblement plus proche du seuil de piste que celui de l'actuelle recourante. La même solution été admise pour une parcelle, au sud-ouest de la piste, survolée à une altitude de 108 m (ATF 122 II 349 consid. 4a/cc p. 354). L'espace aérien d'un fonds n'est plus directement atteint, en revanche, quand le survol s'effectue à une altitude de 600 m (ATF 123 II 481 consid. 8 p. 495).
c) Il n'est pas nécessaire, dans le cas présent, de connaître l'altitude à laquelle la parcelle de la recourante est survolée par les avions atterrissant à l'aéroport de Genève (l'altitude de survol dans la phase de décollage n'est pas déterminante car elle est de toute manière supérieure à l'altitude dans la phase d'atterrissage). Cela dépend tant de la distance par rapport au seuil de la piste que de la topographie.
L'instruction de la cause n'a, en l'occurrence, pas porté sur ces questions. Or seules deux hypothèses entrent en considération: soit les avions passent à une altitude où la recourante n'a plus d'intérêt à exercer son droit de propriété, soit ils traversent l'espace aérien de la parcelle. La question de la prescription peut être résolue, dans l'un et l'autre cas, sur la base du dossier.
aa) Dans la première de ces deux hypothèses, celle de l'absence d'usurpation ou d'atteinte directe, le survol de la parcelle ne cause alors que des immissions indirectes, relevant de l'art. 684 CC. Outre le bruit, on peut concevoir que le passage des avions provoque une certaine appréhension (crainte d'une chute de l'aéronef ou de pièces s'en détachant, etc. ) voire d'autres immissions matérielles ou idéales (cf. ATF 123 II 481 consid. 8 p. 495; Arthur Meier-Hayoz, Berner Kommentar, tome IV/1/3, Berne 1975, n. 180 et 192 ad art. 684 CC).
Le survol pouvait être constaté d'emblée par tout intéressé dès la mise en service des grands avions et avant même que les immissions de bruit ne deviennent excessives (condition de la spécialité, cf. supra, consid. 3a); sur la base de cet élément objectif, on pourrait se demander si le propriétaire foncier se prévalant des immissions causées par le survol - indépendamment des immissions de bruit - n'aurait pas dû annoncer ses prétentions dans les années 1960. Cela étant, il est difficile en pratique d'apprécier séparément les différentes nuisances provenant du passage des avions (bruit, conséquences du survol). Les immissions auxquelles est exposé le propriétaire d'un bien-fonds survolé sont en outre, quant à leur nature, comparables à celles que subissent d'autres voisins de l'aéroport dont les immeubles ne se trouvent pas dans l'axe de la piste, même si les atteintes ou le dommage peuvent le cas échéant être considérés comme plus graves globalement (cf. ATF 121 II 317 consid. 5b p. 332).
Comme le bruit demeure la nuisance principale, le survol n'a qu'un caractère accessoire dans ce contexte. Les incertitudes quant à la voie de droit à suivre pour annoncer les prétentions et obtenir une indemnité étaient au demeurant les mêmes.
Aussi ne voit-on aucun motif, dans cette première hypothèse, d'adopter pour la détermination du point de départ et de l'échéance du délai de prescription, une autre solution que celle applicable aux immissions de bruit (cf. supra, consid. 3). Cette solution pragmatique, qui tient compte de la complexité de la situation juridique ou procédurale, prend largement en considération les intérêts des propriétaires voisins (cf. ATF 124 II 543 consid. 5c/cc p. 556; arrêt précité du 24 décembre 1999, consid. 3c/cc et 4b); elle demeure adéquate quand les immissions sont en partie liées au survol.
En conséquence, si le terrain de la recourante est survolé à une altitude telle que l'espace aérien du fonds n'est pas touché, la prescription de ses prétentions, en relation avec le survol, était en principe déjà acquise au moment où elle a agi devant l'autorité fédérale (cf. supra, consid. 3b in fine).
bb) Dans la seconde hypothèse, celle où les avions, aux abords de l'aéroport, traversent l'espace aérien de la parcelle de la recourante, les nuisances subies sont, concrètement, comparables à celles que l'on vient d'évoquer.
