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Original
 
«AZA 0»
4C.375/1999
Ie C O U R C I V I L E
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18 janvier 2000
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges. Greffier: M. Ramelet.
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Dans la cause civile pendante
entre
Z.________, demandeur et recourant, représenté par Me Antoine Zen Ruffinen, avocat à Sion,
et
X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me Jacques Allet, avocat à Sion;
(responsabilité de l'exploitant d'un téléski)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- Le 24 janvier 1993, vers 12 h.30, Z.________ a emprunté le téléski pour gagner le domaine skiable de ThyonLes Collons (Valais). Ce téléski était exploité par la société X.________ S.A. et équipé de sièges monoplaces; la fille de l'intéressé, B.________, avait pris place sur le siège qui précédait le sien.
En cours de montée, B.________ est tombée du siège, peu avant le pylône n° 4, et a commencé à glisser le long de la pente sur le dos. Voyant cela, Z.________ a essayé de saisir sa fille au passage, mais n'y est pas parvenu. Il a alors quitté son siège et entrepris de descendre la pente en skiant, suivant le tracé du téléski. Arrivé à la hauteur de B.________, il l'a poussée de côté pour dévier sa trajectoire. Son attention concentrée sur sa fille, il n'a vu le pylône n° 3 qu'au moment où il l'a heurté des jambes. Sous l'effet du choc, il a subi diverses fractures, qui ont laissé des séquelles permanentes et l'ont obligé à changer d'activité professionnelle. B.- a) Le 2 mai 1996, Z.________ a introduit devant la Ie Cour civile du Tribunal cantonal valaisan une action en responsabilité contre X.________ S.A., lui réclamant en dernier lieu la somme de 675 078 fr.
Selon l'expert commis dans la procédure pénale, les pylônes sont capitonnés pour assurer la sécurité des usagers du téléski en aval de fortes pentes, soit lorsque la déclivité atteint ou dépasse 50 à 60%; ils sont également capitonnés lorsqu'ils sont situés près d'une piste de descente où ils peuvent constituer un obstacle, et donc un danger pour les skieurs.
Il a été constaté qu'en amont du pylône n° 3, la montée, sur une longueur de 50 mètres, passe, par rapport au plan de l'horizon, de 28 à 33%, puis à 40%; elle s'atténue ensuite pour ne plus être que de 33% jusqu'au pylône n° 4. A la hauteur du pylône n° 3, la piste de ski la plus proche du tracé du télésiège est distante d'une dizaine de mètres et elle en est séparée par une zone non damée; il n'y a pas de pente transversale. Au départ du téléski, un panneau indiquait qu'il était interdit de lâcher le siège avant l'arrivée. Le jour de l'accident, la neige sous la remontée mécanique était dure, voire verglacée par endroits; le socle du pylône n° 3 était visible.
Durant les 30 années d'exploitation antérieures à 1993, aucun accident ne s'est jamais produit sur le téléski. Contrôlée en avril 1993, cette installation a été jugée conforme aux prescriptions du règlement édicté sur la base du Concordat concernant les téléphériques et téléskis sans concession fédérale.
b) Statuant par jugement du 6 septembre 1999, la cour cantonale a rejeté la demande avec suite de frais et dépens. Elle a considéré en substance que l'installation de téléski était conforme aux prescriptions de sécurité et aux règles de la prudence, l'accident n'étant dû en définitive qu'au comportement imprévisible de la victime.
C.- Z.________ exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Soutenant que l'exploitante du téléski aurait dû matelasser la base du pylône n° 3 et que son propre comportement n'a pas rompu le rapport de causalité adéquate, il conclut à l'annulation de la décision attaquée et reprend ses conclusions sur le fond; subsidiairement, il requiert le
renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
L'intimée propose le rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en paiement et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).
b) Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ).
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 119 II 353 consid. 5c/aa; 117 II 256 consid. 2a). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 123 III 246 consid. 2; 122 III 150 consid. 3).