A deux kilomètres environ du seuil de la piste (lequel se trouve, à quelques mètres près, à la même altitude que le terrain litigieux), le survol s'effectue à une hauteur telle - plus de 75 m en tout cas (cf. supra, consid. 4b) - que ni la construction, ni d'autres activités (culture du sol, plantation d'arbres, activités de loisirs, etc. ) ne sont directement empêchées. En ce qui concerne la construction, du reste, elle est régie par des normes du droit public qui limitent sensiblement, pour des motifs de sécurité, la hauteur des bâtiments dans les environs des aérodromes publics (la hauteur maximale est largement inférieure à 75 m; cf. art. 42 al. 1 let. a LA; cf. ATF 122 II 349 consid. 4a/bb p. 353). L'intérêt à s'opposer à l'usurpation (au sens de l'art. 641 al. 2 CC), par une intrusion des avions dans l'espace aérien d'un fonds, peut néanmoins subsister (intérêt "négatif", "Abwehrbefugnis"), même en l'absence d'intérêt "positif" à l'utilisation de cet espace ("Betätigungsbefugnis"; cf. ATF 122 II 349 consid. 4a/cc p. 355; Arthur Meier-Hayoz, Berner Kommentar, tome IV/1/2, Berne 1964, n. 7 ad art. 667 CC).
Cela étant, lorsqu'un avion traverse l'espace aérien d'un fonds tel que celui de la recourante, ce passage est fugitif à cause de la vitesse de déplacement. Il est difficile, en pratique, de faire une distinction entre les nuisances (bruit, autres inconvénients de nature physique ou psychique) provoquées exclusivement pendant le survol de la parcelle et celles, ressenties plus longuement, liées au déplacement du même avion avant et après le survol proprement dit.
Or les nuisances provoquées immédiatement avant et après ce passage sont des immissions au sens de l'art. 684 CC, puisqu'il n'y a pas encore, ou plus, d'atteinte directe (cf. aussi à ce propos supra, consid. 4c/aa). Dans cette situation, l'indemnité d'expropriation pourrait donc avoir un double fondement: la perte du droit de se défendre contre le survol et la perte du droit de s'opposer aux immissions excessives.
Il est néanmoins raisonnable d'appliquer une seule règle pour la prescription. Dans le voisinage de l'aéroport de Genève, la solution jurisprudentielle, en matière d'immissions de bruit, est la mieux adaptée compte tenu de l'ensemble des intérêts en jeu (cf. supra, consid. 4c/aa in fine - le bruit est du reste, selon l'expérience générale, l'élément le plus gênant pour les voisins d'un aéroport). Certes, l'intrusion dans l'espace aérien des parcelles survolées était d'emblée perceptible par les propriétaires intéressés, et la jurisprudence relative à la portée de l'art. 667 al. 1 CC à proximité des aérodromes est déjà ancienne (cf. notamment ATF 95 II 397; 103 II 96); on aurait pu attendre des propriétaires touchés qu'ils se manifestassent plus tôt. Il ne se justifie pourtant pas d'être plus restrictif en matière de prescription quand le survol constitue l'un des fondements de l'indemnité d'expropriation demandée.
Il s'ensuit que si, lors du survol, il se produit des atteintes directes à la propriété de la recourante, la prescription était en principe également acquise à cet égard à la date où elle a présenté pour la première fois ses prétentions (cf. supra, consid. 3b in fine).
5.- L'arrêt du 23 septembre 1998 réservait l'hypothèse d'une invocation abusive, par l'expropriant, de l'exception de prescription (ATF 124 II 543 consid. 7 p. 558). La recourante, qui se prévaut des principes de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de droit, prétend que tel est le cas en l'espèce.