2.- a) Comme l'a observé la cour cantonale, l'action intentée peut avoir trois fondements juridiques différents: l'acte illicite (art. 41 CO), la violation d'un contrat (art. 97 CO) ou la responsabilité du propriétaire d'un ouvrage (art. 58 CO).
aa) Si l'on raisonne tout d'abord avec l'action aquilienne (art. 41 CO), il faut observer que le recourant reproche à l'intimée une omission (ne pas avoir matelassé la base du pylône) et qu'une omission ne peut constituer un acte illicite que s'il existait une obligation juridique d'agir (ATF 118 II 502 consid. 3; 115 II 15 consid. 3b et 3c). Selon une jurisprudence déjà ancienne, celui qui crée un état de fait dangereux doit prendre les mesures de précaution commandées par les circonstances pour éviter la survenance d'un accident (ATF 96 II 108 consid. 6; 95 II 93 consid. 2). Cette obligation, découlant de l'action consistant à créer un danger, résulte directement du devoir général de respecter le droit à la vie et à l'intégrité corporelle, en tant que droit absolu (cf. ATF 119 II 127 consid. 3). Il a été ainsi admis que l'exploitant d'une remontée mécanique et des pistes de ski adjacentes devait prendre les mesures de précaution que l'on pouvait exiger de lui pour assurer la sécurité des usagers (ATF 121 III 358 consid. 4a; 113 II 246 consid. 3; cf. également: ATF 125 IV 9 consid. 2a). Il peut en résulter l'obligation de matelasser les pylônes d'un téléski (ATF 121 III 358 consid. 4a p. 361; 111 IV 15 consid. 3 p. 19). L'exploitant ne saurait cependant être tenu au-delà de ce qui peut être raisonnablement exigé de lui en fonction des circonstances concrètes; il n'est pas question de matelasser
tous les arbres d'une forêt ou tous les obstacles quelconques; l'obligation n'existe que lorsque l'objet crée un danger particulier (ATF 121 III 358 ibidem et les références citées). Le risque particulier peut résulter du fait que le danger est difficile à détecter ou difficile à éviter. bb) En empruntant le téléski, moyennant paiement, pour rejoindre le haut des pistes, le recourant a conclu avec l'intimée un contrat portant sur le transport de sa personne. Un tel contrat relève en principe du mandat (ATF 115 II 108 consid. 4a; Walter Fellmann, Commentaire bernois, n. 84 ad art. 394 CO; Rolf H. Weber, Commentaire bâlois, n. 9 ad art. 394 CO; Hugo Oser/Wilhelm Schönenberger, Commentaire zurichois, n. 7 ad art. 440 CO; Pierre Engel, Contrats de droit suisse, p. 543 in fine). La jurisprudence a admis que l'exploitant d'un téléski avait une obligation contractuelle accessoire de prendre les mesures de précaution commandées par les circonstances pour protéger la vie et l'intégrité corporelle de son cocontractant (ATF 113 II 246 ss consid. 3 à 7). Les exigences de sécurité que l'on peut déduire du contrat ne vont cependant pas au-delà de celles qui ont été explicitées sur le plan extra-contractuel (cf. ATF 113 II 246 consid. 7 p. 250/251).
cc) Le pylône d'un téléski constitue un ouvrage au sens de l'art. 58 al. 1 CO (Anton K. Schnyder, Commentaire bâlois, n. 12 ad art. 58 CO; Roland Brehm, Commentaire bernois, n. 45 ad art. 58 CO). En tant que propriétaire de l'installation, l'intimée répond d'un éventuel vice de construction ou défaut d'entretien au sens de cette disposition.
Pour juger si un ouvrage est affecté d'un vice de construction ou d'un défaut d'entretien, il faut se référer au but qui lui est assigné, car il n'a pas à être adapté à un usage contraire à sa destination; un ouvrage est donc défectueux lorsqu'il n'offre pas une sécurité suffisante pour
l'usage auquel il est destiné (ATF 123 III 306 consid. 3b/aa; 122 III 229 consid. 5a/bb; 117 II 50 consid. 2). S'agissant de pourvoir un ouvrage de dispositifs de sécurité, le propriétaire ne doit prendre que les mesures que l'on peut raisonnablement exiger de lui, en tenant compte de la probabilité d'un accident grave, des possibilités de la technique et du coût des mesures à prendre (Schnyder, op. cit., n. 16 ad art. 58 CO; Brehm, op. cit., n. 58 ad art. 58 CO). Le propriétaire n'a pas à prévenir n'importe quel risque dont chacun peut facilement se protéger lui-même en faisant preuve d'un minimum d'attention (ATF 118 II 36 consid. 4a). Il n'a pas à compter avec l'éventualité qu'une personne utilise une installation d'une façon contraire à sa destination (ATF 117 II 50 consid. 2 p. 52).
b) Quel que soit le fondement juridique de l'action, la question décisive est de savoir si le pylône auquel s'est heurté le recourant était dans un état conforme aux devoirs de la prudence.
Pour déterminer concrètement quels sont les devoirs de la prudence, on peut prendre en compte les normes édictées en vue d'assurer la sécurité et d'éviter des accidents (ATF 122 IV 17 consid. 2b/aa, 61 consid. 2a/bb p. 64, 133 consid. 2a, 145 consid. 3b/aa, 225 consid. 2a; 121 IV 207 consid. 2a p. 211, 249 consid. 3a/aa). A défaut de dispositions légales ou réglementaires, il est également possible de se référer à des règles analogues qui émanent d'associations privées ou semi-publiques, lorsqu'elles sont généralement reconnues (ATF 122 IV 17 consid. 2b/aa, 145 consid. 3b/aa; 121 IV 207 consid. 2a). A supposer qu'en l'occurrence aucune norme de sécurité imposant ou interdisant un comportement n'ait été transgressée, il faudra encore se demander si l'intimée s'est conformée aux devoirs généraux de la prudence (ATF 122 IV 17 consid. 2b/aa, 145 consid. 3b/aa; 121 IV 207 consid. 2a).
Si des mesures de sécurité non imposées par une réglementation étaient envisageables, une pesée des intérêts en présence indiquera ce qui pouvait être raisonnablement exigé; à cet égard, il faut prendre en considération, d'une part, le degré d'efficacité de la mesure, son coût et ses inconvénients, d'autre part le degré de probabilité du risque et l'importance du dommage envisagé.
c) En l'espèce, la cour cantonale a fait une saine application de la jurisprudence, en recherchant en premier lieu si l'intimée avait transgressé une règle de sécurité imposée par l'ordre juridique. Elle a donc examiné la situation à la lumière de l'ordonnance sur les téléphériques servant au transport de personnes sans concession fédérale et sur les téléskis (RS 743.21), du Concordat concernant les installations de transport par câbles et skilifts sans concession fédérale (RS 743.22) et de son règlement. Elle est parvenue à la conclusion que l'état du pylône ne violait aucune prescription de sécurité. Le recourant ne le conteste en rien et il n'y a pas lieu de revenir sur cette question.