Dans la présente procédure, l'établissement public, à qui le droit d'expropriation avait été conféré, a d'emblée invoqué la prescription lorsque la Commission fédérale d'estimation l'a formellement invité à se déterminer sur les prétentions de l'expropriée. Dans l'arrêt précité du 24 décembre 1999, ayant à se prononcer sur une situation analogue et sur les mêmes griefs, le Tribunal fédéral a considéré qu'en pareil cas, l'exception n'était pas soulevée de façon tardive et que l'expropriant n'avait pas renoncé auparavant à s'en prévaloir (consid. 4a). Le Tribunal fédéral a également considéré que l'attitude des autorités cantonales n'avait pas été de nature à dissuader des propriétaires se trouvant dans la même situation que l'actuelle recourante d'interrompre la prescription en temps utile (consid. 4b). La recourante n'invoquant aucune circonstance spéciale liée à sa situation particulière, il peut être renvoyé sans autre développement à l'argumentation exposée dans l'arrêt précité. En conséquence, la Commission fédérale d'estimation n'a pas violé le droit fédéral en déclarant prescrites les prétentions de la recourante.
6.- La recourante se plaint d'une violation de l'art. 8 CEDH, l'application de la règle jurisprudentielle sur la prescription ayant pour effet d'obliger des propriétaires riverains à subir les nuisances de l'aéroport sans indemnité.
L'art. 8 par. 1 CEDH garantit le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale. Il impose à l'Etat d'adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger ce droit, en particulier quand le bruit des avions d'un aéroport diminue la qualité de la vie privée (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Powell et Rayner c. Royaume Uni du 21 février 1990, série A vol. 172, § 41).
L'art. 8 par. 2 CEDH permet une ingérence de l'autorité publique dans l'exercice de ce droit à certaines conditions, notamment quand la mesure est nécessaire au bien-être économique du pays. Dans l'application de ces deux paragraphes de l'art. 8 CEDH, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (ibid. ). Le régime d'indemnisation découlant de l'art. 5 LEx est une façon de mettre en oeuvre les principes de l'art. 8 CEDH (cf. ATF 121 II 317 consid. 5c p. 333) et cette possibilité n'est pas uniquement théorique; soumettre alors à des exigences de forme l'exercice du droit du propriétaire concerné, ou prévoir la prescription des prétentions après un délai raisonnable, n'est manifestement pas contraire à cette garantie conventionnelle.
Dans l'arrêt précité du 24 décembre 1999, le Tribunal fédéral a relevé qu'il avait très largement tenu compte de la situation des propriétaires intéressés pour fixer les règles en matière de prescription, et ainsi ménagé le "juste équilibre" que préconise la jurisprudence européenne. Pour une appréciation globale de la conformité du droit et de la pratique nationaux aux garanties de la Convention européenne des droits de l'homme, il a aussi évoqué le régime de la législation fédérale sur la protection de l'environnement qui prévoit aussi bien des mesures d'assainissement (art. 16 ss LPE) que l'isolation acoustique des immeubles exposés au bruit d'un aérodrome public (art. 20 LPE). Il en a déduit que le grief de violation de l'art. 8 CEDH était mal fondé (consid. 5 de l'arrêt du 24 décembre 1999). Ces considérations, auxquelles il y a lieu de renvoyer, sont aussi valables dans la présente affaire.
En définitive, le recours est mal fondé en tant qu'il concerne la prescription.
7.- La recourante se plaint d'une violation des art. 114 et 115 LEx, la Commission fédérale d'estimation l'ayant condamnée à payer une partie des frais de première instance et ayant prononcé la compensation des dépens.
a) Selon le principe général énoncé à l'art. 114 al. 1 LEx, l'expropriant supporte les frais résultant de l'exercice du droit d'expropriation; cela vise notamment les frais de la procédure devant la Commission fédérale d'estimation. L'art. 114 LEx contient deux réserves: d'une part, les frais peuvent être mis en tout ou partie à la charge de l'exproprié en cas de réclamation manifestement abusive ou de prétentions nettement exagérées (art. 114 al. 2 LEx); d'autre part, les règles de la loi fédérale de procédure civile (PCF; RS 273) sont applicables dans certaines hypothèses spéciales (art. 114 al. 3 LEx).