L'autorité cantonale s'est ensuite demandée, conformément à la jurisprudence, si l'intimée avait transgressé une règle de sécurité généralement reconnue adoptée par une association privée ou semi-publique; elle s'est enquise également de savoir s'il existait un règlement interne à l'entreprise ou des usages professionnels. Se référant à l'avis d'un spécialiste, elle a admis que l'exploitant devait matelasser la base d'un pylône dans deux hypothèses. La première est celle où la pente est très forte (50 à 60% au moins), de sorte qu'un usager du téléski qui tomberait de son siège pourrait glisser sur le sol à une telle vitesse qu'il heurterait violemment le pylône en aval. La seconde hypothèse est celle où le téléski est proche d'une piste de descente, si bien qu'un skieur qui perdrait la maîtrise de ses lattes pourrait très facilement venir heurter un des pylônes à
grande vitesse. Le recourant ne prétend pas que d'autres hypothèses seraient communément admises dans la branche. Il convient donc maintenant d'examiner si l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses citées. Il a été constaté en fait - d'une manière qui lie le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ) - que la pente entre le pylône n° 3 et le pylône
n° 4 ne dépassait pas 40%. La condition n'était donc pas remplie pour qu'il soit nécessaire de matelasser le pylône aval. Il faut d'ailleurs observer que le recourant ne s'est pas blessé parce qu'il serait tombé du téléski et aurait glissé contre le pylône en étant couché sur le sol. Il est notoire qu'une personne qui dévale une pente couchée par terre, surtout si la déclivité n'est pas très forte, n'atteint pas la même vitesse qu'un skieur sur ses lattes. On ne peut donc pas suivre le recourant lorsqu'il affirme que sa fille, qui descendait la pente sur le dos, était exposée à un choc aussi violent que celui qui l'a blessé. Les constatations cantonales ne permettent pas de remettre en cause la limite à partir de laquelle, selon l'expert, il y a une forte pente (50 à 60%): rien ne permet en effet de penser à un risque sérieux que des usagers soient désarçonnés à l'endroit où est survenu l'accident et il n'est pas davantage établi que celui qui tomberait sur ce tronçon serait exposé à être précipité avec force contre le pied du pylône. La seconde hypothèse concerne la sécurité des skieurs descendant sur une piste qui leur est destinée. En l'espèce, il a été constaté définitivement que la piste la plus proche se trouvait à une dizaine de mètres, qu'elle était séparée du téléski par une zone non damée et qu'il n'y avait pas une pente transversale qui pourrait exposer le skieur à dériver dans la direction de cette installation. Il n'était donc pas non plus nécessaire de matelasser le pylône n° 3 pour assurer la sécurité des skieurs alpins. Au demeu-
rant, ce n'est pas un skieur descendant une piste destinée à cet usage qui a été victime de l'accident du 24 janvier 1993, ce qui distingue fondamentalement la présente espèce de l'état de fait retenu dans l'arrêt auquel le recourant fait constamment référence (cf. ATF 111 IV 15 s.).
Les conditions communément admises pour exiger un matelassage n'étaient donc pas réunies. On ne discerne par ailleurs aucune circonstance particulière, propre à l'état des lieux, qui aurait permis d'exiger cette mesure sous l'angle des règles générales de la prudence.
Il faut ici rappeler que le recourant a choisi d'abandonner son siège et de descendre la pente sur ses lattes (avec la vitesse que cela impliquait) en suivant le tracé de montée du téléski. Il a ainsi fait de l'installation un usage insolite et contraire à sa destination, avec lequel l'exploitant n'avait pas à compter. On ne saurait exiger des mesures de précaution pour une hypothèse aussi imprévisible.
d) Partant, il y a lieu d'admettre que l'ouvrage n'était pas défectueux et que l'exploitante n'avait pas l'obligation, ni sur la base de l'art. 41 CO ni sur la base du contrat, de matelasser la base du pylône. La responsabilité de l'intimée est ainsi exclue, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la question de la causalité adéquate ou de la faute concomitante. Dans la mesure où le recourant insiste sur le caractère irréprochable de son comportement, il faut préciser qu'il appartient à un skieur en mouvement d'être attentif à ce qui se trouve devant lui et de maîtriser ses lattes de manière à pouvoir éviter un obstacle immobile sur sa trajectoire (cf. ATF 122 IV 17 consid. 2b/bb); le recourant ne s'est manifestement pas conformé à ces exigences en heurtant un socle de pylône pourtant visible.
3.- En définitive, le recours doit être rejeté, le jugement attaqué étant confirmé. Les frais et dépens seront mis à la charge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours et confirme le jugement attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 6000 fr. à la charge du recourant;
3. Dit que le recourant versera à l'intimée une indemnité de 7000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Ie Cour civile du Tribunal cantonal valaisan.
______________
Lausanne, le 18 janvier 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,