La Commission fédérale d'estimation n'expose pas, dans les considérants de son prononcé, les motifs pour lesquels, en condamnant la recourante à supporter la moitié des frais de la procédure, elle a renoncé à l'application du principe de l'art. 114 al. 1 LEx. L'art. 114 al. 3 LEx n'étant pas applicable, il reste à vérifier si la réclamation de l'expropriée était manifestement abusive ou si ses prétentions étaient nettement exagérées, au sens de l'art. 114 al. 2 LEx. Tel n'est pas le cas: le montant des prétentions - qui n'a pas été examiné vu l'objet de la procédure - a été calculé par la recourante en tenant compte des précédents dont elle avait connaissance, et le fait qu'elle a maintenu ses conclusions en dépit de l'exception de prescription invoquée en cours d'instance ne saurait être considéré comme abusif, vu le caractère complexe de cette question en l'état de la jurisprudence.
Le recours doit en conséquence être admis au sujet des frais de la procédure devant la Commission fédérale d'estimation; le ch. 3 du dispositif de la décision attaquée doit ainsi être annulé.
b) En prononçant la compensation des dépens, la Commission fédérale d'estimation a considéré que non seulement l'expropriée, mais également l'expropriant avaient droit à une indemnité pour leurs frais occasionnés par la procédure ouverte devant elle (la compensation découle de l'équivalence des indemnités dues de part et d'autre). L'obligation pour l'expropriant de verser, à cet effet, une indemnité convenable à l'exproprié est prévue à l'art. 115 al. 1 LEx. Quant à l'obligation, pour l'exproprié, de verser des dépens à l'expropriant, elle n'est admissible en vertu de l'art. 115 al. 3 LEx qu'en cas de réclamation manifestement abusive ou de prétentions nettement exagérées. Comme cela vient d'être exposé en relation avec l'art. 114 al. 2 LEx (supra, consid. 7a), ces conditions ne sont pas remplies en l'espèce.
Le recours doit en conséquence être admis au sujet des dépens dus à l'expropriant pour la procédure devant la Commission fédérale d'estimation. Comme le dispositif de la décision attaquée ne traite pas explicitement des dépens - il faut le déduire du rejet de "toutes autres conclusions" des parties -, il n'y a pas lieu d'en prononcer l'annulation partielle à ce sujet.
c) A la suite de l'admission partielle du recours de droit administratif, il appartient au Tribunal fédéral de statuer lui-même sur le sort des frais et dépens de la procédure devant la Commission fédérale d'estimation (art. 114 al. 2 OJ).
8.- L'émolument judiciaire, pour la procédure devant le Tribunal fédéral, est supporté par l'expropriant, lequel aura en outre à payer à la recourante une indemnité à titre de dépens, conformément au principe de l'art. 116 al. 1, 1e phrase LEx. Il n'y a pas lieu de prévoir une autre répartition des frais et dépens (cf. art. 116 al. 1, 2e et 3e phrases LEx).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Admet partiellement le recours de droit administratif, annule le ch. 3 du dispositif de la décision attaquée et dit que sont mis à la charge de l'Aéroport International de Genève:
a) les frais de la procédure devant la Commission fédérale d'estimation;
b) une indemnité de 3'000 fr. à payer à P.________ à titre de dépens pour la procédure devant la Commission fédérale d'estimation;
Rejette le recours pour le surplus.
2. Met à la charge de l'Aéroport International de Genève:
a) un émolument judiciaire de 1'500 fr. pour la procédure devant le Tribunal fédéral;
b) une indemnité de 2'000 fr. à payer à P.________ à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties, à la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement et, pour information, à l'Office fédéral de l'aviation civile.
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Lausanne, le 21 février 2000
JIA/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,